A propos de Carmontelle. Car, à Mirepoix, il y a une rue Carmontelle…
Carmontelle (1717-1806) ne se nommait point Carmontelle, mais Louis Carrogis. J’emprunte les renseignements qui suivent, au Dictionnaire critique de biographie et d’histoire d’Auguste Jal :
« Louis Carrogis était fils d’un cordonnier de la rue du Coeur-Volant, ce que ses contemporains paraissent n’avoir pas su, ou ce qu’ils oublièrent si bien qu’aucun d’eux n’en a transmis le souvenir à la génération qui les suivit. « Philippe Carrogis, maître cordonnier, fils de Jean Carrogis et de Jeanne Cayrol, demeurant rue du Coeur-Volant, paroisse Saint Sulpice », épousa, « le 9 novembre 1711, Marie-Jeanne Eybelly, fille de Michel Eybelly, aussi maître cordonnier, demeurant rue des Vieux-Augustins », (Reg. de Saint-Eustache.)
Philippe Carrogis était né le 14 juillet 1677, et avait été baptisé a Saint-André, église paroissiale de La Bastide de Bousignac-lez-Mirepoix : Jean Carrogis, son père, était un habitant de La Bastide, un simple cultivateur. Il envoya son fils à Paris, où celui-ci était compagnon cordonnier — probablement chez Eybelly — lorsqu’en 1709 il demanda à son père son consentement et un mariage, qui ne fut fait qu’un peu moins de deux ans après, le père Eybelly ayant voulu que son gendre fût un homme établi. Que ne peut l’amour ? Philippe Carrogis travailla, accomplit les six années de stage exigées par les statuts de tout compagnon de province qui voulait épouser la fille d’un Maître, fit son chef-d’oeuvre, paya 578 livres pour la maîtrise, 30 livres pour le brevet ; prit boutique rue du Coeur-Volant, et conduisit à l’autel Marie-Jeanne Eybelly, dont il s’était fait aimer. De leur mariage suivirent au moins cinq enfants, dont Louis Carogis, né le 15 août 1717, et qui eut pour parrain Louis Bréchot, épicier. » 1Dictionnaire critique de biographie et d’histoire, 2e édition corrigée et augmentée d’articles nouveaux, pp. 317-318 / par Auguste Jal (1795-1873) / Éditeur : Henri Plon, Paris, 1872.
Après avoir enseigné les mathématiques aux enfants de la noblesse, puis servi de topographe dans le cadre de la Guerre de sept ans, en 1763 Louis Carogis entre en qualité de lecteur au service du duc d’Orléans. Là, il devient bientôt l’organisateur des fêtes ducales, puis de celles de l’aristocratie parisienne toute entière. Il se fait désormais appeler Louis de Carmontelle. En 1785, suite au décès du duc d’Orléans, il entre au service du fils de ce dernier, le duc de Chartres, futur Philippe-Egalité, chez qui il conserve sa qualité de lecteur.
Ci-dessus : Carmontelle, Louis-Philippe, duc d’Orléans, et son fils Louis-Philippe-Joseph, duc de Chartres.
Carmontelle est d’abord apprécié pour les comédies et proverbes 2Cf. Gallica qu’il compose afin d’animer les soirées du grand monde et qu’il fait jouer par les Grands eux-mêmes.
Ci-dessus : couverture de l’une des premières comédies de Carmontelle.
Carmontelle se trouve ensuite très recherché pour les dessins qu’il croque sur le vif et qu’il offre ensuite à ses illustres modèles. Quoique autodidacte en la matière, « il peignait et dessinait avec goût, ce qui lui procura le plaisir de tracer les portraits de presque tous les personnages du siècle qui se sont signalés par leurs talents et illustrés dans la carrière des sciences et des lettres » 3C. de Méry, « Vie de Carmontelle », préface aux Proverbes dramatiques de Carmontelle, tome 1, p. IX, chez Delongchamps Libraire, Paris, 1822.. A noter que Carmontelle conservait chaque fois un double de ses dessins, de telle sorte que ceux-ci nous sont parvenus presque tous et demeurent visibles au musée Carnavalet et au château de Chantilly.
Ci-dessus : Carmontelle, Madame la Marquise du Deffand.
Ci-dessus : Carmontelle, David Hume au clavecin.
Ci-dessus : Carmontelle, La famille Mozart.
Ci-dessus : Carmontelle, La malheureuse famille Calas (1765). Légende : « La Mère, les deux Filles, avec Jeanne Viguière, leur bonne Servante, le Fils et son ami, le jeune Lavaysse ».
Ci-dessus : Carmontelle, Narcisse, le nègre de Monseigneur le Duc d’Orléans.
Carmontelle est également un ancêtre lointain du cinéma, avec ses célèbres « transparents ». Il s’agit d’espèces de tableaux mouvants, représentant des scènes de la vie ou des paysages, peints sur des rouleaux de papier très fin ou de toile, que Carmontelle tendait entre deux bobines installées devant une source de lumière, et qu’il faisait défiler entre ces bobines de façon à donner aux spectateurs l’impression qu’ils se promenaient eux-mêmes dans l’espace peint.
- Cf. Musée Paul Getty :
Carmontelle’s Transparency/Figures Walking in a Parkland, Personnages marchant dans un parc. - Cf. Oak Spring Garden Library :
Carmontelle – The Carmontelle Transparent – « A Theater of French Parks ».
