En 1678, lettre de l’évêque de Mirepoix au marquis de Mirepoix

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Source : archives privées.

« A Mazerettes le 14e 7bre 1678

Monsieur mon cher nepveu le mauvais temps mempescha hier de me donner l’honneur de vous escrire pour vous faire scavoir ce que ie fis lundy a mon chapitre Il est vrai que ie priay M Chaunis [?] de vous donner le bonsoir et de vous le dire Cette nuit dernière Jay eu mal aux dents et cette douleur n’est pas entièrement passée Jassemblay mon chapitre lundy après disné et leur fis scavoir la Juste plainte que vous m’avies faict sur la conduitte de M Itier le iour quil officia, et en passant Je leur fis plainte de ce quils ne mavoit pas donné advis de cela jusqu’au Dimanche Ensuitte Je dis a M Itier en pnce du Chapitre quil avoit eu tort de ne vous avoir pas donné de lencens ny salué Selon la coutume de plurs années et que ce nestoit pas a un particulier a changer rien aux ordres du chapitre, et que sil avoit quelqu’ chose a reprendre sur Cela il devoit le faire mais que cependant il devoit obéir aux ordres qui sont établis, Je luy ordonnay de l’avis de mon Chapitre que lors quil officiera, il vous Saluera et Encensera et que sil y manque nous Userons du droit que nous avons, Je vous le dois mesner pour vous tesmoiyner quil na Jamais manqué de respect pour vous, et quil y a eu plustost oubliance et mesgarde que malice, ne croyant pas que vous y fussiés, Car vespres estoient commencées [?] lors que vous y vinstes, et que vous naviés pas de tapis il est vray que M Gibelot luy envoya dire de se souvenir de son debvoir et de vous porter lencens, ce que M Itier nyoit, alors ie fis venir le petit amat prebendier et luy commanday de dire la vérité, lequel dit luy avoir dit lui et autre ensuitte de lordre de M Gibelot surquoy M Itier dit ne lavoir pas ouy, a cause qu’alors on chantoit, aussi tost que ie le pourray Je vous yray voir a la Garde et vous mesneray M Itier, Je vous prie destre bien persuadé que ma plus forte passion est de vous plaire, ie vous prie aussi de me laisser gouverner cela [illisible] et vous seray satisfait de ma conduitte, il y a quelque chose que ie ne puis pas vous dire encorre voulant me claircir du faict auparavant, C’est a quoi ie travaille n’en tesmoignés rien a personne sur cela

Le de Mirepoix« 

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Ci-dessus : fils d’Anne de Lévis, duc de Ventadour, comte de La Voulte, pair de France, et de Marguerite de Montmorency, dame de Damville, de Meulan, Mantes, Saint-Jean d’Angély, Vigny, et Illiers en Champagne, Louis Hercule de Lévis Ventadour (? – 1678),  ; seigneur d’Annonay de Tannart, d’ajout, d’Avan, de Mézillac, de Montagne, de Vauvert ; ancien supérieur de la maison jésuite de la rue Saint Antoine à Paris ; évêque de Mirepoix de décembre 1655 à décembre 1678. Mort à Montpellier, inhumé dans la cathédrale de Montpellier.

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Ci-dessus : dans l’église Saint Médard de Vigny (95), à laquelle Marguerite de Montmorency a offert deux cloches, vue d’une plaque commémorant la consécration de Louis Hercule de Lévis Ventadour, nommé en 1655 évêque de Mirepoix.

Datée du 14 septembre 1768, signée « Le de Mirepoix », la lettre reproduite ci-dessus émane de Louis Hercule de Lévis Ventadour, alors évêque de Mirepoix. Adressée à « Monsieur mon cher nepveu », elle a pour destinataire Gaston Jean Baptiste de Lévis I (1636-1687), alors seigneur de Mirepoix.

Soulignant ainsi la parenté qu’il entretient avec son correspondant, Louis Hercule de Lévis Ventadour choisit de s’adresser à Gaston de Lévis I, d’oncle à « neveu ». Les deux hommes partagent en effet le même patronyme. Mais ce même patronyme leur vient d’une parenté fort lointaine, puisqu’il faut remonter à Gui de Lévis III pour en retrouver la source.

