Le charme discret d’une séance de la Société d’études scientifiques de l’Aude en mai 1926

« Séance du 16 Mai 1926
Tenue à Chalabre
Présidence de M. le Dr Courrent.

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Ci-dessus : l’Hôtel Moderne à Chalabre, Aude, dans les années 1900.

Comme la séance précédente du 18 avril 1926, celle-ci a été tenue hors du local ordinaire et au cours de l’excursion faite, partie dans le département de l’Aude, partie dans le département limitrophe de l’Ariège, dans la vaste salle de l’Hôtel Moderne à Chalabre après le repas pris en commun et luxueusement servi par le propriétaire et directeur de l’hôtel.

L’excursion annoncée paraissait promettre un succès sans précédent. Trente huit adhésions avaient été inscrites, et il avait fallu arrêter la liste et louer deux autobus fort coûteux ; plusieurs adhérents devaient aussi venir par leurs propres moyens et cinquante couverts étaient prévus pour le repas.

Mais depuis deux jours l’inexorable pluie inondait les rues de Carcassonne et les contrées voisines, le temps était des moins propices, mais dans les coeurs ardents rien n’entrave les projets arrêtés ; aussi le 16, à six heures et demie du matin, les deux autobus Teissier, quoique incomplètement garnis, véhiculant vingt-trois touristes, se mettaient en marche sur la route de Limoux, obliquaient à droite au pont du Sou, pour arriver bientôt à Belvèze, où ils firent une courte halte.

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Ci-dessus : Vierge à l’Enfant de Belvèze du Razès. XIVe siècle. Cf. Base Mérimée. Belvèze du Razès. « Elle est hanchée à gauche. La main gauche est fine. La main droite manque. Le bras droit est détaché du corps, la Vierge devait certainement tenir un sceptre. La tête de la Vierge est inclinée à gauche, du côté de l’Enfant. Le visage est bien dessiné. Il est rond, les sourcils sont presque invisibles, le nez est mince, la bouche est petite et le menton saillant. L’enfant est tenu assis haut sur son bras gauche. Il est assis de côté et son regard se dirige vers sa mère. Il est vêtu d’une tunique longue, retenue au col par une broche, qui laisse apparaître son pied droit nu. Les manches de la tunique sont longues, serrées aux poignets et bouffantes. Il a un visage d’adulte et les cheveux ondulés.Le dos de la statue est bouchardé. Elle devait certainement faire partie d’un ensemble plus important, peut-être un trumeau. »

Pendant que le Président télégraphiait à Chalabre et à Léran, les excursionnistes purent aller contempler sous la pluie, l’antique statue en pierre de la vierge penchée, datant du XIVe siècle, provenant du monastère de Prouille et érigée sur un pont.

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Dans la campagne embuée, à travers les vitres voilées des véhicules, on aperçoit vaguement tous les cours d’eau débordés ; par une route aux nombreuses courbes, on arrive à Moulin-Neuf, on franchit la voie ferrée, et l’on parvient au village de Lagarde, au pied de la grille qui ferme l’entrée des ruines imposantes du vieux manoir féodal. Mais il pleut toujours, les ruines sont envahies par la végétation des herbes folles, transformées en pinceaux mouillés ; on ne peut voir qu’incomplètement et très rapidement les hautes silhouettes noires des vieux murs se profilant encore plus sombres sur le ciel gris.

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On repart bien vite, et la randonnée continue sous les averses jusqu’au village de Camon ; là, notre groupe est attendu pour visiter la remarquable abbaye bénédictine, très ancienne avec restes de fortifications, transformée complètement au XVIIe siècle et servant aujourd’hui d’habitation particulière, tout en conservant le style de cette époque ; ouvertures à arc surbaissé, vieux meubles, fresques murales, belles tapisseries authentiques du XIIIe siècle ((Cf. Christine Belcikowski. Fin de journée à l’ancien prieuré de Camon.)).

