En 1815, premier retour de Frédéric Soulié en Ariège

La lecture attentive de l’œuvre de Frédéric Soulié donne à penser que celui-ci, de façon sûre, n’est retourné en Ariège que trois fois, en 1815, en 1820 et en 1831.

Dans « Scène de 1815 au château de S… » 1Frédéric Soulié. « Scène de 1815 ». In Le Port de Créteil. Volume II. Edition V. Magen. Paris. 1843., Frédéric rapporte que, durant l’été 1815, venant alors de Nantes, il a séjourné en Ariège, avant de rentrer au lycée, à Poitiers, où son père venait d’être muté.

« Je sortais à peine du lycée, et après une longue absence, j’étais allé voir ma mère et le pays natal… »

Dans la seconde version de ses Amours françaises, recueil poétique publié en 1842, Frédéric Soulié se souvient d’avoir joué cette année-là, à Mirepoix rue Courlanel, avec une petite fille qu’il aimait bien et qu’il nomme Laure à la façon de Pétrarque. Il s’agit d’un souvenir idéalisé, dans lequel l’écrivain corrige la réalité pour la rendre moins blessante. La scène, dit l’écrivain, se situe en septembre, « au bourg où je naquis, bourg où ma mère est morte », et où « dès longtemps, nos parents demeuraient porte à porte. Ils étaient bons voisins, et nos mères souvent l’une à l’autre confiaient leur enfant » :

« Ma Laure avait douze ans ; j’étais jeune comme elle…
Nous avions épuisé tous nos jeux dans les bois,
Sur la mer du jardin fait de grandes nacelles ;
Nous avions déniché de blanches tourterelles,
Cueilli la clématite arborée aux vieux murs,
Et de notre verger dérobé les fruits mûrs.
Nous nous étions tous deux assis, seuls, sur la pierre
Bordant de nos maisons la porte hospitalière,
Et, joueurs obstinés, fatigués de nos jeux,
Nous jouions avec l’air en y soufflant tous deux. » 2Frédéric Soulié, « Laure », in Amours françaises, édition de 1842, p. 228-229, Hippolyte Souverain, Paris.

On reconnaît dans ces quelques vers, à Mirepoix rue Courlanel les deux maisons attenantes, celle des Clauzel et celle des Baillé. La petite Laure est probablement Jeanne Clauzel, l’une des filles de Bertrand Clauzel et de Marie Henriette Adam.

Avant de repartir pour Poitiers, Frédéric Soulié adolescent, qui n’a pas oublié la jeune Madame Clauzel, à laquelle, il n’y a pas si longtemps encore, il « volait son rouge pour peindre des soldats sur son cerf-volant », entreprend de lui rendre visite au château du Secourieu, où elle réside alors avec ses enfants.

« Des liens d’amitié et de parenté unissaient ma famille à celle du général C…, qui venait d’être condamné à mort par contumace. Sa femme et ses enfants habitaient le château du S…., à quelques lieues de Toulouse. Dès que j’eus embrassé ma mère, et après quelques jours de repos je partis pour la demeure de madame C…

Dans le roman qu’il intitule Le Magnétiseur (1834), Frédéric Soulié prête à la forge de Quillan, qui a appartenu aussi à Bertrand Clauzel mais que celui-ci n’a jamais habitée, le mobilier que lui, l’adolescent de 1815, a vu au château du Secourieu, et qui venait pour l’essentiel de Louis Emmanuel Élisabeth de Rességuier, précédent propriétaire dudit château.

« En entrant vous trouvez une vaste salle ; il n’y a pas d’antichambre ; c’est la salle à manger : elle est pavée de dalles grises ; une large table de chêne luisante en occupe incessamment le milieu ; tout autour, des chaises de jonc à claire-voie, avec des coussins au siège et au dos, attachés par des rubans de fil ; aux murs, deux baromètres, une pendule dans sa gaîne, quelques cartes de géographie, l’Europe presque entière publiée sous l’empire avec la dénomination naïve et sublime de théâtre de la guerre, les gravures des tableaux de Greuze, l’entant de Prud’hon, la première lithographie de Charlet, deux grenadiers défendant leur drapeau ; dans l’angle, un tour qui communique à la cuisine ; aux deux côtés d’une porte qui ouvre sur le jardin, en face de la porte d’entrée, deux buffets larges et saillants jusqu’à hauteur d’appui, puis plus étroits et montant jusqu’au plafond. Çà et là des servantes avec leurs vases profonds en fer-blanc pour recevoir les bouteilles, et enfin une immense cheminée où l’on entre debout, au manteau de chêne sculpté, avec ses deux bancs latéraux, et au-dessus la double crémaillère de chêne, où reposent quatre ou cinq fusils de chasse, une carabine et une espingole. Si vous traversez la pièce dans sa largeur, vous arrivez, par une porte semblable à celle par laquelle vous êtes entré, dans ce qui s’appelle le jardin ; si vous prenez à droite, c’est le salon que vous trouvez.

