De La Franqui à Ramonville – Di di didley di, un divertissement de Matt Hilton

 

Un divertissement créé pour l’association Mille Tiroirs sur le thème de l’expatrié/immigré/exilé.

 

Je m’imagine aux commandes d’un Constellation à l’approche d’une colline.

 

 

L’avion oblique légèrement au-dessus de tertres et de chaînes de collines tapissées d’arbres, puis une immense vallée.
Les arbres sont différents, les terres s’étendent à perte de vue ; un troupeau de vaches blanches se disperse, effrayé par les moteurs, une autre rivière plus loin en contrebas, puis une autre ville…

 

Le jour suivant je me trouvai seul

 

J’éclatai dehors lentement.

 

Et l’hiver ?

 

« Toute la ferraille » « chiffons – os ».
Une chose est certaine : son coeur est décomposé, et pourtant il continue à s’accrocher à ce pauvre organe avec l’opportunisme glacial d’un homme qui transporte une planche pour pouvoir à tout moment dévaler la pente.

 

Ssshh quoi ? où ?
(périphrase méditerranéenne lingua franca)
Au début, vous êtes comme un tronc – hermétique. Puis vos ramures commencent à pousser. Votre pensée et vos paroles s’acclimatent. Mais vous n’avez même pas accompli la moitié du chemin.

 

Oh ce carton et la friction sur les doigts

 

Soudain, il me semblait que tout ce qui me tombait sous la main – jouets cassés, ballons en papier de riz, de la boue jaune – participait d’un mouvement en avant.
Je tourne un coin, derrière un garage un chameau – c’est le cirque – apprendre à se tenir sur la tête.

Les mots reproduits ci-dessus sont ceux de Matt Hilton. Je les ai empruntés passim au livret qui accompagne le divertissement. Le texte du livret évoque le parcours de l’expatrié, qui, tombé de Londres à La Franqui dans les Corbières, connaît une période d’errance, de solitude, de faim, avant d’atteindre à Ramonville la bouche du métro qui mène à Toulouse et à la publication de Comment j’ai débusqué les bêtes 1Cf. La dormeuse blogue 3 : Matt Hilton expose à la librairie Ombres Blanches – Comment j’ai débusqué les bêtes.. Le texte de ce livret demeure parent de Comment j’ai débusqué les bêtes. Egal en qualité littéraire, il ajoute au « comment j’ai débusqué… » le prolongement picaresque d’un « comment j’ai commencé d’apprivoiser les bêtes ». Avec le temps qui a passé depuis sa chute à La Franqui, Icare a oublié de plaindre la perte de ses ailes anciennes, et, s’il se risque comme ici à raconter dans la novlangue qui est désormais celle de son séjour terrestre, il s’étonne de l’écart que l’usage de cette novlangue entraîne entre soi et soi, partant, dans son écriture même, obligée au style parodique qui lui vient nouvellement :

Si j’essaie de parler plus librement, je glisse sur la glace fine de la parodie, soit personnage rural soit une sorte de louche homme cassé.

Le possible d’une nouvelle liberté de dire se joue finalement ici, dans le pas qui rétrocède de la lingua matrix à la lingua franca. Rêve de tout poète – la liberté de parler comme di di didley di fait le temps des horloges, ou la liberté de parler en langue. Remember ! Souviens-toi ! prodigue ! Esto memor ! Mon gosier de métal parle toutes les langues 2Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, LXXXV, L’Horloge..

Libre, narquoise, à la fois franche et rouée, la parole se joue ici de la limitrophicité que le vif et le mort entretiennent. Elle va, dit l’écrivain, comme « on relance les dés », sachant qu’il s’agit là du « privilège dont s’accompagne le changement de pays de culture », et comptant bien aussi que dans le cas d’un tel privilège, un coup de dés jamais n’abolira le hasard.

Il serait vain de chercher à cette poétique du hasard des maîtres. L’écrivain, l’artiste, fait avec ce qui sort du cornet à dés, toute la ferraille, mots chiffons-os, jouets cassés, ballons en papier de riz, de la boue jaune.

Je tourne un coin, derrière un garage un chameau – c’est le cirque – apprendre à se tenir sur la tête.

Hop là ! Nous vivons. On ne résiste pas à l’appel du cirque. Le mort saisi par le vif, l’artiste, apprend donc à marcher sur la tête. Le travail, dit-il, c’est le déplacement des objets dans l’espace. Il se compte sûrement le premier au nombre des objets loisibles d’un tel déplacement. Et c’est tant mieux, car il déplace ainsi l’objet même du propos qui est ordinairement celui d’une exposition. Loin de la collection de choses déjà faites, par-faites, que la plupart des expositions rassemblent de façon convenue, le divertissement créé par Matt Hilton à Pamiers se présente comme le moment éphémère d’un cirque dont on ne sait quel visage il fera demain, et dont seul importe l’étonnement qu’il inspire là tout de suite, aujourd’hui et maintenant.

Installée à la salle Espalioux, rue Jules Amouroux à Pamiers, l’exposition dure jusqu’au 31 mai 2012. Elle est ouverte le mardi, le mercredi et le vendredi de 14h à 18h, et le samedi de 10h30 à 13h. Entrée libre.

A lire aussi :
Matt Hilton : Comment j’ai débusqué les bêtes – Un scrapbook de rencontre érotiques
Matt Hilton : Works/Studio Practice
La dormeuse blogue 3 : Matt Hilton expose à la librairie Ombres Blanches – Comment j’ai débusqué les bêtes
La dormeuse blogue 2 : Matt-Hilton – Comment j’ai débusqué les bêtes
La dormeuse blogue : A propos de Matt Hilton printmaker
La dormeuse blogue 2 : Une visite à l’atelier de Matt Hilton
La dormeuse blogue : L’atelier du lithographe

Notes[+]

Ce contenu a été publié dans art, Midi-Pyrénées, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.