Des nouvelles de Louis François Marie Gaston de Lévis, marquis de Léran et de Mirepoix, en Italie

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Ci-dessus : portrait de Louis François Marie Gaston de Lévis, marquis de Mirepoix, conservé dans l’église San Vitale de Venise.

Fuyant la révolution débutante et laissant au comte Charles Philibert Gaston de Lévis, son fils, le soin d’administrer sa seigneurie mirapicienne, Louis François Marie Gaston de Lévis, marquis de Mirepoix, veuf de Catherine Agnès de Lévis ((Catherine Agnès de Lévis, fille de Charles François de Lévis, marquis de Châteaumorand, et de Philiberte Languet de Robelin de Rochefort ; morte le 6 septembre 1783 à Bagnères-de-Luchon.)) depuis 1783, arrive à Rome le 29 octobre 1789. Le 4 novembre 1789, il adresse à son intendant resté en France une lettre remarquable que l’on trouve, reproduite et commentée par mes soins, ici : Louis François Marie Gaston de Lévis, marquis de Léran et de Mirepoix, ou la lettre de Rome.

1. La correspondance de l’Académie de France à Rome témoigne de la présence du marquis dans la Ville Eternelle à cette même date du 4 novembre 1789.

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Ci-dessus, de gauche à droite : François Joachim de Pierre, cardinal de Bernis, chargé d’affaires auprès du Saint-Siège ; Armand Marc Aurelle, comte de Montmorin Saint-Hérem, ministre des Affaires étrangères de Louis XVI.

François Joachim de Pierre, cardinal de Bernis ((François Joachim de Pierre, cardinal de Bernis, né le 22 mai 1715 à Saint-Marcel-d’Ardèche, diplomate, homme de lettres et prélat français, ambassadeur à Venise (1752-1755), ministre d’État (1757), secrétaire d’État des Affaires étrangères (1757-1758), chargé d’affaires auprès du Saint-Siège (1774-1794).)), chargé d’affaires auprès du Saint-Siège, à Armand Marc de Montmorin Saint-Hérem ((Armand Marc Aurelle, comte de Montmorin Saint-Hérem, né à Paris le 13 octobre 1745, ambassadeur de France auprès de Clément Wenceslas de Saxe, électeur de Trèves (1774), ambassadeur de France à Madrid, commandant en chef en Bretagne (1784-1787), ministre des Affaires étrangères de Louis XVI (1787-789), secrétaire d’État à la Marine par intérim (1787, renvoyé le 12 juillet 1789 en même temps que Necker, à nouveau ministre des Affaires étrangères à partir du 14 juillet 1789, massacré par la foule à Paris, dans la prison de l’Abbaye, le 2 septembre 1792.)), ministre des Affaires étrangères de Louis XVI.

Rome, 4 novembre 1789.

Le duc ((Jules, duc de Polignac, né à Claye en 1743, mort à Saint-Pétersbourg en 1817, directeur général des postes de France (1785), et sa femme Yolande Martine Gabrielle de Polastron, née en 1749, morte à Vienne (Autriche) le 9 décembre 1793, gouvernante des enfants de France (1782) avaient émigré dés le 16 juillet 1789.)), la duchesse de Polignac, la duchesse de Guiche ((Antoine Louis Marie, comte de Gramont, duc de Guiche (1755-1836), capitaine aux gardes du corps, époux de Mlle de Polignac.)), ses frères ((Armand Jules Marie Héraclius, comte de Polignac (1771-1847), et son frère Auguste Jules Armand Marie, comte, puis prince de Polignac (1780-1847), futur ministre de Charles X.)) et le comte de Vaudreuil ((Joseph Hyacinthe François de Paule de Rigaud, comte de Vaudreuil, né à Saint-Domingue le 2 mars 1740, mort à Paris le 17 janvier 1817. Maréchal de camp (1780), grand fauconnier de France (1780), lieutenant général plus tard(1816), il émigre dès juillet 1789 avec le comte d’Artois, qu’il accompagna dans ses divers voyages à travers l’Europe. Cousin, et peut-être amant de la duchesse de Polignac, doué d’une intelligence brillante, ami des lettres et des arts, Vaudreuil se trouve mêlé, de 1792 à 1799, à divers complots tentés pour le rétablissement de la monarchie.)), sont arrivés ici depuis quelques jours en très bonne santé. Les Romains, qui se piquent d’être physionomistes, n’aperçoivent en eux aucun caractère de conjurés ; ils comptent vivre ici avec décence et simplicité.

