Louis de Nogaret de La Valette, évêque de Mirepoix, puis évêque de Carcassonne

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Anonyme. Portrait de Louis de Nogaret de La Valette, évêque de Mirepoix de 1630 à 1655, puis évêque de Carcassonne à partir de 1655. Source : musée des Beaux-Arts de Carcassonne. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

Né circa 1599, Louis de Nogaret de La Valette est un fils naturel de Jean Louis de Nogaret de La Valette et de Caumont (1554-1642), duc d’Epernon. Louis de Nogaret de La Valette (1593-1639, son demi-frère, fils légitime du même Jean Louis Nogaret de La Valette et de Marguerite de Foix-Candale, a été archevêque de Toulouse, puis nommé cardinal en 1621 sous le pontificat de Paul V, et chef l’armée d’Allemagne, conjointement avec le duc de Saxe-Weimar, dans le cadre de la guerre de Trente Ans.

1. Episodes de la guerre menée par Louis de Nogaret de La Valette contre la maison de Lévis

L’air suave du portrait reproduit ci-dessus ne doit pas tromper. Monseigneur de Nogaret, fils bâtard du duc d’Epernon, a été un ennemi implacable de la maison de Lévis. Sa vindicte se manifeste à partir de 1639, dans le contexte de la querelle qui l’oppose à Louise de Roquelaure, régente de la seigneurie de Mirepoix, à propos des Honorifiques, ou droits de préséance auxquels les chefs de la maison de Lévis prétendent au sein de la cathédrale en tant que descendants du fondateur et bienfaiteurs de cette dernière.

Le dimanche 7 août 1639, au milieu des vêpres, la marquise, précédée de ses gens, s’ouvre un passage à travers la foule des fidèles, pénètre dans le choeur, se plante devant le chanoine qui occupe sa place et lui signifie d’avoir à la lui céder. L’évêque, qui se trouve de l’autre côté du choeur, lui envoie un diacre pour la prier de se retirer. Et elle, de répondre :
— Allez dire que je veux occuper la chaire où je suis et n’en vouloir sortir. Qu’il ait à fulminer ses excommunications contre moi. Je suis là pour les attendre.
Monseigneur de Nogaret interrompt alors la cérémonie et se retire processionnellement.

D’autres altercations suivront dans la cathédrale. Pierre Pol Riquet, alors officier des gabelles à Mirepoix, sera interrogé comme témoin de l’une d’entre elles. Louise de Roquelaure et Monseigneur de Nogaret porteront ensuite l’affaire devant le Conseil du Roi qui, le 30 septembre 1650, puis le 13 août 1668, stipulera que « la maison de Lévis jouit des droits, honneurs, dignités et prégrogatives qu’elle a toujours eus dans la cathédrale », et, plus spécialement, que le chef de cette maison a le droit de s’intituler « fondateur dotal de l’église de Mirepoix et Maréchal de la Foi » ((Félix Pasquier et Siméon Olive. Archives du château de Léran. Inventaire historique et généalogique des documents de la branche Lévis Mirepoix. Volume V. Procès n° 34. Querelle des honorifiques. Evêques et seigneurs à Mirepoix au XVIIe siècle, pp. 557-664 passim. Imprimerie et Librairie Edouard Privat. Toulouse. 1909.)).

Furieux de ce qu’il prend pour un affront personnel, Monseigneur de Nogaret s’ingéniera, dans tout le temps de son épiscopat mirapicien et plus tard encore, à intervenir de façon hostile dans les affaires de la maison de Lévis.

C’est lui sans doute qui, en décembre 1642, couvre de son autorité le mariage illégal de François de Béon de Massès, seigneur de Cazaux, et d’Agnès de Bertrandy ((Cf. Christine Belcikowski. Publications 2. Supplément d’enquête à propos du rapt et des vols commis en 1642 et 1643 au détriment de Jean Lévis Lomagne et de Louise de Bertrandy.)), puis fait obstacle aux poursuites contre le chanoine Niort et le chanoine Font.

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Source : Archives départementales de l’Ariège. Fonds Lévis. 21 avril 1646. Dispense des deux annonces de mariage accordée à Jean de Lévis Lomagne et à Marguerite de Narbonne, damoiselle de Saint-Girons.

C’est lui sans doute aussi qui, après avoir officiellement avalisé le 21 avril 1846 le projet de mariage entre Jean de Lévis Lomagne et Marguerite de Narbonne ((Les pactes de mariage ont été signés le 9 novembre 1645.)), use en sous-main de son influence après de Charles de Montchal, archevêque de Toulouse, ancien précepteur de Louis de Nogaret de La Valette, son demi-frère, lui-même ancien archevêque de Toulouse, pour que celui-ci interdise le dit mariage, au motif extravagant que Jean de Lévis Lomagne et Louise de Bertrandy seraient effectivement mariés, et qu’il leur fasse, « sous peine d’excommunication, défense de contracter quelconque autre union » ((Cf. Christine Belcikowski. La trace du serpent. Au château de Mirepoix. Chapitre 12. Le mariage du baron. L’Harmattan. 2014.)).

C’est lui qui, le 10 mars 1664, dans le cadre de son épiscopat carcassonnais, refusera de fulminer les bulles relatives à la nomination d’Elisabeth de Lévis, fille naturelle de feu Alexandre de Lévis, seigneur de Mirepoix, à la tête de l’abbaye de Rieunette, près de Ladern-sur-Lauquet, dans l’Aude ((Cf. Christine Belcikowski. Publications. Elisabeth de Lévis (1629-1671) ou l’abbesse intrépide, puis l’abbesse assassinée.)).