La cheminée immense s’y voit encore, mais plus coquette et plus riche en sculpture ; tout autour des lambris peints en gris avec leurs plinthes épaisses, leurs cimaises saillantes, distribués en panneaux ou cadres aux angles arrondis et tournés en fleurs sculptées. Une tapisserie splendide tend tout l’appartement : ce sont les tableaux de l’histoire d’Alexandre. On en parle comme d’un présent de Louis XV à l’ancien propriétaire […] ; le meuble, voilé d’ordinaire de chemises d’un basin à côtes, vient de la même source ; on le cite dans le pays : il y a fait connaître le nom des Gobelins. Au milieu du salon, une table carrée avec un tapis à dents et à franges, deux consoles incrustées de cuivres superbes, avec des marbres jaunes sur leurs pieds de satyres ; deux vastes fauteuils, différents du meuble, en velours vert avec des crépines d’or, leur petit traversin qui soutient les reins, et leurs oreillettes avancées pour la tête ; un guéridon d’ébène, des tables à jeu noires et cuivrées ; un trictrac d’écaillé incrusté tout autour et au dedans de bois de rose, d’ivoire et de nacre ; sur la cheminée, une pendule aux colonnes torses avec des magots dorés, des chandeliers dont la tige contournée s’étale en douze ou quinze tulipes qui reçoivent les bougies ; des glaces dont les joints sont dissimulés sous des guirlandes de fleurs. Un plafond peint à l’huile, où l’Amour se promène avec des colombes, et duquel pend un lustre avec ses ornements dorés et ses aiguilles en cristal de roche. Puis enfin, au milieu de tout cet ameublement somptueux, quelques raquettes, des volants, des cerceaux, un métier à tapisserie, et dans un coin un petit bonheur-du-jour qui, à son départ de Paris, devait être le seul meuble sortable de la maison, et qui, parmi ces riches et grands restes du luxe de nos pères, se montre honteux et mesquin, comme serait un couplet de vaudeville dans une tragédie de Pierre Corneille.

Encore une pièce, et tout est fini ; derrière ce salon, en entrant par une porte basse couverte d’une portière, un boudoir, mais un boudoir de l’époque. Le divan aux larges coussins, une tenture de mousseline brodée sur un fond bleu Marie-Louise, une psyché, une console romaine, une toilette à colonnes, un piano d’Érard, des chaises en gondole, un tapis d’Aubusson, et des glaces partout où on avait pu en mettre avec leurs cadres dorés.

Une demi-douzaine de chambres à coucher à chaque étage… » 3Frédéric Soulié. Le Magnétiseur, pp. 166-168. Librairie Nouvelle. Paris. 1857.

C’est dans cet intérieur somptueux que se déroule la scène racontée ci-dessous.

« Je n’étais qu’un écolier, et pourtant l’accueil qu’on me fit me révéla tout ce qu’il y avait de triste dans la position de madame C… Je n’étais recommandé que par mon nom ; jeune homme inconnu ou presque oublié, je fus reçu comme un vieil ami qu’on attendait. Un parent fidèle, à cette époque c’était du courage ; pour les victimes, c’était un bonheur, c’était une illusion retrouvée. »

L’épisode se situe pendant la terreur blanche. Celle-ci se déchaîne à partir du mois d’août 1815. Le château se trouve envahi par une bande de verdets, partisans du comte d’Artois, qui s’en prennent aux anciens jacobins, aux bonapartistes, et aux acheteurs de biens nationaux. Recherché par ces verdets, Bertrand Clauzel est alors en fuite.

Le narrateur évoque Madame C… en compagnie de trois enfants, Pierre Gabriel Anne Henri Clauzel, Jeanne Marie Blanche Clauzel, Gabriel Bruno Bertrand Clauzel. Ils ont en 1815 respectivement onze ans, dix ans, et deux ans.

