Pierre François Brun, premier préfet de l’Ariège

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Nommé le 1er janvier 1800, Pierre François Brun, premier préfet de l’Ariège, prend ses fonctions le 2 mars 1800. Frédéric Soulié l’évoque sous le nom de M. Brisard dans le roman intitulé La Chambrière. De tous les préfets nommés en 1800, Pierre François Brun fait partie des deux seuls qui n’étaient pas nobles et qui n’ont pas été gratifiés du titre de baron.

« Un fils de boucher, à qui son père a sans doute laissé une fortune colossale achetée en assignats, s’écriait la noblesse ! », rapporte Frédéric Soulié dans La Chambrière, pp. 4-5.

« Un fils de boucher ! » Il s’agit là d’une assertion calomnieuse. L’acte de naissance de Pierre François Brun nous apprend qu’en 1754, Augustin Louis Brun, son père est conseiller en la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier. Et l’enquête généalogique montre que le même Augustin Louis Brun descend d’une lignée de financiers et d’hommes de loi dont on peut remonter le cours jusqu’au XIVe siècle.

  • Jean Brun (fils de Jean Brun et de ?) + Arnette Vitalis. (Toulouse).
  • Pierre Brun (ca. 1392-?) + Estienette de Pins. (Toulouse).
    Marchand.
  • Guillaume Brun (ca. 1430-ca.1509) + Françoise de Mareuil de Saint-Agnès. (Toulouse)
    Docteur en médecine (médecin de louis XI et et de Charles VIII), docteur en droit, capitoul, juge aux Aides du Languedoc.
  • Pierre Brun (ca. 1475- ca. 1533) + Jeanne d’Amalric. (Toulouse).
    Docteur en droit, procureur général au parlement de Toulouse, capitoul en 1510.
  • Jean Brun (ca. 1500-ca. 1573) + Anne Marie Michon de la Morinière.
    Docteur en droit.
  • Pierre Brun (ca. 1537-ca. 1607) + Antoinette Masson.
    Receveur des tailles.
  • Pierre Brun (ca. 1560-?) + Marguerite Lamouroux. (Temple de Montpellier).
    Notaire, receveur des gabelles.
  • Barthélémy Brun (ca. 1600-?) + Marthe Castanet. (Temple de Montpellier).
    Procureur en la Cour.
  • Jean Simon Brun (ca. 1638-/1716) + Suzanne Fabre. (Temple de Montpellier).
    Procureur en la Cour.
  • Louis Brun (1666-1718) + Marguerite Chabanelet (fille de marchand).
    Financier, notaire, conseiller du roi, troisième consul de la ville de Montpellier.

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Archives dép. de l’Hérault. Montpellier. Paroisse Notre Dame des Tables. Registre 5 MI 1/26. Vue 250. 23 octobre 1755. Acte de mariage de Louis Cailus et de Marie Brun.))

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Ci-dessus : à Montpellier, la cathédrale Saint Pierre.

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Archives dép. de l’Hérault. Montpellier. Paroisse Saint-Pierre. Baptêmes, mariages, sépultures (1753, 29 novembre-1759, février). Registre 5 MI 27/22. Vue 60. Document original conservé aux Archives départementales de l’Hérault sous la cote 3E 177/18. 26 novembre 1754. Acte de baptême de Pierre François Brun.

Baptisé le 26 novembre 1754 à la cathédrale Saint Pierre de Montpellier, dernier né d’une fratrie de quatre enfants, Pierre François Brun est le fils d’Augustin Louis Brun (1727-1781), receveur et payeur des gages de la Cour des comptes, aides et finances, conseiller correcteur en 1753, et de Marie Brun (1735-1794), née à Poussan (Hérault), fille d’Etienne Gervais Brun, capitaine des gardes-côte, et de Suzanne Fornier 1Suzanne Fornier est la fille de Grégoire Fornier, capitaine, et d’Anne de Paul ; d’où la petite-fille de Jean Fornier, notaire royal, et l’arrière-petite-fille de Jean Fornier, viguier de Poussan..

C’est au mariage d’Augustin Louis Brun, son père, avec Marie Brun, sa mère, que Pierre François Brun devra par la suite la jouissance d’une belle propriété à Poussan. Marchant ainsi sur les traces de son père et de ses aïeux, Pierre François Brun devient à son tour homme de loi.

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Ci-dessus : à Montpellier, ancienne église Notre Dame des Tables. L’église a été démolie en 1794.

