De Mirepoix à Fontpédrouse, l’amère destinée de Jean François Gabriel Mercadier, petit-cousin de Frédéric Soulié

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Fontpédrouse se situe dans les gorges de la Têt, à neuf kilomètres de Montlouis. La commune comprend sur sur son territoire de nombreux sommets, dont le Noufonts (2 864 m), le pic de la Fossa del Gegant (2 808 m), le pic du Géant (2 881 m), l’Infern (2 896 m), ainsi que des sources d’eau sulfureuse chaude auxquelles elle doit son nom de « fontaine pierreuse ou pétrifiante ».

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Ci-dessus : shako des Douanes royales daté de 1821 ; source : Les anciens insignes des douanes.

C’est à Fontpédrouse que réside en 1830 Jean François Gabriel Mercadier, préposé aux Douanes royales, né à Mirepoix le 19 avril 1789 sous le Grand Couvert.

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Ci-dessus : aujourd’hui verte et rose, l’ancienne maison de Jean Soulié 1Cf. Christine Belcikowski, A Mirepoix, l’ancienne maison de Jean Soulié, l’un des oncles de l’écrivain Frédéric Soulié., qui est aussi la maison natale de Jean François Gabriel Mercadier.

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Ci-dessus : acte de baptême de Jean François Gabriel, fils de Magdeleine Soulié, né le 19 avril 1789 à Mirepoix. Source : Document 1NUM6/5MI665. Mirepoix. Paroisse. 1787-1792. Vue 64. Magdeleine Soulié, en 1789, est âgée de trente-trois ans.

Sur l’acte de baptême du 19 avril 1789 à Mirepoix, les prénoms du petit « Jean François Gabriel, fils de Magdeleine Soulié » se trouvent consignés sans patronyme. « Vu le danger de mort », l’enfant a été baptisé « dès sa naissance » par Gabrielle Personne, femme de Jean Seré, accoucheuse de la paroisse, « ce qui a été confirmé par Demoiselle Marianne Villeneuve et par Thérèse Tournier, femme d’Antoine Pintat ». Le sieur Jean François Mercadier s’est « déclaré en qualité de parrain, et la Demoiselle Marianne Villeneuve en qualité de marraine ». Maître Gorgos quant à lui, avocat postulant de la ville, qprès s’être déclaré en qualité de représentant de la nouvelle accouchée, a réclamé que l’enfant inscrit comme « né de Madeleine Soulié, fille de Jean Soulié, avocat postulant de la ville », soit inscrit aussi comme « ayant pour père le Sieur Louis Mercadier, clerc tonsuré, prébendier du Chapitre de Mirepoix ».

« Ce que nous n’approuvons ni n’improuvons », note prudemment l’abbé Mailhol, sacristain curé de la cathédrale, à propos de l’inscription réclamée par Maître Gorguos.

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Ci-dessus : extrait du rôle de la population de Mirepoix en 1793.

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Ci-dessus : extrait du rôle de la population de Mirepoix établi le 1er vendémiaire an VIII (23 septembre 1799).

La consultation des Etats de la population de Mirepoix en 1793, puis en 1799, montre que le petit Jean François Gabriel, fils de Magdeleine Soulié, né le 19 avril 1789, n’a pas été élevé au n° 89 de la section A, sous le Grand Couvert, i. e. dans la maison de Jean Soulié, son grand-père.

Veuf depuis 1780 de Thérèse Barrau, son épouse, nommé au début de l’année 1793 juge président au tribunal criminel du département, Jean Soulié loge depuis lors à Foix, où il mourra le 24 pluviôse an X (13 février 1802). Il semble au demeurant qu’à partir de la mort de son épouse, sa maison de Mirepoix soit allée peu à peu à vau-l’eau.

En 1793, la maison de Mirepoix abrite Bruno [Melchior] Soulié et Magdeleine Soulié, fils et fille de Jean Soulié, Magdeleine Barrau, belle-soeur de Jean Soulié, par ailleurs marraine de Magdeleine Soulié, et Marguerite Soulié, quatre ans, fille de Pierre Gabriel Soulié, résidant alors à Limoux, fils aîné de Jean Soulié.

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Ci-dessus : acte de décès de Bruno Soulié ; Archives dép. de l’Ariège, document 1NUM1/5MI667, 1793-an X, vue 516.

Au 1er vendémiaire an VIII (23 septembre 1799), Bruno Soulié, né le 6 octobre 1761, non marié, a quitté Mirepoix, car requis par la conscription. Il mourra déserteur, le 8 germinal an VIII (29 mars 1800), à l’hôpital d’Aix-en-Provence.

