En 1887, une excursion de l’Association française pour l’avancement des Sciences, dans le Tarn et dans l’Aude

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Ci-dessus : frontispice du Conseiller des contribuables et des consommateurs, décembre 1886 (1ère année, n° 18).

Armand Malaval, ancien contrôleur principal des contributions directes de la ville de Paris, rédacteur en chef du Conseiller des contribuables et des consommateurs, membre de l’Association française pour l’avancement des Sciences, raconte ici, de façon amusante, une excursion à laquelle il a participé dans le cadre du congrès organisé par cette association en septembre 1887, à Toulouse.

Les travaux du Congrès ont été interrompus par deux excursions dans les environs de Toulouse, parfaitement organisées par MM. Gariel et Carlbaz, secrétaires de l’Association. La première a eu lieu le dimanche 25 septembre. A 5 h. 45, un train spécial amenait à Revel environ cent cinquante membres de l’Association. Dans cette localité, des chars à bancs, des breaks de formes antédiluviennes, ont transporté les voyageurs au lac Saint-Ferréol.

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Rien de plus pittoresque que l’ascension de la colline de Revel et les sentiers couverts de feuillage bordant le petit ruisseau d’alimentation du Canal du Midi.

En arrivant à Saint-Ferréol, nous trouvons les gardes du lac. Leurs uniformes, qui ont été dessinés au commencement du premier Empire et dont la coupe n’a plus varié, produisent sur les excursionnistes un curieux effet.

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Avant la création du Canal du Midi, les eaux des montagnes de la contrée s’écoulaient librement. Riquet ayant besoin d’alimenter son canal, établit un énorme barrage et, de cette manière, il obtint une superficie d’environ 80 hectares qui, depuis lors, forment un lac d’une profondeur moyenne de 15 mètres en hiver. Des vannes et des robinets permettent de régler la quantité d’eau à envoyer au canal. Un magnifique parc, très bien entretenu, est attenant au barrage.

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Les véhicules ont pris ensuite le chemin de Lampy, où se trouve le second réservoir d’alimentation.

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Quelques membres voulant jouir du panorama des environs, prennent un raccourci à travers la montagne et devancent les voitures. Malheureusement pour lui, un brave homme de professeur avait cru devoir se fier à une carte de l’Etat-Major. Ne sut-il pas s’en servir, ou bien la carte n’étail-elle pas exacte, toujours est-il qu’il s’égara 1Cf. La dormeuse blogue 3 : Une balade avec les Amis de Riquet – Dans la forêt de Ramoundès, la rigole d’essai du canal du Midi. Lors de cette balade, plusieurs « amis de Riquet », dont j’étais, se sont perdus dans la forêt, au point que nous envisagions déjà d’avoir à passer la nuit à la belle étoile !, fit vingt-quatre kilomètres pedibus cum jambis, et arriva à Lampy quand tout le monde avait déjeuné et était reparti. En voilà un qui, de longtemps, ne consultera une carte pour se diriger…

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Enfin, après deux heures de cahotements, on arrive à Lampy, où une table immense, dressée sous les arbres, en face du lac, reçoit les excursionnistes. Nous voyons apporter des terrines immenses pleines de cassoulet, un mets du pays, composé de haricots blancs et de saucisses. Un archéologue placé non loin de moi, cherche à nous prouver que ces terrines datent de l’époque gallo-romaine. Je ne saurais me prononcer, mais, en tous cas, le contenu est trouvé excellent et tout le monde lui fait honneur.

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Après avoir tablé assez longuement, on remonte en voiture et en route pour Carcassonne, où on arrive à cinq heures du soir, presque à la nuit tombante.

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On se hâte de gravir la colline de la Cité, de visiter l’église Saint-Nazaire, si remarquable, et les magnifiques remparts admirablement restaurés par Violet-Leduc.

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Arrivés près de la tour de l’Inquisition, deux architectes se prennent de querelle : « — Je vous assure que cette fenêtre a été construite par les Sarrazins, en 702. — Mais non. — Mais si. — Mais non, et la preuve, c’est que le chapiteau de la colonne a une tète d’homme sculptée, et du côté opposé, une tête d’oiseau. Or, le propre de l’architecture sarrazine est de ne jamais reproduire, dans l’ornementation, des figures humaines ou des animaux « . Ceci m’étant bien égal, je laisse les deux savants aux prises. Je crois qu’ils discutent encore.

