Légendes urbaines – Café Restaurant Saint Félix et autres enseignes spiritueuses aujourd’hui disparues

 

Il faut lever la tête pour voir cette enseigne, peinte sur une poutre, à proximité de la maison de l’astronome Vidal, sous le couvert de la porte de Laroque. A la place de l’ancien café restaurant Saint-Félix, il y a aujourd’hui un autre restaurant.

 

J’ai photographié cette autre enseigne rue Vidal-Lablache. Elle surmonte l’entrée de service d’un café créé en 1783, qui avait son entrée principale au bord de la promenade Saint Antoine (aujourd’hui cours du Colonel Petitpied) 1Cf. La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°1 à 24..

 

Cherchez la date de 1783 sur la plate-bande qui surmonte la porte de l’actuel magasin.

Raymond Escholier évoque ce café dans Quand on conspire 2Cf. La dormeuse blogue : Raymond Escholier – Quand on conspire., roman publié en 1930. On reconnaît le quartier et la configuration des bâtiments. Le café, sur l’arrière, donnait, au XIXe siècle encore, accès à la ruelle qui, traversant jadis la propriété du marquis de Mirepoix et joignant ainsi à la maison, située à l’angle de la rue Vigarozy (autrefois rue Servant) et de la rue Vidal-Lablache (autrefois rue de la Trinité), qui appartenait aux Trinitaires, ouvrait sur le quartier du Béal (autrefois canal du moulon) 3Cf. Ibidem..

Ce café, dénommé Esquirol dans Quand on conspire, accueillait dans les années 1850 les Rouges, les Républicains – dont Louis Pons-Tande, grand-père de Marie Louise Escholier -, qui complotaient contre Napoléon III. Les autorités surveillaient l’endroit et, de façon plus générale, tous les lieux de réunion. Cf. La dormeuse blogue : Un arrêté de 1816 à propos des auberges, cabarets, cafés et autres lieux ouverts au public en Ariège.

Les rouges se réunissent, pour parler encore d’Elle [la République], une et indivisible, et conspirer contre l’homme sinistre de l’Elysée [Napoléon III], au café Esquirol, établi à l’autre bout de Saint-Gauderic [Mirepoix], dans un ancien couvent de Cordeliers [couvent des Trinitaires] qui possède des dépendances nombreuses, délabrées et solides comme de vieux chicots. Celles-ci donnent, par des couloirs compliqués, dans une ruelle déserte qui suit les bords du canal [le Béal].

Ils sont réunis dans une pièce voûtée et basse dont les murailles épaisses, creusées de niches, suent l’humidité, car elles ne virent jamais le soleil; Ils sont là au milieu d’un encombrement de vaisselle vinaire et dans un air saturé de moisissure. Point de fenêtre, une porte cintrée dont l’imposte, traversée d’une barre de fer, laisse seule passer l’air.

Le marchand de sportswear qui a remplacé ici le cafetier, me confirme que la « pièce voûtée et basse » existe toujours. Elle lui sert, dit-il, de réserve.

On sait par l’histoire d’Abraham Louis que le café où le tout Mirepoix des années révolutionnaires venait débattre des affaires du temps, était celui de Jean Baptiste Pas, situé rue de la porte del Rumat (aujourd’hui rue des Pénitents Blancs) et rue de Cambajou (aujourd’hui rue du Gouverneur Laprade), au n°120 de la section C, ou au n°175-169 du plan 2, ancien style 4Cf. La dormeuse blogue 3 : Les adresses d’Abraham Louis à Mirepoix ; Hypothèses sur la vie et l’histoire d’Abraham Louis, marchand colporteur, membre du Comité de surveillance du canton de Mirepoix de 1793 à 1795 – Première partie.. Raymond Escholier, au chapitre V de Quand on conspire, brosse un bref historique des cafés de Saint-Gauderic [alias Mirepoix] au tournant du XIXe siècle :

 

Clément Serveau, bois gravé pour Quand on conspire de Raymond Escholier.

Le café Sicardon fut longtemps le premier café de Saint-Gauderic. Les chapeaux noirs l’honoraient de leur clientèle. Toute la bonne bourgeoisie y venait, sans distinction d’opinion, ainsi que sur un terrain neutre. […].