« Carmontelle procurait ainsi aux admirateurs de ses talents dramatiques, des sujets échappés à la facilité de son pinceau ou de son crayon ; il déroulait aux yeux des spectateurs une série de tableaux remarquables par leur développement, qui avait quelquefois jusqu’à cent et cent soixante pieds de long ; il en trouvait plus souvent le sujet dans ses proverbes mêmes, ce qui devait ajouter à leur célébrité. » 4Ibidem, p. X.
A partir de 1773, à la demande du duc de Chartres, Carmontelle entreprend d’aménager dans le village de Monceau, un parc de style anglo-chinois, qualifié alors de « Folie de Chartres ». L’idée qui préside à la conception de ce jardin, est celle d’une nature recréée de telle sorte qu’on y jouisse partout de vues surprenantes, et que, marchant ainsi de surprise en surprise, on puisse se croire transporté dans un « pays d’illusion ».
Ci-dessus : Carmontelle, Jardin de Monceau, près de Paris, appartenant à son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc de Chartres, p. 7 ; édition : chez M. Delafosse, graveur, Paris, 1779.
Ci-dessus : Anonyme, Carmontelle présentant les clés du parc Monceau au duc de Chartres, 1790.
De la « Folie de Chartres », il reste aujourd’hui le parc Monceau, mais, hélas, quasi rien des vues enchanteresses ménagées autrefois en ce lieu par Carmontelle.
En 1780, Carmontelle inspire également, toujours dans le style illusionniste, la transformation du parc du château de Raincy, propriété du duc d’Orléans. Jules Janin, un siècle plus tard, se souviendra d’avoir hanté au Raincy, en compagnie de Frédéric Soulié, le parc de l’antique château de monseigneur le duc d’Orléans, où ils avaient tous deux leurs libres entrées. C’était, en 1828, « une nature vaste et riche, avec des bois sombres, des eaux fraîches et voilées, des prairies qui parfument l’air du soir. […]. C’est dans ces frais paysages, sur le bord de ces limpides étangs, aux cris joyeux de ces enfants [les enfants de la maison de Bourbon], le printemps de l’année et de la maison de Bourbon, que le poète [Frédéric Soulié] a écrit sa Christine. » 5Jules Janin, Histoire de la littérature dramatique, tome V, p. 58.
A partir de la Révolution, et plus encore après le 6 novembre 1793, date à laquelle Louis Philippe d’Orléans, ancien duc de Chartres, plus tard dénommé Philippe-Egalité, a été guillotiné, Carmontelle se retrouve démuni de tous subsides. Il survit misérablement jusqu’en 1806 dans un petit logement de la rue Vivienne, où il meurt à l’âge de 89 ans.
C’est Raymond Escolier sans doute, grand lettré, maire de Mirepoix de 1940 à 1942, qui a renommé rue Carmontelle la rue dénommée sur le compoix de 1766 « Coin de la rue des Houstalets ».
Ci-dessus : sur le compoix de 1766, Coin de la rue des Houstalets, aujourd’hui rue Carmontelle ; au-dessus du Coin de la rue des Houstalets, la rue des Houstalets, aujourdhui rue Delcassé ; à droite ddu Coin de la rue des Houstalets, la promenade Saint Antoine, aujourd’hui cours du Colonel Petitpied ; en dessous du Coin de la rue des Houstalets, la promenade d’Avail, aujourd’hui cours du Maréchal de Mirepoix.
References
↑1 | Dictionnaire critique de biographie et d’histoire, 2e édition corrigée et augmentée d’articles nouveaux, pp. 317-318 / par Auguste Jal (1795-1873) / Éditeur : Henri Plon, Paris, 1872. |
↑2 | Cf. Gallica |
↑3 | C. de Méry, « Vie de Carmontelle », préface aux Proverbes dramatiques de Carmontelle, tome 1, p. IX, chez Delongchamps Libraire, Paris, 1822. |
↑4 | Ibidem, p. X. |
↑5 | Jules Janin, Histoire de la littérature dramatique, tome V, p. 58. |
Martine Rouche at 21 h 44 min
Je me permets d’ajouter trois petits éléments :
1. Comme tu l’écris, c’est bien Raymond Escholier, alors maire de Mirepoix, qui fit voter son conseil municipal pour donner de nouveaux noms à certaines rues de la ville. Avant de recevoir le 23 janvier 1941 le nom de « Carmontelle », l’ancien » Coin de la rue des Houstalets » avait porté celui de » rue Auguste – Blanqui » , depuis le 4 octobre 1925.
2. En l’état, un paragraphe de mes notes sur un sujet que tu reconnaitras :➢ 1765 : projet d’une souscription pour une estampe tragique et morale, à l’initiative de Voltaire. Carmontelle peint la famille Calas après l’exécution du père. La gravure sera effectuée par M. Delafosse. Il doit la remettre à M. Grimm le 15 août 1765.
Les estampes tirées de cette gravure et vendues par souscription permettront d’aider la veuve Calas et sa famille.
Selon la correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm et Diderot (tome 16), les premières à souscrire sont la maréchale de Luxembourg, la maréchale de Mirepoix, la duchesse d’Enville, la princesse de Turenne et la duchesse d’Aiguillon.
3. Si tu as le temps, j’ai le livre » Carmontelle au jardin des illusions » de Laurence Chatel de Brancion. Tous les titres de chapitre ou presque contiennent le mot » illusion » , ce qui est un peu artificiel mais convient bien au sujet aussi … Et l’iconographie est superbe !
Comme ton article !
Labaronne at 0 h 44 min
Carmontelle au Parc Monceau ! qui l’eut cru !