Ci-dessus : Louis Carrogis (1717-1806), dit Carmontelle. Le juif Salomon. Fin du XVIIIe siècle. Source : Base Joconde.
Parmi la foule de beaux dessins qu’a laissés Louis Carrogis, dit Carmontelle, — lequel descend, je le rappelle, d’une famille de la Bastide de Bousignac ((Cf. Christine Belcikowski. A propos de Carmontelle. Car, à Mirepoix, il y a une rue Carmontelle…)) —, j’ai remarqué ce portrait dédié au « juif Salomon », car j’y ai trouvé prétexte à tenter de me représenter, non point l’apparence physique d’Abraham Louis, « le Juif » ((Ainsi se trouve-t-il souvent dénommé dans le registre municipal des années 1790.)), mais le costume que le Citoyen Abraham Louis, marchand, pouvait porter dans le Mirepoix des années 1790. ((Cf. Christine Belcikowski. Au-delà du fleuve. L’histoire d’Abraham Louis. A paraître prochainement.))
Né en 1744, Abraham Louis avait en 1791, lors de son arrivée à Mirepoix, quarante-sept ans. On doit donc se garder de se le représenter sous les traits, manifestement plus âgés, qui sont ceux du « juif Salomon ».
Le costume du « juif Salomon », en revanche, m’a semblé pouvoir être celui-là même qu’Abraham Louis a porté dans sa boutique ((D’abord au bas de l’immeuble que l’on désigne aujourd’hui sous le nom d’ancien hôtel Montségur ; ensuite au bas de la maison des Consuls.)), aux réunions du Comité de surveillance de la commune, ou encore au café Pas ((Nanti de deux entrées, le café se trouvait établi rue de la porte del Rumat (aujourd’hui rue des Pénitents Blancs) et rue Cambajou (aujourd’hui rue du Gouverneur Laprade), au n° 120 de la section C, ou aux nºˢ 175-169 du plan 2, ancien style.)), lors de l’altercation, aujourd’hui devenue historique, qui éclate le 21 germinal an III (10 avril 1795) entre lui et Paul Malroc de Lafage :
Abraham Louis — Que foutre, vous fermez la porte !
Paul Malroc — Tu es un foutre gueux, et un tas de foutus coquins qui avez signé pour arrêter et condamner ; s’il en étaient plusieurs comme moi, ils arracheraient les entrailles au comité !
Les spécialistes du costume observent que les composantes de ce dernier n’ont guère changé au cours du XVIIIe siècle. Le costume, à partir de la Révolution s’est seulement simplifié. Sauf dans la paysannerie, et bien que la noblesse se distingue du tiers-état par l’emploi d’étoffes plus précieuses, les hommes portent tous longue veste, justaucorps, culottes courtes, bas, souliers à boucle, et tricorne. C’est là tout justement le costume qu’on voit au « juif Salomon » sur le dessin de Carmontelle. C’est là donc très probablement aussi le costume qu’a porté Abraham Louis dans sa tranche de vie mirapicienne.
Reste à imaginer le physique de l’homme de l’algarade du café Pas, âgé de de cinquante-et-un ans alors, dont le récit de ladite algarade donne à penser qu’il était vigoureux, et quoique très maître de ses nefs, fort de tempérament, capable en outre d’un verbe aussi flamboyant impromptu que celui du muscadin qui fut son ennemi politique.
Quand la recherche historique donne à voir, ou presque, avec les yeux de l’imagination, un homme, quasi inconnu, qui a vécu à Mirepoix, « la petite ville », il y a si longtemps, c’est beau comme une rencontre — n’est-il pas ?