Les traits tirés

Les traits tirés,
la tête renversée en arrière
arcades creuses, bouche bée,
tu as l’air d’une morte
dans le miroir de la coiffeuse,
comme d’une vieille guillotinée.
Madame Atropos, derrière toi,
criiic, criiic,
fait crisser ses ciseaux.

Entailles du couteau
sur le bois de la planche à pain,
crevés de la feuille
sur le billot du boucher.
Desinit in piscem
des trois livres que tu as écris
depuis deux ans déjà
et dont aucun éditeur
à ce jour ne veut.
Ut turpiter atrum
desinat in piscem mulier formosa superne,
spectatum admissi, risum teneatis, amici ?

« De telle sorte qu’un beau buste de femme
se terminerait en une vilaine queue de poisson.
À ce spectacle, pourriez-vous ne pas éclater de rire, mes amis ? » ((Horace. Art poétique. I, 3-5.))

Traits qu’on tire sur sa vie,
ses rêves,
vin qu’on a tiré, à la barrique,
et qu’il faut boire maintenant,
ô la piquette des années anciennes,
ô sa mousse violette
et son parfum de vieux foudre !

Traits des bateaux qu’on attache
à la queue-leu-leu
hompff, hompff,
pour remonter la rivière.
« Aux marchandises qui sont en grand volume et d’un grand poids,
le trait doit être plus fort. »
Traits qui font bouger
le fléau de la balance.
Traits des cordes qui descendent
le cercueil dans sa tombe.
Traits des oiseaux
qui zèbrent le ciel,
traits de métal fin
dans la passementerie un peu sale
du jour.

5 janvier 2017, après quinze jours de forte grippe.