Maître Michel Toursier, fils puîné d’une famille de marchands, à Chalabre au XVIIIe siècle

Je m’intéresse ici à l’histoire de ces puînés de famille qui, faute de pouvoir succéder à leur père dans une charge noble ou dans une activité roturière, optent pour une carrière ecclésiastique, ou se trouvent poussés dans cette dernière. Tel est, semble-t-il, le cas de Michel Toursier, fils d’Etienne Toursier, marchand de Chalabre, descendant d’une famille originaire de Prunières, au diocèse d’Embrun. L’Abbé Toursier connaîtra au demeurant une carrière ecclésiastique modeste. Il en va ainsi de bien d’autre puînés dans la procession familiale du XVIIIe siècle. Anne Toursier, l’une des soeurs de Michel Toursier, benjamine de la famille, mènera en revanche une brillante carrière de négociante à Toulouse. Jean Toursier, l’un des frères du même Michel Toursier, accélèrera sa carrière de marchand en épousant Isabeau Acher, soeur de Justin Acher, grand négociant de Sainte-Colombe.

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Ci-dessus : état et condition de quelques fils puînés dans la généalogie des familles Toursier et Acher. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

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8 avril 1698. Mariage d’Etienne Toursier et de Jeanne Lombard. Présents, Monsieur Raymond Lombard et Monsieur Denis Toursier, parents. Archives dép. de l’Aude. Tourreilles. Document 100NUM/AC394/1E1 (1673-1802). Vue 84.

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Ci-dessus : 6 avril 1701. Baptême de Raymond Toursier, premier fils du Sieur Estienne Toursier et de Demoiselle Jeanne Lombard. Parrain, le sieur Raymond Lombard [grand-père maternel de l’enfant], de Tourreilles ; marraine, Demoiselle Marie Garzelle [grand-tante de l’enfant], veuve du feu Sieur Duranat. Présents à la cérémonie, les sieurs Denis Toursier et Noé Toursier [grand-père paternel ((Noé, ou Noël, Toursier mourra Noé ou Noel Toursier mourra le 17 février 1705. Archives dép. de l’Aude. Chalabre (1700-1712). Document 100NUM/AC91/GG8. Vue 53.)) de l’enfant]. Archives dép. de l’Aude. Chalabre (1700-1712). Document 100NUM/AC91/GG8. Vue 13.

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Ci-dessus : 9 septembre 1704. Baptême de Michel Toursier, deuxième fils de Monsieur Estienne Toursier, marchand, et de Demoiselle Jeanne Lombard. Parrain, Monsieur Michel Toursier, marchand, [oncle de l’enfant] ; marraine, Mademoiselle Marie Lombard, veuve de Monsieur Combes, bourgeois. Signatures de François Pressoires, prêtre, Pierre Duranat, curé de Pomas, et Gautier, curé de Chalabre. Archives dép. de l’Aude. Chalabre (1700-1712). Document 100NUM/AC91/GG8. Vue 48.

Né le 9 septembre 1704 d’Etienne Toursier, marchand, et de Jeanne Lombard, marchande elle aussi, Michel Toursier est le troisième d’une fratrie de onze enfants, et, dans cette fratrie, le frère cadet de Raymond Toursier. Au vu des actes de baptême reproduits ci-dessus, on remarque que, dès leur naissance, les deux frères se trouvent placés sous des auspices différents.

Deux grands-parents, un oncle et une grand-tante se penchent sur le berceau de Raymond Toursier, garçon premier venu au foyer d’Etienne Toursier et de Jeanne Lombard : le cercle de famille s’agrandit ici d’un enfant en qui on voit, tradition oblige, le futur mainteneur de la lignée et le successeur naturel de l’activité marchande.

Trois prêtres se penchent sur le berceau de Michel Toursier, deuxième garçon du même couple : le cercle de famille s’agrandit là d’un cadet qu’on voue, semble-t-il, à la prêtrise, afin de réserver à son frère aîné même état et même condition que son père, et par suite, afin de lui assurer plus tard, à lui, fils cadet, un autre état et une autre condition, du moins on l’espère. Ce seront, comme veut l’usage d’alors, l’état et la condition ecclésiastiques ((Hormis celles qu’on relève dans les registres paroissiaux, toutes les dates relatives aux carrières ecclésiastiques évoquées ci-dessous, sont tirées de l’Inventaire sommaire des archives de l’Aude antérieures à 1790 et de l’Inventaire de la Sous-Série 2 E, Familles et Sociétés, des Archives départementales de l’Aude.)).