« Madame C… habitait le château du S avec ses trois enfants. Elle était d’une beauté remarquable. Son accent créole prêtait à son langage une grâce parfaite. Son fils aîné n’avait que douze ans, de façon qu’elle était absolument seule en butte à toutes les vexations qu’il plaisait aux autorités locales de lui faire subir. Quelques jours avant que j’arrivasse, le secrétaire de son mari lui avait apporté de ses nouvelles. Le général espérait sous un déguisement de marchand de bœufs, et sous le nom de Bertrand, s’embarquer prochainement à Rochefort ; en attendant il errait de villages en villages dans le département de la Charente Inférieure, menacé à chaque instant d’une arrestation qui l’eût conduit à la mort.

L’arrivée du secrétaire et la mienne firent concevoir aux autorités de Toulouse le soupçon que le général cherchait un asile dans sa famille… »

Le portrait de Madame C… parmi ses enfants relève de la chose vue et entendue. Celui de l’adolescent, qui fait montre d’un courage surprenant face aux verdets, paraît en revanche surdéterminé dans le genre héroïque, d’où inspiré par un idéal de soi qui a partie liée avec les fantasmes de l’enfance.

« J’étais au château depuis quelques jours, et nous remarquions un grand nombre d’hommes de mauvaise mine, s’avançant timidement dans la grande allée du parc, isolés et comme des gens que 1a curiosité seule fait entrer. Quelquefois ils se retiraient à la première question qu’on leur faisait, le plus souvent ils discutaient le droit qu’ils avaient de se promener chez un bonapartiste, et toujours ils s’éloignaient en proférant des menaces atroces.

Ramel 4Né en 1768, Jean-Pierre Ramel est un ancien des campagnes d’Italie, d’Espagne et du Portugal. Nommé général de brigade sous la Restauration, commandant du département de la Haute-Garonne, il tente de désarmer les verdets. Mais il est assassiné à Toulouse le 15 août 1815 comme partisan de Napoléon Ier. venait d’être assassiné, et tout cela n’était pas fort rassurant. Il ne fallait qu’une farandole un peu nombreuse, une de ces ivresses qui naissent dans un groupe, s’étendent sur toute une ville, la soulèvent et la font mugir, quelques cris de mort jetés et répétés, et le château était envahi, et le massacre n’était pas impossible. Qui ne sait les excès où peuvent arriver les masses mises en conflagration ! Aussi les soirées étaient tristes, on se quittait tard, on se cherchait de bonne heure, on avait besoin de se voir pour ne pas s’alarmer les uns pour les autres ; enfin le malheur, le danger avaient établi au château une intimité, une pensée commune que le désert seul peut-être peut créer si rapidement.

Une nuit, à quatre heures du matin, un cri de vive le roi ! et une décharge de mousqueterie éveillèrent le château en sursaut. Je me précipitai à la fenêtre de mon appartement, et je vis environ deux cents hommes assemblés devant la porte principale, et qui demandaient à grands cris qu’elle leur fût ouverte. La plupart portaient des vestes vertes et des pantalons verts à larges bandes blanches, presque tous des chapeaux à trois cornes avec d’énormes cocardes vertes. Ils se mirent à chanter, avec une voix terrible, une chanson patoise alors fort en vogue : Ah ! nous l’avons déplumé, l’oiseau aux grandes ailes. L’officier qui les commandait donna l’ordre formel d’ouvrir les portes, et je descendis avec le secrétaire du général.

Madame C… était malade, et ne se leva point pour recevoir ces messieurs. Ils en témoignèrent assez grossièrement leur déplaisir. Nous étions au milieu d’eux, leur demandant quel était le but de cette visite.

– Nous voulons arrêter le brigand, crièrent-ils en masse. Et-puis des voix isolées ajoutèrent :

– Et nous le noierons, nous le fusillerons, nous le pendrons.

– Le brigand ! le brigand ! reprit toute cette troupe avec des gestes de menace.

– Le général n’est pas ici, répondit le secrétaire.

– Il y est, il y est ; allumons le château : le chien sortira de sa cachette, et nous le tirerons comme un lapin.

