Christine Belcikowski

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À propos de François de Lévis Ajac

Rédigé par Belcikowski Christine Aucun commentaire

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Ci-dessus : Anonyme. Portrait de François de Lévis, maréchal de France. Source : Musée Stewart, Montréal.

Issu d'une branche appauvrie de la maison de Lévis établie à Ajac dans l'Aude, tôt orphelin de père, François de Lévis, dit alors chevalier de Lévis, embrasse dès l'âge de seize ans la carrière militaire. Il trouve à s'illustrer dans la campagne qu'il mène en Nouvelle France de 1756 à 1761, sous l'autorité d'abord, puis à la suite de Louis Joseph de Montcalm Gozon, marquis de Saint-Véran, lieutenant-général français des armées en Nouvelle-France de 1756 à 1759. En 1765, le même François de Lévis est nommé gouverneur de l'Artois. Il finit en 1787 duc et maréchal de France.

I. À Ajac

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Ci-dessus : porte principale du château d'Ajac, surmontée de l'inscription « Baron de Lévis », surchargeant peut-être une inscription antérieure telle que « Ferroul Lévis ».

Le fief d’Ajac fait partie de la seigneurie de Mirepoix. Le 27 mars 1372, Arnaud de Lordat, chevalier, rend hommage à Roger Bernard Ier de Lévis, seigneur de Mirepoix, pour le lieu d'Ajac. Le 12 février 1389, en paiement de certaines rentes d'argent et de blé qu'il donnait à Roger Bernard Ier de Lévis, Jean d'Arnave, seigneur de Saraute, lui cède une créance de 200 florins d'or que les consuls et plusieurs particuliers de Mirepoix devaient à feu Arnaud de Lordat, coseigneur d'Ajac, aïeul de Jean d'Arnave, son héritier. Le 3 juillet 1400, noble Jean d'Arnave, seigneur de Sarraute, rend hommage et serment de fidélité à Roger Bernard II de Lévis II, seigneur de Mirepoix, pour la troisième partie d'Ajac. Le 17 juin 1493, Antoine de Durban rend hommage à Jean IV de Lévs, seigneur de Mirepoix, pour le lieu d'Ajac. En 1505, noble Roger de Ferrouil et noble Bernard de Durban rendent hommage ensemble et par indivis à Jean V de Lévis, seigneur de Mirepoix, pour le lieu d'Ajac. En 1526, Marguerite de Lévis Mirepoix [fille de Jean V, mariée à Mérault de Grolée, ou Marguerite, religieuse à Prouille, sœur dudit Jean V de Lévis], rend hommage à Jean V de Lévis, seigneur de Mirepoix, pour certains droits seigneuriaux qu'elle a dans le fief d'Ajac. En 1538, noble Bertrand de Ferrouil, seigneur d'Ajac, époux de Marguerite de Lévis Mirepoix, rend hommage à Philippe de Lévis, seigneur de Mirepoix. (1)

I.1. Salomon de Lévis

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Salomon de Lévis, grand-père de François de Lévis, descend par Gabriel de Lévis, son père, de la branche des Lévis Léran. Le 5 décembre 1640, il épouse Catherine de Ferroul, ou Ferrouil, baronne d'Ajac. Il fonde ainsi la branche des Lévis Ajac, barons, puis ducs.

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I.2. Jean de Lévis

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19 juin 1715. Mariage de Jean de Lévis et de Jeanne Marie de Maguelonne. Archives dép. de l’Aude. Cambieure (1708-1715). Document 100NUM/AC61/1E4. Vue 30.

Le 19 juin 1715, Jean de Lévis, fils de Salomon de Lévis et de feue Catherine de Ferroul, épouse à Cambieure-du-Razès, près de Limoux, dans l'Aude, Jeanne Marie de Maguelonne, fille de feu Jean de Maguelonne, seigneur de Salettes, et de Françoise d’Hautpoul. (2)

Présents au mariage : Messire Pierre de Maguelonne, frère de la mariée ; Messire Pierre de Lasset [père du futur Jean de Lasset, maire révolutionnaire de Mirepoix, qui contribuera hautement à la triste fin de Philibert de Lévis sur l’échafaud] ; Messire François d’Alverny, seigneur de Villapomène, fils de Jean d’Alverny, chirurgien barbier de Belcaire, et de Marguerite de Nègre, qui a épousé le 11 février 1688 Élisabeth de Lévis, soeur du marié ; Messire Etienne d’Alberny, capitaine au régiment d'infanterie du Roussillon, frère probable du précédent. NB. Vu la prononciation occitane qui confond le b et le v, on trouve indifféremment d’Alberny ou d’Alverny.

Jean de Lévis, lieutenant des galères, et Jeanne Marie de Maguelonne sont parents de trois enfants, dont deux seulement survivent. Le registre paroissial témoigne de ce que Pierre de Lévis, leur fils premier-né, a eu un premier frère, mort à l'âge de dix-huit mois. Voici la chronologie de ces trois naissances et de ce décès.

I.3. Pierre de Lévis

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24 avril 1716. Baptême de Pierre de Lévis, fils de Noble Jean de Lévis, seigneur d’Ajac, et de Jeanne Marie de Maguelonne. Parrain, Noble Pierre de Maguelonne. Marraine, Noble Isabeau de Lévis [Elisabeth de Lévis, épouse de François d’Alverny, seigneur de Villapomène]. Archives dép. de l'Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E1. Vue 66.

Le 24 avril 1754, Pierre de Lévis, devenu officier des galères, épouse Marie de Sébiascolp, ou de Soleilhavolp, de Murat, fille de Jean Jérôme Sébiascolp, ou de Soleilhavolp, de Murat et de Paule de Pouy Souare. Source : Georges Martin. Histoire et généalogie de la maison de Lévis, p. 126. N.B. L'année 1754 manque dans le registre paroissial d'Ajac. Il se peut que le mariage ci-dessus ait été célébré à Toulouse, car la famille de Sébiascolp, ou de Soleilhavolp, a été anoblie au XVIIe siècle par le capitoulat. (3)

I.4. Gaston de Lévis

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15 octobre 1718. Enregistrement [erroné] du décès de « Pierre de Lévis, fils de Noble Jean de Lévis, seigneur d’Ajac, et de Jeanne Marie de Maguelonne, à l’âge de 18 mois ». Archives dép. de l'Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E1. Vue 69.

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22 juin 1752. Annulation de l'acte de décès de Pierre de Lévis. Confirmation du décès de Gaston de Lévis. Archives dép. de l'Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E1. Vues 174-175.

