Histoire des marquis de Portes en Ariège

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Ci-dessus : vue du château de Roques dans les années 1900. Cliquez sur les images pour les agrandir.

Issue d’une antique maison dauphinoise, la famille de Portes migre d’abord dans la région de Nîmes, puis dans la région d’Albi. Noble Denis de Portes meurt à Castres à l’âge de 74 ans. Il laisse deux fils : Pierre de Portes, né de son premier mariage avec Jeanne d’Augier ; Jean de Portes, né en 1634 de son second mariage avec Catherine Belat.

Jean de Portes épouse Izabeau Ronclin. Né en 1634, Jacques de Portes, leur fils, opte plus tard pour la religion protestante. En 1685, date de la révocation de l’édit de Nantes, il quitte la France pour se réfugier à Lausanne où il obtient la nationalité suisse. La branche dont il est le fondateur s’éteint en 1832.

Pierre de Portes, qui a persévéré, lui, dans la foi catholique, épouse Suzanne de la Rocques. De ce mariage naît Jean François de Portes. Jean François de Portes épouse le 8 mars 1654 Marie Guibal. Le couple aura cinq enfants : Jean de Portes ; Suzanne de Portes ; Magdeleine de Portes ; François de Portes ; Joseph François de Portes.

Né à Saint-Pons de Thomières dans l’Hérault, Jean François de Portes achète le 6 février 1673 à Suzanne de Verdiguier, veuve du marquis de Bruguéroux, dont il est cousin, le château de Pontguiraud et la baronnie de Pardailhan, et il s’y installe dès lors en tant que baron de Pardailhan. « Premier seigneur foncier direct et universel de la baronnie de Pardailhan », il y meurt en 1700 à l’âge de 80 ans.

1. Joseph François de Portes, premier marquis de Portes

Joseph François de Portes, le plus jeune des fils de Jean François de Portes, épouse le 28 juin 1733 Henriette d’Aignan d’Orbessan, issue d’une prestigieuse famille toulousaine. Devenu par la suite président au Parlement de Toulouse, il fait partie dès lors de l’élite de la noblesse de robe du Languedoc.

Le 7 Avril 1745, il acquiert de Dame de Bourbon Malauze, comtesse de Poitiers, héritière de son frère, la baronnie de Lapenne et toutes ses dépendances, comprenant les lieux de Lapenne, Saint Félix de Tournegat, Vals, Teilhet, Manses, Ribouisse, Vilautou, Puech Grimaud, Plaigne, Seignalens, Lignerole, Orssens, Esceuillens, Corbière, Courtouly, Saint Benoit, Tournebouch, ainsi que les forêts de Bélène et de Bellegarde dans la terre de Mirepoix, (approximativement 20.000 hectares).

Le 14 mai 1745, il afferme pour six années au sieur Jean Pierre Rouet, marchand à Limoux, tous les revenus de ses baronnies de Lapenne, Manses et Seignalens, etc., pour la somme 6.800 livres, « payable annuellement en la ville de Toulouse en l’hôtel du dit Seigneur. »

En février 1747, par lettres patentes du roi Louis XV, la baronnie de Lapenne et les seigneuries dépendantes de cette dernière se trouvent érigées en marquisat, et Joseph François de Portes, baron de Pardailhan, institué marquis de Portes.

Edifié vraisemblablement sur ce qui restait de l’ancien prieuré bénédictin de Saint Jean de Manses, en partie ruiné par les troupes de Simon de Montfort peu après la prise de Mirepoix en septembre 1209 (le chef de la croisade réduisait ainsi les monastères qui avaient pactisé avec les Cathares, respectant seulement l’église, qu’il préservait), le château de Manses devient le siège du marquisat. Il porte dès lors le nom de Portes, ainsi que le village attenant.

En 1750, le marquis de Portes cède la baronnie de Pardailhan à la famille de Treil. Le 30 mars 1753, il obtient l’autorisation d’établir une forge à Manses, dans le consulat de Teilhet, soit à l’endroit même relativement auquel, en 1729 déjà, la famille de Malauze avait obtenu ladite autorisation, mais sans avoir pu donner suite à ce premier projet. Dans le développement de son propre projet, le marquis de Portes réinvestit sans doute le produit de la vente de la baronnie de Pardailhan. Un inventaire des forges en Ariège au XIXe siècle indique que l’activité de ladite forge a démarré en 1754.

Le 1 mars 1758, le Président de Pardailhan, marquis de Portes, afferme le « pred du Pesquier », pour six années, à Jean Cabanié, consul, Julien Laquête, Bertrand Carbonel, fils d’Antoine, et Henri Bardou.

Joseph François de Portes meurt en 1759 à l’âge de 58 ans. De son mariage avec Henriette d’Aignan d’Orbessan sont nés quatre enfants ; Antoine François Auguste de Portes ; Claire Alexandrine de Portes ; Françoise Honorée de Portes ; Jeanne Henriette de Portes.

2. Antoine François Auguste de Portes, deuxième marquis de Portes

Antoine François Auguste de Portes succède à son père en tant que deuxième marquis de Portes. Le 1 septembre 1768, alors président au parlement de Toulouse, il afferme à Jean Baptiste Gaston Cailhau fils, habitant du Peyrat, la terre de Portes, les moulins, la forge à fer, le tout pour une durée de neuf années et pour le prix et somme, chaque année, de 19.000 livres.

Le 12 mars 1773, il procède à un échange avec le marquis de Mirepoix en lui cédant 56 arpents de terre en bois qu’il possède dans la forêt de Bellegarde. En contre partie de quoi, le marquis de Mirepoix lui cède 56 arpents de terre en bois qu’il possède au consulat des Bessous au lieu dit « Las barthes de Saint Pierre « , confrontant Paul Scié, Paul Fabry, Guillaume Vergne, Jean Peyrat, Dominique Cassignol. Afin de fixer d’une manière immuable les limites des terres échangées, le marquis de Mirepoix fait placer sept bornes gravées à ses armes ; le marquis de Portes en fait placer six autres de son côté, également gravées à ses armes.