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Plus âgé que Gaston de Lévis I, Louis Hercule de Lévis Ventadour use de la formule « mon cher nepveu », pour signifier au « neveu » en question qu’il se propose de traiter de façon dépassionnée, empreinte de la cordialité qui sied aux membres d’une même famille, la « juste plainte » de « Monsieur ». L’offense qui suscite cette plainte est ici :

A vespres, M. Itier avoit eu tort de ne vous avoir pas donné de lencens ny salué Selon la coutume de plurs années.

Survenu à Mirepoix dans la cathédrale, dont le chapitre ménage les offices, l’incident participe de la querelle des honorifiques, initiée par Alexandre de Lévis, père de Gaston de Lévis I, poursuivie à grand bruit par Louise de Roquelaure, mère du même Gaston de Lévis I, et continuée encore par Gaston de Lévis I lui-même.

Depuis le 30 septembre 1650 en effet, nonobstant les nombreuses protestations enregistrées par Louis de Nogaret, prédécesseur de Louis Hercule de Lévis Ventadour à la tête de l’évêché de Mirepoix, un arrêt du Conseil du Roi, confirmé le 13 août 1668, stipule que « la maisonde Lévis jouit des droits, honneurs, dignités et prégrogatives qu’elle a toujours eus dans la cathédrale », et, plus spécialement, que le chef de cette maison a le droit de s’intituler « fondateur dotal de l’église de Mirepoix et Maréchal de la Foi ». 1Félix Pasquier et Siméon Olive. Archives du château de Léran. Inventaire historique et généalogique des documents de la branche Lévis Mirepoix. Volume V. Procès n° 34. Querelle des honorifiques. Evêques et seigneurs à Mirepoix au XVIIe siècle, pp. 557-664 passim. Imprimerie et Librairie Edouard Privat. Toulouse. 1909..

L’attitude de M. Itier témoigne de ce que, en 1678, l’exécution d’un tel arrêt ne suscite toujours pas l’adhésion unanime du chapitre. Fort cependant de l’arrêt de 1850 et de la confirmation de ce dernier en 1668, Gaston de Levis I, marquis de Mirepoix, a choisi de réclamer derechef l’application des droits reconnus à sa famille par le Conseil du Roi, d’où, adressé au chapitre de l’église cathédrale de Mirepoix, le 19 janvier 1678, un acte de réquisition concernant « l’exécution des arrêts obtenus par la marquise de Mirepoix, sa mère, et des délibérations prises par ledit chapitre au sujet des honneurs à rendre dans ladite église ». La dite réquisition peine manifestement à produire les effets escomptés.

L’affaire embarrasse fort Louis Hercule de Lévis Ventadour, évêque de Mirepoix, qui a théoriquement autorité sur le chapitre, et « oncle » de Gaston de Lévis I. On le voit aux considérations plus ou moins dilatoires qu’il égrène à l’intention de son « nepveu » dans les premières lignes de la lettre reproduite ci-dessus :

« Monsieur mon cher nepveu le mauvais temps mempescha hier de me donner l’honneur de vous escrire pour vous faire scavoir ce que ie fis lundy a mon chapitre Il est vrai que ie priay M Chaunis [?] de vous donner le bonsoir et de vous le dire Cette nuit dernière Jay eu mal aux dents et cette douleur n’est pas entièrement passée Jassemblay mon chapitre lundy après disné et leur fis scavoir la Juste plainte que vous m’avies faict sur la conduitte de M Itier le iour quil officia, et en passant Je leur fis plainte de ce quils ne mavoit pas donné advis de cela jusqu’au Dimanche…« 

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L’affaire, en ce mois de septembre 1678, inspire à Monseigneur de Lévis Ventadour un mal de dents si tenace qu’il lui faudra un mois pour prendre la décision attendue par son « son cher nepveu ».

Le 18 novembre 1678, un document conservé naguère aux archives du château de Léran fait état de la « délibération prise par Louis Hercule de Lévis Ventadour, évêque de Mirepoix, et de son chapitre, désavouant le refus fait par le chanoine Itier, officiant, de donner l’encens au marquis de Mirepoix. »

On notera que le 19 novembre 1678, M. Chauvin, capitaine des gardes du seigneur de Mirepoix, se présente devant le chapitre, assemblé dans la sacristie de la cathédrale sous la présidence de Monseigneur de Lévis Ventadour. Au nom de son maître, il formule des propositions au sujet de la chapelle Saint Gaudéric que Gaston de Lévis I a fait voeu « d’accommoder et embellir », si jamais son fils guérissait d’une grave maladie contractée à Paris. Aucune objection ne fut faite et l’autorisation fut donnée au marquis de procéder, comme bon lui semblerait, aux travaux d’embellissement. »

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM1/5MI663 (1676-1679). Vue 113-114. Sépulture de Louis Hercule de Lévis Ventadour.