22 juin 1752. À la requête de Pierre de Lévis, le curé d'Ajac atteste dans le registre paroissial que l’enfant de dix-huit mois décédé le 15 octobre 1718 n'était pas Pierre de Lévis comme enregistré par erreur, mais « Henri Gaston de Lévis, fils de Jean de Lévis, seigneur d’Ajac, et de Jeanne Marie de Maguelonne », né circa mars 1717.

I.5. François de Lévis

I.5.1. 20 août 1719. Ondoiement de François de Lévis

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20 août 1719. Ondoiement de François de Lévis, pour risque de mort périnatale. Archives dép. de l’Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E. Vue 73.

I.5.2. 3 janvier 1720. Mort de Jean de Lévis

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3 janvier 1720. Testament et mort de Jean de Lévis. Source : Archives dép. de l’Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E1. Vues 130 à 134. 22 juin 1752. Rectification de divers actes du registre paroissial à la requête de Pierre et de François de Lévis.

I.5.3. 9 juin 1720. Baptême de François de Lévis

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9 juin 1720. Baptême de François de Lévis. Parrain, Noble François d’Alverny le Villa, seigneur du Villa Pomène. Marraine, Madame Jacquette de Maguelonne. Archives dép. de l’Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E1. Vue 73.

L'acte de baptême indique que le baptisé, désormais orphelin de père, se prénomme toujours François seulement. Il se peut que le prénom de « François Gaston » qu'on lui prêtera par la suite lui soit venu dans sa famille du souvenir du petit Gaston décédé à l'âge de dix-huit mois.

I.6. 18 octobre 1764. Sépulture de Madame Jeanne Marie de Maguelonne

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18 octobre 1764. Sépulture de Jeanne Marie de Maguelonne. Archives dép. de l’Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E. Vue 262.

Le 18 octobre 1764 à Ajac, on procède à la sépulture de Madame Jeanne Marie de Maguelonne, veuve de haut et puissant seigneur Jean de Lévis, baron d’Ajac ; morte le 15 octobre à Limoux, âgée de 90 ans.

I.7. 29 octobre 1774. Mariage de Pierre Marie Gilbert de Montcalm Gozon et de Jeanne Marie de Lévis.

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29 octobre 1774. Mariage de Jeanne Marie de Lévis avec Louis Pierre Marie Gilbert de Montcalm Gozon. Archives dép. de l’Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E. Vues 258-259. Autre rédaction du même acte de mariage. Archives dép. de l’Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E. Vues 267-268.

Le 29 octobre 1774, après la dispense de deux bans obtenue auprès des archevêques de Narbonne et de Toulouse, ainsi que des évêques de Montpellier et de Rieux ; et après la publication des bans faite le 23 octobre 1774 dans l’église d’Ajac, l'église du Taur à Toulouse, l’église Saint Sulpice de Lézat, et l’église de Sainte Anne de la ville de Montpellier ; Demoiselle Jeanne Marie de Lévis, fille du haut et puissant seigneur [Pierre] de Lévis, seigneur et baron d’Ajac, et de Marie de Sébiascolp de Murat, épouse à Ajac Louis Pierre Marie Gilbert de Montcalm Gozon, chevalier comte de Montcalm, marquis de Saint-Véran, baron de Gabriac, seigneur de Candiac, Vestric, Tournemire Saint-Julien d’Arpajon et autres places, maître de camp de cavalerie résident en la ville de Montpellier, fils légitime et naturel de feu Louis Joseph de Montcalm Gozon, seigneur marquis de Saint-Véran, baron de Gabriac, seigneur de Candiac, Vestric, Tournemire Saint-Julien d’Arpajon et autres places, grand-croix de l’ordre royal et militaire de Saint Louis, lieutenant général des armées du roi, commandant les troupes de sa majesté au Canada ; et d’Angélique Louise Talon du Boulay. Archives dép. de l’Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E. Vues 258-259. Autre rédaction du même acte de mariage. Archives dép. de l’Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E. Vues 267-268.

L'acte de mariage se trouve assorti des procurations signées respectivement par Dame marquise de Montcalm, mère de Monsieur le comte de Montcalm, en date du 23 août dernier chez Maître Boissier, notaire de Vaubert ; par Dame Marie de Sébiascolp de Murat, mère de mademoiselle de Lévis, chez Maître Guitard, notaire de la ville de Saint-Sulpice-le-Jadois ; par Dame Marie Thérèse de Lauvis de Castellane de Dampres, aïeule du Sieur comte de Montcalm, chez Maître Devès, notaire de Montpellier.

La cérémonie rassemble une société choisie, composée de parents et de seigneurs venus en amis et voisins :

- Haut et puissant seigneur Messire Pierre de Lévis, seigneur et baron du présent lieu [d’Ajac], officier des galères, père de la mariée.
- Dame Louise Françoise Thérèse de Montcalm Gozon, veuve de Messire Antoine Jean, baron de Lunas et autres lieux, procuratrice de ladite Dame de Lauvis Castellane de Dampres.
- Messire Jean François de Loubens, chevalier et marquis de Seigneuret, baron de Cazères et autres lieux, procureur fondé de Dame [Angélique Louise] Talon du Boulay.
- Haute et puissante Dame Antoinette Marguerite Thérèse de Lunas, marquise de Seigneuret.
- Haut et puissant seigneur Victor de Nos [seigneur de Montauriol]. Dame Pauline de Seigneuret de Loubens, marquise de Nos.
- Haut et puissant seigneur Marc Antoine de Maguelonne, baron de Saint-Benoît et autres lieux, procureur fondé de Dame de Sébiascolp de Murat.
- Haut et puissant seigneur Henry Barthélémy de Maguelonne de Saint-Benoît, officier au régiment de Bourbon.
- Messire Guillaume, chevalier de Maguelonne de Saint-Benoît, officier au régiment de Piémont.
- Haut et puissant seigneur Henry de Lévis, seigneur de Gaudiès, maréchal héréditaire de la foi.
- Messire Louis Gaston François de Monstron de Sauton, marquis d’Escouloubre.
- Dame Antoinette Louise Macrine Marguerite, marquise de Villevielle.
- Haut et puissant seigneur Alexandre d’Auriol, seigneur de Lauraguel. - Marianne de Gros, dame d’Auriol et de Lauraguel.

Autre témoins :
- Maître Pierre Barrière, curé de Loupia.
- Benoît Bonans, bourgeois de Limoux.
- Antoine Vaqué, maître chirurgien de la Digne d’Amont.
- Michel Guilhem, cordonnier.

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Ci-dessus : vue de la façade principale du château d'Ajac aujourd'hui.

