Ulysse au café de la barrière d’Enfer

Ter frustra comprensa manus effugit imago,
par leuibus uentis uolucrique simillima somno.

Par trois fois, vainement saisie, l’image lui échappe des mains,
à l’égal des brises légères, et toute pareille à un songe qui s’envole.
((Virgile. Enéide. VI, 701-702.))

Assis sur la banquette d’un café
de la barrière d’Enfer,
Ulysse a oublié de boire
son verre de vin noir.
Il fixe là-bas
au fond de la salle,
l’écran qui scintille.
C’est au bord d’un fleuve.
Quelqu’un marche au hasard,
dans la foule en attente,
sous une lune rouge.
Des inconnus lui tendent les bras.
Il serre dans sa main
un marron
qu’un enfant, hier,
lui a donné
dans la rue.
Quelque part des chiens
hurlent.
— Tu es venu enfin !
Un homme et une femme
s’avancent vers lui,
jeunes et beaux
comme sur les photos
qu’il garde des années profondes,
quand il était petit
et qu’il jouait dans le sable
au bord de la mer.
— Tu es venu enfin !
Les larmes lui brouillent la vue.
Par trois fois
il tente de s’approcher d’eux,
d’entrer dans le rayon
de leurs corps radieux,
de toucher un peu
au bonheur d’antan.
Mais ils disparaissent,
à l’égal des brises légères
et tout semblables à un songe
qui s’envole.
— C’est ton film,
dit Tirésias, revenu.

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