Régnants, dormants, quilles...

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Carte à jouer, 1800-1840, BnF.

Galba, Othon, Vitellius, Vespasien.
L’année des quatre empereurs,
c’était en 69 après Jésus-Christ, à Rome,
les trois premiers empereurs
sont tombés tous trois,
tour à tour, comme des quilles.
Le quatrième a régné dix ans
et bâti le Colisée,
aujourd'hui ruiné,
debout encore.
Le pape y vient achever
à la lueur des flambeaux
son chemin de croix du Vendredi saint.

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Giovanni Battista Piranesi, dit Piranèse, le Colisée à Rome, in Vedute di Roma, première édition parisienne, 1757.

Muhammad al-Mutawakkil, Abu Marwan Abd al-Malik, Dom Sebastião,
les deux premiers, sultans du Maroc,
le troisième, roi du Portugal.
L‘année de la bataille des Trois Rois,
c’était en 1578, à Ksar El Kébir, القصر الكبير,
les trois rois
sont tombés tous trois
tour à tour, comme des quilles.
Disparu, dit-on, plutôt que mort,
car retrouvé seulement plus tard,
son corps manquait après la bataille,
Sébastien Premier,
né posthume en 1554, roi en 1557,
avant-dernier roi de la maison d’Aviz,
branche cadette de la maison de Bourgogne,
serait depuis 1578
dormant quelque part,
sur l’île d’Incoberta,
absente des cartes,
d’où il reviendra
par un jour de brume,
sous le nom de O Encoberto
ou O Desejado,
d’aucuns le croient,
afin de sauver de sa fin annoncée
le grand royaume de Portugal.

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Batalha de Alcácer-Quibir, (Ksar El Kébir), 1578, Museu do Forte da Ponta da Bandeira, Lagos, Portugal.

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Sébastien Premier, O Encoberto ou O Desejado, dans l'île d'Incoberta. Illustration de Richard Andree, in Robinsonader frȧn alla verldsdelar, Stockholm, 1871.

Les Sept Dormants.
Ces jeunes gens étaient sept, dit-on,
et leur chien faisait le huitième,
c'était au temps de Trajan Dèce,
au IIIe siècle après Jésus-Christ.
Ils croyaient en Dieu
et refusaient de sacrifier aux idoles,
ce pourquoi ils s'étaient réfugiés
dans une caverne.
On aurait cru qu'ils veillaient
et cependant ils dormaient.
Dèce les fit emmurer.
Les sept jeunes gens et leur chien demeurèrent là,
trois cents ans, plus neuf, dit-on.
L'heure vient alors qu'un berger les réveille.
L’un d’entre eux demande :
Combien de temps sommes-nous restés ici ?
Un jour, répond l’autre, ou une partie seulement du jour.
Tel est le secret, qui reste entier,
des Sept Dormants.
Dieu sait mieux que personne
combien de temps ils y demeurèrent.
Les secrets de Dieu lui appartiennent.
Il n’associe personne à ses arrêts. 1

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Buste de Decius, Glyptothek de Munich.

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Les Sept Dormants. Source inconnue.

Drôles d'histoires que voilà,
fables ou emblèmes,
à la fois mêmes et autres !
Quel en est le motto
Quatre, trois sept, le nombre ?
Les quilles renversées ?
Auquel cas, qu'en est-il de la boule ?
Grandeur et décadence
des princes, des empereurs, des rois ?
Le mirage du temps ?
Le sommeil et la mort ?
La foi ?
La main de Dieu ?

Drôles d'histoires que voilà,
fables ou emblèmes,
à la fois mêmes et autres !

Quod maintenant de la subscriptio attendue ?
Il n'y en a pas.
Du moins, il n'y en a pas d'explicite.
Les images y suffisent peut-être,
ou peut-être pas.
À voir ou à rêver.
Les nombres chantent,
enchantent.
Les quilles qui tombent
épouvantent ou réjouissent. Les disparus reviennent
ou ne reviennent pas.
Le chien qui passe dans l'image
est un ami de toujours.

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Autres quilles, éditions de l'Idée libre, Paris, après 1911. Source incconnue.


  1. Librement inspiré de la Sourate XVIII du Coran.↩︎

Veni et vide...

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Je suis venue,
je me suis assise au bord de l'eau
miroitante,
sans prêter attention au mélange confus
de formes et de couleurs
qui flottait sous les arbres.
Puis j'ai bougé,
et j'ai vu paraître sur l'autre rive,
dans le bois mort qui s'arrête au détour,
un visage
là où il n'y avait auparavant
aucune apparence de forme humaine.
Anamorphosis !
Il suffisait de regarder
par un certain endroit
.
C'est la main de la Providence,
dixit Jacques Bénigne Bossuet,
le grand Bossuet 1,
qui, enfermant dans ses desseins
toutes les causes et tous les effets,
nous fait rencontrer le point
par où il faut regarder les choses,
et par là voir paraître l'Invisible
sous les dehors des formes et des couleurs.
Or d'où vient donc l'inquiétante étrangeté du visage
que l'Invisible chaque fois
tourne vers nous ?

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  1. Relire Jacques Bénigne Bossuet, Sermon sur la Providence (1762), Premier point.↩︎

L'herbe du soir

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L’herbe a mûri son parfum
sous la fenêtre, depuis le matin,
et il fait fruit le soir
à l’heure où la nuit vient.
Il entre alors par la fenêtre
grande ouverte,
il n’y a plus d’ailleurs,
ni dehors, ni dedans,
point d’hier, point de lendemain,
ici, l’on est vivant,
Eden redivived,
le silence respire
et l'instant passe ainsi
la promesse des mots.

L'odeur des roses

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Quand, s’éveillant un jour
à l’odeur des roses,
— Sensi, veni...
terram tremefeci
 —
les statues descendent de leur piédestal 1,
la terre tremble
sous leur pas.
Sais-tu pourquoi, là-bas,
le volcan s'est rouvert
?
Et les filles, toutes de chiffon,
fuient, petites,
sous le couvert des arbres,
grands voiliers ancrés aux parages
de Cythère.
Qu’y a-t-il de si vivant
dans l’odeur des roses,
au point que les roses,
elles-mêmes, l’ignorent ?
Le philosophe aime à parler ici
de causes occasionnelles...
C'est un peu court
pour un si grand mystère !


  1. Relire (Étienne Bonnot de) Condillac, Traité des sensations (1749-1754).↩︎

  2. Gérard de Nerval, Myrtho, in Les Chimères, 1854.↩︎

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