I.8. 16 mars 1785. Mort de Pierre de Lévis

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16 mars1785. Mort de Pierre de Lévis. Archives dép. de l'Aude. Document 100NUM/AC3/1E1 Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E1. Vue 319.

Le 16 mars 1785, Pierre de Lévis meurt à Ajac. On procède à sa sépulture le 18 mars 1785.

La mort de Jeanne Marie de Maguelonne, puis celle de Pierre de Lévis en 1785 scellent la fin de la seignerie de Lévis Ajac. En vertu du mariage de Jeanne Marie de Lévis avec Pierre Marie Gilbert de Montcalm Gozon, le château d’Ajac se trouve dès 1774 propriété de la maison de Montcalm. Celle-ci le délaisse très vite. Elle l’abandonnera dans les années 1850. Voici à quoi ressemble le château d'Ajac en 1896 :

« Le château d'Ajac, situé à 7 kilomètres de Limoux, n'est pas fait pour attirer l'attention spéciale du touriste et de l'archéologue. Bâti à l'extrémité du coteau au bas duquel se développe le village d'Ajac, l'édifice forme une masse carrée au milieu d'une terrasse couverte de beaux arbres. Il est à remarquer que les autres branches de la maison de Lévis ont suivi, dans la restauration de leurs châteaux, l'exemple donné par la branche aînée. À Gaudiès, à Léran, à Ajac, comme à Lagarde, de vastes terrasses, plantées d'arbres, s'étendent autour du château.

Sur la façade de l'Ouest, quelques fenêtres ont conservé leurs meneaux et un angle est flanqué de corbeaux qui devaient supporter une échauguette. Ces détails semblent indiquer le style du milieu du XVIe siècle.

La façade principale, percée de fenêtres sans caractère, a été refaite dans le milieu du règne de Louis XV ; une inscription, placée au-dessus de la porte d'entrée, rappelle que le seigneur d'Ajac à cette époque était Pierre de Lévis. Cette porte a quelque prétention architecturale. Au rez-de-chaussée, la salle à manger a conservé quelques restes de décoration ; des toiles peintes, représentant des sujets de pêche ou de chasse, pendent en lambeaux le long des murs ; des buffets en bois de noyer vermoulu garnissent un côté de l'appartement ; une glace est encore entre les deux fenêtres ; la cheminée et le plafond sont couverts d'ornements en plâtre.

La cuisine, qui doit dater des premiers temps du château, a gardé une belle crémaillère en fer forgé.

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Ci-dessus : escalier du château d'Ajac. Source : Base Mérimée. Ajac.

L'escalier qui conduit aux étages supérieurs est remarquable ; placé sous une sorte de coupole, il s'ouvre sous un arceau et se développe largement jusqu'au premier en une série de marches en pierre, séparées par plusieurs paliers ; il est protégé par une rampe en fer forgé, simple et de bon goût. Actuellement, il est encombré de meubles cassés.

Les appartements du premier étage sont décorés de moulures en plâtre, de peintures assez grossièrement exécutées à la fresque : ce sont des guirlandes, des motifs divers d'ornementation, aucun sujet animé n'est représenté. La distribution des pièces prouve que les propriétaires avaient tenu à s'installer confortablement. Aujourd'hui le délabrement est tel que les plafonds sont crevés et que les planchers s'effondrent.

Après avoir été la propriété d'une branche de la famille de Lévis Léran, qui en hérita sous le règne de Louis XIV, la terre d'Ajac, vers la fin du règne de Louis XV, fut portée dans la famille de Montcalm par suite du mariage de la dernière héritière des Lévis Ajac avec un fils du célèbre marquis de Montcalm, le héros, de la guerre du Canada. Ce n'est qu'au milieu de ce siècle que les Montcalm ont vendu leur domaine d'Ajac.

Le château sert maintenant d'habitation à des paysans qui l'ont transformé en exploitation rurale ; le bâtiment, laissé à l'abandon, se dégrade de plus en plus et finira bientôt par n'être qu'une ruine dont l'aspect n'offrira pas grand attrait aux archéologues.

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Ci-dessus : vue du château d'Ajac circa 1900.

L'église d'Ajac est du XVIIIe siècle ; dans un caveau situé sous la chapelle de la Vierge sont réunis les ossements des anciens seigneurs avec cette inscription : Vivant in Deo. » (4)

II. Carrière de François de Lévis

II.1. Campagnes en Europe

Le 25 mars 1735, âgé alors de seize ans, François de Lévis entre dans le régiment de la Marine, commandé par Gaston de Lévis de Lomagne, seigneur marquis de Mirepoix, qui sera plus tard maréchal et duc. Le 3 juin 1735, François de Lévis est nommé lieutenant en second. Il obtient le grade de capitaine le 1er juin 1737, durant la guerre de succession de Pologne. Il participe ensuite à la guerre de succession d'Autriche et se distingue dans la prise et la défense de Prague. En 1746, il entre en tant qu'aide-major général des logis dans l'armée commandée en Italie par Gaston de Lévis de Lomagne là encore.

II.2. La campagne de François de Lévis en Nouvelle France

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Anonyme. Portrait du Chevalier de Lévis entre 1755 et 1760.

Le 11 mars 1756, nanti du statut de colonel réformé de la Marine et du grade de brigadier d'Infanterie, François de Lévis se trouve désigné pour servir en Nouvelle France [Canada, Acadie, Terre-Neuve (ou Plaisance), Baie d'Hudson, Pays-d'en-Haut, Pays des Illinois, Louisiane], dans le cadre de la guerre de sept ans, qui oppose là Français et Anglais.

Parti de Brest le 6 février 1756 sur la frégate de guerre La Sauvage, arrivé à Québec le 1er juin, il y devient commandant en second des troupes régulières françaises, sous les ordres de Louis Joseph de Montcalm Gozon, seigneur marquis de Saint-Véran, lieutenant-général français des armées françaises en Nouvelle-France. Diverses tribus « sauvages » collaborent à l'action des troupes régulières. En France, le comte d’Argenson, puis le duc de Choiseul, ministres de la Guerre, jugeront bientôt cette guerre du Canada trop coûteuse. L'envoi de vivres et de renforts viendra par suite à tarder, puis à manquer.

« Le Roi ayant résolu d'envoyer de nouveaux secours au Canada et de remplacer les officiers supérieurs qu'il y avait fait passer l'année dernière, fit choix du marquis de Montcalm, du chevalier de Lévis et de M. de Bourlamaque, qui furent pourvus des grades, le premier de maréchal de camp, le second de brigadier, et le troisième de colonel. Les bataillons de la Sarre et de Royal-Roussillon furent destinés pour ce secours avec quelques officiers d'artillerie et des ingénieurs. Le tout fut assemblé à Brest au commencement de mars 1756 et arriva heureusement au Canada sur la fin de mai. M. le chevalier de Lévis était parti de Brest le 6 avril sur la frégate La Sauvage, et, après 56 jours de navigation, il arriva à Québec.