C’est lui enfin qui, en 1668, après qu’Elisabeth de Lévis a requis la translation de son abbaye de Rieunette à Carcassonne pour cause d’isolement au milieu des montagnes et des bois, et pour cause aussi de la ruine causée en 1654 à l’établissement par Jean de Saint-Jean Moussoulens, abbé de Villelongue, refuse cette translation au motif que, même si le chapitre et le consul de Carcassonne ont approuvé ladite translation, « il n’y a jamais eu nombre suffisant de filles pour faire les offices, qu’elle et ses six religieuses ont tellement violé la closture qu’elle est absentée plus de dix ans de cette maison, et que toute la province reste encore scandalisée de ces longues promenades, etc. » En septembre 1668, là encore, le Conseil du roi se prononcera en faveur d’Elisabeth de Lévis contre l’avis de Monseigneur de Nogaret. ((Cf. Ibidem.))

2. Louis de Nogaret de La Valette et le complexe du bâtard

Même le R.P. Bouges, religieux des Grands Augustins de la province de Toulouse, peine à célébrer l’épiscopat carcassonnais de Louis de Nogaret dans son Histoire ecclésiastique et civile de la ville et du diocèse de Carcassonne, ouvrage composé en 1741 à la demande de d’Armand Bazin de Bezons, évêque de Carcassonne, abbé de Lagrasse. Voici les deux seules particularités qu’il relève :

« Ce prélat favorisa toujours les gens de lettres. Gérard Devic, l’un des chanoines de la cathédrale, ressentit les effets de sa protection et de ses libéralités. A sa sollicitation, le savant ecclésiastique travailla sur les Mémoires de feu Bernard d’Estellat, son confrère, dont il donna au public en 1667 une partie de ses recherches, sous le titre de Chronique des Evêques de Carcassonne, qui furent imprimées sous la protection et par les frais de ce prélat.

M. Gérard Devic était fils de Noble Jean Devic, seigneur de Padern, lieu situé dans les montagnes entre Narbonne et Perpignan. Il fit ses études dans l’université de Toulouse, où il reçut le bonnet de docteur. Jean Devic, son père, alors gouverneur du château de Termes et viguier de Fenoissèdes, Termenès, Peyrepertuse, Val-de-Daigne, etc, le rappela auprès de lui. Son mérite et ses vertus lui procureront bientôt une cure dans son voisinage, qu’il gouverna pendant trente-huit ans. Il fut ensuite chanoine de l’église de Carcassonne où il fit voir son zèle pour l’honneur de cette église, non seulement par son assiduité à tous ses devoirs, mais encore par ses veilles et ses travaux de littérature. Il mourut âgé de quatre-vingts ans.

Louis de Nogaret, entrant dans son évêché, trouva la principale ville de son diocèse dans le trouble et dans la sédition, élevés à l’occasion d’une visite de faux-saunage, qu’un fermier général des gabelles était venu faire à Carcassonne… » ((R.P. Bouges. Histoire ecclésiastique et civile de la ville et du diocèse de Carcassonne, p. 443 sqq. 1741.))

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Source : Archives départementales de l’Ariège. Minutes d’Antonin Dumas. 5E2754.

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Ci-dessus : même source.

Au temps de son épiscopat mirapicien, l’activité à laquelle s’est plu vraiment Monseigneur de Nogaret est l’éxécution du « bail à baptir » de son château épiscopal de Mazerettes.

Signé le 17 juillet 1642, ce bail de 7 pages prévoit la construction d’une muraille destinée à soutenir le prolongement de la galerie qui abritait précédemment le cabinet du seigneur ; l’ouverture de nombreuses croisées supplémentaires, proportionnées à celles qui sont déjà faites, tant pour les vitraux que pour les structures ; l’ouverture de nouvelles portes correspondant ou proportionnées à la porte par laquelle on entre dans le grand degré de pierre, ou encore à la grande porte ronde par laquelle on passe de la première cour à la seconde ; l’abaissement des planchers de la tour du garde-meubles ainsi que de ceux des chambres qui se trouvent au-dessus de la cuisine ; et pour cela la rupture ou l’abaissement de l’arcade, du pilier central et de la fenêtre de la cuisine ; la pose de grilles aux fenêtres du rez-de-chaussée ; le déplacement ou la restauration de certaines cheminées ; etc.

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Ci-dessus : vasque de Jean Rancy dans le parc du château de Mazerettes ; source : courtoisie de Francis Couquet.

Et Louis de Nogaret de La Valette fait apposer ses armoiries, à l’opposite de celles de Philippe de Lévis, sur la vasque de pierre, due au ciseau du sculpteur toulousain Jean Rancy (1502-?), qui demeure aujourd’hui encore dans le parc de l’ancien château de Mazerettes. La tradition rapporte par ailleurs que Louis de Nogaret de Lavalette s’était plu à constituer dans sa galerie une collection de portraits de ses ancêtres, collection aujourd’hui disparue.

L’homme souffrait sans doute du complexe du bâtard, par rapport à son frère homonyme, le cardinal et homme de guerre Louis de Nogaret de La Valette, et par rapport aussi à la puissante maison de Lévis qui avait donné à l’Eglise avant lui le grand Philippe de Lévis, fils légitime de Jean IV de Lévis et premier restaurateur du château de Mazerettes, et qui soutiendra contre lui Elisabeth de Lévis, bien que celle-ci fût bâtarde comme lui. Il aura nourri une volonté de puissance plus grande que son statut de naissance ne le lui permettait, et il aura rencontré en la personne de Louise de Roquelaure, puis d’Elisabeth de Lévis, les figures de sa destinée contraire. Quittant Mirepoix en 1655, il demande à être nommé à Carcassonne. Il y exerce son épiscopat jusqu’à sa mort, survenue le 10 septembre 1679. La dépouille de Monseigneur de Nogaret a été ensevelie dans la basilique Saint Nazaire de Carcassonne.