Dans En 1618 – Un corps passe (1) et dans En 1618 – Un corps passe (2), je racontais comment le 2 juin 1618 on passa messire de levis pour aler lenterer à Mirepoix qui fut bien regreté, dixit le cajer tenu entre 1585 et 1654 par les curés de Belpech, recopié en 1736 par le marguillier Astruc et continué par ce dernier jusqu’en 1797 ; et je développais diverses hypothèses concernant l’identité de ce corps. De quel messire de levis passait-on le corps à Belpech en 1618 ? Jean de Lévis, vicomte de Carcassonne, mort à Toulouse le 31 août 1603 ? Etienne de Lévis, frère du précédent, seigneur de Sainte-Foy, mort le 25 avril 1618 ? Jean Louis de Lévis, seigneur de Saint-Jean de Rouvenac, puis de Saint-Jean de Paracol, mort avant 1626 ?
Dans En 1618 – Un corps passe (2), je rapportais l’avis de M.B. Benezet, auteur d’une édition annotée du cajer de Belpech, publiée en 1880 dans les Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, lequel M.B. Benezet tenait de l’abbé Francès, curé de Belpech, ancien dépositaire du cajer, que que le corps nomade de 1618 était celui de Jean de Lévis, vicomte de Carcassonne. Tentée de me ranger à cet avis, j’observais toutefois que celui-ci ne devait pas être considéré comme définitif et que l’enquête demeurait ouverte.
Mon enquête vient de rebondir ces jours-ci, suite à la lecture du beau livre de Simone Guybert-Martimor, Une famille du comté de Foix du Moyen Age à nos jours (1460-1995) – Les Martimor – Mirepoix – Laroque d’Olmes – Mazères 1Simone Guybert-Martimor, Une famille du comté de Foix du Moyen Age à nos jours (1460-1995) – Les Martimor – Mirepoix – Laroque d’Olmes – Mazères, édité par l’Association pour le développement du tourisme de Mazères, 1995..
Dans la première partie de l’ouvrage, consacrée aux Martimort de Laroque d’Olmes au début du XVIIe siècle, Simone Guybert-Martimor rapporte qu’en 1606, au château de Lavelanet, sa résidence, par devant Me Galaup, notaire de Lignerolles et en présence de Jean Germain d’Escorneboeuf, le sieur de Pomarède, Pierre de Martimort, Etienne de Martimort, prêtre, et quatre autres, Etienne de Lévis, quatrième fils de Jean VI († 1607), seigneur de Mirepoix,
… lègue cinq sols à ses frères, Antoine Guillaume de Lévis de Lomagne, vicomte de Terride, Jean de Lévis, seigneur de Roquefort, et à ses soeurs, Catherine et Claude de Lévis, les faisant avec ce ses héritiers particuliers, ne voulant pas qu’ils puissent demander autre chose ; – il institue comme héritière universelle sa tante, dame Louise de Lévis, veuve du sieur d’Audou, lui donnant plein pouvoir de disposer, après son décès, de ses biens en faveur de ceux qu’il lui plaira, sauf si c’était en faveur de ses frères ou de leurs enfants, auquel cas il veut que ce soit en faveur d’Henri de Lévis, seigneur de Malléou. 2A.N. 436. AP. 249-4
Une page plus loin, Simone Guybert-Martimor rapporte encore que le 2 mai 1618, à Bélesta, dans le château où elle s’est retirée, ayant cédé le château de Lavelanet à Etienne de Lévis, son neveu, dame Louise de Lévis, veuve du sieur d’Audou, fait procéder par le représentant de la sénéchaussée de Carcassonne, en présence de Jean Germain d’Escorneboeuf, le sieur de Pomarède, Pierre de Martimort, et quatre autres, à l’ouverture du testament d’Etienne de Lévis, seigneur de Sainte-Foy, mort le 25 avril 1618 « à Paris ».
A noter que, fâché avec sa famille, Etienne de Lévis ne revendique pas d’être enterré au cimetière du couvent des Cordeliers, à Mirepoix, auprès des siens.
A noter également qu’après avoir reçu en 1603 la seigneurie de Malléou et acquis en 1620 de Louise de Lévis la seigneurie de Gaudiès, Henri de Lévis, sixième fils de Jean de Lévis, disputera à son frère Antoine Guillaume de Lévis, son frère aîné, seigneur de Mirepoix, la succession d’Etienne de Lévis, qu’il est débouté en 1629 au profit d’Alexandre Guillaume, et que la dispute continue après sa mort en 1636 3Cf. Georges Martin, Histoire et généalogie de la maison de Lévis, p. 75, Imprimerie Sud-Offset, 42150 La Ricamare, 2007..
L’énigme du corps qui passe à Belpech le 2 juin 1618 s’éclaire ici, quant à elle, au regard de la simple géographie. Le corps qui vient de Paris passe logiquement par Belpech pour retourner à Sainte-Foy. Je disais dans l’article précédent que certaines questions recèlent dans l’obscurité de leurs plis des réponses latentes. Je savais qu’Etienne de Lévis était mort le 25 avril 1618. Mais à force de lire que le décès était survenu probablement en son château de Lavelanet, j’avais pris cette allégation pour argent comptant. J’avais tort. J’aurais dû envisager dès le début qu’il pouvait y avoir erreur sur le lieu du décès : l’affaire se serait alors dénouée bien plus vite, sans autre forme de procès.
Reste à comprendre comment le curé qui renseigne le cajer de Belpech en 1618 peut parler d’un messire de levis qui fut bien regreté, alors qu’au dire des historiens, ce messire de levis a été un grand seigneur méchant homme, en tout cas un homme violent, coupable d’un duel ayant causé deux morts en 1606, coupable d’excès contre les personnes et biens des chanoines en 1607, coupable d’excès contre les personnes et les biens des religieux de la Merci à Mirepoix en 1609, coupable de la destruction du temple protestant de Bélesta en 1615, condamné à la décapitation, sauvé par le conseil du roi en 1616…
Lorsque le curé du Belpech parle en 1618 du regreté messire de levis, s’agit-il de regrets de pure forme, inspirés par des considérations de bon voisinage ? ou s’agit-il d’un témoignage de fidélité à l’autre messire de levis, celui que nous méjugerions, dont Félix Pasquier, archiviste de la maison de Lévis, dit que la vie nous demeure mal connue, et qui aurait été un grand seigneur bon homme pour Sainte-Foy et la contrée environnante ?
Ci-dessus : église de Sainte-Foi, peintures monumentales de l’abside, fin du XIVe siècle, découvertes en 1950. Source : patrimoines.midipyrénées.fr.
Affaire à suivre encore, à partir de la patiente et lentissime consultation des archives…
Notes