An II (1794). Procès aux Lévis

En 1787, François Gaston de Lévis, marquis de Léran et de Mirepoix, seigneur de Belloc, Carla, Faytières, Esclagne, Lagarde, la Bastide, Laroque, la Tour de Saint-Quentin, Montormentier, le Peyrat, Queille, Villaret, etc., maréchal héréditaire de la Foi, fait partie des notables qui composent l’Assemblée. Membre du bureau du prince de Condé, il dispose à ce titre d’une adresse à Versailles : « escalier de la fruiterie de la Reine, au troisième, n° 41, au grand commun » ((Liste des notables composant en 1787 l’assemblée, partagée en sept bureaux, avec leurs demeures à Versailles, impr. de Ph.-D. Pierres, Versailles, 1787.)). En octobre 1789, il fait donation de son fief à Charles Philibert Marie Gaston de Lévis, comte de Mirepoix, son fils aîné, et émigre à Rome. ((Cf. La dormeuse blogue : Louis François Marie Gaston de Lévis, marquis de Léran et de Mirepoix, ou la lettre de Rome.))

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Le 11 mai, Marie Vincentine de Lévis, fille aînée du même François Gaston de Lévis, ainsi que Jean Jacques Joseph de Polastron de la Hillère, son époux, obtiennent d’Armand Marc de Montmorin Saint-Hérem ((Armand Marc de Montmorin Saint-Hérem mourra le 2 septembre 1792 à la prison de l’Abbaye, massacré par la foule.)), alors ministre des Affaires étrangères de Louis XVI, un laisser-passer pour se rendre en Espagne avec leurs gens.

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Ci-dessus :

Baptisé le 9 novembre 1753 à Saint-Martin-d’Estréaux dans la Loire, Charles Philibert Marie Gaston de Lévis, marié en 1777 à Alexandrine Marie Julie Félicité de Montboissier de Beaufort Canillac, se dédie à la carrière militaire. En 1779, il devient maître de camp et lieutenant en second du régiment Colonel Général Infanterie, puis en 1784 colonel du régiment Maréchal de Turenne, puis en 1791 maréchal de camp des armées du roi. En 1789, il est élu député de la vicomté de Paris aux Etats généraux et refuse de se réunir au Tiers-Etat. En 1791, son épouse, ses enfants, et ses beaux-parents émigrent à Bonn. Lui, Charles Philibert Marie Gaston de Lévis, reste en France. Arrêté lors d’une réunion politique à Paris le 24 floréal an II (13 mai 1794), on sait par le témoignage d’un autre détenu ((Cf. Charles Aimé Dauban (1820-1876). Les prisons de Paris sous la Révolution : d’après les relations des contemporains. Ouvrage enrichi de onze gravures, vues intérieures et extérieures des prisons du temps. Page 268. Editions Plon. 1870.)) qu’il se trouve d’abord enfermé au palais du Luxembourg :

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Ci-dessus : nº 104, rue Saint Dominique, aujourd’hui.

« Dans l’autre corridor, à main gauche, habitent M. de la Ferté, M. le duc de Lévis [Pierre Marc Gaston de Lévis], M. le marquis de Fleury, M. le comte de Mirepoix [Charles Philibert Marie Gaston de Lévis] ; tous les matins en se levant ils braquent leurs lunettes d’approche, et ils ont l’agrément de voir que leurs hôtels ne sont pas changés de place dans la rue de l’Université. » ((Depuis le palais du Luxembourg, au-delà de l’autre rive de la Seine, sur le front des hôtels particuliers qui s’élevaient rue de l’Université, rue de Lille et rue de la Planche (aujourd’hui partie de la rue de Varennes), ces Messieurs pouvaient voir de loin leur résidence habituelle, dont pour le duc de Lévis [Pierre Marc Gaston de Lévis] le n° 121 de la rue de Lille, et pour le comte de Lévis [Charles Philibert Marie Gaston de Lévis] le n° 104 de la rue Saint-Dominique.))

