Retour à l’église de Mazerettes en septembre 2012 – 1. Questions relatives à la date d’exécution des fresques

 

C’est en 2008 que je me suis rendue pour la première fois à l’église de Mazerettes, où des fresques, jusqu’alors nulle part mentionnées, ont été découvertes en 1998 et restaurées en 2007. J’ai revu ces fresques en 2010, à l’occasion de la promenade organisée par le Pays d’Art et d’Histoire Entre Vals et Mazerettes, sur le chemin de Saint Jacques. Je suis retournée voir ces fresques au mois de septembre dernier, et je leur trouve à l’issue de cette visite un caractère toujours aussi étonnant, digne de susciter une étude plus poussée, laquelle malheureusement ne semble pas aujourd’hui être d’actualité. Je me suis attachée ici pour ma part à un simple relevé de quelques détails, plus ou moins significatifs ou curieux, sans autre prétention que celle de donner à voir.

 

Mauvaise surprise ! Restaurées en en 2007, les fresques se décollent et s’effritent à nouveau. Située dans la partie basse des fresques, l’Annonciation est désormais moins visible qu’en 2007. L’église se trouve construite en dévers, au creux d’une colline. Les eaux de ruissellement remontent dans les murs de l’édifice.

 

Comme on peut voir sur la photo ci-dessus, les fresques se présentent sous la forme d’une suite de tableaux, inscrits pour certains dans des cadres peints à l’ocre jaune ou figurés ailleurs, consécutivement peut-être à l’effacement de l’ocre, par un simple trait noir. Autour de ces cadres court par endroits, également peinte à l’ocre jaune, une frise à motifs de rinceaux, dont la hauteur varie en fonction de celle des tableaux et culmine à l’endroit du dernier tableau. A partir de la gauche, ou à l’ouest, les tableaux se déclinent d’abord sur deux lignes, qui se lisent de bas en haut ; ils se déploient ensuite sur une seule ligne, atteignant dès lors une taille plus majestueuse, en allant vers la droite, ou vers l’est. La composition se trouve ainsi symboliquement orientée, comme l’église, dans le sens de ce qui vient : la lumière, la vie, le règne de Dieu. Les fresques représentent successivement l’Annonciation ; la décollation de Saint Jean Baptiste, prophète de la venue du Messie ; l’entrée du Christ à Jéricho ; la Crucifixion ; la mise au tombeau ; la Résurrection. J’y reviendrai dans un article suivant. Je me borne à constater ici que, conformément au mode de représentation initié à l’époque médiévale, la découpe de l’espace peint, telle qu’on peut la voir à l’église de Mazerettes; symbolise de gauche à droite celle du temps, et, plus originairement encore, de bas en haut, et d’ouest en est, celle du temps comme succession des âges du monde par où s’accomplit l’histoire du Salut.

 

Ce genre de composition, dont la bande dessinée est aujourd’hui la lointaine descendante, se rencontre fréquemment dans les peintures murales datées du XIIIe et du XVIe siècle, à la fois en Languedoc et en pays d’oil.

Trois exemples ci-dessus, empruntés à la peinture murale du Languedoc : 1. chapelle privée de l’Abbé Auger de Gogenx à l’abbaye de Lagrasse 1Cf. Belcaire-Pyrénées.com : Abbaye Sainte-Marie de l’Orbieu, 2e partie, Aude, XIIIe siècle. ; 2. Eglise de Loubens, Ariège, XVe siècle ; 3. Saint-Martin d’Antist, Hautes-Pyrénées, datation non établie 2A propos des fresques de Saint-Martin d’Antist, cf. l’excellent article de Marc Salvan-Guillotin : Les Peintures murales d’Antist, in Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t. LVI, , p. 121, 1996..

 

 

Les fresques recouvrent mal, encore visible en transparence, une litre, i. e. une bande peinte, de couleur noire, marquée souvent aux armes du défunt, placée sur le pourtour des murs intérieurs et parfois extérieurs de l’église lors des obsèques d’un seigneur.

 

 

Deux inscriptions, malaisément visibles ci-dessus, mentionnent la date de 1533. Jean V, seigneur de Mirepoix, est mort le 8 mai 1533. La litre qui court sous les fresques pourrait avoir été peinte à l’occasion de ce décès, ainsi que la date correspondante. Auquel cas, la dite ne serait pas forcément celle des fresques.