Outre Jean Soulié, qui est alors seulement de passage, la maison n’abrite plus que Magdeleine Soulié, « fille » [de Jean Soulié], et [Marguerite] Thérèse Soulié, neuf ans, « petite-fille » [de Jean Soulié], fille de Pierre Gabriel Soulié. Magdeleine Soulié, créditée en 1799 de quarante ans, a en réalité quarante-trois ans, puisque née le 13 septembre 1756.

Le petit Jean François Gabriel, quant à lui, n’a selon toute apparence jamais fait partie de la maisonnée. Il a sans doute été placé quelque part ailleurs, on ne sait où.

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Ci-dessus : extrait de l’Etat de la population de Mirepoix daté du courant de fructidor an XII (septembre 1804).

En fructidor 1804, l’Etat de la population de Mirepoix, tel qu’établi cette année-là, comporte en regard du n° 89 de la section A, i.e. en regard de l’adresse de la maison de Jean Soulié, la mention « Néant ». La maison est vide. Jean Soulié est mort à Foix le 24 pluviôse an X (13 février 1802). Magdeleine Soulié est partie, ainsi que Marguerite Thérèse Soulié, sa nièce. Où sont-elles allées ? Je n’ai pas réussi à le déterminer, pour le moment du moins.

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Ci-dessus : extrait de l’Etat de la population de Mirepoix en 1827.

En 1827, l’Etat de la population de Mirepoix indique que les n° 88 et 89 de la section A appartiennent désormais à François Croux et que celui-ci y a pour locataires la Veuve Bertrand Saint-Félix et son fils Joseph. Le n° 90 demeure en revanche la propriété de la Veuve Vidalat de Tornier, i.e. d’Anne Marie Charlotte de Gouzens de Fontaines, épouse de feu Guillaume Vidalat de Tornier 2Cf. Christine Belcikowski, Jean François Vidalat, né à Mirepoix. Un électron libre des années révolutionnaires..

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On ne retrouve la trace de Jean François Gabriel, fils de Magdeleine Soulié, né le 19 avril 1789 à Mirepoix, que le 19 juillet 1830 à Estavar, dans les Pyrénées-Orientales, date et lieu de son mariage avec Catherine Marie Françoise Badie.

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Ci-dessus : 19 juillet 1830, acte de mariage de Jean François Gabriel Mercadier et de Catherine Marie Françoise Badie ; extrait du registre d’état-civil d’Estavar ; Archives dép. des Pyrénées-Orientales : document 9NUM2E1200_1203 (1803-1842), vues 229 et 230.

Concernant la destinée de Jean François Gabriel Mercadier et celle de ses géniteurs, l’acte de mariage reproduit ci-dessus fournit enfin quelques informations bienvenues.

Le Jean François Gabriel Mercadier de 1830 demeure à Fontpédrouse, où il exerce la profession de « préposé aux Douanes royales ». Alors âgé de trente-neuf ans, il épouse en la personne de Catherine Marie Françoise Badie, « couturière », née le 24 fructidor an VIII (11 septembre 1800), la fille d’un « greffier de la justice de paix du canton de Saillagouse » 3Commune située à une vingtaine de kilomètres de Fontpédrouse, sur la route de Puigcerda..

« L’habitation ou l’existence » de Madeleine Souliè, mère du Jean François Gabriel Mercadier de 1830, demeure « inconnue », comme indiqué par « l’acte de notoriété dressé et enregistré le 14 janvier 1824 par Monsieur le Juge de Paix de Mirepoix (Ariège) ».

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Ci-dessus : Archives dép. de l’Ariège, Pamiers, décès ; document 1NUM/4E2788, vue 384.

Louis Mercadier, « clerc tonsuré et prébendier du chapitre de Mirepoix », père putatif de Jean François Gabriel Mercadier, est « décédé à Pamiers (Ariège), âgé de soixante-six ans, le 22 août 1827 ».

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Le certificat de décès reproduit ci-dessus révèle qu’après avoir quitté sa prébende mirapicienne, Louis Mercadier a vécu à Pamiers, qu’il y exercé la fonction de vérificateur des poids et mesures, et qu’il demeurait, avec Catherine Séguéla, son épouse, rue du Pont-Neuf.

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De façon symptomatique, lors de son propre mariage, le 19 juillet 1830 à Estavar, Jean François Gabriel Mercadier, né le 19 avril 1789 dans les circonstances rapportées ci-dessus, déclare « ne savoir signer que Jean ». Le maire d’Estavar a consigné cette déclaration, qui l’aura sans doute frappé.