D’autres cafés naquirent, essayèrent des airs plus modernes et plus pimpants. Les murailles imitèrent le marbre, le plafond devint un ciel traversé d’hirondelles, mais quoi ? Peinturlures que tout cela, et miroir aux alouettes. Les alouettes ne vinrent pas. Une réputation consacrée comme celle du café Sicardon s’acquiert avec le temps, ainsi qu’une bonne vigne, et quelques coups de pinceau, si habiles soient-ils, ne sauraient lui porter ombrage.

Cependant, le vent de la prospérité souffle où il lui plaît, et le café Sicardon eut, aussi bien que les grands, à pâtir des caprices de la fortune. […]. La politique vint envenimer le débat et les paisibles clients du café Sicardon se trouvèrent dressés les uns contre les autres comme des coqs de combat.

Les blancs, pour fuir les rouges, les rouges, par horreur des blancs, désertèrent la maison Sicardon ; des chapeaux noirs, bonapartistes, orléanistes, modérés et incolores, dérangés dans des habitudes fort anciennes, sortirent comme des grillons chatouillés au fond de leur trou par un brin d’herbe. […].

Après l’orage, le café Sicardon ne put recueillir que des épaves. Il connut la morne désolation d’une salle à peu près vide, où les tables de marbre se succédaient, blanches, froides, semblables aux icebergs de la mer polaire.

Quand la rivière débordée emporte un champ à droite, elle rend à gauche un morceau de bonne terre saturée de limon fertile. La cabale qui ravagea le vieux café Sicardon fit pleuvoir ailleurs une manne inespérée.

Verdets, carlistes, henriquinquistes, toute la cohorte des blancs courut au café Larose et fut pour lui les sept vaches grasses du songe de Jacob, tandis que les rouges, poussés par un courant contraire à l’autre bout de la ville, apportèrent la prospérité au café Esquirol. 5Raymond Escholier, Quand on conspire, V, p. 81-83, éditions Ferenczi, bois originaux de Clément Serveau, »Le Livre moderne illustré », 1930.

J’aimerais bien savoir où se trouvaient le café Larose et le café Sicardon. Clément Serveau, illustrateur de Quand on conspire, situe manifestement le café Sicardon à l’emplacement de l’actuel café Castignolles. Pourquoi pas ? L’illustrateur est parisien ; il doit probablement ici aux lumières de l’auteur, qui est d’ascendance mirapicienne et séjourne chaque été à Mirepoix. Mais quid du café Larose ? Raymond Escholier dit du café Esquirol qu’il se trouvait relativement au café Larose « poussé par un courant contraire à l’autre bout de la ville ». J’en déduis que le café Larose, où se réunissaient « verdets, carlistes, henriquinquistes, toute la cohorte des blancs », se trouvait à l’opposite du cours Saint Antoine (aujourd’hui cours du Colonel Petitpied), donc probablement cours Saint-Maurice (anciennement promenade de la porte de La Roque ; aujourd’hui cours Chabaud).

Le cours Saint-Maurice, à partir des années 1880, abritera sous l’ombre tigrée des platanes plusieurs autres cafés. Le Bascou 6Cf. La dormeuse blogue : Al Bascou, la maison de l’écorcheur ; La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Le quartier de Lilo – L’Isle et le Bascou., quant à lui, continuera d’être, aux abords des tueries 7Tuerie : abattoir ou affachoir., le siège de cabarets plus modestes. C’est alors l’époque de la Fée verte et des addictions qui s’en suivent.

 

 

Le ministère de l’Intérieur diffuse le 16 août 1914 une suite d’instructions visant à réprimer la vente d’absinthe. L’Allemagne vient le 3 août de déclarer la guerre à la France. La loi interdisant la « fabrication, la vente en gros et au détail ainsi que la circulation de l’Absinthe et des liqueurs similaires » est publiée au Journal Officiel le 17 mars 1915. La guerre pendant ce temps mange les hommes. Fin de l’âge d’or des cafés, à Mirepoix comme ailleurs.

Le périmètre des cafés mirapiciens par la suite se réduit quasiment à la place. Seules les cartes postales se souviennent encore de quelques unes des enseignes présentes jadis sous le Grand Couvert.

 

Ci-dessus : café Amouroux sous le Grand Couvert.

 

Ci-dessus : café Pelin, à l’angle du Grand Couvert et de la rue Jacques Fournier ; remplacé ensuite par une pâtisserie, puis un salon de thé.

 

Ci-dessus : réclame Byrrh, visible encore sur la porte d’Aval dans les années 1950.

Notes[+]

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