C’est l’artiste ici, Paul Rouard himself, que l’on voit marcher sous le couvert, en arrière-plan de l’affiche installée à l’entrée de la salle d’exposition. Le style de l’homme se retrouve dans l’oeuvre peint. Energie du mouvement, façon d’aller au devant.
L’artiste part de photos, puis passe par la médiation du dessin. L’oeuvre peint naît de la combinaison ou de la fusion d’une suite de dessins. L’effet recherché est celui d’une présence forte, de type expressionniste, qui fait valoir l’intensité des regards, le secret des personnes, la libre palpitation de l’instant.
La vie est là dans la peinture de Paul Rouard, la vie avec sa charge d’âmes, dont le mystère se donne à voir sans s’expliquer, abîmé dans son évidence même.
Jouant ici avec le possible de la narrativité, l’artiste fait lever à partir du point rouge de la cigarette, la curiosité de l’invu et, comme un frisson, celle de l’histoire dont la suite, déjà advenue, se réserve hors champ, là-bas sur l’autre scène, – à charge pour celui qui l’ose de marcher à la rencontre du personnage peint, d’entrer dans l’espace du tableau, et et de s’y exposer à son tour à la commination des ombres.
Je me suis demandé d’où vient l’action, la pesée, que la peinture de Paul Rouard exerce sur la sensibilité du spectateur. Il y a souvent l’obliquité des lignes, qui dramatise le plan, celle du point de vue en contre-plongée, ou quelquefois en plongée ; d’autres fois encore la fixité des regards qui sont légion ; ou ailleurs l’énigme de la chair sans visage, détaillée comme celle d’une descente de croix. Balançant entre hyper-réalisme et expressionnisme, l’artiste, qui est belge, emprunte, semble-t-il, dans ce balancement quelque chose à la tradition des maîtres flamands et wallons, une sorte de violence baroque, qui me fait souvenir à la fois d’Ensor et de Magritte, ou de Ghelderode et de Crommelinck.
Les quelques paysages surprennent. La palette toutefois reste sombre, sourde, éloignée du soleil. Le graphe, peint sur la cabane, derrière les vaches, ajoute au paysage comme une grimace, une pointe de sarcasme. Sage comme une image, la représentation du magasin Epece, avec sa poubelle, emprunte au regard de l’ironie sa charge critique, non exempte de mélancolie tendre sans doute. J’aime beaucoup cette ambiguïté du point de vue.
Paul Rouard s’installe en Ariège. Il sera intéressant de voir ce qu’il advient de sa palette, de son humeur, de son regard, dans ce nouveau lieu, sous une autre lumière, un autre climat, ou, comme on dit, sous d’autres cieux.