En 1755, Marie Brun, sa cousine, épouse à Montpellier Louis Cailus, financier, chef de l’une des premières maisons de commerce de la province. En 1759, elle met au monde Louis Clément Barthelémy Cailus 2Archives dép. de l’Hérault. Montpellier. Paroisse Notre Dame des Tables. Baptêmes, mariages (1759, 26 février-1764, 1er mai). Registre 5 MI 1/26. Vue 64. 20 novembre 1759. Acte de baptême de Louis Clément Barthélémy Cailus..

En 1784, Suzanne Louise Rose Brun, sa soeur aînée, épouse à Poussan Pierre Fornier (1745-1834), médecin, propriétaire foncier à Poussan 3Pierre Fornier, fils de Jean-François Fornier (1715-1787), bourgeois de Poussan, et de Marianne Bernadon, petit-fils de Pierre Fornier, natif d’Aigues-Mortes, demeure sans lien de parenté identifiable avec Suzanne Fornier, grand-mère de Pierre François Brun.. En 1791, Marie Thérèse Brun, autre soeur de Pierre François Brun, met au monde à Poussan Louis Vincent Étienne Brun, de père inconnu.

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Archives. dép. de l’Hérault. Poussan. Baptêmes, mariages, sépultures (1764-1792). Registre 5 MI 10/18. Vue 384. 22 juin 1791. Acte de mariage de Pierre François Brun et de Marie Larmand.

Le 22 juin 1791, Pierre François Brun, 37 ans, alors avocat au Parlement, épouse à Poussan Marie Larmand, 22 ans, fille de Louis Larmand, notaire royal et apostolique, juge de Loupian et de Bouzigues, et de Catherine Reynaud 4Catherine Reynaud est, elle-même, la fille de Jean Reynaud, conseiller du Roi, maire de Poussan, et de Marie Fabre.. Six mois plus tard, c’est le drame !

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Archives. dép. de l’Hérault. Poussan. Baptêmes, mariages, sépultures (1764-1792). Registre 5 MI 10/18. Vue 388. 23 décembre 1791. Acte de décès de Marie Larmand.

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Archives. dép. de l’Hérault. Poussan. Baptêmes, mariages, sépultures (1764-1792). Registre 5 MI 10/18. Vue 388. 24 décembre 1791. Acte de baptême de Marie Suzanne Louise Larmand.

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Archives. dép. de l’Hérault. Poussan. Baptêmes, mariages, sépultures (1764-1792). Registre 5 MI 10/18. Vue 388. 26 décembre 1791. Acte de décès de Marie Suzanne Louise Larmand.

Marie Larmand meurt le 23 décembre 1791 après avoir mis au monde la petite Marie Suzanne Louise Brun. Baptisée le 24 décembre, celle-ci est ensevelie le 26 décembre 1791.

Le 17 décembre 1792, Pierre François Brun est élu au Conseil du département de l’Hérault. A noter que, comme les Brun homonymes sont nombreux dans le département de l’Hérault, les documents d’archive nomment Pierre François Brun « Brun, de Poussan », puis « P. F. Brun, de Montpellier », par effet de différence avec un certain « François Brun, négociant ».

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Archives dép. de l’Hérault. Gignac. Publications de mariages, mariages. 1793-1806. Registre 1 MI EC 114/8. Vues 10-11. 21 messidor an I (22 juin 1791). Acte de mariage de Pierre François Brun et de Rose Sagnier.

Le 9 juillet 1793, Pierre Francois Brun, 39 ans, « administrateur du département de l’Hérault, habitant de Montpellier », épouse Rose Sagnier, 25 ans, fille de Jacques Sagnier, bourgeois, et de Jeanne Seranne, habitants de Gignac (Hérault). Le 21 octobre 1793, suspect de fédéralisme, donc de soutien aux Girondins, il se voit destitué de son poste d’administrateur du département. Mais « Larmand neveu, de Poussan », se trouve nommé au Conseil du département. Et le 14 nivôse an II (3 janvier 1794), « Larmand fils, de Poussan », entre au Directoire du district. Le 23 germinal an II (12 avril 1794), Rose Sagnier met au monde Timoléon Brun 5Archives dép. de l’Hérault. Montpellier. 1793-1794. Naissances (1793, 1er janvier-An II, 6 fructidor). Registre 5 MI 1/32. Vue 330. Acte de naissance de Timoléon Brun. ; et le 25 brumaire an IV (16 novembre 1795), Caroline Brun.

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Archives dép. de l’Hérault. Montpellier. 1794-1795. Naissances (An III). Registre 5 MI 1/33. Vue 31. 16 novembre 1795. Acte de naissance de Caroline Brun.))

