Archives départementales de l’Ariège. Dossier 1Q19. Titres de créance des émigrés du district de Mirepoix. Cliquez sur les images pour les agrandir.
Dans le dossier 1Q19 des Archives départementales de l’Ariège, dossier relatif aux titres de créance des émigrés du district de Mirepoix, on trouve en date du 10 messidor an II (28 juin 1794) copie d’un titre de créance « du Citoyen Tornier sur le Citoyen Géraud Baillé, reclus à Foix ». L’original de ce titre de créance date du 20 avril 1790. La lecture de ce titre de créance éclaire d’un jour crû les difficultés économiques dans lesquelles, depuis le début de la Révolution, divers membres de la famille Baillé, i.e. de la famille maternelle du futur Melchior Frédéric Soulié, se trouvent plongés.
1. Situation de la famille Baillé en 1790
Maître Géraud Baillé, notaire royal, secrétaire apostolique du Chapitre, père de treize enfants, est mort le 12 juin 1772.
Né en 1750, Jean Antoine Barthélémy Baillé, son fils aîné, lui a succédé à la tête de l’étude. Engagé en outre dans la bataille révolutionnaire, il exerce la fonction de procureur-syndic et de conseiller juridique de la commune. Née en 1753, Marie Marguerite Elisabeth Baillé, l’une des soeurs de Jean Antoine Barthélémy Baillé, a épousé en 1785 Antoine Etienne Jalabert, médecin.
Archives départementales de l’Ariège. Mirepoix. Baptêmes. Paroisse Saint Maurice. Document 1NUM5/5MI664 (1691-1789). Vue 160. 21 août 1754. Baptême de François Géraud Baillé, fils de Me Géraud Baillé, avocat en parlement et notaire royal, et de Dame Dorothée Cairol. Parrain, Jean François Cairol, clerc tonsuré ; marraine, Demoiselle Jeanne Marie Baillé, éoiuse du Sieur Ensalles, habitante de Foix, sa grand-tante paternelle.
Né en 1754, François Géraud Baillé, l’un des frères du même Jean Antoine Barthélémy Baillé, est devenu chanoine et jouit d’une prébende à Coutens, près de Mirepoix. Ces trois-là n’habitent plus la maison familiale, sise à la rue Courlanel (aujourd’hui rue Maréchal Clauzel), section A nº 35 (plan 3 nº 225 ancien style).
La maison Baillé abrite alors de façon permanente Dorothée Cairol, veuve de Géraud Baillé, qui mourra elle-même le 23 janvier 1793, et cinq de ses enfants survivants : Anne Thérèse Adélaïde, née en 1749, célibataire ; Dorothée Thérèse, née en 1756, célibataire ; Agnès Pétronille Germaine, née en 1760, célibataire ; Jeanne Marie, née en 1761, célibataire ; et Maurice Vincent Baillé, né en 1767, célibataire, secrétaire du district. La maison abrite aussi, de façon plus épisodique, deux autres des enfants de Dorothée Cairol encore : Jean François Vincent, né en 1752, célibataire, engagé volontaire ; Jean Antoine Norbert, né en 1765, célibataire, engagé volontaire.
2. En 1790, François Géraud Baillé et Anne Thérèse Adélaide Baillé doivent emprunter 1200 livres à Me Guillaume Tornier
Aucune des personnes qui l’occupent n’exerçant une activité solidement rémunératrice, la maison Baillé manque à l’évidence de ressources.
Anne Thérèse Adélaide Baillé, aînée de la fratrie Baillé, loue à Pierre Dhilat, semalier, la maison qui appartient aussi à la famille Baillé en A nº 47 rue Courlanel, mais le fruit de cette location suffit difficilement à repondre aux besoins de la maisonnée entière. C’est pourquoi, lorsqu’arrive le moment de secourir François Géraud Baillé, qui en même temps que son statut de chanoine et sa prébende de Coutens a perdu toute ressource, Anne Thérèse Adélaide Baillé doit, solidairent avec lui, recourir à un emprunt.
Cet emprunt leur est consenti par Guillaume Tornier ((Maître Guillaume Tornier, 72 ans, célibataire, licencié ès droit, ancien collègue et ami de feu Me Géraud Baillé, notaire royal ; par ailleurs oncle maternel de Guillaume Vidalat-Tornier, ingénieur du Languedoc.)), sous la forme d’une somme de 1200 livres « que le Sieur Tornier leur a présentement comptée en espèces de cours, et qu’ils se sont engagés à rembourser sous la forme d’une rente annuelle de 60 livres du capital de 1200 livres jusqu’à remboursement de ladite somme capitale de 1200 livres, en espèces de cours, non en billets ni en papier… » Cet emprunt, si l’on compte bien, court sur vingt ans.