M. le marquis de Mirepoix, dont vous connaissez, Monsieur, tout le mérite, est venu, fort à propos pour moi, à Rome dans ces circonstances. C’est un homme qui pense avec noblesse, dont le jugement est sain et la probité reconnue depuis longtemps. Ses entretiens seront pour moi d’une grande ressource. ((Anatole de Montaiglon et James Guiffrey. Correspondance des directeurs de l’Académie de France à Rome, avec les surintendants des bâtiments, 1785-1790. Tome XV. Editions Jean Schemit. Paris. 1906.))

2. En 1790, ladite correspondance mentionne plusieurs fois encore la présence du marquis à Rome.

2.1. François Guillaume Ménageot, peintre, membre de l’Académie des Beaux-Arts, directeur de l’Académie de France à Rome, à Claude Flahaut de La Billarderie, comte d’Angiviller, administrateur des arts, surintendant des Bâtiments du roi.

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Ci-dessus, de gauche à droite : François Guillaume Ménageot, peintre, directeur de l’Académie de France à Rome ; Claude Flahaut de La Billarderie, comte d’Angiviller, administrateur des arts, surintendant des Bâtiments du roi

A Rome, le 7 juillet 1790.

Monsieur le Comte,

J’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint le compte de recette et dépense pour l’Académie, ainsi que les mémoires et quittances d’ouvriers pour ce qui a été fait pendant le quartier d’avril de la présente année.

Les Sieurs Dumont et Tardieu ont été malades, mais ils se portent mieux maintenant. Le Sieur Girodet a de la peine à s’acclimater ; mais j’espère qu’avec des précautions il se garantira des fièvres très fréquentes et très dangereuses qui régnent présentement dans Rome.

L’été se dispose fort mal ; j’avois bien éprouvé ici de grandes chaleurs, mais ce que je n’avois jamais vu, c’est un vent de chiroco (sic) continuel qui absorbe toutes les facultés et qui cause les nombreuses maladies qu’il y a dans Rome ; c’est aussi sans doute ce qui augmente mes douleurs de goutte et l’extrême foiblesse de vue que j’éprouve. […].

M. le marquis de Mirepoix, qui s’est fixé ici et que je vois souvent chez M. le Cardinal, me charge, Monsieur le Comte, de le rappeler à votre souvenir ; il jouit de la meilleure santé.

Je suis, avec un très profond respect… ((Anatole de Montaiglon et James Guiffrey. Correspondance des directeurs de l’Académie de France à Rome, avec les surintendants des bâtiments, 1785-1790. Tome XV. Editions Jean Schemit. Paris. 1906.))

2.2. François Guillaume Ménageot à Charles Claude Flahaut de La Billarderie, comte d’Angiviller

A Rome, le 15 septembre 1790.

Monsieur le Comte,

[…] S. E. Mgr le Cardinal de Bernis est venu voir l’exposition. Il en a paru fort content et a dit sur cela aux pensionnaires les choses les plus obligeantes. J’espère que, l’année prochaine, cela sera plus complet et qu’on ne sera plus en retard comme on l’a été cette année.

Ma santé continue à se rétablir. J’ai repris hier les études de mon Coriolan. Je ne peux encore travailler que deux ou trois heures par jour, à cause de l’extrême foiblesse de ma vue ; mais c’est toujours une grande consolation, apprès avoir passé presque tout l’été sans pouvoir travailler du tout. […].

M. le marquis de Mirepoix, que je vois ici tous les jours, me charge, Monsieur le Comte, de le rappeler à votre souvenir et de vous faire agréer tous ses compliments.

Je suis, avec un très profond respect…. ((Anatole de Montaiglon et James Guiffrey. Correspondance des directeurs de l’Académie de France à Rome, avec les surintendants des bâtiments, 1785-1790. Tome XV. Editions Jean Schemit. Paris. 1906.))

2.3. François Guillaume Ménageot à Charles Claude Flahaut de La Billarderie, comte d’Angiviller

A Rome, le 3 novembre 1790.

Monsieur le Comte,

J’ai reçu les deux lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, du 11 et du 18 octobre. Dans la première, vous me témoignez votre satisfaction des détails relatifs à l’exposition des ouvrages des pensionnaires et, en même temps, l’intérêt que vous daignez prendre à ma santé dont le meilleur état me rend la faculté de m’occuper de mon art. Recevez, je vous prie, Monsieur le Comte, mes respectueux remerciements pour cette nouvelle preuve de vos bontés.