Montcalm était arrivé le 13 et parti le 22 pour Montréal, où M. de Lévis fut le joindre, après avoir disposé les troupes pour se mettre en marche et fait partir en deux divisions, la Sarre, les 6 et 7 juin, Royal-Roussillon les 10 et 11. Il arriva à Montréal le 15 au soir et, après avoir conféré avec MM. de Vaudreuil (5) et de Montcalm sur les opérations de la campagne, partit avec le dernier pour Carillon, le 27 juin, où ils arrivèrent le 3 juillet.

Sitôt l'arrivée du secours, il fut convenu qu'on commencerait la campagne par une démonstration offensive vers Carillon tandis qu'on disposerait toutes choses à Frontenac [aujourd'hui Kingston] pour le siège de Choagen que l'on tenterait, s'il y avait moyen au milieu de la campagne ; on se fortifia dans tous les postes.

M. le marquis de Montcalm resta peu de temps à Carillon ; il remit au chevalier de Lévis le commandement de l'armée et partit le 15 juillet pour Montréal où il fut conférer avec M. le marquis de Vaudreuil pour ledit siège.

LE 16 JUILLET [1756]
M. le chevalier de Lévis envoya quarante-six sauvages et vingt-et-un Canadiens aux ordres du sieur Pecaudy, officier des troupes de la colonie pour reconnaître les environs du fort Georges
.

LE 17
Le sieur de Saint-Martin, officier des troupes de la colonie, est revenu de détachement, et les sauvages portaient trois chevelures faites du côté de Sarasto, où on avait fait beaucoup de dégât dans la campagne
.

LE MÊME JOUR M. le chevalier de Lévis a été reconnaître le chemin qui conduit de la Chute de Carillon jusqu'à l'entrée du lac Saint-Sacrement à la rive gauche de sa sortie ; il a passé à la rive droite pour reconnaître en même temps cette partie.

LE 18
Le susdit détachement du sieur Pecaudy est rentré ; il a surpris près le fort Georges un détachement qui faisait du bois, dont il dit en avoir tué plusieurs hommes ; et il a apporté quatre chevelures et mené deux prisonniers qui dirent que les Anglais n'avaient pas beaucoup de monde audit fort, mais qu'ils doivent avoir à dix milles dudit fort une armée considérable
.

LE 19

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Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1757-1810). Guerrier iroquois. Circa 1797.

Les sauvages dudit poste s'en sont allés suivant leurs usages avec leurs prisonniers et chevelures dans leurs villages et ont promis de revenir dans vingt jours. Ledit détachement du sieur Saint-Martin avait laissé derrière trois sauvages qui viennent d'arriver avec une chevelure qu'il a fait près d'Orange et dit avoir vu monter beaucoup de troupes... »

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Bombled. Le Chevalier de Lévis à la bataille de Sainte-Foy. In Eugène Guénin. La Nouvelle-France. Hachette. Paris. 1900.

À la mort de Montcalm, tué en même temps que James Wolfe (6), son homologue anglais, le 14 septembre 1759 lors de la bataille des Plaines d'Abraham, François de Lévis devient commandant en chef des armées françaises en Nouvelle-France. Le 20 avril 1760, il marche sur Montréal et l'emporte sur les Anglais dans la bataille de Sainte-Foy. Il assiège alors Montréal.

« M. le chevalier de Lévis ayant convoqué tous les sauvages à la Prairie pour les porter à le seconder dans son dessein, pendant qu'il les haranguait, il vint un député de leur village leur annoncer que la paix était faite entre eux et les Anglais, lesquels étaient aux Cèdres. Dans ce moment, ils se dispersèrent et laissèrent M. le chevalier de Lévis tout seul, avec les offciers, lequel ayant eu avis aussitôt par le chevalier de la Corne que le fort Lévis avait été pris, que M. Amherst (7) descendait avec une armée de quinze mille hommes, qu'il arrivait aux Cèdres, et que, s'il faisait diligence, il pouvait être le lendemain à Montréal, prit sur cela la la résolution de faire replier sur l'Ile de Montréal tous les corps qui étaient au sud, ce qui fut exécuté avec beaucoup d'ordre le lendemain matin, malgré le manque de bateaux qui obligea à faire plus d'ouvrage. [...].

L'arrivée d'importants renforts britanniques rend désormais illusoire une issue favorable aux Français. François de Lévis se retranche alors avec ses troupes sur l'île Sainte-Hélène, près de Montréal.

« L'armée du général Amherst était composée de quinze mille hommes ; celle de M. Murray, de quatre mille hommes, et celle du lac Champlain, de neuf à dix mille, pouvaient se joindre dans une heure avec plus de cent cinquante bouches à feu.

Pendant la nuit, il fut tenu une assemblée chez M. le marquis de Vaudreuil, composée des principaux officiers des troupes de terre et de la Marine. M. Bigot, intendant, lut un mémoire sur la capitulation de la colonie et l'état actuel de ses affaires, et un projet de capitulation.

Comme la désertion totale des Canadiens et celle d'un grand nombre de soldats avaient réduit les troupes au nombre d'environ deux mille quatre cents, tout au plus, que les sauvages domiciliés avaient fait leur paix avec les Anglais,et même leur avaient offert de prendre les armes pour achever de nous réduire, que la ville de Montréal était tout au plus à l'abri d'un coup de main, qu'on ne doutait pas que le brigadier Murray ne débarquât dans l'Ile de Montréal le lendemain matin, que le corps qui avait pris l'Ile-aux-Noix pouvait aisément se joindre au brigadier et entourer l'Île Sainte-Hélène, dans laquelle on n'avait pu jeter que cinq cents hommes, et comme il était impossible de combattre l'armée qui était à la vue de Montréal avec plus de douze cents hommes, ne pouvant laisser moins de la moitié des troupes à la garde de la ville et de l'Ile Sainte-Hélène, les munitions d'ailleurs étant réduites à six milliers de poudre, tout le monde pensa, comme le marquis de Vaudreuil, que l'intérêt général de la colonie exigeait que les choses ne fussent pas poussées à la dernière extrémité, et qu'il convenait de préférer une capitulation avantageuse aux peuples et honorable aux troupes, qu'elle conservait au Roi, à une défense opiniâtre qui ne différerait que de deux jours la perte du pays.