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En revenant sur leurs pas, les congressistes assistèrent à une chasse aux lapins dans un terrain attenant à l’église. Ces pauvres animaux, — je parle des lapins — effrayés de voir tant de monde, se sauvaient dans toutes les directions. On se mit à leur poursuite, et un médecin de grand savoir eut la chance d’abattre un lapin d’un coup de canne. Fier de son succès, il fit cadeau du défunt au bedeau de l’église.

C’était nuit close lorsque nous descendîmes de la Cité. Il était trop tard pour aller serrer la main de quelques vieux amis et connaissances que j’ai à Carcassonne. A mon grand regret, j’ai dû remettre mes visites à l’année prochaine.

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Le mardi 27 septembre, un train transportait à Carmaux à peu près les mêmes excursionnistes. Une quarantaine d’entre eux descendent dans la mine, sous la direction des ingénieurs.

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Les autres se répandent dans l’usine et examinent les procédés de fabrication des agglomérés et du coke. Puis, on prend place autour d’une table bien servie. Après les toasts et le café, on se rend en masse à l’usine où on assiste au triage des débris de charbon pour la fabrication du coke. J’étais là depuis quelques minutes, lorsque je me laisse choir dans une trémie. On se précipite pour me retirer de ce trou malencontreux et on me demande obligeamment si je me suis fait mal. « Du mal, je n’en ai pas heureusement, dis-je, mais c’est la Compagnie qui en aurait eu, à cause de mon âge, pour me transformer en coke excellent ». Ma réponse provoque un accès d’hilarité et la visite de l’usine se termine sans autre incident.

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Nous allâmes ensuite visiter la verrerie appartenant à la même Société et nous assistâmes à la fabrication des bouteilles. Cette usine est fort bien installée et admirablement dirigée. L’un des administrateurs nous donna des renseignements très complets sur l’organisation de l’usine et sur la société coopérative qui rend tant de services aux ouvriers verriers. J’ai vu là un contre-maître qui appartient à l’usine depuis quarante ans et qui a trouvé moyen, tout en élevant convenablement ses deux enfants, d’économiser une soixantaine de mille francs. J’ai été heureux de serrer la main de cet excellent père de famille et de le féliciter de tout coeur. Une distinction honorifique serait bien placée sur cette poitrine.

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Nous nous rendîmes ensuite aux Aciéries de Saint-Juéry où nous fûmes accueillis avec un très grand empressement. La fanfare de l’usine exécuta plusieurs morceaux avec une délicatesse et un charme qui font honneur à ces ouvriers-artistes. Nous ne pûmes consacrer beaucoup de temps à la visite de cette usine, car la soirée s’avançait et nous avions encore à voir la cathédrale d’Albi. Nous fûmes donc obligés de nous remettre en route plus tôt que nous ne l’aurions voulu.

La Compagnie de Carmaux avait eu la gracieuseté de faire remettre à chacun de nous une petite brochure ornée de charmantes photographies qui rappelleront agréablement la journée du 27 septembre.

La pluie nous attendait à Albi, et, pour comble de malheur, la nuit arrivait à grands pas.

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C’est à peine si nous pûmes voir l’intérieur de la cathédrale Sainte-Cécile, et son magnifique jubé. Il aurait été nécessaire de pouvoir disposer d’au moins une heure de jour. Nous étions arrivés beaucoup trop tard. Notre rentrée à Toulouse s’effectua à onze heures du soir. » 2Le Conseiller des contribuables et des consommateurs, novembre 1887 (deuxième année, n° 35).

References

1 Cf. La dormeuse blogue 3 : Une balade avec les Amis de Riquet – Dans la forêt de Ramoundès, la rigole d’essai du canal du Midi. Lors de cette balade, plusieurs « amis de Riquet », dont j’étais, se sont perdus dans la forêt, au point que nous envisagions déjà d’avoir à passer la nuit à la belle étoile !
2 Le Conseiller des contribuables et des consommateurs, novembre 1887 (deuxième année, n° 35).

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