La dormeuse blogue

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Les fresques de l’église de Mazerettes

Située à proximité immédiate de l’ancienne résidence d’été des évêques de Mirepoix, la petite église de Mazerettes naguère encore menaçait ruine. En 1998, les travaux de restauration révèlent la présence d’une série de fresques, cachées sous l’enduit qui recouvrait les murs de la nef. Ces fresques datent de 1533, i. e. de l’époque de Philippe de Lévis (1466-1537), 24ème évêque de Mirepoix.

Evêque bâtisseur, inspiré par le style la Renaissance italienne, Philippe de Lévis crée le palais épiscopal attenant à la cathédrale de Mirepoix. A Mazerettes, il fait transformer afin d’y élire domicile la petite maison-forte, dite « Tour de Madame », attribuée à la mense épiscopale par le pape Jean XXII en 1317 1. Réaménagée à grands frais, cette maison-forte, connue plus tard sous le nom de « château de Mazerettes », fut la résidence d’été de François Tristan de Cambon (1716-1791), dernier évêque de Mirepoix, illustre mainteneur des Jeux Floraux (fauteuil 22). Elle sert de cadre à Dansons La Trompeuse, roman publié en 1926 par Raymond Escholier.

Au regard de la date de 1533, on peut attribuer à Philippe de Lévis, mécène, l’existence des fresques qui ornent le mur Nord de l’église de Mazerettes.

Monseigneur de Lévis, en 1533, a 67 ans. Il ne lui reste plus que 4 ans à vivre. On imagine, non sans émotion, l’impatience de cet homme vieillissant qui se rend sur le chantier pour vérifier l’avancement des travaux. Il traverse l’arrière-cour de sa maison, emprunte le sentier adjacent, longe les murs crénelés du parc. Arrivé à la barbacane, il traverse la route, contourne les tombes éparses autour de l’église, pénètre dans la nef. Les fresques s’étendent sur plus de la moitié du mur Nord, à gauche de l’autel.

A gauche : le Festin d’Hérode, puis, plus bas à droite, l’entrée du Christ à Jérusalem ; au centre : la Crucifixion et la Mise au Tombeau ; à droite : la Résurrection.

Conformément aux instructions de Philippe de Lévis, les fresques représentent le Festin d’Hérode et la Décollation de Saint Jean, l’entrée du Christ à Jérusalem, la Crucifixion, la Mise au Tombeau et la Résurrection du Christ. Trois moments de la Révélation. Trois moments d’une histoire qui est celle de la Grâce, mais aussi, de façon plus secrète, trois moments de sa vie à lui, Philippe de Lévis, revue et réinterprétée à l’ombre de la mort prochaine. Nativement assis à la table des princes, engagé plus tard sur le chemin de la Jérusalem céleste, bientôt parvenu aux portes de la vie éternelle…

De façon implicitement référente au schème joachimite des âges du monde, – l’Age du Père (Ancien Testament), l’Age du Fils (Nouveau Testament), l’Age du Saint Esprit (la Parousie) -, Philippe de Lévis condense ici, en une sorte de memento édifiant, le sens auquel prétend la vie de tout Chrétien.

La distribution des fresques en trois épisodes représentant chacun un âge du monde, assigne à Jean le Baptiste, ici désigné en tant que prophète, un rôle primordial, celui de fourrier de l’Age nouveau, partant, celui d’agent de la Révélation. Frère de Jean V, Maréchal de la Foi, seigneur de Mirepoix, Philippe de Lévis rend ici à son protecteur un hommage ultime, puisque, vieux et perclus, Jean V de Lévis meurt le 8 mai 1533. Informé des premiers troubles religieux, l’évêque de Mirepoix entend peut-être aussi capitaliser sur la tête de Jean V la réputation de parfaite catholicité dont jouit sa maison depuis Gui I, ex-lieutenant de Simon de Montfort dans la guerre contre les Albigeois, et Gui III, membre de la huitième croisade en Terre Sainte, promoteur de la reconstruction de Mirepoix sur la rive gauche de l’Hers, après la terrible inondation de 1289.

On sait qu’en novembre 1533, Philippe de Lévis reçoit à Mazerettes « messeigneurs les enfants de France et les Roy et Reyne de Navarre » 2, i. e. le futur Henri II, Marguerite, qui sera duchesse de Savoie, Henri II d’Albret, et Marguerite de Valois, soeur de François Ier 3. Il leur fournit ainsi, de façon opportune, l’occasion d’admirer les fresques, partant, celle de vérifier l’engagement de sa maison au service de la sainte Foi.

De façon surprenante pour un visiteur moderne, tous les personnages du festin d’Hérode sont vêtus de costumes Renaissants, i. e. contemporains de la date de réalisation de la fresque. Ils portent en l’occurrence les mêmes vêtements de cour que les royaux visiteurs de Mazerettes. Plus loin, les soldats qui somnolent au pied de la Croix, sont représentés en armure, dotés des armes qui ont servi à la bataille de Marignan. On aimerait savoir ce que le roi et la reine de Navarre ont pensé de cette représentation en abîme, laquelle ne laisse pas de rappeler que même le plus puissant des rois ne règne sur rien, car le véritable royaume n’est pas de ce monde. Des vertus d’une bande dessinée spirituellement ou eschatologiquement subversive…

De gauche à droite : Léonard Limosin, Jean II d’Albret, émail peint ; Jean Clouet, Marguerite de Valois, circa 1530 ; François Clouet, Marguerite de France enfant ; Corneille de Lyon, Henri II adolescent, circa 1536.