En conséquence, le sieur de Bougainville fut envoyé pour proposer une suspension d'armes pour un mois, laquelle ayant été refusée, n'ayant accordé que six heures pour se déterminer, on y renvoya à dix heures pour la capitulation dont on avait minuté les articles et fait lecture dans la susdite assemblée. » (8)

Avant la capitulation du 8 septembre 1760, pour les soustraire à l'ennemi, François de Lévis prend soin de brûler les drapeaux français.

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Peintre inconnu. Capitulation de Montréal en 1760.

Le 10 février 1763, Louis XV signe le traité de Paris qui valide la cession définitive du Canada et de toutes ses dépendances à la Couronne britannique.

II.3. Mariage de François de Lévis

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Albert Ferland. Le chevalier de Levis, d'après Mme Haudebourt. 1905.

Parti de Québec le 18 octobre 1761, François de Lévis débarque à La Rochelle le 27 novembre. Arrivé à Paris le 2 décembre, il demande et obtient du duc de Choiseul sa promotion au grade de lieutenant général, un supplément à la solde et aux indemnités qu’il touchait au Canada, de façon à atteindre aux 48 000 livres dont bénéficiait Montcalm, et l’annulation de la clause qui, dans la capitulation, l’empêchait de servir encore pendant cette guerre.

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25 janvier 1762. Dernier ban de mariage de François de Lévis et d'Augustine Gabrielle Michel de Tharon. Archives dép. de l’Aude. Ajac (1681-1789). Document 100NUM/AC3/1E. Vues 215-216. N.B. Les registres paroissiaux de l’église de la Madeleine ont brûlé pendant la Commune.

Le 25 janvier 1762, après que la publication des bans a été relayée à Ajac, François de Lévis [43 ans] épouse à Paris Demoiselle Augustine Gabrielle Michel de Tharon, fille mineure [17 ans et demi, née le 7 juin 1744] de Messire Gabriel Michel (1702_1765), écuyer, seigneur de Perrine, Foulon, Tharon et autres lieux, [armateur à Nantes, trésorier général de l’artillerie et l’un des administrateurs de la Compagnie des Indes], et de Dame Anne Bernier, demeurant à Paris, Grande Rue Saint Honoré, paroisse de la Madeleine de la Ville-l’Evêque.

On remarque dans cet acte que, dit domicilié à Ajac (Aude), François de Lévis demeure en cela fidèle, au moins symboliquement, au berceau audois de sa famille.

Le couple aura par la suite quatre enfants : 1. Augustine Gabrielle Françoise de Lévis, née à Paris le 22 décembre 1762 ; 2. Gaston de Lévis, vicomte de Lévis, né à Paris le 7 mai 1764, tenu sur les fonts par Pierre de Lévis, son oncle paternel, et par Anne Bernier, sa grand-mère maternelle ; 3. Marie Gabrielle de Lévis, dite Mademoiselle d'Ajac, née à Arras le 12 octobre 1765 ; 4. Henriette de Lévis, née à Paris le 22 avril 1767.

II.4. Gouvernement de l'Artois, commandement des Gardes du corps du Roi, derniers honneurs

Après son mariage, François de Lévis reprend du service dans les troupes du prince de Condé. Il commande l’avant-garde de ces dernières à la bataille de Nauheim/Johannisberg (Allemagne) et il s'y se distingue en s’emparant des canons de l’ennemi. En 1763, il quitte le service actif. En 1765, il est nommé gouverneur général de l’Artois, et, en 1771, commandant de l’une des quatre compagnies des Gardes du Corps de Monsieur.

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Peintre inconnu. Portrait de François de Lévis Ajac, relisant ses Mémoires. Musée d’Art et d’Archéologie de Senlis

Très investi dans sa charge de gouverneur de l'Artois, François de Lévis se préoccupe au premier chef de l’amélioration des communications à l’intérieur de sa province, en particulier de la construction d’un canal entre Béthune et la Lys, et d’une route entre Boulogne-sur-Mer et Saint-Omer. Il profite peut-être aussi de ce temps pour relire de temps à autre son Journal des campagnes du chevalier de Lévis en Canada, de 1756 à 1760, autrement dit les mémoires de sa campagne en Nouvelle France. En 1888, le comte Raimond de Nicolaï, ou de Nicolay, arrière-petit fils de François de Lévis, fera don d'une copie de ce journal à la province de Québec.

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Anonyme. François de Lévis âgé. British Library. Catalogue : HS85/10/16071.

Le 13 juin 1783, François de Lévis reçoit le bâton de maréchal de France, et en 1784, il se trouve élévé à la dignité ducale. Trois ans plus tard, alors qu'il souffre d'une santé défaillante, il décide de se rendre à Arras afin d'y présider l’ouverture des États de l’Artois. Il meurt le 26 novembre 1787, peu après son arrivée à Arras.

« Arrivé à Arras dans un état alarmant, il fut pris, le 20 novembre 1787, d'un flux hémorrhoïdal qui mit ses jours en danger. Obligé de s'interdire toute relation extérieure et toute application aux affaires, à peine put-il recevoir un instant le commandant de la place et quelques officiers majors. Le samedi 24, il fit encore appeler les députés ordinaires vers onze heures du matin, mais ils le trouvèrent dans une situation telle que médecins et chirurgiens se reconnaissaient impuissants à le sauver. La gangrène avait gagné les intestins, la mort était à l'oeuvre. En vaillant chrétien qu'il était, il la considéra du même oeil qu'il l'avait cent fois entrevue sur les champs de bataille, et après avoir mis ordre aux affaires de sa conscience, et reçu les sacrements, il rendit son âme à Dieu la nuit suivante, entre onze heures et minuit. » (9)

III. Sépulture de François de Lévis

III.I. Funérailles

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26 novembre 1787. Sépulture de François de Lévis. Archives dép. du Pas-de-Calais. Arras. Paroisse Saint Nicaise (1614-an I). Document 5 MIR 041/28. Vues 299 et 300.