L’officier annonça qu’il allait faire la visite exacte des bâtiments, et le calme se rétablit un peu. L’adresse que cet homme mit à cette opération me prouva combien il avait à cœur de réussir. C’était un jeune homme ; il portait un uniforme vert assez semblable à ceux des douaniers, un chapeau tricorne avec la ganse noire et la cocarde verte, une écharpe blanche, un sabre de cavalerie, et un fusil de chasse en bandoulière. Il plaça une cinquantaine d’hommes autour du château, de façon qu’aucune issue ne pût échapper à la surveillance des sentinelles, puis il entra dans la maison, suivi du reste de son monde. Il nous avait demandé à lui servir de guides ; mais à peine entrés, nous vîmes qu’il connaissait les localités aussi bien que nous. Il pénétra dans tous les appartements, l’un après l’autre, en bouleversant les meubles, frappant les murs et le sol avec le pommeau d’un pistolet. À chaque chambre, il laissait un ou deux factionnaires pour qu’il fût impossible de s’échapper et de se cacher dans un appartement pendant qu’on en visitait d’autres. Les chambres, les salons, les cuisines, les celliers, les fruitiers, les caves et toutes les dépendances furent gardés et examinés avec un soin égal. Nous croyions la visite terminée, lorsque l’officier, prenant une douzaine d’hommes qui lui restaient :

– Maintenant, dit-il, allons au nid.

Ce furent ses propres paroles.

Je compris quel était son dessein, et je lui fis observer quelle inhumanité il y avait à lui de pénétrer ainsi dans l’appartement d’une femme malade, lorsqu’il lui devait être prouvé que le général [Clauzel] était absent.

– Ne venez pas, me dit-il, si cela vous déplaît ; j’irai bien tout seul.

Sur un signe du secrétaire, je les suivis. »

Ainsi héroïsé, après avoir été reçu au château « comme un vieil ami qu’on attendait », d’où invité à rompre avec sa condition de « jeune homme inconnu ou presque oublié », l’adolescent trouve la force d’affronter un homme violent qui menace une mère adorable sous les yeux de ses propres enfants, dont un petit garçon âgé de deux ans. Il s’agit là d’un scénario qui hante l’imagination de Frédéric Soulié et qui se répète, sous des formes variées, dans chacun des textes de l’écrivain : on maltraite une mère ; l’enfant, pour s’accomplir, doit la sauver. L’adolescent a-t-il vu en la personne de Madame C… une figure de sa propre mère, exposée aux derniers outrages ? En la personne de l’enfant de deux ans, un double de l’enfant qu’il a été ?

« Nous arrivâmes dans la chambre de madame C… Elle était couchée ; l’officier plaça ses soldats à la porte et nous y pénétrâmes tous les trois. Il s’arrêta devant elle, sans lui adresser la parole et sans faire les recherches exactes auxquelles il s’était livré jusque-là ; puis il se promena activement dans la chambre, comme un homme qui ne sait quel parti prendre, lorsqu’il aperçut un portrait en pied du général dans un coin de l’appartement. Il s’arrêta immobile devant le tableau, et là, à voix basse et avec une sorte de colère implacable, il adressa à cette image les plus cruelles injures. Peu à peu cette colère s’exalta jusqu’aux cris de rage les plus atroces ; nulle contradiction n’excitait cette fureur, mais c’est le propre de nos caractères méridionaux de bouillonner en eux-mêmes jusqu’au plus haut degré d’exaspération. Enfin cette imagination ardente dominant complètement la raison de ce furieux, il menaça du geste cette peinture dont l’immobilité semblait être du mépris devant tant d’insultes, et dépassant alors toutes les bornes, il tira son sabre et frappa au cœur cette image vaine ; il frappa, non comme un fou qui déchire une toile, mais comme un homme qui tue un homme ; et puis, en voyant sortir son sabre sec de cette blessure impuissante, il se prit à rire avec mépris et taillada le tableau avec dégoût, en se disant tout bas :

– Rien qu’une toile, imbécile !

– Monsieur, s’écria madame C…, vous avez visité ma maison, voulez-vous la piller ! cette voix tira le verdet de sa longue préoccupation, et il se retourna violemment.

– Vous regrettez donc bien ce tableau !… Est-ce que tu aimerais ce brigand ? Oh ! dit-il avec un ton railleur, tu l’as bien caché, n’est-ce pas ? Eh bien ! je le trouverai.

Il attachait alors sur madame C… des yeux qui brûlaient d’une expression fatale.