Louis Hercule de Lévis Ventadour, de retour des Etats du Languedoc réunis cette année-là à Montpellier, meurt le 6 janvier 1679 au château de Pouzols, dans le Minervois. Ramenée à Mirepoix, sa dépouille est ensevelie dans la cathédrale Saint Maurice, le 10 janvier 1679.

« Gaston de Lévis I craignit sans doute quelque difficulté dans l’accomplissement de ses projets ; redoutait-il qu’on attribuât à sa parenté avec le prélat défunt l’autorisation accordée par le chapitre et que cette permission, considérée comme un acte de complaisance, ne fût retirée ? Le 19 janvier 1679, juste après le décès de Monseigneur de Lévis Ventadour, il crut devoir de nouveau s’adresser au chapitre pour obtenir confirmation de la délibération précédente. Son appréhen- sion était vaine ; les chanoines ne revinrent pas sur leur décision première. » 2Archives du château de Léran. Inventaire des documents de la branche Lévis Mirepoix. Volume III, pp. 521-522.

A la différence de Louis Hercule de Lévis, Pierre de la Brouë, son successeur, se montrera par la suite moins conciliant avec Gaston de Lévis I, qui, le 18 mars 1680, lui dispute à Fanjeaux la préséance de l’assiette du diocèse ; qui, par arrêt du 19 avril 1781, lui fait signifier d’avoir à rétablir « les sièges situés dans le choeur de l’église cathédrale et destinés aux seigneurs et dames de Mirepoix » ; qui, le 23 décembre 1684, somme le chapitre d’envoyer au château de Lagarde, « la veille de Noël suivant l’usage immémorial, le clergé nécessaire à la célébration de la messe de minuit », etc.

Heureusement pour Louis Hercule de Lévis Ventadour, puis pour Pierre de la Brouë, ainsi que pour leurs chapitres respectifs, Gaston de Lévis I aura vécu la plupart du temps à Versailles, où « il participait aux fêtes de la cour : on le vit danser notamment dans les ballets La Nuit, Les Muses, et Le Triomphe de l’Amour » 3Georges Martin. Histoire et généalogie de la maison de Lévis, p. 41. Imprimerie Sud Offser. 42 150 La Ricamarie.. Il parut ainsi, à côté du Roi, dans le rôle de la Gloire, disant ces vers de Benserade, dans des décors de Torelli :

« Jeune je cherche de l’employ,
Méprisant les choses obscures
Et cours après les aventures
Afin que l’on parle de moy.
« 

Gaston Jean Baptiste de Lévis I meurt chez Jean Mathias de Riquet, au château de Frescaty, à Toulouse, le 6 août 1687. Conformément à sa demande, sa dépouille est ensevelie « dans la chapelle Sainte Barbe que Louise de Roquelaure, sa mère, a fait bâtir au cimetière de Lagarde ».

Très occupé par ses fonctions de mestre de camp dans la 1e compagnie des mousquetaires, puis de sous-lieutenant dans la 2e compagnie des mousquetaires, engagé à ce titre dans la guerre que le Roi mène en 1697 aux Pays-Bas, Gaston Jean Baptiste de Lévis II, fils de Gaston Jean Baptiste de Lévis I, ne semble pas avoir eu le temps de prolonger à Mirepoix la querelle des honorifiques.

References

1 Félix Pasquier et Siméon Olive. Archives du château de Léran. Inventaire historique et généalogique des documents de la branche Lévis Mirepoix. Volume V. Procès n° 34. Querelle des honorifiques. Evêques et seigneurs à Mirepoix au XVIIe siècle, pp. 557-664 passim. Imprimerie et Librairie Edouard Privat. Toulouse. 1909.
2 Archives du château de Léran. Inventaire des documents de la branche Lévis Mirepoix. Volume III, pp. 521-522.
3 Georges Martin. Histoire et généalogie de la maison de Lévis, p. 41. Imprimerie Sud Offser. 42 150 La Ricamarie.

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