C’est sur la base de cette vie recommencée que Pierre François Brun poursuit à Montpellier jusqu’à l’avénement du Premier Empire une carrière prudente d’administrateur révolutionnaire. S’il n’a pu être « un fils de boucher » – « boucher » au sens de Robespierriste « buveur de sang » -, puisque son père est mort en 1781, lui-même n’a pas été davantage un « boucher », mais un gestionnaire des finances du département, fonction dans laquelle, peu enclin aux considérations doctrinaires, il s’est révèlé excellent comptable.

Grand négociant devenu capitaine de la Garde nationale, arrêté et menacé de mort à Montpellier en l’an II, Louis Clément Barthelémy Cailus, de son côté, choisit de monter à Paris. En 1795, il y épouse Jeanne Marie Magdeleine Fourquier, fille de Jacques Fourquier, ancien directeur des Messageries royales. En 1798, il devient administrateur des Messageries nationales, nouvellement créées.

Le 21 nivôse an III, Pierre François Brun se trouve nommé à nouveau à l’administration du département. Le 13 germinal an III (2 avril 1795), il fait partie du petit groupe d’administrateurs montpéllierains qui signent une lettre hostile à la Constitution de 1793 et à la dictature de Robespierre. Le 3 floréal an III (22 avril 1795), il est remplacé au département, puis, le 7 floréal an III (26 avril 1795), nommé au poste d’administrateur du district. Le 24 vendémiaire an IV (16 octobre 1795), il est nommé à nouveau administrateur du département. Le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), Jean Jacques Régis de Cambacérès, montpelliérain comme lui, ami et protecteur de toujours, est nommé au Conseil des Cinq-Cents. Le 1er germinal an V (21 mars 1797), Pierre François Brun se trouve remplacé, conformément à la règle du tirage au sort. Le 23 fructidor an VI (9 septembre 1798), il est nommé à nouveau administrateur du département. Il devient cette année-là membre de la Société libre des Sciences de Montpellier, et le restera par la suite, y compris à l’époque de son préfectorat fuxéen. Le 8 thermidor an VII (26 juillet 1799), Cambacérès se trouve appelé au ministère de la Justice. Le 23 frimaire an VIII (14 décembre 1799), il est nommé deuxième consul. Le 8 nivôse an VIII (29 décembre 1799), Pierre François Brun accède au poste de commissaire du gouvernement. Le 11 nivôse an VIII (1er janvier 1800), sur la recommandation de Cambacérès, il est nommé préfet de l’Ariège 6Concernant la carrière de Pierre François Brun, administrateur du département de l’Hérault, cf. passim J. Duval-Jouve. Montpellier pendant la Révolution. Volume 2 : Du 21 septembre 1792 au 18 brumaire an VIII. Camille Coulet, Libraire Editeur. Montpellier. 1881.. Rose Sagnier, son épouse, a alors 32 ans ; Timoléon Brun, son fils, 6 ans ; et Caroline Brun, sa fille, 5 ans.

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Ci-dessus : portrait de Jean Jacques Régis Cambacérès par François Séraphin Delpech (1778–1825), graveur, d’après Nicolas Eustache Maurin.

Ancien avocat en parlement, écuyer, présent à l’assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Montpellier convoquée le 16 mars 1789 pour la députation aux États‑Généraux, plus tard conventionnel, Pierre François Brun présente dans son nouveau préfectorat le handicap paradoxal de n’être pas de vieille noblesse. Il reste en effet le seul inter pares « à qui sa fonction aurait dû octroyer quasi automatiquement le titre de baron et qui, quoique très bien noté par son administration, n’a cependant pas bénéficié de ce titre, sans que l’on puisse en donner la raison » 7Vincent Bouscatel, La notabilité en Ariège – 1814/1830 – En Ariège sous la Restauration, p. 21, C. Lacour-Editeur, Nîmes, 1999.. Il jouit en revanche du soutien politique de Cambacérès, alors deuxième consul, sachant que celui-ci sera nommé le 27 floréal an XII (7 mai 1804) président du Sénat et du Conseil d’Etat, et Archichancelier de l’Empire, ce qui fera lui le second personnage de l’Etat. Pierre François Brun jouit également d’une bonne connaissance des milieux du négoce et de la haute robe auxquels il se trouve lié par l’ensemble de sa parentèle, et plus spécialement par le cousinage qu’il entretient avec Louis Clément Cailus. Administrateur confirmé par dix ans de pratique, il a su par ailleurs faire valoir dans un tel exercice un caractère solidement pragamatique, étranger aux fureurs de l’idéologie.