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On visite l’ancienne église fortifiée, son beau retable en bois doré ((Cf. Christine Belcikowski. A Camon, le tabernacle de l’église de la Nativité de la Vierge et Saint Félicien.)), ses modillons romans, le tout sous des voûtes prêtes à s’écrouler. Mais on a hâte de parvenir à Chalabre, qui n’est qu’à quelques kilomètres et où l’on descend devant le perron du bel Hôtel moderne, digne d’une grande ville. En attendant l’heure du repas, on visite l’église, de reconstruction récente, mais possédant de vieux restes que l’on a précieusement conservés. En revenant nous apercevons se découpant en noir sur le ciel embrumé, les fiers créneaux du château dominant l’horizon.

A midi, le groupe des excursionnistes, grossi par des collègues du lieu et par des confrères venus dans leurs autos, s’asseoient devant une vaste table en fer à cheval toute fleurie, où les attend un menu des plus délicats. A la fin du repas M. le Président se lève et, après une brillante allocution appropriée à la circonstance, déclare la séance ouverte ; il donne la parole au Secrétaire, qui lit le procès verbal de la dernière séance du 18 avril à Fabrezan et le récit succinct de l’excursion.

M. le Président dépouille ensuite la correspondance qui comprend :

Plusieurs lettres de remerciements de membres nouvellement admis.

Une lettre du Comité de la reconnaissance des cités, annonçant l’apposition sur la gare nouvellement reconstruite de Coucy-leChâteau, d’une plaque commémorative de reconnaissant souvenir pour l’initiative prise en faveur de cette ville par celle de Carcassonne.

Carcassonne, marraine de Coucy-le-Château et la renaissance des Cités.

Le dimanche, 16 mai, sous la Présidence de M. Milhet, député de l’Aude, en présence de M. Charlier, maire de Coucy-le-Château, de M. Charles-Brun, Président de la Fédération Régionalisle Française, de représentants du Chemin de fer du Nord, une plaque de reconnaissant souvenir sera apposée sur la gare de Coucy-le-Château, la première petite gare reconstruite, dans l’Aisne, en style de la région, grâce à la générosité des habitants de Carcassonne, sur l’initiative et d’après les plans de la Renaissance des Cités, oeuvre d’enir’aide sociale, dont l’action utilitaire et esthétique s’est si souvent manifestée depuis dix ans dans noire France dévastée.

La correspondance comprend encore :

Une lettre de Mlle Franceline Cazeneuve, notre collègue, institutrice à Bize, annonçant l’envoi de son rapport sur l’excursion à Bize en 1924.

Deux lettres de M. le Duc et de Mme la Duchesse de Lévis-Mirepoix, par lesquelles la Société est autorisée à visiter les ruines de Lagarde et le château de Léran.

Une lettre de M. le Dr Lemozy d’Orel, de Béziers, qui autorise la visite de l’abbaye de Camon, sa propriété, et exprime ses regrets de ne pouvoir être chez lui pour recevoir la Société ; une lettre de M. Fr. Sivade, Président de la Société des Enfants de l’Aude à Toulouse, invitant les membres de notre compagnie à se joindre à leurs compatriotes de Toulouse qui viendront faire l’excursion annuelle à Naurouze et nous demandant de choisir la date. La séance de notre Société devant avoir lieu le 13 juin à Caunes, il ne paraît pas possible de répondre à cette aimable invitation.

Une lettre de M. Espardellier de Chalabre, regrettant son absence forcée de notre réunion de ce jour et offrant son concours pour effectuer des recherches historiques et archéologiques sur Chalabre et ses environs.

DONS. — M. Firmin Bonnafil fait don de quelques exemplaires de sa charmante poésie sur Fabrezan ; le comité des travaux historiques et scientifiques, envoie le compte rendu du Congrès des Sociétés savantes tenu à Paris en 1925 (section des sciences). M. Angelo Sikelanos de Delphes (Grèce) offre un magnifique album, contenant nombre de vues photographiques, de monuments anciens, du théâtre antique et de reproductions modernes de scènes hiératiques.