Le programme s’exécute ensuite conformément à sa prévision initiale. En 1727, soit à l’âge de vingt-trois ans, Michel Toursier obtient ses lettres de minorat ; en 1720, ses lettres de sous-diaconat ; en 1729, ses lettres de diaconat ; en 1732, le titre de l’obit du château de Labastide, fief de la famille de Béon Cazaux.

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Ci-dessus : clocher de l’église de [Labastide de] Cazaux.

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Ci-dessus : sépulture de Guillaume Duran à [Labastide de] Cazaux, le 4 octobre 1731 ; sépulture de Bernard Gesse, curé de Cazaux, le 14 septembre 1734. Archives dép. de l’Aude. Gueytes-et-Labastide (1707-1765). Document 100NUM/AC171/1E1. Vue 9.

On ne relève au demeurant que deux sépultures ménagées par les soins de Michel Toursier à l’église du château de Cazaux, qui sert d’église paroissiale au village de Labastide de Cazaux. De 1707 à 1729, cette église a pour curé l’Abbé Maluesin ; puis, de 1729 à 1734, l’Abbé Gesse ; puis en 1738, l’Abbé Casaben. Divers desservants s’y succèdent ou y alternent ensuite jusqu’en 1743 : l’Abbé Denzac, curé de Corbière ; l’Abbé Bounaure, prêtre ; l’Abbé Grizou, recteur [cure non précisée] ; l’Abbé Toursier, curé de Caudeval, etc. A la fin de l’année 1743, la paroisse de Cazaux retrouve un curé en la personne de l’Abbé Monparrat. Celui-ci y exercera sa charge jusqu’en 1765. Après 1765, le culte ne sera plus célébré, semble-t-il, qu’à l’église de Gueytes.

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Ci-dessus : église de Caudeval.

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Ci-dessus : église et château de Lignairolles.

La consultation des registres paroissiaux des villages proches du château de Labastide montre que, de 1731 à 1751, Michel Toursier est curé de Caudeval et de Lignairolles, annexe de Caudeval. C’est donc à titre de curé de la paroisse voisine qu’il se trouve présent à l’église du château de Labastide, le 1er mai 1735, afin d’assister au baptême d’un petit Louis Rivel.

Le 9 mai 1738, Michel Toursier, curé de Caudeval, est présent au mariage de Jean Toursier ave Isabeau Acher, fille de Jean Acher, marchand drapier de Sainte-Colombe, et de Françoise Pradier. ((Archives dép. de l’Aude. Sainte-Colombe_sul’Hers (1706-1765). Document 100NUM/AC336/GG4. Vue 193.))

En mai 1741, Michel Toursier a à connaître d’une affaire d’acte de baptême manquant, témoin d’un désordre d’origine plus ancienne qui affecte le registre de Lignairolles, annexe dont il se trouve en charge.

Jean Marty, consul, habitant de Lignairolles, âgé d’environ quarante-cinq ans, se plaint auprès de Jean Baptiste de Champflour, évêque de Mirepoix, de ce que son acte de baptême demeure introuvable dans le registre de sa paroisse natale. ((Archives dép. de l’Aude. Seignalens (1737-1752). Document 100NUM/AC375/1E2. Vue 6.))

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Archives dép. de l’Aude. Seignalens (1737-1752). Document 100NUM/AC375/1E2. Vue 7.

A la requête de Jean Marty, Monseigneur de Champflour « commet le vénérable curé de Caudeval », en l’occurrence Michel Toursier, « pour faire l’enquête du jour de la naissance et baptême de Jean Marty, habitant de Lignairolles, en dresser le procès-verbal, pour le tout à nous rapporté être ordonné ce qu’il appartiendra. »

Le commissaire Toursier mène l’enquête… Le 13 mai 1741, il interroge à cette fin trois témoins :

Témoin nº 1. Jean Marty, environ soixante-dix ans, parrain de Jean Marty.

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Archives dép. de l’Aude. Seignalens (1737-1752). Document 100NUM/AC375/1E2. Vue 7.

Témoin nº 2. Toinette Marty, environ soixante-huit ans, marraine de Jean Marty.

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Archives dép. de l’Aude. Seignalens (1737-1752). Document 100NUM/AC375/1E2. Vue 7.

Témoin nº 3. Jean Durand, environ quatre-vingts ans.

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Archives dép. de l’Aude. Seignalens (1737-1752). Document 100NUM/AC375/1E2. Vue 7.