Le 3 avril 1775, alors président en la seconde chambre des requêtes, Antoine François Auguste de Portes renouvelle le bail de Jean Baptiste Cailhau, pour neuf années supplémentaires et pour la somme de 24.000 livres cette fois, suite à l’acquisition de la métairie de Rocques, laquelle se trouve désormais comprise dans le bail susdit.

Le 26 octobre 1783, alors conseiller de grande Chambre et président honoraire des enquêtes au parlement de Toulouse, Antoine François Auguste de Portes renouvelle pour la troisième fois le bail de Jean Baptiste Cailhau, ce pour huit années, à charges de payer annuellement la somme de 11.000 livres, sachant que les moulins ne sont plus compris dans le bail susdit.

Antoine François Auguste de Portes meurt en 1790 à l’âge de 56 ans. Marié à Marguerite de Casamajor de Charritte, il laisse trois enfants : Jean Joseph Thomas de Portes ; Gabriel de Portes ; Françoise Honorée de Portes.

3. Jean Joseph Thomas de Portes, troisième marquis de Portes

Jean Joseph Thomas de Portes succède à Antoine François Auguste de Portes en tant que troisième marquis de Portes. Le 12 novembre 1777, il épouse Jeanne Françoise Beauvarlet de Bomicourt. De leur union naissent deux enfants : Adolphe François René de Portes ; Catherine Amélie de Portes.

Jean Joseph Thomas de Portes sert comme sous-lieutenant dans la compagnie écossaise des gardes du corps du roi. Maître des requêtes, sénéchal et gouverneur de Toulouse, il assiste en 1789 à l’assemblée générale de la noblesse. En l’an II, il est arrêté et enfermé à la Visitation à Toulouse ; puis brièvement relâché ; puis arrêté à nouveau le 27 vendémiaire an III (18 octobre 1794).

Depuis le 3 janvier 1792, suite à l’abolition des privilèges votée dans la nuit du 4 août 1789, Jean Joseph Thomas de Portes, troisième marquis de Portes, a perdu ses titres de noblesse. Manses, par suite, reprend jusqu’à la Restauration son nom d’antan. Ce n’est plus désormais l’ancien Jean Joseph Thomas de Portes, mais le nouveau « Sieur Jean Joseph François Deportes », citoyen de Toulouse, sis place Mage, qui baille aux sieurs André et Jean Baptiste Maudet le moulin de la Mondonne, la forge à fer, le martinet de la dite forge et les terres en dépendant, ce pour quatre années, moyennant la somme de 8.000 livres la première année, et de 10.000 livres les trois années suivantes.

Le 9 nivôse an III (29 décembre 1794), « Jean Joseph François Deportes » renouvelle le bail des frères Maudet, pour une période de huit années qui commenceront le 1 janvier 1796, et ce moyennant la somme de 12.000 livres pour chacune des huit années.

Le 18 avril 1802, le même « Jean Joseph François Deportes » baille à ferme au sieur Ruffier, négociant, habitant de Toulouse, pour neuf années, le moulin de la Mondonne, la forge à fer et le martinet, ce pour le prix et somme de 16.000 francs, payables et rendus chaque année du bail.

Le 2 septembre 1811, le même « Jean Joseph François Deportes » baille à ferme aux frères Maudet, pour une période de huit ans qui commenceront le 1 janvier 1813, moyennant le prix et somme de 17.000 francs, payables chacune desdites huit années.

Le 21 avril 1821, Jean Joseph Thomas de Portes, qui a retrouvé son nom initial, se trouve assigné devant le tribunal d’instance de Pamiers par les maires des communes de Lapenne, Saint Félix de Tournegat, Manses, Villautou, lesquelles communes réclament la restauration des droits d’usage dont elles jouissaient, disent ces maires, depuis le 23 décembre 1494, en vertu d’une libéralité consentie par Guy de Lévis, seigneur baron de Lapenne — droit de prendre du bois et droit de faire paître les troupeaux dans la forêt de Bélène ((De façon plus précise, Guy de Lévis autorise tout habitant de Lapenne à prendre dans la forêt de Bélène le bois nécessaire à la construction, le bois mort servant au chauffage, et à conduire dans la dite forêt 25 bêtes à laine, ou une vache, ou les porcs au moment du glandage.)) —, droits dont elles se trouvent privées depuis l’arrêt de Colbert, daté de 1660, et l’ordonnance royale de 1669, qui « mandent à tous les officiers des Eaux et Forêts de faire garder les dits bois et forêts ; d’empêcher quiconque, de quelque qualité et condition que ce soit, d’y prélever du bois, d’y mener paître les troupeaux » ; et qui donnent en outre « pouvoir à toute personne de tuer les chèvres trouvées en forêt et d’en disposer. » Comprises dans la baronnie de Lapenne, mais non gratifiées des mêmes droits, les communes de Saint Félix de Tournegat, Manses et Villautou, se sont attribuées par extension les droits en question, et le seigneur, par effet de sa haute bienveillance, a laissé faire.

L’application du décret de 1494 génére au fil du temps de nombreux conflits entre usagers et propriétaires de la forêt de Bélène. Le 15 avril 1669, la maîtrise de Castelnaudary se trouve saisie du différend qui oppose la Dame de Saint Chamond, comtesse de Bioules, alors propriétaire de la forêt de Bélène, aux consuls de Lapenne, Saint Félix de Tournegat, Manses, et Villautou, qui entendent se voir rétablir dans les droits d’usage dont ils se disent privés. Le procès qui s’en suit se termine en appel, le 2 mai 1670, sur un arrêt de réformation, émanant des Eaux et Forêts de Montauban, qui maintient dans ses droits la comtesse de Bioules, tandis que les consuls de Saint Félix de Tournegat, Manses, et Villautou, faute d’avoir pu produire leurs droits, sont déboutés et condamnés aux dépens. Quant aux habitants de Lapenne, toujours en vertu de l’acte de concession délivré par Guy de Lévis le 23 décembre 1494, ils ne trouvent maintenus que dans leur droit de prélèvement du bois nécessaire à leurs besoins de construction, et ce, à la condition que les dits bois leur soient délivrés par les officiers de Madame de Bioules, tenus en l’occurrence de le faire gratuitement. L’arrêt de 1670 suscite ches les habitants de Lapenne, Saint Félix de Tournegat, Manses, et Villautou, une rancoeur si durable que, 150 ans plus tard, les maires des quatre communes concernées engageront, dans les mêmes dispositions que « leurs aïeux », une nouvelle procédure à l’encontre cette fois du marquis de Portes, propriétaire de la forêt de Bélène ((Cf. Emile Kapfer. A propos de la forêt de Bélène.)).