M. le Président adresse au nom de la Société ses remerciements aux donateurs.

ADMISSIONS. — M. Mm Joseph, instituteur à Embres-et-Castelmaure, présenté par MM. le Dr Courrent et Labaury ; M. BOUE Joseph, propriétaire à Fabrezan, présenté par MM. Bories et Lavenc ; M. BONNAFIL Firmin, présenté par MM. Marty et Lignon, sont reçus à l’unanimité comme membres titulaires.

COMMUNICATIONS. — M. le Dr Courrent lit une courte notice historique sur le château de Lagarde. M. Fages donne lecture d’une note sur un oppidum probablement gallo-romain découvert récemment par lui aux environs de Pennautier : « A 3 kilomètres au nord de Pennautier, dans les vacants de Cantegril, sur un mamelon qui commande la vallée du ruisseau des Albarels et du Fresquel, j’ai découvert les restes d’un oppidum ou enceinte fortifiée, ayant la forme d’un vaste quadrilatère irrégulier. Le mur du nord a 28 mètres de long, celui du sud 42 mètres, ils sont construits en matériaux tirés du voisinage. Ces deux remparts sont reliés par un troisième en arc de cercle de 68 mètres de long. Celui-ci est appareillé en pierres plates, le quatrième côté est recouvert par un éboulement. L’épaisseur des murs varie en 0 m. 42 et 0 m. 90, j’ai recueilli superficiellement un débris de francisque en fer et un semblant de casse-tête. Dans les environs j’ai trouvé plusieurs fois des débris d’amphores ou de poteries grossières ». M. le Président remercie M. Fages de son intéressante communication et, l’ordre du jour étant épuisé, la séance est levée.

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Aussitôt les excursionnistes se hâtent de revêtir manteaux et fourrures et de reprendre leurs places dans les autobus, qui s’arrêtent bientôt devant la grille du magnifique château de Léran, antique demeure seigneuriale, récemment restaurée, et qui, dans la verdoyante parure qui l’encadre, donne l’impression d’un de ces joyaux de la Renaissance que l’on va admirer dans cette belle contrée de la Touraine, appelée le jardin de la France ((Cf. La dormeuse blogue. Journée du Patrimoine de Pays – Au château de Léran.)). M. le Président et quelques sociétaires dans leurs autos, avaient précédé le gros de la caravane ; à l’arrivée de celle-ci, des serviteurs en livrée ouvrent toutes grandes les grilles du péristyle et nous guident, en nous faisant gravir les volées d’un escalier monumental vers la salle d’honneur du château, où Mme la Duchesse de Lévis Mirepoix, nous reçoit avec une affabilité et une distinction dont on ne saurait dire tout le charme. Bientôt après, sous la direction d’un majordome, se fait la visite complète du château, et des merveilles artistiques et archéologiques qu’il renferme. Après cette promenade dans la seigneuriale demeure, une gracieuse surprise attendait les excursionnistes, auxquels Mme la Duchesse de Lévis a tenu à offrir avant leur départ une délicieuse collation, plus délicieuse encore par la manière dont elle fut présentée que par sa savoureuse composition, et tous sont partis ravis de cette visite dont ils garderont un inoubliable souvenir.

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Un instant après, les voitures s’arrêtent à Mirepoix, où l’on visite la belle cathédrale aux larges voûtes, les locaux de l’ancien évéché, les curieux couverts entourant la place, et toujours sous la pluie, on repart pour traverser Fanjeaux et Montréal, et à 19 heures, conformément au programme, l’on se retrouve devant le square Gambetta, où, sous les parapluies, on se dit au revoir en souhaitant un beau soleil pour la prochaine excursion.

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Le Secrétaire,
G. Sicard. »

N.d.R. : 1. Il pleuvait lors des excursions le 16 mai 1926 aussi ! 2. Amusez-vous à comparer les excursions de 1887, 1904 et 1926.

A lire aussi :
En 1887, une excursion de l’Association française pour l’avancement des Sciences, dans le Tarn et dans l’Aude
En 1904, quand la Société d’études scientifiques de l’Aude visite Chalabre, Léran, Sibra, Lagarde et Mirepoix
Une visite au château de La Serpent, Aude, en 1908