Fort, semble-t-il, des qualités et relations évoquées ci-dessus, Pierre François Brun, premier préfet de l’Ariège, se voit confier une mission qui a pour objet difficile le réaménagement du territoire, le rétablissement de l’ordre, la mise en oeuvre de la conscription et la réconciliation nationale. L’exécution d’une telle mission n’ira pas sans se heurter à la vindicte de ceux dont elle dérange les intérêts, et plus généralement à la résistance d’une population devenue réfractaire à l’autorité.

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Ci-dessus : à Foix, vue de la préfecture de l’Ariège dans les années 1900.

Arrivé à Foix, Pierre François Brun doit s’accommoder d’y vivre quelque temps en célibataire, car il ne peut envisager de loger sa famille dans une préfecture – il s’agit de l’ancien couvent Saint Volusien – qu’il trouve lors de son arrivée dans un état lamentable : « Il n’est pas une pièce à l’abri de la pluie, les fenêtres sont sans contrevents et les croisées sans vitres, les conduites devant recevoir les eaux pluviales ont été enlevées et les portes sont dépourvues de serrures » 8Archives nationales. La situation des départements et l’installation des premiers préfets en l’an VIII (1799-1800), p. 80. La Documentation française. Paris, 2000..

Après avoir fait réaliser les travaux les plus urgents à la préfecture, et réclamé l’installation d’un parquet dans la salle destinée aux bals protocolaires 9Cf. Christine Belcikowski. Frédéric Soulié à propos de l’ancienne salle de bal de la préfecture de l’Ariège, à Foix., Pierre François Brun commande à Jean Baptiste Mercadier (1750-1816), alors ingénieur en chef de 1re classe au Corps impérial des Ponts et Chaussées, une description des ressources naturelles dont dispose le département, et il l’invite à formuler dans le cadre d’une telle description toutes observations relatives à la possible optimisation des dites ressources 10Cf. La dormeuse, encore : 1800-1801, Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège par le Citoyen Mercadier.. Il conservera également plus tard le manuscrit autographe de l’Histoire générale des mouvemens de la mer et de l’atmosphère, ou Météorologie universelle, signé du même Jean Baptiste Mercadier, contresigné par ses soins à lui, et daté du 13 juin 1808 à Foix.

D’emblée, Pierre François Brun entend mettre en oeuvre, dans le cadre d’une gestion comptable des plus rigoureuses, la restauration des chemins et canaux ariégeois, qui ont souffert partout des effets de la tourmente révolutionnaire. Tâche immense, impossible hélas à mener à bien dans le temps d’un seul préfectorat, puisque en 1813 encore, M. Galy Gasparrou 11Cf. Almanach impérial pour l’année 1810, chap. X : Organisation administrative, section II : Département de l’Ariège., sous-préfet du 1er arrondissement du département de l’Ariège, adressera à MM. les Maires de l’arrondissement la lettre suivante :

« J’ai déjà visité, ou j’ai eu l’occasion de voir dans quelques tournées le plus grand nombre des communes de cet arrondissement. Combien j’ai eu à gémir d’en trouver une, il y a peu de jours, qui ne présente dans ses avenues et dans toutes ses rues qu’un cloaque infect et mal sain ! Dans une longue allée de très beaux arbres, qui forme sa principale avenue, des trous énormes, des bourbiers pratiqués exprès, des fumiers sans nombre ne laissent pas même aux piétons un passage facile ; et toutes les rues, les petites places sont encore dans un état pire. […].


Je me suis aperçu que dans certains endroits des propriétaires font enlever de leurs champs des petites et grosses pierres qu’ils jettent ou font rouler dans les chemins, qu’ils rendent ainsi impraticables. Il faut que chacun d’eux soit obligé de les faire ramasser, et placer de manière à pouvoir être utilisées pour la réparation du chemin lui-même où ils confrontent. Ailleurs ce sont des pailles que l’on étend pour être enlevées ensuite avec la boue : on forme ainsi des creux, des amas d’eau qui rendent le passage dangereux. Vous devez extirper ces abus, porter un prompt remède au mal aux frais des délinquants. Vous devez aussi faire donner aux chemins sans ménagement la largeur prescrite, 5 mètres, non compris les fossés et francs bords dans tout ce qui va d’une commune à une autre ; on finira par bénir vos soins et votre sévérité à cet égard. »