Jean Joseph Thomas de Portes meurt en 1822 à Paris à l’âge de 61 ans. Jeanne Françoise Beauvarlet de Bomicourt, son épouse, décédée en 1836, semble avoir été fort appréciée des paroissiens de Portes, notamment en raison des donations faites à l’église Saint Jean Baptiste, comme indiqué lors d’une délibération du Conseil de fabrique de la commune, datée du 29 mars 1860 :

  • Don de 1500 francs fait à la fabrique pour la confection du plafond de la nef.
  • Don d’un calice en vermeil d’une valeur de 600 frs.
  • Don de burettes et d’un plateau, le tout en argent, d’une valeur de 100 francs.
  • Rente de 150 francs en faveur de la fabrique
  • Autre rente de même valeur en faveur des pauvres de la commune.
  • Don de la maison presbytèrale avec jardin, d’une valeur de 9.000 francs.

Le calice et le plateau des burettes étaient gravés et on pouvait y lire ceci : « Prêtres qui vous servez de moi, priez Dieu chaque fois pour madame la marquise de Portes qui m’a donné à l’église de Portes en 1825 ». Sur le plateau des burettes figurait la mention suivante : « en avril 1829 ».

Parue dans le Journal de l’Union primaire des Académies du Midi de la France en juin 1842, une correspondance signée J.S. évoque la figure chaleureuse de Jeanne Françoise Beauvarlet de Bomicourt, marquise de Portes, en 1817 :

« Portes le 3 octobre 1841. Me voici depuis quelques jours dans le village de Portes situé sur un vallon délicieux entouré de tous côtés de collines ; un seul coté permet de se projeter sur la fertile plaine arrosée par le grand Hers, et sur la chaîne des Pyrénées.

Au Nord se développe une forêt antique de chênes noirs dont l’exploitation sert à la confection du fameux fer de Manses renommé non seulement dans l’Ariège mais dans tous les départements du Midi.

L’eau qui fait mouvoir l’usine ainsi qu’un moulin vient du grand Hers par un canal de plus d’une lieue. Le moulin, la forge à la Catalane, la forêt, et les domaines qui s’étendent sur les communes voisines sont l’apanage du marquis de Portes que l’on peut considérer comme le principal propriétaire de l’Ariège.

La fête de la Nativité du 8 septembre m’offre l’occasion de vous parler d’une merveille naturelle au-dessus de tout. C’est l’église de Vals, où un événement tout à fait inattendu se serait produit au cours du pèlerinage du 8 septembre 1817.

Parmi l’assemblée se trouve une femme portant un enfant de sept ans entièrement perclus. Au moment de l’élévation, se fait entendre un craquement de ses membres. Les assistants sont tous émus ; la marquise de Portes est du nombre. La messe terminée, l’enfants suit sa mère sautillant de joie. Ne pouvant retenir ses larmes, la marquise de Portes, presque aussi émue que la mère, prend l’enfant dans ses bras et le couvre de baisers. En reconnaissance, elle fait par la suite restaurer en entier l’église de Vals dans le bel état que l’on peut admirer aujourd’hui. ((Cf. Bulletin de l’association des amis de Vals. Mars 2008, nº 60. « Témoignages du XIX siècle sur l’église de Vals ».))

Le 8 octobre, une importante foire annuelle rassemble à Manses-Portes de nombreux troupeaux venus des environs. La foire se tient dans les rues du village, la rue principale étant réservée aux troupeaux de moutons, qui sont les plus  nombreux. La rue des Bordes se trouve dévolue aux troupeau d’oies, également nombreux, ce qui rend quasi impossible la circulation avec un attelage. Afin de remédier à cet embarras, le 16 novembre 1837, la marquise de Portes concède à la commune de Portes un droit de foirail dans la prairie du prieur pour y tenir la foire du 8 octobre.

La procédure engagée le 21 avril 1821 par les maires de Lapenne, Saint Félix de Tournegat, Manses, et Villautou, se termine le 14 juin 1832 sur un arrêt prononcé par la Cour d’appel de Toulouse en faveur des héritiers du marquis de Portes. Les juges d’appel, qui ont repris les attendus et conclusions de l’antique procès, déboutent les maires des quatre communes et les condamnent aux dépens, y compris le maire de Lapenne, qui perd ainsi pour sa commune la possibilité de prélever du bois de construction dans la forêt de Bélène.

Abandonnant dès lors tout espoir de se voir reconduites dans les droits d’usage dont elles se prétendaient détentrices depuis 1494 et dont leurs ancêtres avaient joui pendant deux siècles, les quatre communes ne laissent pas de nourrir un fort ressentiment à l’endroit de la famille de Portes, qu’elles tiennent pour directement responsable de leur situation actuelle. Elles ne manquent pas de le manifester un peu plus tard dans le siècle, lorsque les Portes veulent installer l’eau au château. Après que les Portes ont fait construire dans la colline, au-dessus de Vergnes, un grand réservoir destiné à l’alimentation du château, la commune s’oppose à ce que les canalisations nécessaires à ladite alimentation traversent les rues du village. Elle fait échouer ainsi leur projet. Une revanche peut-être ?

Ce refus a, quoi qu’il en soit, des conséquences auxquelles la commune ne s’attendait pas vraiment. Empêchés de réaliser les aménagements nécessaires à leur confort, affrontés à une hostilité qui perdure, les Portes vont délaisser leur château et le village, auxquels ils ne trouvent plus rien d’attachant. Ils choisissent alors de s’installer dans la commune voisine, à la métairie de Roques, qu’ils réaménagent de fond en comble pour en faire leur nouveau château.