« L'an 1787, le 26 novembre, est décédé muni des Sacrements, dans l'hôtel du Commandant en chef de cette province, rue des Casernes, très haut, très puissant et très illustre Seigneur Monseigneur François de Lévis, duc de Lévis, maréchal de France, chevalier des ordres du Roi et des ordres royaux militaires et hospitaliers de Notre Dame du MontCarmel et de Saint Lazare de Jérusalem, grand bailly d'épée de Villers-la-Montagne, gouverneur général de la province d'Artois, gouverneur particulier des ville et citadelle d'Arras, commandant en chef de ladite province, capitaine des gardes du corps de Monsieur, âgé de soixante-huit ans et trois mois, époux de très haute, très puissante et très illustre dame Madame Gabrielle Augustine Michel, qui a été inhumé le 29 dudit mois de novembre en l'église cathédrale d'Arras, par Monseigneur illustrissime et révérendissime évêque d'Arras qui a chanté son service solennel en ladite église Cathédrale, les Vigiles ayant été dites le 28 dudit mois de novembre en l'église Saint Nicaise, sa paroisse. Le convoi a été conduit par nous, curé de ladite paroisse et par tout le clergé régulier et séculier de cette ville depuis l'hôtel où le seigneur est décédé jusqu'au grand perron de l'église cathédrale, où le cercueil a été reçu par mondit seigneur évêque d'Arras et par le Chapitre de l'église cathédrale. Au convoi ont assisté les trois ordres des États généraux de la province d'Artois et tous les corps ecclésiastiques et civils de cette ville et en particulier M. de Coupigny, délégué du corps de la Noblesse des États généraux de la province d'Artois et très haut, très illustre et très puissant seigneur Monsieur Gaston Pierre Louis de Lévis, duc de Lévis, capitaine des gardes du corps de Monsieur, frère du Roi, maréchal de camp de cavalerie, qui ont signé avec nous ledit jour, 29 novembre susdit. Duquesnoy, curé, etc. »

Autre relation des funérailles de François de Lévis

« Les funérailles du maréchal de Lévis furent célébrées le jeudi 29 novembre. Rien ne fut négligé pour en rehausser l'éclat. Par ordre de l'évêque et du magistrat, toutes les cloches de la ville se firent entendre depuis 10 heures du matin jusqu'à l'issue de la cérémonie. Dés la veille les Vigiles des morts furent chantées dans l'église Saint Nicaise, paroisse du défunt, entièrement tendue d'étoffe noire, entremêlée de bandes de velours et parsemée d'écussons aux armes de Lévis : chevron de sable sur fond d^or avec la devise « Dieu ayde au premier chrestien Lévis ! » [sic !] (10)

Le lendemain, le corps renfermé dans un cercueil de plomb fut exposé dès le matin dans une chapelle ardente disposée dans les vastes appartements de l'hôtel. Deux autres salles tendues de velours noir avec armoiries avaient été préparées pour recevoir les députés, qui s'y rendirent individuellement. Ce fut le clergé de Saint-Nicaise, paroisse du défunt qui, après avoir chanté dans son église en présence du clergé des autres paroisses de la ville les commendaces et prières des morts fit la levée du corps précédé du curé revêtu de la chape, et le transport s'en fit par les mains des sous-officiers du régiment de Salis Samade, qui avait continué de tenir garnison à Arras. Neuf brigades de maréchaussée, dont 7 de l'Artois et 2 de Flandre sous les ordres de M, d'Ennevelin, prévost de Lille ouvraient la marche et escortaient le cortège où figuraient les sommités religieuses, militaires et civiles. D'abord le régiment suisse de Salis, formé par compagnies, le clergé de la ville, puis les ordres religieux : Carmes chaussés et déchaussés, Capucins, Recollets, Dominicains et Trinitaires, les curés des paroisses avec leur croix et leur clergé. M. de la Combe, lieutenant du Roi à la tète des états-majors de la ville de la citadelle, et des chevaliers de Saint Louis. Les coins du poêle étaient tenus par quatre maréchaux de camp, le comte de Créquy, le marquis d'£stourmel, le marquis d'Havrincourt et M. du Chambge d'Elbecq. Derrière se tenaient quatre lieutenants de la maréchaussée de France, dont MM. de Gassion de Barlin et Haudouard de Thièvres. Venaient ensuite les officiers de la maison du Maréchal portant le tableau funèbre et des torches allumées. M. de Coupigny, doyen du corps de la noblesse, conduisait le deuil, accompagnant le fils du Duc, l'un et l'autre en manteau noir. Les deux commissaires du Roi Esmangart et de Briois suivaient, escortés de la maréchaussée. Enfin, venaient les trois ordres conduits chacun par son député ordinaire. Arrivé au grand perron de la cathédrale, le cortège s'arrêta devant l'évêque, revêtu des ornements pontificaux. Une courte oraison funèbre fut prononcée en latin par le curé de Saint Nicaise, à laquelle l'évêque répondit en français. Le corps fut remis aux curés des paroisses qui le firent placer sous le catafalque. A sa suite les Etats pénétrèrent dans l’église et prirent place dans le chœur à l'entrée. A droite le fils du Maréchal, ayant à ses côtés M. de la Combe, les membres du Chapitre en avant, auprès d'eux, le Conseil d'Artois et les religieux de Saint-Vaast occupaient, selon l'usage, des stalles dans le chœur. Les Etats d'Artois étaient également placés dans le chœur. Le Clergé à droite, la Noblesse à gauche, le Tiers au centre. Tous assis sur des bancs, recouverts de drap noir, les commissaires du Roi sur des fauteuils, en avant du Tiers. Derrière eux s'élevait le catafalque ou chapelle ardente. L'église et le chœur tendus de riches draperies noires, décorées d'ornements funéraires blancs, et parsemées d'écussons armoriés.

Après la messe, célébrée par l'évêque lui-même, celui-ci prit la parole pour exprimer les regrets de la province, ensuite le corps fut descendu dans un caveau préparé ad hoc, contre le mur du côté gauche, vers l'endroit où se trouvait la châsse de la Sainte Manne. On avait d'abord préparé une fosse dans la grande nef, on la combla.

Le caveau fut creusé aux frais de la famille de Lévis et coûta 100 livres. Mais les Etats payèrent pour la chapelle ardente, les gradins, etc., 60 livres ; aux personne ayant été chercher les objets en argent empruntés aux autres paroisses et maisons religieuses, 15 livres ; aux musiciens composés de 3 voix de contre, 7 voix de chœur, 1 serpent, 2 bassons, 1 alto, 2 violoncelles, 1 contrebasse, 117 livres ; plus pour les enfants de chœur et le maître de musique, 24 livres. Les États payèrent en outre pour les tentures du chœur et de la grande nef à 3 hauteurs, les 2 bandes de velours et les guirlandes en blanc, 900 livres ; pour 176 cierges d'un quart pesant et 132 d'une demi-livre, 4 cierges d'une livre et demie, 2 cierges d'une livre, 2 flambeaux de 2 livres, 1 cierge d'offrande de 2 livres, en tout 171 livres de cire à 50 sous la livre, 427 livres 10 sous. Les blasons peints par le sieur Havet, à raison de 145 à 10 sous, coûtèrent 97 livres 10 sous en ajoutant 37 plus grands à 3 livres 14 sous, en tout 208 livres 10 sous, avec la pose de 2 livres 10 sous, 211 livres 84 aulnes 1/2 de crêpes à 25 sous l'aulne, 105 livres 12 sols 6 deniers, 38 paires de gants blancs à 25 sous la paire 47 livres 10 sous ; total de ces 2 articles, 153 livres 2 sous. Il y eut encore à payer le clergé et d'autres frais. » (11)