Le 4 germinal an VIII (25 mars 1800), soit trois semaines seulement après sa prise de fonction, Pierre François Brun se trouve informé de ce qu’une bande de réfractaires et déserteurs menée par Guillaume Sibra, dit Jean Dabail, et Jean Marré aîné de Pamiers, a tenté d’assassiner ce même jour le gendarme Rives sur la route de Mirepoix à Pamiers. Et le 12 germinal (2 avril), il se trouve derechef informé de ce que la même bande a « tué de manière atroce un marchand colporteur sur la route susdite ». L’affaire requiert la manifestation vigoureuse de son autorité commençante. Le 16 germinal an VIII (dimanche 6 avril 1800), Pierre François Brun fait opérer une battue à fin d’arrestation de la bande criminelle. L’opération échoue, car, surprise à Camon, la bande parvient à s’échapper au nez et à la barbe de ses poursuivants. Le 28 germinal an VIII (18 avril 1800), Pierre François Brun procède à sa première déclaration publique :

« Le Préfet Général du Département de l’Ariège, considérant qu’une bande de scélérats, la plupart échappés des prisons où des délits antérieurs les faisaient détenir, infestent quelques Cantons du Département de l’Ariège, que le nommé Guillaume Sibra dit Jean Dabail est à leur tête ; qu’ils y commettent journellement des vols et des assassinats ; qu’il est temps d’arrêter le cours de tous ces désordres et de rendre aux habitants des diverses communes la tranquillité et le repos que ces hommes féroces leur ont depuis quelque temps ravis… »
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Cette affaire et les suites qui en découlent vont constituer la bête noire du préfectorat de Pierre François Brun. Depuis Toulouse, l’autorité militaire se mêle d’en finir militairement avec la bande à Dabail. Le 22 prairial an VIII (11 juin 1800), le général Commès requiert, par-dessus la tête de Pierre François Brun, le déploiement d’une force armée commandée par le bouillant adjudant général Chaussey, qui rêve d’en découdre à grands coups de canons et gargousses bis repetita, après la victoire remportée l’année précédente à Montréjeau sur les troupes royalistes du comte de Paulo. Pierre François Brun, qui a entre autres pour mission de restaurer la paix sociale, et qui craint de ressusciter la Grande Peur de 1789, entend, quant à lui, user plutôt de patience, car il compte sur la récompense promise aux éventuels dénonciateurs de la bande en question. Du coup, il se voit accusé d’attentisme antipatriotique, et même, accusé de complicité avec les suppôts des « scélérats royalistes » ! Toujours protégé par Cambacérès, il doit dans le même temps se justifier auprès du terrible Fouché, alors ministre de l’Intérieur. Finalement, sa méthode l’emporte : arrêté le 27 messidor an VIII (16 juillet 1800), puis évadé le 3 brumaire an IX (25 octobre 1800), Guillaume Sibra est repris et guillotiné à Foix le 22 brumaire an X (13 novembre 1801) 12Cf. Christine Belcikowski. La fin de Jean Dabail.. Pierre François Brun profite de l’occasion pour réformer le règlement et l’administration des prisons afin de mettre fin au scandale des trop nombreuses évasions. 13Cf. Christine Belcikowski. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française. Editions L’Harmattan. 2014.

Dans le contexte de révolte suscité par le poids de la conscription et par les mesures de coercition prises, de façon obligée, contre les familles des réfractaires et déserteurs, l’affaire de la bande à Dabail connaît cependant des suites gravissimes. Durant la nuit du 5 au 6 brumaire an XII (28-29 octobre 1803), c’est le drame à nouveau pour Pierre François Brun ! Incendiées par des mains criminelles, une grande partie de la préfecture ainsi que la plupart des archives conservées dans l’aile droite de cette dernière, brûlent. Surpris dans leur sommeil, Pierre François Brun et sa famille échappent de peu à la mort.

Réduit à vivre dans le même délabrement que lors de son arrivée de l’année 1800, contraint à racheter sur ses propres fonds son mobilier personnel qui est parti en fumée, rongé désormais par des soucis financiers et familiaux, Pierre François tombe malade quelque temps plus tard – rétention d’urine, coliques néphrétiques -, et il n’aspire plus dès lors qu’à regagner sa propriété de Poussan et à cultiver tranquillement ses vignes.

« Le préfet Brun avait perdu dans le brasier l’équivalent de 12 000 francs de meubles payés de ses « propres deniers », la pingre administration ne lui « ayant fourni que deux glaces et une table de marbre ». A cela s’ajoutait la majeure partie de son « linge de table, de lit et de corps », également réduite en cendres, ainsi qu’un « nombre infini de provisions domestiques, payées de sa poche » et parties en fumée. De plus, quelques aigrefins mirent à profit la confusion et dérobèrent la plupart des bijoux de son épouse […]. Durement éprouvé par cette « commotion terrible », il alla consulter son praticien habituel qui diagnostiqua une « affection nerveuse ». Plus traumatisée encore que ses parents, Caroline, sa « fille chérie », âgée alors de huit ans, sombra dans un tel délabrement mental qu’elle ne mena plus qu’une « vie languissante. » 14René Jean Pagès, La Folle des Pyrénées, pp. 138-139, éditions Empreinte, Portet-sur-Garonne, 2013.

