Une affaire de divorce en 1802-1803. Le cas de [François] Melchior Soulié

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Archives dép. de l’Ariège. Foix. Mariages. Document 1NUM/3E67 (1764-An XI). Vue 69.

Quatre ans après avoir épousé Jeanne Marie Baillé, le 8 pluviôse an VI (samedi 27 janvier 1798) à Mirepoix, [François] Melchior Soulié, directeur des contributions directes du département de l’Ariège demeurant à Foix, demande le divorce, le 10 nivôse an XI (vendredi 31 décembre 1802) à Foix. Entre temps, le couple a eu deux enfants, Antoinette Françoise Fanny Soulié, née à Foix, le 19 nivôse an VIII (jeudi 9 janvier 1800) et [François] Melchior Frédéric Soulié, né à Foix, le le 2 nivôse an IX (mardi 23 décembre 1800), et, abandonnant le domicile conjugal fuxéen quelques jours après cette seconde naissance, Jeanne Marie Baillé est retournée à Mirepoix, où elle vit désormais dans sa maison familiale, ainsi que ses deux enfants.

Conformément au Décret du 20 septembre 1792 qui détermine le mode de constater l’état civil des citoyens, et plus celui de prononcer les divorces, Jean Pierre Acoquat, maire de Foix, a convoqué par exploit, en du 9 frimaire an XI (mardi 30 novembre 1802), [François] Melchior Soulié, le demandeur, et Jeanne Marie Baillé, son épouse, afin de comparution devant « l’assemblée de famille », composée de « parents ou amis », qui se trouve chargée de porter témoignage lors de chacune des trois séances de conciliation préalables à l’obtention éventuelle du divorce.

Voici, en matière de divorce, l’ensemble des dispositions prévues par le décret de 1792, section V, « Du divorce dans ses rapports avec les fonctions de l’officier public chargé de constater l’état civil des citoyens » :

Art. 1er. – Aux termes de la Constitution, le mariage est dissoluble par le divorce.

Art. 2. – La dissolution du mariage par le divorce sera prononcée par l’officier public chargé de recevoir les actes de naissances, mariages et décès, dans la forme qui suit.

Art. 3. – Lorsque deux époux demanderont conjointement le divorce, ils se présenteront, accompagnés de quatre témoins majeurs, devant l’officier public, en la maison commune, au jour et heure qu’il aura indiqués : ils justifieront qu’ils ont observé les délais exigés par la loi sur le mode du divorce ; ils représenteront l’acte de non-conciliation qui aura dû leur être délivré par leurs parents assemblés ; et, sur leur réquisition, l’officier public prononcera que leur mariage est dissous.

Art. 4. – Il sera adressé acte du tout sur les registres des mariages ; cet acte sera signé des parties, des témoins et de l’officier public, où il sera fait mention de ceux qui n’auront pu ou su signer.

Art. 5. – Si le divorce est demandé par l’un des conjoints seulement, il sera tenu de faire signifier à son conjoint un acte aux fins de le voir prononcer : cet acte contiendra réquisition de se trouver en la maison commune de la municipalité dans l’étendue de laquelle le mari a son domicile, et devant l’officier public chargé des actes de naissances, mariages et décès, dans le délai qui aura été fixé par cet officier, ce délai ne pourra être moindre de trois jours ; et en outre, d’un jour par dix lieues, en cas d’absence du conjoint appelé.

Art. 6. – A l’expiration du délai, le conjoint demandeur se présentera, accompagné de quatre témoins majeurs, devant l’officier public ; il représentera les différents actes ou jugements qui doivent justifier qu’il a observé les formalités et les délais exigés par la loi sur le mode du divorce, et qu’il est fondé à le demander. Il représentera aussi l’acte de réquisition qu’il aura dû faire signifier à son conjoint, aux termes de l’article précédent ; et, sur sa réquisition, l’officier public prononcera, en présence ou en absence du conjoint dûment appelé, que le mariage est dissous.

Art. 7. – Il sera donné acte du tout sur les registres des mariages en la forme réglée par l’article 4 ci-dessus.

Art. 8. – S’il s’élève des contestations de la part du conjoint contre lequel le divorce sera demandé, sur aucun des actes ou jugements représentés par le conjoint demandeur, l’officier public n’en pourra prendre connaissance ; il renverra les parties à se pourvoir.

Art. 9. – L’officier public qui aura prononcé le divorce, et en aura fait dresser acte sur les registres des mariages, sans qu’il lui ait été justifié des délais, des actes et des jugements exigés par la loi sur le divorce, sera destitué de son état, condamné à cent livres d’amende, et aux dommages-intérêts des parties.

« Bien que la dite Jeanne Marie Baillé ait été régulièrement prévenue et invitée en la forme prescrite par l’article neuf du paragraphe deux de la loi du vingt septembre 1792, ainsi qu’il résulte de l’exploit en date du dix frimaire dernier, dûment enregistré, et bien que l’heure de l’invitation et celle de la surséance soient plus que passées », Jean Pierre Acoquat constate que Jeanne Marie Baille « n’a cependant ni comparu elle-même, ni fait trouver de sa part le nombre exigé de parents ou amis ». Des deux époux, le dit Soulié s’étant présenté seul », le cas relève donc de l’article 5 : « divorce demandé par l’un des conjoints seulement ».

En guise de parents ou d’amis aptes à témoigner dans le cadre de « l’assemblée de famille », [François] Melchior se présente accompagné des citoyens Jean Pierre Anglade, inspecteur des contributions, François Picomal, contrôleur des contributions, et Blaise Jaury, avoué, ce dernier en remplacement du citoyen Darnaud, substitut du commissaire accusateur public du département de l’Ariège, tous habitants de Foix et collègues du demandeur. [François] Melchior Soulié vient ici demander le divorce « pour cause d’incompatibilité d’humeur et de caractère ».