Bien plus tard, madame Vieljeux, alors propriétaire du château de Roques, où elle se plaisait beaucoup, dira que « la plus belle des choses que les gens de Manses aient faites, c’est d’avoir en quelque sorte provoqué le départ de la famille de Portes. »

4. Adolphe François René de Portes, quatrième marquis de Portes

Le 26 décembre 1812, Adolphe François René de Portes, fils de Jean Joseph Thomas de Portes, épouse Marguerite de Laplace, fille du marquis de Laplace, sénateur, pair de France, grand officier de la Légion d’Honneur. Marguerite de Laplace meurt le 13 septembre 1813, à l’âge de 31 ans, en mettant au monde deux jumelles, Catherine Marie Adolphine et Angélique Joséphine.

Adolphe François René de Portes épouse en secondes noces Georgina Martel. De leur union naissent deux enfants, Paul François Thomas de Portes, et Blanche Catherine Georgina de Portes. Maître des requêtes en 1830, conseiller d’état honoraire, élu député conservateur de l’Ariège en 1830, conseiller général du canton de Mirepoix en 1836-1845, puis en 1852, il est nommé pair de France par ordonnance royale du 19 juillet 1845, puis membre du Conseil central de l’agriculture.

Le 8 octobre, une importante foire annuelle rassemble à Manses-Portes de nombreux troupeaux venus des environs. La foire se tient dans les rues du village, la rue principale étant réservée aux troupeaux de moutons, qui sont les plus  nombreux. La rue des Bordes se trouve dévolue aux troupeau d’oies, également nombreux, ce qui rend quasi impossible la circulation avec un attelage. Afin de remédier à cet embarras, le 16 novembre 1837, la marquise de Portes concèdera à la commune de Portes un droit de foirail dans la prairie du prieur pour y tenir la foire du 8 octobre.

Le 28 avril 1834, Adolphe François René de Portes donne à titre de bail à ferme à Jean Paulin Canel avocat, à Louis Joseph Jules Paris propriétaire, et à Jean Maurette propriétaire, solidaires, tous les trois demeurant à Varilhes, le moulin de la Mondonne, la forge à fer, le martinet, contenances et dépendances, pour une durée de quinze années qui commenceront le 1 janvier 1837, pour le prix et somme de 10.100 fracs chacune des dites quinze années.

Le 22 septembre 1836, Adolphe François René de Portes sollicite du préfet de l’Ariège l’autorisation d’installer à la forge de Manses un second feu et 2 autres marteaux, l’un de 7 quintaux métriques, l’autre de 2 quintaux. Mais il ne donne pas suite à ce projet, car le glas des forges catalanes commence déjà de sonner. Incapables de soutenir la concurrence avec les hauts fourneaux qui produisent à moindre coût des fers de très bonne qualité des rendements supérieurs, les forges à la catalane entrent dans une phase de déclin inéluctable à court terme, comme pressenti en 1833 déjà par un certain J.S. dans le Journal de l’Agriculture et des Art : « C’est avec un sentiment de crainte qu’on envisage l’avenir industriel de ce pays, si l’on calcule les résultats de l’accroissement journalier que prennent les forges à l’anglaise, dont les produits remplacent sur beaucoup de points ceux de la forge à la Catalane. »

En 1846, Adolphe François René de Portes achète la ferme de Rigailhou (6 hectares) qu’il agrandira rapidement pour en faire une des bergeries les plus importantes du domaine avec 54 hectares.

Il adhére ostensiblement à la politique du prince Napoléon et il est nommé sénateur le 22 janvier 1852, puis fait chevalier de la légion d’honneur le 22 octobre 1852. Il meurt à Paris le 22 décembre 1852, à l’âge de 62 ans.

Au vu de la matrice cadastrale, des travaux importants ont été réalisés au château de Portes au cours des années 1850, 1852, 1855, dont la construction des écuries et celle du portail. La construction du réservoir pourrait dater également de cette époque-là.

Certainement attachée à l’église de Portes, Georgina Martel, seconnde épouse d’Adolphe François René de Portes, fait don de prés de 5.000 francs au conseil de fabrique pour financer des travaux de restauration. La nature de ces travaux n’est pas précisée, mais vu l’importance de la somme, il pourrait s’agir de l’édification du nouveau clocher et de la démolition de la tour octogonale. Georgina Martel fait un autre don de 200 francs pour la peinture et les dessins des voûtes ainsi que pour ceux des murs des trois absides de l’église.

Georgina Martel meurt le 8 novembre 1857 à l’âge de 54 ans. Paul François René de Portes, son fils, devient le cinquième marquis de Portes.

5. Paul François René de Portes, cinquième marquis de Portes

Paul François René de Portes épouse Adèle Gordon Hutton, fille de Benjamin Hutton, marchand négociant à New York. Le couple aura deux enfants : Adolphe François René de Portes et Henri François Maurice de Portes.

En 1859, Paul François René de Portes procède à l’installation d’une scierie sur le canal du moulin à la Mondonne.

La même année, il fait don à la fabrique d’un local d’une valeur de 400 francs pour servir de sacristie, ainsi que d’une somme de 200 francs, destinée à payer le cadre et les supports d’un tableau offert par l’Empereur Napoléon III à l’église de Portes. Il s’agit de la Piétà de Charles Lebrun.

Le 29 mars 1860, il sollicite du conseil de fabrique de Portes l’autorisation de remplacer le banc seigneurial, qui a été détérioré lors de la réfection de l’église. Cette concession lui est accordée par le ministre des cultes le 25 Février 1862, contre une redevance de 5 francs par an, due à la fabrique de Portes.

En 1874, il charge M. Lefèvre, expert estimateur prés du tribunal civil de la Seine, d’établir un rapport sur la terre de Portes. Le 14 juillet 1874, M. Lefèvre remet son rapport d’expertise concernant les biens du domaine, soit le château et les communs, 16 fermes et biens divers, le moulin et la tuilerie ((Tuilerie du Val, ainsi répertoriée sur la carte d’état-major de 1880, située dans une petite vallée, au nord de Villerousse, sur la commune de Lapenne, en limite de la commune de Saint-Félix. On trouvait là deux constructions, une maison d’habitation et le four attenant au séchoir, ainsi qu’une source, nécessaire pour le malaxage le l’argile. On y accédait par le chemin du Four et de la Borde de bas, à partir de la route de Lapenne.)), pour une surface totale de 1.270 hectares. Il précise que, exception faite du château et des communs et de la Borde Neuve, qui demeurent en assez bon état, toutes les autres constructions sont dans un état déplorable et nécessitent d’urgentes réparations.