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Le 14 mai 1741, Monseigneur de Champflour valide en faveur de Jean Marty, demandeur de son acte de naissance, les témoignages recueillis par l’Abbé Toursier. ((Archives dép. de l’Aude. Seignalens (1737-1752). Document 100NUM/AC375/1E2. Vue 7.))

En 1751, conséquence possible de la lacune observée dans l’enregistrement de l’acte de décès de l’Abbé Franc, Michel Toursier est nommé curé de Seignalens. Il obtient la même année l’autorisation de permuter sa cure avec la prébende mirapicienne de Paul Calmet. En 1752, restant bénéficiaire d’un titre de pension sur la cure de Seignalens, il se trouve effectivement nommé à la prébende de Paul Calmet, et Paul Calmet dans le même temps se trouve effectivement nommé à la cure de Seignalens, puis un peu plus tard à la cure de Caudeval.

Le 26 septembre 1658, Jean Pierre du Solier, de la paroisse Sainte Geneviève, au diocèse de Rodez dans le Rouergue, réclame à Monseigneur de Champflour l’acte de décès de « Monsieur Maître Franc », qui est mort « étant vicaire sur la paroisse de Seignalens, dans le diocèse de Mirepoix ». Cet acte ne figure pas non plus dans le registre paroissial de Seignalens. ((Archives dép. de l’Aude. Seignalens (1737-1752). Document 100NUM/AC375/1E2. Vue 8.))

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Archives dép. de l’Aude. Seignalens (1737-1752). Document 100NUM/AC375/1E2. Vue 9.

Monseigneur de Champflour nomme cette fois commissaire de l’enquête Paul Calmet, alors curé de Caudeval en remplacement de Michel Toursier. Suite à l’enquête menée par l’Abbé Calmet, il apparaît que « Monsieur Maître Franc, étant vicaire de la paroisse de Seignalens, est mort, au dire de trois témoins, « pendant qu’on battait le blé », ou « sur la fin d’août ou au commencement de septembre », ou « le jour de la Saint Barthélémy », durant l’été 1730 ((Archives dép. de l’Aude. Seignalens (1737-1752). Document 100NUM/AC375/1E2. Vues 8-9.)).

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Ci-dessus : vue générale du village de Seignalens.

Sachant que dans les années 1730, l’Abbé Casaben, desservant de Seignalens, anciennement curé de Malegoude, était dans le même temps desservant de Gueytes et curé de [Labastide de] Cazaux, on devine pourquoi l’acte de décès de l’Abbé Franc manque dans le registre paroissial : il n’y avait personne pour l’enregistrer. L’abbé Casaben se trouvait pris par sa charge ailleurs.

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Archives dép. de l’Aude. Gueytes-et-Labastide (1707-1765). Document 100NUM/AC171/1E1. Vue 16.

Au XVIIIe siècle, dans la campagne audoise, le manque de prêtres sévit déjà. D’une paroisse l’autre, ceux-ci courent en tous sens. A pied, à cheval… Et ils sont pauvres. Comme nombre d’autres de ses semblables, la paroisse de Gueytes n’est visitée, au dire de l’Abbé Rieutort en 1738, que « de quinze en quinze, et souvent plus rarement. On n’en tire au demeurant que la moitié de la dîme… » Le jeu de « chaises musicales » entre les différentes cures va bon train.

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12 décembre 1760. Décès de Michel Toursier, prêtre et bénéficier du Chapitre de Mirepoix. Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Paroisse Saint Maurice (1754-1767). Document 1NUM/3E125/2. Vue 137.

Nanti de cette prébende, à laquelle, semble-t-il, il commençait d’aspirer fortement après son expérience de la cure de Caudeval, augmentée de la desservance de Gueytes et de [Labastide de] Cazaux ainsi que de celle d’autres paroisses de même type, Michel Toursier meurt à l’âge de cinquante-huit ans, le 12 décembre 1760 à Mirepoix.

Epilogue

Jean Paul Acher, fils puîné du marchand Jean Acher, entre dans les ordres, et devient Chartreux ; Jean Antoine Acher, autre fils puîné du même Jean Acher, entre dans les ordres lui aussi ; Jean Jacques Sylvestre, autre fils encore du même Jean Acher, devient quant à lui chanoine du grand Chapitre de Chartres. Antoine Toursier, fils puîné de Jean Toursier et d’Isabeau Acher, reçoit ses lettres de tonsure en 1761, puis en 1764 son titre clérical. On ne sait rien de son sort ultérieur. Autres destins, parfois plus notables, de fils puînés…

A lire aussi : Stratégies matrimoniales au XVIIIe siècle dans le diocèse de Mirepoix et constitution du parti des marchands