Féminités ibéro-languedociennes

 

 

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J’ai profité avant-hier d’un passage à Toulouse pour retourner au musée Saint-Raymond, que j’aime beaucoup. On peut y voir actuellement une exposition temporaire consacrée aux fouilles mises en oeuvre dans le secteur de la caserne Niel. Ces fouilles ont permis de retrouver les nombreux vestiges de la ville gauloise qui a précédé la ville gallo-romaine sur ce site. Elles montrent que la cité dite « gauloise » établie sur le site en question appartient par ses caractéristiques à la zone de civilisation ibéro-languedocienne, ou galatique, qui intéressait au IIIe siècle avant J.C., selon Strabon, l’ensemble des populations installées entre Rhône et Ebre.

Je considérais la collection de monnaies retrouvées lors des fouilles du quartier Niel, lorsque la vue d’un visage de femme figuré sur l’une de ces monnaies m’a fait souvenir d’un autre visage de femme décrit et commenté par Jean-Jacques Soulet dans un article consacré au fragment de sarcophage conservé dans l’église de Plaigne, Aude 1Jean-Jacques Soulet, Fragment de sarcophage dans l’église de Plaigne, in Mémoires de la société du Garnaguès – Belpech et son canton, tome 1, pp. 27-41, Imprimerie de la Manutention, Mayenne, 1994.. J’avais lu l’article la veille.

Son visage, très abîmé dans la partie inférieure, s’illumine par deux grands yeux légèrement en amande, sous des arcades sourcilières prononcées, observe Jean-Jacques Soulet à propos de la femme figurée sur le sarcophage de Plaigne. Le nez, tel qu’on peut le voir, présente un léger empattement des narines. De son visage floride, comparé à celui des autres personnages, il ressort une suavité féminine. Sa coiffure sobre s’ouvre sur le front et ses cheveux tirés en arrière à partir de l’oreille sont attachés à la manière d’un couvre-nuque. Elle porte, semble-t-il, un voile perceptible sur le côté gauche de sa tête. Il apparaît même sur ce côté du visage une partie d’une « jugulaire » qui dissimule l’oreille. Ce personnage marque une présence par sa silhouette sereine et majestueuse. 2Ibidem, p. 31.. Il pourrait s’agir de l’épouse du défunt, sans doute un magistrat enseveli dans le sarcophage.

La monnaie en bronze ibéro-languedocienne exposée au musée Saint-Raymond vient de la région de Montlaurès, dans l’Aude. Elle comporte, outre une légende en caractères ibériques : « NERONKEN », sur son avers une tête féminine voilée, sur son revers un taureau bondissant. Le mot « Neronken » désigne les habitants de *Nero/Naro, nom ibéro-languedocien de Narbonne.

La femme voilée qui figure sur la monnaie frappée par les Neronken ne représente sûrement pas une personne existante, mais une entité symbolique, telle que la Fortune, ou quelque déesse d’abondance 3Sur les monnaies ibéro-languedociennes, cf. par exemple Michel Feugère, Michel Lhermet, Michel Py, Les petits bronzes longostalètes à la corne d’abondance, in Cahiers Numismatiques 42, sept. 2005, 165 (2005) pp. 13-21.. Si elle représente la Fortune, il se peut qu’elle symbolise aussi, de façon ambivalente, l’autre visage de la Fortune, la Parque plus ancienne, Parca Maurtia dans la Rome primitive, qui symbolise la destinée. Auquel cas, la femme voilée du sarcophage de Plaigne pourrait bien représenter, de façon complexe, à la fois l’épouse d’un magistrat de notoriété locale, et le calme visage de la vie et de la mort, telles que celles-ci s’entretiennent sous le couvert de l’universelle destinée.

Le hasard a voulu que ces féminités ibéro-languedociennes viennent à ma rencontre l’autre jour, ou alors que je marche sans savoir au devant d’une telle rencontre. J’aime ces rencontres de hasard, troublantes, troublantes.

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