La défaite de 1870, le siège de Paris, la Commune, la rançon de 5 milliards or versée à l’Allemagne ont pratiquement ruiné le pays. Les revenus du domaine ne suffisent plus à financer les investissements nécessaires. La comptabilité montre que le domaine est hypothéqué à hauteur de 570.000 francs, hypothèque à laquelle s’ajoutent d’autres sommes exigibles, de l’ordre de 100.000 francs.

L’expert préconise néanmoins :

  • la construction une autre usine, susceptible de procurer un revenu conséquent en remplacement de la forge tombée en ruine, afin d’utiliser l’énergie de la chute d’eau, que l’on peut estimer à 30 chevaux environ
  • la reconstruction de la scierie, en partie détruite par un incendie récent
  • la remise en activité la tuilerie, afin de disposer à moindre coût des matériaux et du bois nécessaires aux réparations.

Il engage également le marquis à faire planter de la vigne sur tous les coteaux biens exposés. Les vins produits sur les coteaux ensoleillés d’Engraviès, Vals et Teilhet, sont en effet particulièrement appréciés et recherchés à cette époque sur le marché toulousain. Il s’agit donc là d’une opportunité à saisir pour augmenter les revenus du domaine.

Le marquis va suivre les conseils de l’expert. Il fait construire à la place de la forge un foulon, actionné par la chute d’eau de ladite forge. Il fait également construire une habitation pour loger une partie du personnel concerné.

Il fait remettre la scierie en état, et, le 26 septembre 1876, il baille à Antoine Maury et Marceline Sibra le moulin de la Mondonne pour la somme de 2400 francs, plus 400 francs pour la scierie, le tout payable 700 francs tous les 3 mois.

Afin de protéger son usine et les bâtiments de la forge contre les crues désordonnées de l’Hers et afin de maintenir la rivière dans son lit, il fait construire une digue, courant sur 2 kilomètres environ du ruisseau de Manses au chemin de la gare.

Une dame de Manses, l’épouse d’Alexandre Marvielle, m’a raconté qu’en 1876, alors qu’elle était jeune fille, elle venait avec son père et d’autres habitants de Portes extraire de la terre pour construire la digue. C’est ainsi que j’ai appris que cette digue avait été édifiée en 1876, juste après la grande crue dévastatrice de 1875.

Le 23 avril 1878, le marquis cède à bail au sieur Alfred Senesse la métairie de Roques pour une période de huit années. Alfred Senesse sera le dernier fermier de la métairie. Son bail ne sera pas renouvelé afin de permettre à la marquise, alors devenue veuve, d’entreprendre les travaux nécessaires à la construction de sa nouvelle résidence.

Le marquis meurt à l’âge de 41 ans, le 3 septembre 1880 à Paris, avenue Kléber, nº 35. Adèle Gordon Hutton, son épouse, lui succéde à la tête du domaine. De façon qui perpétue dans la mémoire collective le souvenir de sa gouvernance, elle finance en 1883 le rehaussement de la nef de l’église de Vals ainsi que la création des deux vitraux qui éclairent cette dernière. Ceux-ci représentent respectivement Saint Georges et Saint Loup, patron de la paroisse. La marquise a voulu que figurent aussi sur ces vitraux le blason des marquis de Portes ainsi que leur devise.

Après avoir acheté la métairie de Vergnes en 1890, Adèle Gordon Hutton, marquise de Portes, décède à Paris le 24 décembre 1892, rue Léonard de Vinci, nº 5. Elle avait 53 ans. Le 30 mai 1893, lors du partage des biens successoraux, c’est le comte Henri François Maurice, son fils cadet, qui reçoit dans son lot le domaine de Portes, tandis Adolphe François René de Portes, son fils aîné, devient le sixième marquis de Portes.

6. Henri François Maurice de Portes, comte de Portes

Immédiatement après le partage des biens successoraux, Henri François Maurice de Portes entre en procès avec un meunier de Mirepoix qui a fait rehausser la chaussée de son moulin afin de disposer d’un volume d’eau plus important. Le comte fait valoir que ce rehaussement lui cause un sérieux préjudice en le privant de l’eau nécessaire au bon fonctionnement de son usine, étant donné que l’eau du moulin de Mirepoix se trouve restituée à l’Hers en aval de la chaussée qui alimente le canal de son foulon. Mais il n’obtient pas gain de cause. Il se voit donc contraint de fermer son usine, partant, de renoncer aux revenus procurés par cette dernière. Point découragé toutefois, il ajoute de nouveaux bâtiments à ceux qui existent déjà, afin de créer un corps de ferme conséquent auquel il affecte les terres de l’ancienne métairie de Roques.

En 1894, en hommage à ses parents décédés, le comte fait placer dans l’église de Portes un grand vitrail octogonal (32 mètres carré) représentant en huit tableaux des épisodes de la vie de Jean Baptiste, patron de la paroisse. Dans l’un des panneaux périphériques figurent les armoiries des marquis de Portes, « d’azur à face d’argent, en chef 3 merlettes rangées, en pointe une tour d’argent maçonnée ouverte et crénelée ». Accolé à ces armoiries, le blason d’Adèle Gordon Hutton, « d’or à trois annelets de sinople ». Au-dessus de ces deux blasons, une couronne de marquis. En dessous, la devise des Portes, Per Pla Aïré, (Pour bien faire). En couronne de l’ensemble, l’épitaphe suivante : FRANCISCUS HENRICUS MAURICUS FILIUS EX ANIMA DEDICAVIT ANNO DOMINI MDCCCXCIII IN MEMORIAM FRANCISCUS THOMAE PAULI GEORGII MARCHIONIS DE PORTES ET ADELAE HUTTON UXORIS EIUS. (François Henri Maurice leur fils, du fond de son âme, le dédie, l’an du Seigneur 1893, à la mémoire de François Thomas Paul Georges, marquis de Portes, et d’Adèle Hutton, son épouse.)