IV. Descendance de François de Lévis

Le 20 juillet 1786, le maréchal de Lévis avait fait un testament pour disposer de ses biens. Ses serviteurs d'Arras ne s'y trouvent pas oubliés. Le maréchal de Lévis donne à Beugny, concierge de son hôtel à Arras, 300 livres ; à Henry, garde de ce même hôtel, 300 livres ; à tous deux, ainsi qu'aux autres gardes, leurs habits. Les 18 et 30 mars 1790, les biens du maréchal de Lévis sont partagés par acte passé devant Maître Gibert, notaire à Paris. Ils reviennent : 1° à son fils Gaston, duc héréditaire de Lévis, marié le 26 mai 1785 à Françoise Pauline Louise de Paule Charpentier, dame d'Ennery et de Noisiel, demeurant alors à Paris, rue Bourbon Saint-Germain, paroisse Saint-Sulpice ; 2° à sa fille Augustine Gabrielle Françoise de Lévis, mariée le 16 juillet 1780 à Christophe Dominique Marie Vincent de Spinola et d'Arquata, ambassadeur de Gênes en France, demeurant alors en Italie ; 3° à sa fille Henriette Françoise de Lévis, mariée en 1785 à Charles Raymond Isidore de Béranger, comte de Béranger et de Gua, marquis de Pontraragon, baron de Sassenage, seconde baronnie de la province du Dauphiné, major en second au régiment du maréchal de Turenne, chevalier d'honneur de Madame, belle-sœur du Roi ; 4° à sa fille Marie Gabrielle de Lévis, dite Mademoiselle d'Ajac, mariée le 28 septembre 1783 à Charles René Félix de Vintimille, comte du Luc et de Vintimille, colonel propriétaire du régiment de Vintimille.

Le 9 Juillet 1794, Marie Gabrielle de Lévis, comtesse de Vintimille, fille de François de Lévis, meurt sur l'échafaud. Le 10 juillet, Gabrielle Augustine Michel de Tharon, veuve de François de Lévis, et Henriette Françoise de Lévis, comtesse de Béranger, autre fille de François de Lévis, meurent à leur tour sur le même échafaud.

Enfermées auparavant dans la prison du Luxembourg, elles auraient été condamnées toutes trois pour avoir trempé, disait-on alors, dans la conspiration fomentée dans ladite prison.

« M. Béguin, dans Béthune sous la Révolution raconte que venu peu avant la Révolution à Béthune, Arras et Saint-Omer, comme officier du génie, Lazare Carnot aurait en 1789 passé devant un conseil de guerre et été enfermé par lettre de cachet dans la prison de Béthune ; il avait attribué cette mesure disciplinaire en partie au maréchal de Lévis, dont la famille aurait également manqué d'égards pour lui, aussi lors du jugement il répondit avec dureté à la personne qui le priait d'obtenir un sursis pour fournir aux condamnés le temps de rassembler des preuves établissant leur innocence, qu'il n'interviendrait pas. On prétend que le jugement de condamnation ne fut pas rédigé par le greffier.

Augustine Gabrielle Françoise de Lévis, marquise de Spinola, troisième fille de François de Lévis, échappa au sort de sa mère et de ses deux sœurs, parce qu'elle habitait l’Italie. Quant à Gaston de Lévis, devenu duc par la mort de son père, auquel il avait déjà succédé comme capitaine des gardes de Monsieur, frère du Roi, il devint député de la Noblesse aux Etats généraux, il émigra et ses biens furent confisqués. Rentré en France » (12), il fut appelé à la chambre des pairs le 4 juin 1814, Élu en 1816 au fauteuil numéro 6 de l'Académie française, décoré de l'Ordre du Saint-Esprit le 30 septembre 1820, fait maire de Champs-sur-Marne de 1826 à 1830. Il mourra le 15 février 1830. Il laisse, entre autres, d'intéressants Souvenirs et portraits (1813), dans lequels il se remémore divers épisodes de l'Ancien Régime et de la Révolution.

V. Monument à la mémoire de François de Lévis

« Jamais, peut-être, la ville d*Arras n'avait-elle été le témoin d'une pareille solennité funèbre, et il semblait qu'elle eût, en l'accomplissant, rendu à son regretté Gouverneur un hommage digne d'elle et de lui. Mais il est dit que toute gloire humaine est caduque, si légitimement qu'elle soit acquise, si durable qu'elle paraisse. Le dernier témoignage de reconnaissance voté par les États, celui qui devait rendre impérissable le souvenir du Maréchal de Lévis en Artois devait lui manquer. C'était le monument qu'ils avaient résolu d'élever sur sa sépulture. L’évêque d'Arras et le comte de Cunchy avaient été spécialement chargés de le mener à bonne fin. Dès l'année suivante, en 1788, ils en avaient décidé la forme et commandé l’exécution.

L'évêque d'Arras écrivit de Paris aux députés ordinaires le 23 février 1788 : « Messieurs, le Comte de Cunchy s'étant chargé de vous instruire du résultat d'une conférence que j'ai eue avec lui et avec MM. les députés à la Cour sur l'objet de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 2 de ce mois, j'ai différé d'avoir l'occasion de vous répondre pour consulter des gens de talent et de goût sur le petit monument pour lequel les Etats ont arrêté d'honorer la mémoire de feu le maréchal de Lévis ainsi que l'inscription à placer sur le monument.

J'ai lieu de croire maintenant qu'il est possible et même très facile de ne pas employer toute la somme que les États ont fixée pour cet objet, et de remplir leurs intentions très noblement par un monument d'un goût différent de celui qui est tracé dans le dessin que vous m'avez envoyé. Le célèbre Robert est occupé à faire un petit modèle de celui dont j'ai conçu le plan et qu'il perfectionne. Un membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres, qui est le plus habile dans le style lapidaire est chargé de travailler à l'inscription dont je lui ai donné les éléments. Lorsque je retournerai à Arras, j'y porterai le modèle avec un devis estimatif et indicatif et les conditions dans lesquelles l'artiste s'obligera de le placer. Il ne serait pas convenable d'éloigner le monument de la sépulture du Maréchal de Lévis, le pilier devant lequel il est enterré est d'une forme qui ne permet pas de le charger d'aucun marbre, mais il peut recevoir une espèce de trophée d'un genre très noble et tout en métal sur l'une des pièces duquel l'inscription serait mise. C'est ce dont vous jugerez plus facilement par l'inspection du modèle que je fais faire.

