Masques animaux et bêtes de toile – Quatrième journée de printemps de l’histoire locale à Mirepoix

 

Ci-dessus : relevée d’après le dessin en relief découvert dans la grotte des Trois Frères (Ariège), figure dite du Sorcier, datée de l’époque magdalénienne (paléolithique supérieur) ; Claude Achard conférencier.

Samedi dernier 31 mars, à l’occasion de la quatrième journée de printemps de l’histoire locale à Mirepoix, nous avions rendez-vous avec le Sorcier de la grotte des Trois Frères, alias Claude Achard – à qui sa grand-mère avait fabriqué un costume de diable -, venu tout exprès de Pézenas pour nous raconter en images l’histoire des mutations carnavalesques sous le couvert desquelles quelque chose des anciens rites chamaniques et de la pensée magique s’est perpétué à travers les âges et subsiste aujourd’hui encore.

Le Sorcier, qui danse, arbore des bois de cerf, une barbe de blaireau, des yeux de chouette, des pattes et un sexe de félin, une queue de cheval. Il questionne sous ce masque composite, dans le cadre d’un rituel dont nous ne savons rien, l’énigme de la relation que l’homme entretient avec le règne animal, et, par extension, avec la nature entière, dont les forces sur-puissantes requièrent tout à la fois d’être célébrées et conjurées.

 

 

Claude Achard observe que le port de masques animaux se perpétue par voie de tradition carnavalesque dans toutes les régions du monde, et plus spécialement dans le Midi de la France, en pays provençal, languedocien, basco-béarnais, et roussillonnais. Il évoque à cette occasion la Tarasque de Tarascon, le Drac de Beaucaire, le Babau de Rivesaltes, la Bédarasque de Bédarieux, le chameau de Béziers, le Poulain de Pézenas, l’Ane de Gignac, le Boeuf de Mèze, le Picart de Saint-Jean de Fos, le Hérisson de Roujan, la Tortue de Lignan, le Chevalet de Montpellier, etc. Prudemment, il évite de parler de l’Ours, sujet qui fâche, comme on sait.

 

Claude Achard a l’accent et la verve des conteurs d’antan. L’histoire du Chameau de Béziers, telle qu’il nous l’a racontée, nous a enchantés.

Le Chameau est arrivé à Béziers avec Saint Aphrodise. Prêtre d’Apollon à Héliopolis, Aphrodise a l’heur de recevoir la Sainte Famille lors de la fuite de cette dernière en Egypte. Constatant après le passage de la Sainte Famille que toutes les idoles dans les temples sont tombées, il part sur son chameau demander le baptême à Saint Baptiste, puis, toujours sur son chameau, gagne Rome à la suite de Saint Pierre. Il passe ainsi pour le premier converti de l’histoire de la chrétienté. Il sera par la suite, toujours sur son chameau, le premier évêque de Béziers. Il meurt martyr, décapité sur ordre de Julius Publius Vendex, gouverneur de la province. Les soldats jettent la tête d’Aphrodise dans un puits. Mais l’eau du puits remonte soudain jusqu’à la margelle, et Aphrodise s’approche du puits pour reprendre sa tête, puis repart, sa tête sous le bras, en direction de la grotte où il a coutume de se rendre pour méditer. Là, il se couche, tête bien posée à côté de lui, et c’est là justement, quelques siècles plus tard, que se trouve la crypte de la basilique Saint Aphrodise. Claude Achard rapporte que dans son enfance les Bitterois avaient coutume d’aller à la basilique baiser la tête de Saint Aphrodise et de joindre à ce baiser l’obole d’une pièce de 5 francs.

Qu’advint-il du chameau ? Il fut confié à Raymond Lederius, rapporteur de la coutume de Béziers. Il demeure choyé depuis lors et sorti les jours de fête. On nomme papari (soldat du pape) l’homme qui a l’honneur de mener le chameau. Le papari va environné de quêteurs déguisés en femmes.