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En 1833, Jean François Gabriel Mercadier exerce sa fonction de préposé des Douanes, toujours dans les Pyrénées-Orientales, au poste d’Eyne. Le 4 novembre 1833 naît à Eyne, Marie Mélanie Joseph Mercadier, fille de Jean François Gabriel Mercadier et de Catherine Marie Françoise Badie, « sans profession ». Témoins de la déclaration de naissance : Jean Molas, officier de santé, âgé de quarante-quatre ans, et Gilles Buttlo-Jordi, cultivateur, âgé de cinquante-sept ans, « amis tous deux du déclarant ».

Il se peut que le le 19 juillet 1830, jour de son mariage, puis le 4 novembre 1833, jour de la naissance de sa fille, Jean François Gabriel Mercadier ait eu le sentiment d’avoir corrigé la vie. Mais le défaut patronymique qu’on observe dans sa signature témoigne de ce que, bien qu’il ait transmis le nom de Mercadier à Marie Mélanie Joseph, sa fille nouvelle-née, il n’a pas rien pardonné à Louis Mercadier, son propre père.

Le drame d’un fils non reconnu n’est toutefois jamais simple. A Fontpédrouse, à Eyne, et partout dans les Pyrénées orientales, Jean François Gabriel Mercadier remet ses pas dans ceux de l’illustre Jean Baptiste Mercadier (1750-1816), ingénieur du Languedoc, qui a arpenté avant lui ces contrées-frontières afin de concevoir le tracé d’une nouvelle route qui mènera un jour, via Bourg-Madame, de Pamiers à Puigcerda.

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Ci-dessus : Archives dép. de l’Ariège : Bélesta, baptêmes (1737-1793), document 1NUM/E101, vue 116. Acte de baptême de Jean Baptiste Mercadier, né le 18 avril 1750 à Bélesta, fils de Jacques Mercadier et d’Isabeau Tadieu ; parrain : Jean Baptiste Tadieu, grand-père maternel ; marraine : Jeaneton Pecheric, grand-mère maternelle.

Or il y a une chaîne de causalités qui relie étrangement le destin de Jean François Gabriel Mercadier à celui de Jean Baptiste Mercadier, qui était son oncle. Voué par ses parents à la prêtrise, nommé prébendier à Mirepoix, Jean Baptiste Mercadier renonce en 1770 à cette prébende au profit de Louis Antoine Mercadier, qui était son frère.

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Ci-dessus : Archives dép. de l’Ariège. Pamiers. Baptêmes (1730-1781). Document 1NUM6/5MI543. Vue 446. Acte de baptême de Louis Antoine Mercadier, né le 21 janvier 1759 à Pamiers, fils de Jacques Mercadier et d’Elizabeth Tadieu ; marraine : Louise Pécheric, grand-tante maternelle de l’enfant. A Pamiers, Jacques Mercadier, père de Louis Antoine Mercadier, est en 1759 directeur des postes, fonction à laquelle il ajoutera, à partir de 1767, celle de secrétaire de François Tristan de Cambon, nommé en 1768 évêque de Mirepoix.

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Ci-dessus : à Mirepoix, maison signalée dans le compoix de 1766 4Cf. La dormeuse blogue 3 :A Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°128 à 166 : plan 3 n° 147. comme appartenant à Isabeau et à Louise Pechairic, ou Pécheric, respectivement grand-tante et grand-mère des fils de Jacques Mercadier et d’Isabeau Tadieu ; maison occupée par Jacques Mercadier et sa famille après l’entrée en fonction de ce dernier auprès de Monseigneur de Cambon.

Après le scandale provoqué en 1789 par la naissance de Jean François Gabriel Mercadier, Louis Antoine Mercadier renonce à la dite prébende au profit de Jean François Mercadier, son autre frère, lequel se trouve être, comme on sait, le parrain de Jean François Gabriel Mercadier 5Cf. Archives dép. de l’Ariège, série G, clergé séculier, antérieur à 1790. ! Si Jean Baptiste Mercadier n’avait pas renoncé à sa prébende pour devenir ingénieur du Languedoc…

References

1 Cf. Christine Belcikowski, A Mirepoix, l’ancienne maison de Jean Soulié, l’un des oncles de l’écrivain Frédéric Soulié.
2 Cf. Christine Belcikowski, Jean François Vidalat, né à Mirepoix. Un électron libre des années révolutionnaires.
3 Commune située à une vingtaine de kilomètres de Fontpédrouse, sur la route de Puigcerda.
4 Cf. La dormeuse blogue 3 :A Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°128 à 166 : plan 3 n° 147.
5 Cf. Archives dép. de l’Ariège, série G, clergé séculier, antérieur à 1790.

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