Je continue à être content de l’ordre intérieur de l’Académie et à espérer que tout ira pour le mieux dans ces circonstances délicates. Je ne néglige rien de tout ce qui peut prévenir le relâchement de l’étude et des devoirs et je tâche en tout de prêcher d’exemple, estimant que c’est le meilleur précepte. Depuis que ma vue a repris un peu de force, j’ai recommencé à dessiner le soir d’après le modèle, à l’Académie, et depuis qu’on a repris cette étude à la lampe, je n’y ai pas manqué un seul jour. J’espère pouvoir continuer tout cet hiver et que cela engagera les pensionnaires à être aussi exacts que moi à cette étude que je regarde comme une des choses les plus essentielles pour le progrès de l’art.

Par votre seconde lettre. Monsieur le Comte, vous approuvez les réparations que j’ai faites aux ateliers de sculpteurs ainsi que dans mon appartement, et vous me témoignez le désir de faire acquérir au Roy une bonne copie du tableau des Chartreux de Naples (qui est de ï Espagnolette). Le Sieur Le Thier a bien obtenu la permission de le copier, mais non pas de le déplacer, et, comme le jour vient de très haut dans cette sacristie, qui est assez sombre, je crains bien qu’il ne puisse pas profiter de cette étude. Je lui ai cependant conseillé d’essayer de la copier en place; je n’ai pas eu depuis de ses nouvelles.

La caisse contenant les études peintes des pensionnaires est partie pour Civita-Vecchia, où il y avoit un bâtiment prêt à faire voile pour la France; ainsi, j’espère qu’elle arrivera de bonne heure; je garderai celle des sculptures jusqu’à nouvel ordre. […].

Je me suis acquitté, Monsieur le Comte, de ce dont vous m’aviez chargé pour M. le marquis de Mirepoix et lui ai fait lire l’article de votre lettre qui le regarde ; il a été des plus sensibles aux expressions de vos sentiments pour lui et m’a bien recommandé de vous dire tout le prix qu’il y attache.

M. le comte de Narbonne-Fritzlar ((Jean François Pelet, seigneur des Granges, comte de Narbonne-Pelet-Fritzlar, lieutenant général, qui mourra à Paris le 28 janvier 1804.)) , qui m’honore de son amitié et que je vois ici tous les jours, me charge aussi de le rappeler à votre souvenir.

Je suis, avec un très profond respect…. ((Anatole de Montaiglon et James Guiffrey. Correspondance des directeurs de l’Académie de France à Rome, avec les surintendants des bâtiments, 1785-1790. Tome XV. Editions Jean Schemit. Paris. 1906.))

La correspondance entre François Guillaume Ménageot et Claude Flahaut de La Billarderie, comte d’Angiviller s’interrompt ensuite, car le comte d’Angiviller émigre en 1791 ((Né le 24 janvier 1730, Claude Flahaut de La Billarderie, comte d’Angiviller, mourra à Altona, près de Hambourg, le 11 décembre 1809.)). Le poste de François Guillaume Ménageot à Rome est supprimé le 27 novembre 1792. François Guillaume Ménageot regagne alors son poste de professeur à l’École des Beaux-Arts de Paris.

3. Le 15 octobre 1791, une dépêche émanant du secrétariat du cardinal secrétaire d’Etat, Monseigneur de Bernis, informe le gouverneur de Frosinone de l’arrivée du « comte de Lévis Mirepoix » à Ripi, dans le Latium.

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Ci-dessus : vue de Ripi.

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Georges Bourgin. La France et Rome de 1788 à 1797. Regeste des dépêches du cardinal secrétaire d’Etat, tirées du fond des « vesconi » des archives secrètes du Vatican. Albert Fontemoing, éditeur. 1909.

On notera que le secrétaire du cardinal de Bernis commet une erreur de titre lorsqu’il parle ici du « comte de Lévis Mirepoix », puisque, comme indiqué par Georges Bourgin, ancien membre de l’Ecole française de Rome, archiviste des Archives nationales, il s’agit à Ripi de Louis François Marie Gaston de Lévis, marquis de Mirepoix.

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Ci-dessus : en arrière-plan, au bord du Grand Canal, le campanile de l’église San Vitale à Venise.

Les archives ne donnent plus de nouvelles du marquis de Mirepoix à partir d’octobre 1791. En mars 1792, le cardinal de Bernis, ami et protecteur du marquis, est inscrit pour la première fois sur la liste des émigrés. Ses biens sont mis sous séquestre, les meubles de son château ancestral, vendus aux enchères. Tenu pour définitivement émigré le 4 mars 1793, le cardinal perd par suite le reliquat de ses biens. Il meurt ruiné à Rome le 3 novembre 1794.

Privé de l’aide que lui consentait le cardinal de Bernis, Louis François Marie Gaston de Lévis quitte alors Rome pour Venise. Il y meurt dans une quasi indigence le 23 février 1800. Sa dépouille repose dans l’église San Vitale, au bord du Grand Canal, où une plaque rappelle son souvenir.