Hilaire Pader. Extrait du Songe énigmatique sur la peinture universelle

pader_songe.jpg

Ci-dessus : frontispice du Songe énigmatique sur la peinture universelle, fait par H. P. P. P., Tolosain [H. P. P. P. = Hilaire Pader.]. Éditeur : Arnaud Colomiez (Tolose). 1658.

Lorsque je fus sur la porte un vénérable Vieillard se présenta à moi, et me dit qu’il était le Concierge de cette Maison (je reconnus que c’était le Dieu de Saturne des Anciens, tant aux ailes qu’aux autres marques de sa faux et à l’horloge de sable) et que si je voulais monter aux galeries qu’il me ferait tout voir.

Je fus bien aise de ces offres et le vrai de me conduire, ce qu’ayant fait, nous montâmes un Escalier à main gauche fort tortueux, et obscur, tellement qu’il me fallait fort agiter pour le monter ce qui m’obligea de dire à mon Conducteur que je m’étonnais de ce qu’un si beau Palais était si mal assorti de Degrés, à quoi il répondit, qu’il le fallait ainsi, et que l’Architecte l’avait construit sagement, et qu’encore qu’il me semblât extrêmement obscur, néanmoins qu’il me paraîtrait clair lors que je le descendrais. Arrivés que nous fûmes au premier étage, je vis une belle galerie où sur diverses tables étaient étalées une infinité de couleurs différentes, que des jeunes hommes mêlaient indifféremment, et quelques autres plus âgés et plus prudents, séparaient, et mêlaient les unes avec des huiles, les autres avec de l’eau pure, et les autres avec de l’eau gommée, des colles et autres ingrédients, selon qu’ils s’en voulaient servir ; encore avaient-ils recours à un Cadran ou forme de roue de fortune, qui était au milieu de cette galerie, et sur qui ce mot était écrit, Boussole du Coloris.

De là nous montâmes par un Escalier plus facile et plus clair à la deuxième galerie, construite d’une façon si merveilleuse, que le Soleil entrant par la fenêtre du milieu allait darder directement ses rayons dans un grand Miroir, qui était à l’opposite, et qui réfléchissant ses rayons les envoyait de tous côtés, éclairant les corps qui plus, et qui moins, selon qu’ils étaient Ignés, Aériens, Aqueux, ou Terrestres. Dans un des coins le plus obscur de cette même galerie, je vis des Flambeaux allumés, des feux et des Lampes.

De là mon Conducteur me fit monter par un Escalier dont les marches diminuaient proportionnément à mesure qu’il se haussait dans le dernier étage, ou pour mieux dire galerie, dont la porte était fermée, si bien que pour voir ce qui était dedans il fallait regarder par le trou de la serrure : ce qu’ayant fait je vis que cette Galerie était beaucoup plus longue que les précédentes et qu’au bout il y avait une allée de Cyprès à perte de vue. Un homme assis sur une chaise et appuyé sur une table, compassait un Globe Géographique avec tant d’attention, que j’eusse cru que la porte de cette galerie n’était fermée que pour ne le point interrompre : si le Vieillard ne l’eut fait ouvrir en l’heurtant du manche de sa faux.

Mais je fus bien surpris lors que je vis que ce que j’avais pris pour un homme était une peinture sur l’une des faces de la galerie, et que cette peinture d’homme se changeait en paysage à mesure que je m’approchais ; si bien qu’à la fin les cheveux devinrent des nuées dont les joues et le reste du visage en faisaient la partie allumée, les doigts de Géographe s’allongèrent si fort qu’ils formèrent les Arcades d’un Pont, et le Globe enfanté des Collines et le reste d’un beau paysage. Je croyais poursuivre mon chemin lor que je donnai de la tête contre la muraille, ce qui me fit admirer la force de l’ingénieuse tromperie de la Perspective : au reste la voûte de cette galerie était si favorablement éclairée par la réflexion du miroir de celle de dessous (qui communiquait ses rayons par des ouvertures industrieusement faites au Plancher) qu’on eût cru voir le Ciel ouvert.

Ensuite mon Conducteur me fit passe dans une Salle spacieuse, ou par des degrés dérobés, diverses personnes montaient des trois galeries dont nous avons parlé, et mettaient en pratique ce que j’avais vu séparément. Là on ne voyait que remuement de Toiles imprimées, de Pinceaux, de couleurs et de Palettes.

               Les Chevalets trottaient partout
               De l’un à l’autre bout
. ((Hilaire Pader. Songe énigmatique sur la peinture universelle. Page 16 sqq.))

A lire aussi :
Hilaire Pader. La peinture parlante
Hilaire Pader. Plan, ou Dessein idéal pour le tableau du Déluge qui doit estre représenté dans la chapelle de Messieurs les Pénitens noirs de Tolose
Jean Lestrade. Hilaire Pader, peintre toulousain au XVIIe siècle : d’après des documents inédits
Data.BnF.fr. Hilaire Pader
Christine Belcikowski. Une visite à Peyrefitte-sur l’Hers