– Il n’a pas quitté si aisément une si belle femme ; il doit être ici, bien près, là, peut-être, dit-il. Et d’une main rapide comme l’éclair, il prend les couvertures, et les ramenant violemment au pied du lit, il découvre entièrement madame C…

Ce fut un mouvement spontané et terrible, que celui qui suivit cette grossière insulte : le secrétaire du général saisit un énorme flambeau, et d’un coup désespéré étendit l’officier à ses pieds. Les soldats se précipitèrent dans la chambre en couchant en joue ce jeune homme, que je couvris de mon corps ; et madame C…, s’élançant de son lit, demi-nue et pâle, tomba aux genoux des soldats en écartant leurs fusils qu’ils avaient dirigés sur nous. Les femmes de chambre qui étaient dans une pièce voisine étaient accourues. […].

Les soldats criaient aux femmes de s’éloigner, et me menaçaient de me tuer si je ne m’écartais du jeune secrétaire ; lorsque l’officier, revenu de l’étourdissement où l’avait jeté ce coup violent porté à la tête, leur ordonna de se retirer ; ils obéirent en murmurant, et le verdet, tirant de sa poche un mouchoir blanc, allait aussi bander sa blessure, lorsque madame C…, par un sentiment d’humanité intelligente, dont les femmes ont seules le secret, se mit à panser ce misérable de ses propres mains. Lorsqu’elle eut posé un premier appareil, il se leva, ordonna au secrétaire de le suivre, en lui disant :

– N’ayez pas peur ; madame C… vient de vous sauver… mais laissez faire, et ne dites pas un mot. »

Un peu plus tard, comme la fureur des verdets se tourne désormais contre le secrétaire du général Clauzel, l’officier obtient que celui-ci ne soit pas tué, mais fait prisonnier et, « attaché derrière un cheval, les mains liées derrière le dos », transféré à Foix. L’adolescent se voit chargé de précéder le cortège afin d’aller quérir les gendarmes. « A deux lieues de Foix, je montai à cheval d’après l’ordre de l’officier, et je courus avertir les autorités de la ville. D’après mon récit, on envoya quelques gendarmes au-devant du prisonnier… »

On notera que, dans le récit de 1815, la visite à Madame C… vient après la visite à la « mère » et au « pays natal », et qu’elle intervient sur le chemin qui emporte le narrateur à nouveau loin de cette « mère » et loin de ce « pays natal ». L’afflux d’affects suscité par la visite à Madame C… indique que, demeurant après la visite à sa mère le même « jeune homme inconnu et presque oublié » qu’il a été jusqu’alors, l’adolescent ne peut s’empêcher de transférer sur une autre figure maternelle le souci d’amour dont son cœur déborde depuis toujours vainement. Indissociable de celui des affects, l’afflux des fantasmes rendu manifeste par le regard magnétique porté sur l’homme au sabre du château de S…, montre qu’après la visite à sa mère, l’adolescent ne se trouve pas délivré du souci qui l’oppresse, mais condamné à l’approfondir, sur le mode du cauchemar qui se répète.

Le sort du narrateur des « Scènes de 1815 au château de S… » reproduit en abîme celui de Frédéric Soulié, l’homme et l’écrivain. Voué par son drame à la rémanence des images violentes, l’écrivain fait de ces images matière pour bâtir et rebâtir une œuvre cruelle qui, balançant entre autobiographie et fiction, se déploie de façon obvie comme un long et inépuisable roman des origines, i.e. comme le long et inépuisable palimpseste d’un roman familial.

Après 1815, Frédéric Soulié ne reviendra plus en Ariège que deux fois, en 1820 et en 1831.

References

References
1 Frédéric Soulié. « Scène de 1815 ». In Le Port de Créteil. Volume II. Edition V. Magen. Paris. 1843.
2 Frédéric Soulié, « Laure », in Amours françaises, édition de 1842, p. 228-229, Hippolyte Souverain, Paris.
3 Frédéric Soulié. Le Magnétiseur, pp. 166-168. Librairie Nouvelle. Paris. 1857.
4 Né en 1768, Jean-Pierre Ramel est un ancien des campagnes d’Italie, d’Espagne et du Portugal. Nommé général de brigade sous la Restauration, commandant du département de la Haute-Garonne, il tente de désarmer les verdets. Mais il est assassiné à Toulouse le 15 août 1815 comme partisan de Napoléon Ier.