Le ministère de l’Intérieur tarde à réagir. Les soutiens attendus des milieux du négoce et de la haute robe brillent par leur absence. Mince consolation pour le préfet accablé : le 14 juin 1804, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur 15Cf. Base Léonore. Pierre François Brun.. Dès 1805, Pierre François Brun formule sa demande d’accès à la retraite. Plusieurs fois refusée, cette demande ne sera acceptée qu’en 1808. Henri Dupont-Delporte succède alors à Pierre François Brun, premier préfet de l’Ariège.

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Ci-dessus : environs de Vicdessos.

Outre des affaires courantes, Pierre François Brun, avant son départ, doit s’occuper encore du cas de « la Folle des Pyrénées« , trouvée nue dans la montagne, le 7 juin 1808, du côté de Vicdessos. Il s’agit probablement de l’épouse d’un aristocrate, qui, de retour d’émigration, a été victime d’un viol après l’assassinat de son mari par des brigands, et qui a survécu dans la montagne, avec les ours. Pierre François Brun tente de régler ce cas sans sortir des bornes de la rigueur comptable propre à son préfectorat. Le sort de la « Folle des Pyrénées », observe-t-il, ne relève pas de son administration, car la malheureuse n’est pas originaire de l’Ariège !

D’abord incarcérée à la prison de Foix, la « Folle des Pyrénées », qui a perdu le souvenir de son passé et même de son nom, tombe rapidement malade, et son état nécessite, au dire de l’officier de santé de la prison, son transfert à l’hospice de Foix, tenu par les soeurs de Nevers. La jeune femme s’y trouve effectivement transférée en juin 1808. Mais à qui incombe-t-il de payer les frais de journée ? Pierre François Brun, qui se préoccupe, dans le même temps, d’organiser la participation de Foix à l’accueil de Napoléon à Toulouse, écrit à Fouché pour lui signaler que l’hospitalisation de la « Folle des Pyrénées » ainsi que les frais relatifs à cette dernière relèvent selon lui de la compétence de l’hôpital de la Grave, Haute-Garonne. La jeune femme, sur ces entrefaites, s’évade de l’hospice de Foix. Le 2 août suivant, elle est reprise aux abords de la commune d’Arignac et réincarcérée à la prison de Foix. Après le départ de Pierre François Brun, Henri Dupont-Delporte, arrivé à Foix le 22 septembre 1808, tente, plus vigoureusement que son prédécesseur, de fléchir l’indifférence de Fouché et d’obtenir au moins l’hospitalisation de la « Folle » à Pamiers ou à Saint-Lizier. En vain. L’infortunée jeune femme meurt le 29 octobre dans un cul-de basse-fosse situé au pied de la tour ronde de la prison de Foix, 16Cf. René-Jean Pagès. La Folle des Pyrénées. Editions Empreinte. 2013.

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Ci-dessus : vue actuelle de l’ancienne Campagne Fourcade de Pierre François Brun. Rattachée à la commune de Mèze, celle-ci se trouve mentionnée en 1827 dans le Procès-verbal d’indvidualité relatif au dossier de Pierre François Brun, chevalier de la Légion d’honneur. Cf. Base Léonore des Archives nationales. Dossier Pierre François Brun. Vue 5. « Au XIXe siècle, dans la plaine du Bas-Languedoc, les écarts sont tous des domaines vinicoles appelés « campagnes », avec une maison de maître, un ou des logements pour le personnel, et des bâtiments d’exploitation » 17Max Derruau. L’intérêt géographique des minutes notariales, des terriers et des compoix. Un exemple. In Revue de géographie alpine, tome 34, nº 3, 1946. pp. 355-380..

Rentré à Poussan avec sa famille, Pierre François Brun se partage entre sa maison de la grand’rue de la Place et sa belle campagne de Fourcade, située entre Poussan et Mèze. En 1809, il se trouve enregistré comme « associé vétéran » auprès de la Société des Sciences et Belles-Lettres de Montpellier, placée alors sous la protection de Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince Jean Jacques Régis de Cambacérès, Duc de Parme, Archi-chancelier de l’Empire 18Cf. Liste des membres de la société des Sciences, Belles-Lettres de Montpellier. Au premier mars 1809… p. 450.. Pierre François Brun demeurera jusqu’à sa mort membre de cette Société 19Cf. Extraits des procès-verbaux des séances., même si celle-ci tombe progressivemennt en sommeil à partir de 1816 et devra être recréée en 1846 sous le nouveau nom d’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier. Curieux depuis toujours de sciences et techniques, on ne sache pas cependant que Pierre françois Brun ait proposé, en tant qu’associé vétéran, aucune communication dans le cadre de la Société des Sciences et Belles-Lettres de Montpellier.