 

Ci-dessus : l’Ane de Gignac en 1920; le Boeuf de Mèze, par la gueule duquel tous les enfants de la ville, chaque année, se font fort de passer et repasser.

 

Ci-dessus : le Piquart de Saint-Jean de Fos ; le Boeuf de Mèze aujourd’hui ; le Babaou de Rivesaltes.

 

Ci-dessus : le Hérisson de Roujan ; la Tortue de Lignan.

 

Ci-dessus : le Poulain de Pézenas dans les années 1900.

 

Ci-dessus : le Poulain de Pézenas aujourd’hui, portant Estienne et Estiennette sur son dos, avatars, dit-on, des Grandgousier et Gargamelle de Rabelais.

 

Ci-dessus : le Poulain de Florensac.

 

Ci-dessus : le Chevalet de Montpellier ; le Chevalet de Mèze.

Parmi les bêtes de toiles, anciennes ou d’invention récente, Claude Achard évoque plus longuement le Chevalet, ou Chibalet, ou cheval-jupon, qui a connu depuis le Moyen Age une fortune considérable, non seulement dans les pays d’Oc, mais aussi dans les pays d’Oïl, en Belgique, en Allemagne, en Flandres, en Pologne, etc.

Responsable du Chevalet de Montpellier au XVIIIe siècle, la corporation des jardiniers fournissait les cavaliers-jupon, ostensiblement féminisés par le rouge de leur maquillage, ponctué de mouches, à la façon des coquettes. Les cavaliers-jupon de Valros sont par la suite vêtus de rose, tandis que les jeunes filles qui les accompagnent sont en bleu. Les cavaliers-jupon de Capestang portent fièrement, quant à eux, des chapeaux de femme.

Le port du Chevalet se trouve rendu plus spectaculaire encore par les danses à l’invention desquelles il a depuis le XIXe siècle fourni prétexte. Le Chevalet se dansait d’abord à trois dans la coutume de Mèze. Il se danse aujourd’hui à cinq. Les jeunes filles désormais, s’y adonnent elles aussi, dès l’école.

De la petite histoire des masques animaux et bêtes de toile, si plaisamment racontée ici par Claude Achard, il ressort que, sous le couvert des masques et des toiles, ce sont toujours les mêmes très anciennes questions qui travaillent l’imaginaire contemporain : quid de l’humain face à la sur-puissance de la nature ? face à la puissance animale ? quid de l’humain dans la différence des sexes et des genres correspondants (ou pas) ?

Les cités du Midi en mal de fêtes se plaisent en tout cas à ressusciter la tradition des animaux-totems, et leurs habitants ainsi que les touristes suivent. Animaux-totems ressuscités et animaux nouvellement promus au rôle de totems voisinent ainsi dans nos régions pour le plus grand plaisir de tous. Le génie touristique ici n’explique pas tout. Quelque chose d’un imaginaire trans-âge trouve à se nourrir obscurément du retour des masques animaux et des bêtes de toile.

Claude Achard, professeur de lettres et ethnologue de longue patience, est l’auteur de nombreux articles, dont Animaux totémiques de l’Hérault sur Wikipedia, ainsi que des ouvrages suivants :

Claude Achard, Poulains & bestiaires magiques, Atelier Tintamarre, Association Fin’Amor, 34370 Maraussan.
Claude Achard, Les uns et les autres, dictionnaire satirique pour le département de l’Hérault et quelques contrées d’Occitanie, éditions Domens, Pézénas, 2003.
Claude Achard, La ballade des totems dans l’Hérault: Bestiaire fantastique, éditions du Conseil Général de l’Hérault, 1981.

Claude Achard sera présent et signera ses livres, le dimanche 1er juillet, au prochain Salon du Livre d’Histoire locale à Mirepoix.

Ci-dessus : Le Lajkonik de Cracovie, ou le cavalier-jupon polonais.

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