Matt Hilton expose à la librairie Ombres Blanches – Comment j’ai débusqué les bêtes

 

A la librairie Ombres Blanches, Matt Hilton lit quelques pages de Comment j’ai débusqué les bêtes, « un scrapbook de rencontre érotiques ». C’était hier soir à Toulouse le vernissage de l’exposition dédiée à l’ouvrage de Matt Hilton, un livre d’artiste, présenté sous forme de port-folio de format raisin, réalisé sur vélin d’Arches 200 gr et assorti de lithographies tirées au format 25/32,5 cm. Il s’agit d’une oeuvre forte et dérangeante.

J’ai raconté l’an dernier comment Matt Hilton, dans l’atelier du graveur Philippe Parage, travaillait au tirage de son livre. Matt Hilton m’a demandé d’écrire le texte de présentation qui accompagne aujourd’hui l’exposition. Je reproduis ici ce texte que l’on peut consulter également à la librairie Ombres Blanches.

Comment j’ai débusqué les bêtes… Il pourrait s’agir d’une autre version d’Alice au pays des merveilles, j’imagine celle du Lapin blanc, s’il racontait pourquoi il a si peur d’être en retard au rendez-vous de l’horloge sans aiguilles, et s’il disait ce que les bêtes convenables ne disent pas, ou, mieux encore, s’il avait trouvé le moyen de dire ce qui demeure proprement indicible et que pour cette raison il faut taire.

Qui cherche trouve. Il y faut l’oeil et la patience de celui qui parle dans Comment j’ai débusqué les bêtes, non point le Lapin Blanc mais le Serpent Combattant. Ce « serpent » les a, et il en use pour débusquer la vérité des bêtes, comme Aristote en use pour « débusquer la vérité » tout court. Y a-t-il une différence entre la vérité ?

mais alors (dit le serpent combattant et la voix grave en solo)

Le dit Serpent, qui a lu Yeats et autres animaux d’engeance pareille, s’étonne tout comme eux d’avoir à se tenir, une fois que « l’échelle a été tirée », « là où commencent toutes les échelles / dans le fétide magasin de chiffons et d’os », ou encore dans le « charriot de chiffons et d’os » qui fait « clic-clac » ailleurs en roulant sur « la plus au nord la plus caillouteuse route », vers les « fours ».

car de luxe
ressorts d’acier sautant

lèvres secousses
cheminées des fours

Chiffons et os brûlent dans les cheminées comme lèvres amoureuses dans le car de luxe. Ou l’inverse. Il y a de la transgression, et du memento mori, – « des limaces désespérant / frottant leurs linceuls » -, dans les mots du sexe au bord des cheminées. Il y a du sauve-qui-peut aussi. Après l’amour, on mange, dans Comment j’ai débusqué les bêtes. « – Du saumon ? A mon plus grand bonheur, elle répondit : – Comment ? Frais ou fumé ? »

Disant le moins pour dire le vrai, le Serpent serre jusqu’à l’étrange l’observation de la récurrente activité à quoi s’emploient sexuellement les bêtes, i. e. les animaux-machines. Raccordement de la tuyauterie, « cric-crac crocodilique / dactyle tactile » de la machine en action, puis mise au repos des pièces mécaniques : « Alors, fier du travail accompli, je remontais habilement mon / pantalon sur l’outil ».L’étrangeté se confond ici avec le divers de la sensation, l’indifférente proximité du bon et du nauséabond, du boire et du manger, du goût de « ta gnôle or » et du goût des « macaronis au gratin ».

Quand le Serpent desserre un peu la foudroyante nominalité de ses notations, il s’offre en passant le plaisir louche d’une métaphore façon Schéhérazade, mais parodiée et subvertie :

Une dame ouvrit son manteau

C’était dans les Jardins
de derrière

Ou bien il ménage la surprise d’une scène à la Buster Keaton, dans laquelle, tandis que s’ouvre « la PORTE », celle du « Paradis »,

Marion la mère de Smiffy
c’est quoi tout ce boucan
 
en chemise de nuit transparente…

ou encore

elle avoua qu’elle n’aimait pas ma façon d’embrasser…

La part du coeur fou qui robinsonne, dans Comment j’ai débusqué les bêtes, ne s’explicite pas. Elle tremble toutefois dans l’humour désespéré de celui qui commençait à « porter deux chapeaux sur la tête » et qui disait que « c’était la même chose que de porter des chaussures à semelles compensées ». Elle tremble aussi dans le souvenir des « lumières vertes, rouges des avions militaires, virevoltant telles d’étranges pierres précieuses » dans la nuit étoilée, puis dans l’évocation de « la fumée qui flotte au-dessus de nous », après l’étreinte ; ou encore dans le rappel des « placards de sa cuisine », possiblement remplis de « mets prodigieux », que l’on peut partager.

Des souvenirs qu’il rassemble dans Comment j’ai débusqué les bêtes, le Serpent tire une sorte de patience de la vérité. Ses mots toutefois rendent compte d’une vérité nouée. Il y a simultanément la vérité des « belles choses » ou de celles « qui méritent l’approbation », et la vérité de « la queue du poisson, frétillante, frétillante » et aussi

les talons des vaches
piétinant la foule

D’où pas de différence entre la vérité.

Terme provisoire de la « dérive » endurée dans le but de « fendre en deux le monde / – acceptable inacceptable », le très beau texte, brûlant, secret, de Comment j’ai débusqué les bêtes est de Matt Hilton, écrivain et peintre.

L’exposition est à voir à la librairie Ombres Blanches, 50 rue Gambetta, 31000 Toulouse, jusqu’au 2 janvier.

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