Pendant que dans l’Hérault, Pierre François Brun cultive à la fois ses vignes et les sciences et les arts, à Paris, Louis Clémént Barthélémy Cailus est devenu administrateur général des Messageries ; membre du Conseil général de la Seine en 1815 ; maire de Saint-Maur-des-Fossés (1808-1816 ; 1820-1828) ; membre du Conseil d’arrondissement de Sceaux et juge au Tribunal de commerce. Le 17 mars 1827, il reçoit le titre héréditaire de baron, par lettres patentes du roi Charles X. Ses armes sont « d’or à une tortue montant de sable, accompagnée de 3 étoiles d’azur, 2 et 1 » 20Gustave Chaix d’Est-Ange. Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle. Volume VIII, Bus-Cas, p. 97. Impr. de C. Hérissey. Évreux. 1909.. Adjoint du 12ème arrondissement en 1828, puis adjoint au maire du 6ème en 1829, il devient maire du 6ème et le reste jusqu’à son décès 21Cf. Michel Fleury, Dictionnaire biographique du Conseil municipal de Paris et du Conseil général de la Seine, tome 1, pp. 69-70. Comité d’Histoire de la ville de Paris. 1972..

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Archives dip. de l’Hérault. Sète. 1811-1819. Mariages.Registre 5 MI 12/13. Vue 272. 8 décembre 1817. Acte de mariage de Timoléon Brun et de Marie Pauline Reynaud.

Le 8 décembre 1817, Timoléon Brun, fils de Pierre François Brun, fait un beau mariage. Il épouse à Sète Marie Pauline Reynaud, fille du genéral Hilaire Benoît Reynaud, baron d’Empire, et d’Angélique Pelletier de Chambure ; arrière-petite-fille de Jean Reynaud, natif de Poussan, d’où arrière petite-nièce de Marie Larmand, première épouse de Pierre françois Brun.

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Archives dip. de l’Hérault. Montpellier. 1819. Naissances. Registre 5 MI 1/71. Vue 153. 14 juin 1819. Acte de naissance de Caroline Brun.

Timoléon Brun et Marie Pauline Reynaud seront les heureux parents d’une nouvelle Caroline Brun, née en 1819 ; d’Angélique Brun, née en 1822 ; de Jules Brun, né en 1824 ; d’Emile Brun, né en 1832.

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Ci-dessus : Archives dép. de l’Hérault. 1823-1835. Naissances, mariages, décès. Registre 5 MI 10/19. Vue 33. 2 avril 1824. Acte de décès de Pierre François Brun.

Pierre François Brun meurt le 2 avril 1824 à Poussan, dans sa maison de la grand’rue de la Place. A défaut d’avoir obtenu le titre de baron, il a pu sans doute, pratiquer comme Victor Hugo le bel art d’être grand-père.

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Ci-dessus : au cimetière du Père Lachaise, 28eme division, 2e ligne, Q, 29, tombe du baron Louis Clément Barthélémy Cailus.

Le baron Louis Clément Barthélémy Cailus meurt le 13 septembre 1833 à son domicile parisien, situé au nº 27 de la rue de Provence. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise, où sa tombe subsiste aujourd’hui encore.

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Archives dép. de l’Hérault. Poussan. 1836-1850 Naissances, mariages, décès. Registre 5 MI 10/20. Vue 16. 2 mai 1836. Acte de décès de Rose Sagnier, veuve de Pierre François Brun.

Jeanne Sagnier, veuve de Pierre François Brun, meurt le 2 mai 1836 à Poussan, dans la maison familiale de la grand’rue de la Place.

Nul ne sait hélas ce qu’il advient de Caroline Brun, la soeur puînée de Timoléon Brun. Elle a probablement été à Sète la marraine de sa nièce Caroline Brun. Est-ce bien sa signature que l’on lit sur l’acte de naissance de la fillette ? Je n’ai pu trouver ensuite ni le lieu ni la date de son décès.