Vous penserez sans doute que cet ouvrage qui ne demandera pas plus d'un mois de travail, soit placé avant l'ouverture des États et qu'il ne soit découvert que pendant l'assemblée. Aussi on a tout le temps nécessaire pour le choix du meilleur projet. »

Le 3 avril 1788, il écrivait encore : « Messieurs, j'ai conféré avec les députés à la Cour sur l'objet que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 17 de ce mois ; ils pensent comme moi que vous répondrez à un sieur Lefebvre que l'écu qui fera partie du trophée à élever à la mémoire de feu M. le Maréchal de Lévis doit être dans la proportion du modèle et que : 1° l'inscription qui y sera placée devra être de l'étendue qui sera déterminée par la dimension de cet écu ; 2° que les différents projets d'inscriptions nous seront renvoyés pour être soumis à l'examen d'une Commission nommée par les Etats, qui choisira. Le trophée final ne pouvant être fait que dans le courant de l'année prochaine, le sieur Lefebvre peut toujours travailler à toutes les parties de ce côté autres que l’écu, etc. »

L'inscription avait été minutieusement élaborée avec le concours de certains académiciens de Paris, érudits en style lapidaire. Mais l'œuvre ne fut pas terminée cette année-là.

En 1814 le duc de Lévis [Gaston de Lévis] étant venu présider le collège électoral du Pas-de-Calais, s'informa de ce qu'était devenu le monument du Maréchal. Le préfet de la Chaise fit faire des recherches à ce sujet, mais elles ne produisirent pas de résultat. On sut qu'il avait été fait à Tournay (était-ce par le sieur Lefebvre dont parle l’évéque d’Arras ?), que le sculpteur était mort et on ne savait ce qu'il avait fait de son œuvre, on ignorait même si le monument avait été exécuté. Le préfet alors proposa d'élever à Arras un autre monument, car c'était, disait le baron de la Chaise, le vœu du département tout entier qui avait pour le Maréchal de Lévis les mêmes sentiments que les États d'Artois et s'empresserait d'acquitter la dette sacrée de la plus juste reconnaissance.

Le préfet écrivit au duc de Lévis : « C'est le plus religieux hommage que nous puissions rendre à la mémoire d'un père que vous avez pris pour modèle et que les Artésiens verront revivre au milieu d'eux avec tant de plaisir. Mais ce monument ne sera jamais comparable à l'éloge que S. M. vient de faire de Monseigneur le maréchal de Lévis, l'ami de Louis Stanislas Xavier (Monsieur), regretté 37 ans après sa mort par Louis XVIII comme son ami et devenu immortel dans les fastes de la gloire et de l'amitié ». Le retour de Napoléon fit partir le préfet et il ne fut plus question du monument.

En 1789 paraissaient les États Généraux et disparaissaient les États d'Artois. La cathédrale, d’abord désaffectée de son emploi, fut vendue aux démolisseurs ; on nivela la place sans s'occuper des substructions, et les cendres du Gouverneur aimé de l’Artois furent sans doute mises au vent avec celles de maints autres personnages qui, déposés dans le temple, devaient y dormir du sommeil de l'éternité.

En 1838, on bâtit sous le vocable de Saint Nicolas une église sur une partie de l'emplacement de la cathédrale et l'endroit où fut enterré le maréchal de Lévis se trouve, croyons-nous, dans le périmètre de l'édifice. Ses restes y sont-ils encore, ou furent-ils transportés avec d'autres ossements dans le cimetière de la ville quand on creusa les fondations du nouvel édifice ? on ne le saura probablement jamais. » (13)

Compensation tardive et lointaine tout à la fois, une statue à l'effigie de François de Lévis orne aujourd'hui la façade du palais législatif de Québec.

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1. Renseignements glanés passim in Inventaire historique et genéalogique des documents de la branche Lévis-Mirepoix. Tome III. Édouard Privat. 1909.

2. Concernant la famille de Maguelonne, cf. Nicolas Viton de Saint-Allais (1773-1842). Nobiliaire universel de France, ou Recueil général des généalogies historiques des maisons nobles de ce royaume. Volume 13, p. 190 sqq.

3. Cf. J. Raynal. Histoire de la ville de Toulouse, p. 534. Aux dépens de Jean François Forest. Toulouse, 1759 : « Jean Soleilavolp, 1652 ; Étienne Soleilavolp, 1691. »

4. Félix Pasquier. « Notice sur le château d'Ajac ». In Bulletin de la Société d'études scientifiques de l'Aude, pp. 53-54. Carcassonne. 1897.

5. Pierre de Rigaud de Vaudreuil (Québec, 1698-1778, Paris), dernier gouverneur général de la Nouvelle-France.

6. James Wolfe (1727-1759), général britannique qui remporte la bataille des Plaines d'Abraham en 1759. Cette victoire entraîne la chute de la ville de Québec et elle précipite la perte par le Royaume de France de sa colonie française du Canada.

7. Jeffery Amherst (1717-1797), commandant en chef de l'armée anglaise en Amérique du Nord.

8. François de Lévis. Journal des campagnes du chevalier de Lévis en Canada, de 1756 à 1760. Édition établie par Henri Raymond Casgrain. C.O. Beauchemin et Fils, Libraires-Imprimeurs. Montréal. 1889.

9. Comte G. de Hautecloque. « Le Maréchal de Lévis, gouverneur général de l'Artois (1765-1787) ».Mémoires de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Arras. Deuxième Série. Tome 34, pp. 133-134. Imprimerie Rohard-Coursin. F. Guyot Successeur. 1903.

10. La devise de la maison de Lévis est au vrai « Dieu ayde au second chrestien Lévis ».

11. Mémoires de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Arras. Deuxième Série. Tome 33, pp. 137-144. Imprimerie Rohard-Coursin. F. Guyot Successeur. 1902.

12. Ibidem, p 143.

13. Comte G. de Hautecloque. « Le Maréchal de Lévis, gouverneur général de l'Artois (1765-1787) ». Mémoires de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Arras. Deuxième Série. Tome 34, pp 140 sqq. Imprimerie Rohard-Coursin. F. Guyot Successeur. 1903.

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