Ci-dessus, rue Maréchal Clauzel (autrefois rue Courlanel), sur le trottoir de gauche, d’avant en arrière : maison Baillé ; maison Clauzel ; maison Avignon ; maison des Nouvelles Catholiques. Ancienne maison de Bernard Louis Fraxine, prêtre et prébendier du chapitre ((Cf. Christine Belcikowski. Publications. Pages arrachées à l’histoire de la famille Fraxine de Pamiers.)), la maison Avignon abritait, de façon attestée en 1885, l’inscription suivante : « PEUT-ÉTRE TA DERNIÈRE. » ((Cf. Christine Belcikowski. Publications. Inscriptions relevées à Mirepoix dans les années 1880 par le baron de Rivières.))
La signature du titre de créance se fait le 20 avril 1790 chez Me Avignon, section A nº 33 rue Courlanel (plan 3 nº 230 ancien style), en présence des deux témoins suivants : Guillaume Roques, cordonnier, et François Melchior Soulié, étudiant, habitants tous deux de Mirepoix. François Melchior Soulié épousera le 8 pluviôse an VI (samedi 27 janvier 1798) Jeanne Marie Baillé, soeur de François Géraud Baullé, et ils seront les parents de Melchior Frédéric Soulié, le futur écrivain.
3. Le 12 pluviôse an II (31 janvier 1794), François Géraud Baillé, ex-chanoine se trouve enregistré sur la Liste générale des émigrés et des déportés de l’Ariège
L’administration révolutionnaire regroupe dans la catégorie des « déportés » l’ensemble des personnes qui ont été arrêtées, emprisonnées, ou déportées au sens propre du terme, comme suspectes de propos ou d’activités jugés contre-révolutionnaires, ou encore comme coupables d’avoir refusé de prêter sèment à la Constitution civile du clergé. Cf. Christine Belcikowski. Publications. Liste des émigrés et des déportés de la contrée de Mirepoix. An II-An VI.
Jean Jacques Vidalat, ex-curé de Ribouisse, cousin de Guillaume Vidalat, ainsi que Maurice Benoît Vidal et Jacques Vidal, très âgé, dit Pipi Jacques, ex-bénéficiers de Mirepoix, oncles tous deux de l’astronome Jacques Vidal, figurent également sur cette liste des déportés. Jacques Vidal usera de son influence le le 23 fructidor an VII (9 septembre 1799) pour que son oncle Pipi Jacques, « retombé en enfance », soit maintenu à Mirepoix, « reclus chez lui » ((Cf. La dormeuse blogue : Jacques Vidal astronome, « un pareil homme dans l’enceinte de cette petite ville ».)). Pierre Cairol, dit Trière, ex-chanoine de Mirepoix, et Jean François Cairol, dit Couanel (Courlanel ?), ex-archidiacre de Mirepoix, sont reclus d’abord à Cahors, puis détenus à la citadelle de Blaye, en Gironde. François Géraud Baillé se trouve quant lui, en 1794, « reclus à Foix ». Les biens de ces « déportés » revêtent dans le même temps le statut de biens nationaux. François Géraud Baillé, quand il retourne à Mirepoix, à une date qu’on ignore, n’a plus rien du tout.
4. Mort de François Géraud Baillé, le 13 brumaire an V (3 novembre 1796)
Archives départementales de l’Ariège. Mirepoix. Décès. Document 1NUM1/5MI667 (1793-An X). Vue 334. 3 novembre 1796. Mort de François Géraud Baillé.
La plupart des déportés revenus des prisons meurent assez rapidement. François Géraud Baillé n’échappe pas à ce triste sort. le 13 brumaire an V (3 novembre 1796), les citoyens Jean Antoine Barthélémy Baillé, âgé de quarante-cinq ans, et Vincent Maurice Baillé, âgé de vingt-neuf ans, viennent à la maison commune déclarer le décès de François Géraud Baillé, leur frère. Celui-ci avait quarante-deux ans.
5. Mort d’Anne Thérèse Adélaïde Baillé et de Guillaume Tornier en l’an X
Archives départementales de l’Ariège. Mirepoix. Décès. Document 1NUM1/5MI667 (1793-An X). Vue 612. 8 pluviôse an X (28 janvier 1802). Acte de décès d’Anne Thérèse Adélaïde Baillé.
Restée seule débitrice de Guillaume Tornier pour l’emprunt de 1200 livres contracté le 20 avril 1790, Anne Thérèse Adélaïde Baillé meurt le 8 pluviôse an X (28 janvier 1802).
Archives départementales de l’Ariège. Mirepoix. Décès. Document 1NUM1/5MI667 (1793-An X). Vue 626. 6 floréal an X (26 avril 1802). Acte de décès de Guillaume Tornier.
Ci-dessus : ancienne maison de Guillaume Tornier, puis de Guillaume Vidalat-Tornier, sous le Grand Couvert.
Guillaume Tornier meurt à son tour le 6 floréal an X (26 avril 1802). La rente qu’Anne Thérèse Adélaïde Baillé lui servait aurait dû courir encore jusqu’en 1810. Mais Guillaume Tornier, sans le dire ni que Me Avignon pût l’écrire, n’avait-il pas tenu le prêt consenti en 1790 à François Géraud Baillé et à Anne Thérèse Adélaïde Baillé pour un geste d’amitié à fonds perdus ?
Merci pour cette émouvante page d’histoire et d’amitié de deux familles mirapiciennes.