Christine Belcikowski

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Des impostes décorées

Rédigé par Belcikowski Christine 1 commentaire

Rêves sur le matin, comme des formations nuageuses.
Au-dessus des portes, des impostes décorées ornent le salon de musique.

Quoy ? qu'est ce ? ô vans, ô nuës, ô l'orage ! (1)
Étienne de La Boétie, filiforme gentilhomme,
parle de poésie, de la sienne,
qu’il tient serrée contre son cœur, dans une boîte d’ébonite.
D'ébonite, oui, oui ! Ici, l'on rêve,
et en rêve sensément, les mots rêvent.
La cassette est bien close, mais il dit son poème
à haute et claire voix.
Allez, allez faire peur au marchand
Qui dans la mer les thresors va cherchant.
 (2)
Il y a des sirènes qui ondulent dans le décor des impostes.

Une dame s'annonce, gironde,
précédée d’aigrettes blanches qui vibrent dans sa chevelure
et déclenchent au passage des éclairs électriques.
S'agit-il là de Marguerite ?
C'est le nom bienheureux dont sa Dame est nommée
Et qui, maugré les ans, de vivre est asseuré,
Au point qu'il faut qu'un jour ses nepveux,
Soit hyver, soit esté, sans faveur du printemps,
Voyent dans le papier fleurir la Marguerite.
 (2)

Elle avise l'ami d'Étienne, le carissimo Michel de Montaigne,
Michou, pour les intimes,
qui se tient dans un fauteuil sombre,
l'air chagrin, le corps las.

— Eh ! oui, j'ai mon caillou.
La pierre, Madame, est chose étrange à la nature,
dit le triste Tire-Vit (3).
— Vous mangez trop de viande et d'huîtres !
Mais Dieu calcule aussi, et pendant ce temps-là
cahin-caillou, caillou surtout, le monde se fait !
— On sait, Madame.
Le monde est branloire pérenne,
et les cailloux qui roulent, on a beau courir vite,
un jour ils nous rattrapent et ils marchent sur nous.

Une porte s'ouvre dans le mur, à côté du piano.
Un piano, oui, oui. Ici, l'on rêve.
Le vilain marquis de Sade, vieillard emperruqué,
on dirait de Voltaire,
paraît dans la porte, ouverte à deux battants,
et, d'un clin d'œil aigu,
il invite la raisonneuse à le suivre dans la profondeur d'un couloir pavé de carreaux noirs et blancs.
Ils semblent dans leur fuite rapide
figures psychédéliques d'un jeu d'échec sous acide.

Le couloir débouche dans le manège du Hofburg, à Vienne.
Hormis les chevaux,
qui se dressent comme des statues de marbre
personne dans le manège,
nulle voix.

Là-bas dans le salon de musique,
Étienne de La Boétie,
toujours serrant sa boîte en ébonite sur son cœur,
va proférant des mots d'amour,
sans voir que sa Dame est partie
et que Michou, le pauvre graveleux, s'est endormi.
Ma dame tu le sçais, ou si mon temps je pers
Tels qu'ils sont, ils sont tiens : tu m'as dicté mes vers,
Tu les as faits en moy, et puis je te les donne.
 (4)

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1. Étienne de La Boétie. Œuvres complètes, réunies pour la première fois et publiées avec des notes, par Léon Feugère. Jules Delalain. Paris. 1846. Quoy ? qu'est ce ? ô vans, ô nuës, ô l'orage ! ». « Quoi ? qu'est-ce ? ô vents, ô nues, ô l'orage !

2. Étienne de La Boétie. Œuvres complètes. « Allez, allez faire peur au marchand / Qui dans la mer les trésors va cherchant ». « C'est le nom bienheureux dont sa Dame est nommée / Et qui, malgré les ans, de vivre est assuré, / Au point qu'il faut qu'un jour ses neveux, / Soit hiver, soit été, sans faveur du printemps, / Voient dans le papier fleurir la Marguerite. »

3. Au XVIe siècle, certains des malades de la pierre se voient affubler du surnom de Tire-Vit, et c'est dans cet état qu'ils confient leur destin au chirurgien. « En 1566, le frère de Jean Collot, nommé Laurent, fit à Paris l'extraction de trois pierres contenues dans la vessie. Le malade tirait fréquemment sur sa verge et de là lui vint son surnom de Tire-vit. Car la qualité expultrice de la vessie, voire de tout le corps, s'efforçait de rejeter ce qui lui nuisait et causait ainsi un certain aiguillonnement à l'extrémité de la verge (comme cela se produit ordinairement chez ceux qui ont du sable ou des pierres dans les voies urinaires ». In Ambroise Paré. Œuvres complètes, remises en ordre et en français moderne par R.-H. Guerrand et Fernande de Bissy. Union Latine d'éditions. Paris. 1976. Volume 3. Livre 25. Chapitre 15, pp. 1042.

4. Étienne de La Boétie. Œuvres complètes.

1 commentaire

#1  - silberman a dit :

Quel charme dans ce rêve, sa logique balaie la chronologie, et nous entraîne de Montaigne à Voltaire et aux lipizans : La Boëtie effeuillerait bien sa Marguerite, mais...

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