Philippe de Lévis, frére de Jean V, est en 1533 évêque de Mirepoix. Il aime à résider durant les mois de la belle saison, dans la petite maison forte, dite “Tour de Madame”, située à côté de l’église de Mazerettes. C’est dans cette maison forte, rénovée et embellie par ses soins, qu’il reçoit en novembre 1533 “messeigneurs les enfants de France et les Roy et Reyne de Navarre”, i. e. le futur Henri II, Marguerite, qui sera duchesse de Savoie, Henri II d’Albret, et Marguerite de Valois, soeur de François Ier. Philippe de Lévis peut avoir été à cette occasion le commanditaire des fresques. La date inscrite à deux reprises sur le mur serait alors celle de l’exécution de l’oeuvre.

 

L’exécution des fresques toutefois étonne. On connaît par ce qui reste des antiphonaires le goût raffiné de Philippe de Lévis. Mais, alors âgé de 67 ans, Philippe de Lévis est malade et mourra en 1537. Il se peut aussi que, tardivement avisé de la venue des souverains, Philippe de Lévis ait dû faire appel aux seuls artistes immédiatement disponibles, et que ceux-ci aient exécuté leur commande de façon précipitée.

 

La frise qui court sous le tableau de la Résurrection comporte bien un blason, mais, outre que celui-ci ne se trouve point attaché à la litre, il ne correspond pas au blason de la maison de Lévis, qui est d’or à trois chevrons de sable, comme on sait. Le blason est ici à bande, qui va de l’angle dextre du chef à l’angle senestre de la pointe. Il se trouve possiblement chargé de meubles qu’on ne voit plus. Le mystère d’un tel blason à ce jour reste entier. Le plus connu des blasons à bande est celui de la maison de Bourbon, dit « d’azur semé de fleurs de lys d’or à la bande de gueules ». Que viendrait-il faire ici ? Certes Antoine de Bourbon épousera le 20 octobre 1548, à Moulins, Jeanne d’Albret (née le 16 novembre 1528), fille des Roy et Reyne de Navarre, i. e. des illustres visiteurs de Mazerettes en 1533. Mais ce sera là quinze années plus tard.

 

L’un des tableaux dans la suite de fresques représente le festin d’Hérode et la décollation de Saint Jean Baptiste. Curieusement, tandis que Saint Jean conserve sa tenue antique, les personnages du banquet, hommes et femmes, portent, eux, des costumes de style Renaissant. Il s’agit là toutefois d’un élément de datation décisif, indiquant que les fresques ne peuvent être antérieures au XVIe siècle.

 

 

Concernant le traitement des figures féminines présentes, dans le tableau de Mazerettes, à la table d’Hérode, ci-dessus, à titre de comparaison, trois portraits de Marguerite de Navarre, l’illustre visiteuse de 1533, représentée à trois âges de sa vie par Clouet.

 

 

 

Concernant le traitement des figures masculines présentes à la même table d’Hérode, voici maintenant, peints par un contemporain anonyme, deux portraits d’Henri d’Albret, roi de Navarre, illustre visiteur lui aussi de 1533.

 

La table du festin elle-même, avec ses mets et ses ustensiles, ne diffère pas sensiblement de celle qu’on voit représentée dans les oeuvres du XVe siècle. On y trouve semblablement les tranchoirs et les coupes, ainsi que la grande et belle nef, ustensile de prestige destiné à contenir les couverts et les épices du maître de maison. Les premières fourchettes, trop récentes, n’y figurent pas. Le festin se donne ici loin de Paris et de ses inventions inconnues.

 

Ci-dessus : miniature des Faits et gestes d’Alexandre, per le Maître viennois de Marie de Bourgogne, enlumineur, fin du XVe.

 

Ci-dessus : détail du festin d’Hérode, XVe siècle, Vaudreuille, église Saint Martin.

 

Ci dessus, de gauche à droite : Très riches heures du duc de Berry, miniature du mois de Janvier, oeuvre des frères Limbourg, XVe siècle ; Anonyme français, Les apprêts du festin, détail, XVIe siècle.

 

L’impression générale est, au vu des aspects plus ou moins datables propres aux fresques considérées, – modernité des costumes et archaïsme des apprêts de table -, celle d’une oeuvre marquée par le souci de représenter le siècle naissant, mais empreinte encore du souvenir du siècle précédent, par là témoin d’une sorte de laps culturel, dont elle tire à la fois son charme spécifique et son étrangeté.

Les fresques de l’église de Mazerettes
Entre Vals et Mazerettes, sur le chemin de Saint Jacques
A Vaudreuille, Haute-Garonne, et à Mazerettes, Ariège, deux représentations du festin d’Hérode

Notes[+]

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