References

1 Suzanne Fornier est la fille de Grégoire Fornier, capitaine, et d’Anne de Paul ; d’où la petite-fille de Jean Fornier, notaire royal, et l’arrière-petite-fille de Jean Fornier, viguier de Poussan.
2 Archives dép. de l’Hérault. Montpellier. Paroisse Notre Dame des Tables. Baptêmes, mariages (1759, 26 février-1764, 1er mai). Registre 5 MI 1/26. Vue 64. 20 novembre 1759. Acte de baptême de Louis Clément Barthélémy Cailus.
3 Pierre Fornier, fils de Jean-François Fornier (1715-1787), bourgeois de Poussan, et de Marianne Bernadon, petit-fils de Pierre Fornier, natif d’Aigues-Mortes, demeure sans lien de parenté identifiable avec Suzanne Fornier, grand-mère de Pierre François Brun.
4 Catherine Reynaud est, elle-même, la fille de Jean Reynaud, conseiller du Roi, maire de Poussan, et de Marie Fabre.
5 Archives dép. de l’Hérault. Montpellier. 1793-1794. Naissances (1793, 1er janvier-An II, 6 fructidor). Registre 5 MI 1/32. Vue 330. Acte de naissance de Timoléon Brun.
6 Concernant la carrière de Pierre François Brun, administrateur du département de l’Hérault, cf. passim J. Duval-Jouve. Montpellier pendant la Révolution. Volume 2 : Du 21 septembre 1792 au 18 brumaire an VIII. Camille Coulet, Libraire Editeur. Montpellier. 1881.
7 Vincent Bouscatel, La notabilité en Ariège – 1814/1830 – En Ariège sous la Restauration, p. 21, C. Lacour-Editeur, Nîmes, 1999.
8 Archives nationales. La situation des départements et l’installation des premiers préfets en l’an VIII (1799-1800), p. 80. La Documentation française. Paris, 2000.
9 Cf. Christine Belcikowski. Frédéric Soulié à propos de l’ancienne salle de bal de la préfecture de l’Ariège, à Foix.
10 Cf. La dormeuse, encore : 1800-1801, Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège par le Citoyen Mercadier.
11 Cf. Almanach impérial pour l’année 1810, chap. X : Organisation administrative, section II : Département de l’Ariège.
12 Cf. Christine Belcikowski. La fin de Jean Dabail.
13 Cf. Christine Belcikowski. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française. Editions L’Harmattan. 2014.
14 René Jean Pagès, La Folle des Pyrénées, pp. 138-139, éditions Empreinte, Portet-sur-Garonne, 2013.
15 Cf. Base Léonore. Pierre François Brun.
16 Cf. René-Jean Pagès. La Folle des Pyrénées. Editions Empreinte. 2013.
17 Max Derruau. L’intérêt géographique des minutes notariales, des terriers et des compoix. Un exemple. In Revue de géographie alpine, tome 34, nº 3, 1946. pp. 355-380.
18 Cf. Liste des membres de la société des Sciences, Belles-Lettres de Montpellier. Au premier mars 1809… p. 450.
19 Cf. Extraits des procès-verbaux des séances.
20 Gustave Chaix d’Est-Ange. Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle. Volume VIII, Bus-Cas, p. 97. Impr. de C. Hérissey. Évreux. 1909.
21 Cf. Michel Fleury, Dictionnaire biographique du Conseil municipal de Paris et du Conseil général de la Seine, tome 1, pp. 69-70. Comité d’Histoire de la ville de Paris. 1972.

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  • Gironce at 10 h 33 min

    Je ne vois pas ce qu’il y a de calomnieux de dire « fils de boucher ». Les bouchers sont des gens très honorables, au même titre que les autres professions. Personnellement, je me défends de faire acception des personnes, comme le conseille St.Paul. Je suis autant impressionné par le sans-abri que par le pape. Ni l’un, ni l’autre n’a priorité devant Dieu. Je descends d’une famille de paysans pauvres de Teilhet, je n’en ai aucun complexe et j’en suis même très fier, car elle a gagné son pain à la sueur de son front, contre toute adversité seigneuriale. La préférence de Dieu est aux pauvres. Cf. « les mondanités » vues par François.

    • La dormeuse at 10 h 51 min

      Cher Jacques, nous sommes bien d’accord. Mais ce sont les rescapés de la vieille noblesse, les anciens « scélérats royalistes », qui, en 1800, traitent Pierre François Brun, de « fils de boucher », et, venant de leur part, il s’agit bien là d’une calomnie, « accusation mensongère portée sciemment contre quelqu’un pour jeter sur lui le discrédit ». Il faut sans doute l’entendre dans leur bouche, comme je le signale dans mon article, à la fois au sens propre et au sens figuré de Robespierriste, « buveur de sang ».