Le 30 décembre 1894, le comte déplore la mort de son cocher. Celui-ci est enterré dans le petit cimetière de Portes. Sur sa pierre tombale on peut lire encore cette épitaphe : Here lyes — Waiting éternal résurrection — Thomas Gillespie — Born at Kirkcaldy Scotland — Who died aetate 33 at Portes the 30th of december 1894. (Ici repose en attente de l’éternelle résurrection Thomas Gillespie, né à Kirkcaldy, Ecosse. Décédé à l’âge de 33 ans à Portes, le 30 décembre 1894).

Dans le même temps, poursuivant ainsi la réalisation du projet familial, il continue d’aménager l’ancienne métairie de Rocques pour en faire sa nouvelle résidence. Il tire de la démolition de l’ancien château de Portes, devenu sans intérêt, les matériaux nécessaires à la construction de son nouveau château de Roques. Comme sa mère, il séjourne à la Borde Neuve, dans la maison du régisseur, pendant la poursuite des travaux.

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Ci-dessus : autre vue du château de Roques dans les années 1900.

En 1897, il ne reste de l’ancien château de Portes que les colonnes de la cour d’honneur, et le portail du parc. Celui-ci sera transférés au château de Rocques en 1995, comme on sait, suite à la vente de l’ancien parc à la commune de Manses. ((Cf. Emile Kapfer. Petit historique du château de Roques, en Ariège.))

Il n’y a, la même année, pas de cour de récréation à l’école de Manses. Les enfants jouent dans la rue. L’un d’entre eux y est blessé par un attelage, probablement celui du comte. Suite à quoi, le maire de l’époque prend un arrêté enjoignant à tous conducteurs d’attelage, quels qu’ils soient, de traverser le village au pas.

Afin d’éviter à son cocher de s’exposer inutilement à des contraventions, le comte, qui séjourne à la Borde Neuve à ce moment-là, fait aménager un ancien chemin donnant accès aux vignes du coteau afin de le rendre parfaitement carrossable. Ce chemin a par ailleurs l’avantage d’être plus court et d’éviter la traversée du village.

En 1950, Louis Albouy, maire du village au moment où j’habitais Manses, m’a raconté qu’en 1897, « c’était pour ne pas avoir à se soumettre que le comte était entré en rébellion et avait fait aménager ce chemin, où il pouvait par bravade faire galoper ses chevaux à son aise. Les gens du village auraient appelé ce chemin, par dérision, le chemin de la Révolte. C’était, en tout cas, la version de l’histoire qui prévalait à l’époque.

En 1990, alors que les habitants de Manses s’opposent à l’installation d’une décharge sur le territoire de la commune, un article paru dans la presse locale, prompte à galvaniser les énergies, fait état de ce que, autrefois déjà, les ancêtres des Mansois s’étaient révoltés contre un comte despotique qui s’obstinait à traverser le village au galop, et de ce qu’ils l’avaient contraint à créer un autre chemin, dénommé plus tard chemin de la Révolte en hommage aux habitants qui avaient secoué le joug du despotisme.

En 1998, lors d’une réunion concernant l’inventaire du patrimoine rural, une autre variante de la même histoire se fait jour : furieux d’avoir été verbalisé pour vitesse excessive, le comte de Portes aurait fait aménager son propre chemin afin de ne plus avoir à traverser le village.

Au cours de l’année 1900, prés de Vergnes, (on ne connaît pas l’endroit exact), des terrassiers mettent à jour des ossements et une très belle agrafe double à plaque et contre-plaque rectangulaires en bronze, ainsi qu’une agrafe de chaussure ornée d’un 8 gravé. Ces vestiges, autrefois conservés par le comte de Portes, ont certainement disparu. Mais grâce aux photos prises par Roger Robert et reproduites dans le Bulletin de la Société Ariègeoise des Sciences Lettres et Arts (9ème volume), il est encore possible de les voir. Il s’agirait là de vestiges contemporains de ceux découverts à Tabariane, sur la commune de Teilhet.

La Dépêche du 21 mai 1901 rapporte l’événement : « Au point appelé Palosse (Pallus assarum, prés de Tabariane), dans un amoncellement de débris humains répandus sur une assez vaste surface,les terrassiers dégagent un squelette complet, placé à 70 centimètre du niveau du sol et orienté à l’ouest. Le défunt, un guerrier de haute stature,est étendu dans une attitude de repos, les mains croisées à la hauteur du bassin, et il porte selon la coutume de son temps son équipement militaire. Prés des genoux, on découvre une magnifique plaque de ceinturon en bronze étamé, avec boucle et ardillon, dont l’ornementation au trait riche et compliqué présente un réel intérêt artistique. »

A la même époque, le comte de Portes fait creuser à fin d’exploration un tumulus situé dans la forêt de Bélène et appelé le Castel-Loup. A l’aide d’une tranchée, on éventre ce tumulus pour en atteindre le coeur. Le comte pensait y découvrir quelque chambre funéraire. Déception. Il ne s’agissait pas là d’un tumulus, mais d’une motte féodale, antique ouvrage de défense, semblable à celui qu’on voit à Castel-Crabe. Ce sont, dans les deux cas des volumes de terre considérables qui ont été déplacés pour créer un édifice que l’on hérissait de pieux afin de les rendre imprenables, constituant ainsi une sorte de préfiguration des premiers châteaux forts.

En 1901, l’eau est installée au nouveau château. Celui-ci dispose désormais de tout le « confort moderne », et même du téléphone (premier numéro installé à Rieucros). Il bénéficie aussi de la proximité d’une gare, installée depuis 1898, à moins de 2 kilomètres, particulièrement appréciée par le comte en raison de ses fréquents déplacements à Paris, où il réside une partie de l’année, nº 5 de la rue Montaigne.

En 1903, le comte fait ouvrir à l’ouest de son château de Roques une seconde voie d’accès à partir de la forge. L’ouverture de cette voie nécessite la construction d’un important mur de soutènement en bordure de la route départementale.

L’arrivée du phylloxera en Ariège constitue pour le comte de Portes un nouveau coup dur. Apparu en 1895 à Saint-Amadou, le phylloxera se propage très rapidement et, moins de dix ans plus tard, la majeure partie des vignes sont détruites, privant ainsi leurs propriétaires de revenus importants.