Monseigneur de Lévis a la direction de conscience superbement courte et frappante. Il l’exerce ici sous l’auspice de Saint Genest, auquel l’église de Mazerettes doit son patronyme. Saint Genest, comédien romain, dont on dit qu’une fois devenu chrétien, il fut mis à mort par Dioclétien.

Le monde d’aujourd’hui n’a, en apparence, plus rien de commun avec celui de Philippe de Lévis. Le visiteur moderne, que j’incarne ici, s’étonne de voir, sur les fresques de Mazerettes, des personnages bibliques vêtus en costumes de la Renaissance. La représentation d’Hérode en fraise et en pourpoint, celle d’Hérodiade et de Salomé, également en fraise et en robe de cour, a de quoi faire sourire. Au moins de prime abord.

J’ai ensuite réalisé qu’il ne faut pas voir l’anachronisme là où il n’est pas. Dans ce qu’il a de diachronique, le temps des hommes n’est pas celui de la Révélation. Hérode et Jean II d’Albret, Hérodiade et Marguerite de Valois se confondent au regard de la Promesse faite semblablement à chacun d’entre eux. Ils demeurent contemporains d’un événement qui se déploie de façon mystérieusement synchrone à partir de l’attente de la fin des temps, i. e. à partir de la Grâce dispensée par avance à quiconque se montre désireux de la recevoir.

La représentation de personnages bibliques en costumes du XVIème siècle a ici fonction d’ekphrasis. A ce titre, elle prétend susciter non seulement l’émotion, mais, par effet d’identification, « l’intériorisation de l’émotion, le passage de l’objectif au subjectif » 4, passage à l’issue duquel, et à l’issue duquel seulement, « l’émotion devient vision » 5.

Sommes-nous aujourd’hui passibles d’une telle vision ?

La question se pose relativement à toutes les images qui, dans le cadre du patrimoine, témoignent d’une spiritualité et d’une esthétique aujourd’hui largement oubliées ou méprisées.

Substituant l’imagination à l’émotion proprement visionnaire, le moderne visiteur de l’église de Mazerettes doit se représenter lui-même, vêtu de ses propres vêtements, parmi les personnages qui incarnent sur le mur l’histoire de la Révélation. Si l’imagination concourt à cette insolite représentation, il se rend alors capable de comprendre et, en quelque façon, de vérifier, le sens que Philippe de Lévis assignait à cet exemplum.

Je m’y suis, pour ma part, essayée misérablement…

Notes:

  1. Cf. Jeanne Bayle, Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, tome LXVI (2006), séance du 7 février, « Le château épiscopal de Mazerette à Mirepoix au XVIe siècle » ↩︎

  2. Joseph-Laurent Olive, Mirepoix en Languedoc et sa seigneurie, Du Moyen-Age à la Révolution, p. 100 ↩︎

  3. Ibid. ↩︎

  4. Gilbert Dagron, Décrire et Peindre, Essai sur le portrait icônique, Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2007, p. 100 ↩︎

  5. ibid., p. 94 ↩︎

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dans: Ariège, art, églises, Mirepoix.

1 commentaire au sujet de « Les fresques de l’église de Mazerettes »

  1. Martine Rouche

    Une fois de plus, La Dormeuse me prend par la main, m’entraîne au-delà de ce que j’avais cru voir et me montre l’évidence.
    Je n’aimais pas ces fresques restaurées ni ne les comprenais. J’avais aussi le regret que la litre funéraire n’ait pas été jugée assez intéressante.
    En réalité, je n’aime pas la restauration qui a été appliquée à ces fresques et qui me gêne. Je la ressens comme un obstacle. Je n’arrive pas à retrouver le chemin de la fresque, de plus il me manque tant d’outils, de connaissances que je me sens démunie. Le personnage à la couronne royale, lui aussi, brouille ma vue, il me fait peur. Je trouve ces fresques crues.
    Or, paradoxe, la lecture de La Dormeuse montre un chemin (une fois de plus!) et ouvre des portes. Je n’avais pas assez réfléchi ni même fait intervenir la chronologie. Voilà: la restauration a agi comme une distraction.
    Il me faut y revenir…

  2. La dormeuse

    « L’évidence » ?
    Il s’agit d’une interprétation personnelle. Elle ouvre peut-être des pistes. Mais elle reste à discuter. Il faudrait pouvoir aller plus loin.

  3. La dormeuse

    « L’évidence » ?
    Il s’agit d’une interprétation personnelle. Elle ouvre peut-être des pistes. Mais elle reste à discuter. Il faudrait pouvoir aller plus loin.

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