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De quelle sorte d’incompatibilité d’humeur et de caractère s’agit-il ici ? La « cause » mentionnée ci-dessus est en l’occurrence, dans sa formulation stéréotypée, celle qui se trouve invoquée dans la plupart des autres actes de divorce de l’année 1802. Tel que rédigé par Jean Pierre Acoquat, le compte-rendu de la séance ne permet pas d’en savoir davantage. Les dits Jean Pierre Anglade, François Picomal et Blaise Jaury ont fait à [François] Melchior Soulié, « au sujet de sa démarche, toutes les observations et représentations qu’ils ont cru capables de le rapprocher de son épouse, mais elles ont été toutes inutiles, le dit Soulié persistant de plus fort dans sa résolution ».

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Après avoir dressé acte de la séance, Jean Pierre Acoquat, maire, déclare « l’assemblée prorogée à deux mois, et les époux ajournés au douze ventôse prochain (jeudi 3 mars 1803), à dix heures du matin ».

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Archives dép. de l’Ariège. Foix. Mariages. Document 1NUM/3E67 (1764-An XI). Vue 77.

Ni la deuxième réunion de l’assemblée de famille, le 12 ventôse an XI (jeudi 3 mars 1803), ni la troisième et dernière, le 13 prairial an XI, ne parviendront à fléchir la résolution de [François] Melchior Soulié. Jeanne Marie Baillé, ni personne de ses parents ou amis, ne paraîtront à ces deuxième et troisième réunions.

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Archives dép. de l’Ariège. Foix. Mariages. Document 1NUM/3E67 (1764-An XI). Vue 77.

Mais, lors de la réunion du 12 ventôse, Jeanne Marie Baillé fait signifier par « Dunac huissier » qu’elle « conteste au dit [François] Melchior Soulié, son mari, le domicile qu’il a élu dans la commune de Foix, prétendant que le domicile dudit Soulié est dans la commune de Mirepoix, où il exerce les fonctions de membre du Conseil municipal (c’est vrai.) ; et qu’elle proteste en outre de la nullité et de la cassation de tout ce qui pourrait être fait, au préjudice dudit acte ».

Outre qu’elle nous renseigne sur l’acte d’opposition signifié par Jeanne Marie Baillé à l’encontre de la demande de divorce formulée par [François] Melchior Soulié, son mari, la réunion du 12 ventôse nous apprend que, devenu à cette date directeur des contributions directes du département du Tarn, [François] Melchior Soulié réside désormais à Albi, et ce, « depuis environ deux décades ».

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Archives dép. de l’Ariège. Foix. Mariages. Document 1NUM/3E67 (1764-An XI). Vue 79.

Lors de la troisième « assemblée de famille », qui se tient, toujours à Foix, le 13 prairial an XI, malgré toutes les observations et représentations réitérées par ses amis Jean Pierre Anglade, François Picomal et Blaise Jaury, [François] Melchior Soulié persiste dans sa résolution de divorcer.

« Pour quoi, écrit Jean Pierre Acoquat, maire, j’ai été requis de dresser acte de la dite déclaration, ce que j’ai fait à l’instant, à Foix, le même jour… »

La formulation n’est certes pas des plus claires, mais il appert que Jean Pierre Acoquat, maire de Foix, a prononcé ici, en date du 13 prairial an XI, le divorce de [François] Melchior Soulié et de Jeanne Marie Baillé.

J’ignore si, comme annoncé lors de la deuxième réunion de « l’assemblée de famille », Jeanne Marie Baillé a intenté une action en « nullité et cassation » de l’acte de divorce. Les raisons de son opposition au divorce demeurent méconnues, en tout cas jamais dites lors de la procédure. Mais on sait par une lettre de Norbert Baillé, l’un des frères de Jeanne Marie Baillé, qu’au début de l’année 1803, [François] Melchior Soulié a causé un scandale dans la famille Baillé, en partant à Toulouse avec Georgette Marguerite Georgine Baillé, leur nièce à tous deux, qui fréquentait, elle aussi, la maison familiale de Mirepoix. Il se pourrait bien que [François] Melchior Soulié ait choisi Albi pour abriter ses amours avec Georgette Marguerite Georgine Baillé. Celle-ci, en tout cas, n’est jamais revenue dans la maison familiale. Jeanne Marie Baillé, épouse odieusement trompée sous son propre toit, n’aura pas voulu favoriser ces amours illicites…

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Jeanne Marie Soulie, en tout cas, se dira encore »épouse Soulié » » lors du recensement de la population de Mirepoix en 1804, peu avant que son ex-mari ne vienne emmener, à la fin de l’automne 1804, le petit Melchior Frédéric Soulié.

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Il semble au demeurant que, par la suite, François Melchior Soulié n’ait pas emporté la partie, puisque Jeanne Marie Baillé, dans l’Etat de la population de Mirepoix en 1804, se voit enregistrée sous le nom de « Jeanne Marie Baillé, épouse Soulié », et puisqu’elle se trouve dénommée, dans son acte de décès, le 27 septembre 1827, « Dame Jeanne Marie Baillé, âgée de 66 ans, épouse du sieur François Melchior Soulié, directeur des contributions directes en retraite, habitant Paris ». [Melchior] Frédéric Soulié, son fils, l’écrivain, se souviendra douloureusement de cette gigantomachie familiale.

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  • Martine Rouche at 21 h 25 min

    Fantastique découverte, bien méritée, si j’ose dire, après tant de travail consacré par toi à Melchior Frédéric Soulié …