Tenant que ce fléau est irrémédiable, le comte décide de faire planter en pins ses terres désormais vacantes. Son choix se porte sur des espèces adaptées à la région, comme le pin sylvestre et le pin laricio, dont le bois se trouve recherché pour étayer les galeries de mines. Les peuplements créés à l’époque du comte de Portes existent de nos jours encore.

D’après Maurice Fabre, maire honoraire de Vals, mort récemment à l’âge de plus de cent ans, le comte de Portes était un homme de bonne taille, svelte, élégant. Albert Bosc maçon à Teilhet, qui a beaucoup travaillé pour le comte, m’a raconté qu’il venait souvent inspecter ses travaux, toujours coiffé d’un chapeau melon, chaussé de bottes de cuir, une canne à la main. Il était exigeant sur le travail, vérifiant les aplombs, la largeur et hauteur des ouvertures, qui devaient être conformes à ce qu’il avait commandé.

Il établissait lui-même les plans de ses constructions. Celles-ci avaient une particularité qui permet de les reconnaître facilement aujourd’hui encore : les encadrements des embrasures, légèrement en relief, sont tous montés en briques rouges, et le linteau, à peine voûté ; les cheminées sont construites de la même façon.

L’homme était par ailleurs généreux. Lorsqu’un bâtiment était terminé et qu’il apercevait en haut du faîtage le bouquet déposé par les maçons, il appelait le plus jeune d’entre eux et lui remettait un louis d’or pour que tous puissent faire la fête.

A peu près à la même époque, un incendie, qui ne peut être maîtrisé, détruit au coeur du village de Manses un ensemble de trois habitations. Afin de reloger au plus vite les familles sinistrées, le comte met aussitôt trois maisons en chantier (un permis de construire n’était pas nécessaire à cette époque-là). Longtemps ces maisons se sont appelées « les maisons du Comte. »

Henri François Maurice de Portes, comte de Portes, a passé une partie de son existence à construire, rénover, moderniser les fermes de son domaine, afin que ses fermiers puissent jouir d’habitations confortables, indépendantes des animaux, lesquels devaient disposer, eux aussi, de locaux vastes, bien aérés ; sans oublier la basse-cour, pour laquelle il fait construire des poulaillers assez singuliers, mais parfaitement fonctionnels. Ses fermes disposaient ainsi de vastes bâtiments, hangars et greniers, qui les classaient parmi les mieux équipées de la région. Pour réaliser tous ses travaux, il disposait avec les maçons de Teilhet d’une équipe quasi permanente.

La guerre de 1914 vient cependant mettre un terme à cet effort de construction. La métairie d’Empujal, où le comte engage de gros frais pour installer une vacherie sera ainsi l’un des derniers travaux qu’il réalisera. Albert Bosc m’a raconté qu’il travaillait avec ses hommes sur une toiture lorsqu’ils entendent sonner le tocsin à Teilhet… Instinctivement, ils se relèvent tous et regardent dans la direction du village pour voir s’il y avait de la fumée, redoutant qu’il puisse s’agir d’un incendie… Ils ne voient rien et se demandent alors ce qu’il peut bien y avoir pour que l’on sonne le tocsin à pareille heure… Mais bientôt ils voient arriver les gamins du village, essoufflés d’avoir courus, et qui crient « La guerre est déclarée, la guerre est déclarée ! » Consterné, les hommes quittèrent le chantier. Parmi eux, certains se sont trouvés mobilisables dès ce premier jour de déclaration de guerre…

Cette guerre, qui durera quatre ans, provoque dans la paysannerie locale des problèmes quasi insolubles. Issus de la montagne, la plupart des paysans mobilisés, robustes et endurcis, se trouvent incorporés dans des régiments d’infanterie. Or ces régiments, constamment engagés dans les combats, subissent des pertes considérables. Certains d’entre eux sont décimés, anéantis, et dissous, et les survivants, réincorporés dans d’autres régiment. Un très grand nombre des paysans ariégeois mobilisés ne reviendront pas, et de nombreuses fermes tombent alors en déshérence, faute d’hommes pour les travailler.

Souffrant elles aussi du manque de bras, les fermes du comte ne produisent plus aucun revenu. Le comte de Portes réagit en faisant venir à Manses des familles étrangères qu’il choisit de préférence nombreuses. C’est ainsi qu’au début des années 1920, on voit arriver à Manses, venant de Suisse ou de Russie, les familles Repond, Kreps, Schoenholzer, Bert, et Orloff. On rencontre aujjourd’hui encore dans la région divers descendants de ces familles-là.

L’année 1917 est catastrophique pour le domaine du comte de Portes. Le 2 février, une crue exceptionnelle de l’Hers, 4,17 m à l’échelle de Mirepoix, oaccasionne des effets désastreux. A la hauteur de Besset, la rivière en furie se crée un nouveau lit et détruit au passage une partie de la chaussée qui alimentait jusqu’alors le canal de dérivation, privant ainsi le moulin de l’eau qui lui était nécessaire. Le moulin de la Mondonne, qui depuis 1672 n’avait jamais cessé de tourner et qui constituait un des principaux revenus du domaine, cesse brutalement de fonctionner.

Le coup est imparable. Le comte de Portes doit se résigner désormais à la perte des revenus que lui procuraient le moulin et la scierie. La même crue provoque un autre désastre au niveau du pont de l’Hers prés de Dreuilh. Le 2 février 1917, à 5 heures de l’après-midi, comme indiqué dans délibération du conseil municipal de Teilhet, une des deux arches du pont s’effondre. La route se trouvant ainsi coupée, l’accès à la gare et à la route nationale devient hasardeux. Le pont ne sera réparé et remis en service qu’en 1924.

Le comte de Portes, resté célibataire, était de santé fragile, et, d’après Maurice Fabre, faisait régulièrement des cures à Ax-les-Thermes. Alors qu’il se trouvait à Paris, une alerte plus sérieuse l’incite à faire son testament, le 3 août 1921, en faveur de son neveu et filleul, Paul Georges Henri de Portes, âgé alors de 21 ans.

Le même comte de Portes a été également maire de Lapenne. Au cours de son mandat, il fait construire l’école de Nabouly afin d’éviter aux enfants de parcourir à pied 4 ou 5 kilomètres de traverses pour se rendre à l’école du village. Il fait installer encore une éolienne pour monter l’eau au village et alimenter les abreuvoirs. On pouvait naguère voir encore les vestiges de cette éolienne.

Henri François Maurice de Portes, comte de Portes, meurt le 22 octobre 1929 au château de Roques, âgé de 61 ans. Le Docteur Maurice Rascol, de Mirepoix, se trouve mandé pour constater le décès et délivrer le permis d’inhumer. Le corps du comte sera transporté ensuite à Paris pour être enseveli dans le caveau familial.

J’ai eu l’occasion de rencontrer le Docteur Maurice Rascol, et nous avons parlé du comte de Portes, qui se serait, d’après certains, empoisonné parce que ruiné. « Ceci est tout à fait inexact », m’a dit le Docteur Rascol. « Le comte souffrait d’insuffisance rénale sévère, et c’est une crise d’urémie qui l’a emporté. » Et de déplorer que l’on n’ait retenu de cet homme très cultivé, érudit, généreux, foncièrement bon, des caricatures, des légendes sans fondement, voire des inepties.

A propos du comte de Portes, le docteur Rascol m’a raconté l’un de ses souvenirs d’enfance. Il était encore très jeune, lorsqu’un jour, il accompagne son père, médecin à Mirepoix, qui doir se rendre en voiture à cheval au château, où le comte l’a fait appeler.

Arrivé au château, le comte leur demande d’aller à Borde Neuve, où son fermier vient d’être gravement accidenté. L’image de cette scène est restée au docteur Rascol fils : lui et son père trouvent l’homme couché dans un coin de l’étable, sur un lit de paille, le tibia fracturé. Rascol père se fait donner un sac de jute, dans lequel il découpe des bandelettes ; puis, à l’aide d’un hâcheron qu’on lui a apporté, il taille des planchettes ; après avoir réaligné l’os et appliqué un premier bandage pour le consolider, il dispose les planchettes autour de la jambe, en les maintenant solidement à l’aide des bandes qu’il a découpées de façon à ce que la jambe soit parfaitement immobilisée. Ensuite, père et fils repassent au château. Rascol père fait son rapport au comte, qui lui régle ses honoraires et lui recommande de visiter régulièrement son fermier et d’acheter les remèdes nécessaires, ajoutant qu’il lui rembourserait lui-même tout ce qu’il aurait à dépenser.

A l’instar du Docteur Rascol, la cuisinière du comte, une dame Amiel, qui avait sa famille à Teilhet, a gardé le souvenir d’un jour où la fille du fermier d’Enramiès vient à Borde Neuve faire une commission. Ayant aperçu le comte, elle le salue ; il la salue à son tour et s’enquiert de la santé de ses parents — « Mes parents vont bien monsieur le comte, mais nous sommes inquiets pour mon petit frère qui ne va pas bien ; il est malade. Le médecin dit qu’il est très anémié et qu’il faudrait lui donner du lait, mais n’en n’avons plus ». — « Eh bien, ma petite, lui dit le comte, tu viendras désormais tous les jours ici chercher un litre de lait pour ton petit frère, et tu n’auras rien à payer. »

Malgré sa santé déficiente le comte de Portes avait bien géré ses affaires. Il laisse en 1929 le domaine agrandi de 370 hectares, pour un total de 1.600 environ, avec des fermes en bon état.

7. Paul Georges Henri de Portes, septième marquis de Portes

Paul Georges Henri de Portes, neveu d’Henri François Maurice de Portes, n’était pas homme à gérer pareil domaine. A peine en possession de son héritage, il s’empresse d’en vendre une partie, 300 hectares environ. Il a d’évidence de gros soucis financiers et ne parvient pas à faire taire ses créanciers.

En 1935, à la requête de Maître Jean Gandriau, notaire de la Sarthe, à qui Paul Georges Henri de Portes doit de fortes sommes sous forme de billets à ordre, tous les biens de ce dernier se trouvent saisis par maître Fouriane, huissier à Mirepoix.

La vente aux enchères publiques, qui aurait dû avoir lieu le 7 février 1937, se trouve différée en raisonn d’un vice de procédure. Dans le même temps, Christian Vieljeux, armateur de La Rochelle, qui recherche un domaine important, prend contact avec le nouveau comte de Portes. Il se trouve convenu que, lui, Christian Vieljeux, se substituera à Paul Georges Henri de Portes en rachetant la totalité des cédules déposées au greffe, et que lui, Christian Vieljeux, prendra également en charge l’ensemble des frais de procédure occasionnés par la saisie. Le président du tribunal civil de Pamiers met alors fin à l’action judiciaire devenue inutile, et le comte de Portes peut procéder à la vente de ses biens. Les actes de vente sont signés le 28 décembre 1938 et le 17 février 1939.

7. Pour mémoire, Paul Georges Henri de Portes, septième marquis de Portes

Pour mémoire, l’héritier testamentaire de Paul Georges Henri de Portes sera le comte Paul Maurice Henri de Portes, qui deviendra au décès de son père le septième marquis de Portes. Né en 1900, Paul Maurice Henri de Portes a trois soeurs, Françoise, Simone et Anne. Il épouse Hélène Marie Jeanne Rebufel, qui décéde accidentellement en 1940. Il épouse en secondes noces, Suzanne Isabelle Paylo dont il a un fils, prénommé Hervé. Il décède en 1969 à Compiègne.

3 réponses sur “Histoire des marquis de Portes en Ariège”

  1. merci pour vos articles !
    le 3ème marquis de Portes épouse Jeanne Françoise Beauvarlet de Bomicourt (et non de Bornicourt), d’une ancienne et noble famille abbevilloise, baptisée à Paris le 20 février 1761 (paroisse St-Paul), fille de Louis Beauvarlet de Bomicourt (1696-1765), maître particulier des Eaux et Forêts en Ponthieu, puis installé à Paris, rue Vieille du Temple où il avait épousé le 7 septembre 1759 Anne Catherine Louise Bauldry de Villènes (1735-1797).

  2. petit ajout tardif : Jean-Joseph de Portes et Jeanne-Françoise Beauvarlet de Bomicourt ont eu un troisième enfant : Jeanne Marguerite Camille de Portes née le 27 et baptisée le 28/08/1787 en la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse (BMS p 57)

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