Le séjour de Pierre Marc Gaston de Lévis au Luxembourg a dû être relativement bref. Celui-ci, en tout cas, n’en parle pas dans sa correspondance avec Pauline d’Ennery, son épouse, alors émigrée en Angleterre. « En mars 1793, Gaston et Pauline sont revenus à Ennery, le 23 mars, ils sont dénoncés aux Jacobins par un certain Morin, soutenu par Marat, et amenés à Paris sur ordre du Comité de surveillance, les scellés sont mis sur leurs biens. Un certificat de complaisance vient à leur secours ; la municipalité de Boulogne-sur-Mer atteste de façon manifestement fausse que le duc a résidé dans cette ville du 4 août 1792 au 20 janvier 1793 » ((Gaston de Lévis. Écrire la Révolution. 1784-1795. Correspondance présentée et annotée par Claudine Pailhès. Page 154. Editions La Louve. 46004 Cahors. 2011.))

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Ci-dessus : cour intérieure de la prison de La Force en 1840.

Charles Philibert Marie Gaston de Lévis se trouve transféré ensuite à la prison de la Force ((Situé aux nºˢ2-4 de la rue du Roi de Sicile dans le IVe arrondissement de Paris, l’ancien hôtel particulier du duc de La Force, a été converti sous la Révolution en prison.)) :

« Les premiers vingt-deux députés furent d’abord placés au dernier étage du bâtiment neuf de La Force ; il y avait déjà une cinquantaine de détenus dans cet espace étroit, où pour tout lit les députés n’avaient que des crèches garnies de paille. […]. Le lendemain on logea les députés d’une manière moins incommode : on les divisa : une partie fut envoyée au département de la Vite-au-lait ((La Vite-au-Lait : département de la prison précédemment réservé aux femmes qui étaient accompagnées d’enfants en bas-âge et qui avaient besoin de nourrices.)) ; l’autre resta dans le bâtiment neuf. Dans la Vite-au-lait ils eurent une seule et même chambre, au-dessous de laquelle était une auge à cochons qu’il fallait traverser pour y pénétrer…

Une chambrée de prisonniers était formée, à cette époque, de la manière suivante : Brochet de Saint-Près, ancien maître des requêtes, frondeur et original, égayait toute la chambrée par ses bons mots ; Custines fils, jeune, intéressant et instruit, captivait par sa conversation, tandis que Charost-Béthune, plein d’espérances folles et téméraires, étalait l’ignorance de la noblesse la plus reculée, et dérangeait sans cesse Brochard de Saron, grand astronome qui s’exilait de la terre pour voyager dans le ciel. Gamache poursuivait de ses discours ampoulés et insipides les deux constituants Lévis Mirepoix et de Bruges. Lamarelle père et fils, Menard de Choisy, Fleury, Duval, de Beaumontel, faisaient galerie et écoutaient en silence… » ((Jules Edouard Alboize de Pujol (1805-1854) et Auguste Maquet (1813-1888). Les prisons de l’Europe, pp. 195-196. Librairie théâtrale. Paris. 1851.))

1. Procès à la maison de Lévis Léran et Mirepoix

Le 18 mai 1794, Charles Philibert Marie Gaston de Lévis comparaît, salle de la Liberté, devant le Tribunal révolutionnaire, avec vingt autres prévenus, dont, réunis de façon hétéroclite, « l’état-major du traître Dumouriez » ; le général Donadieu, qui a refusé d’exécuter un ordre de Hoche à l’armée du Rhin afin d’éviter un massacre inutile ; Antoine Louis-Michel Judde, conseiller au ci-devant Châtelet, collectionneur de gravures, qui avait, cachés chez lui sous d’autres gravures, les portraits de Louis XIV, de Louis XV, de Louis XVI et du fils de Louis XVI ; Catherine Mathieu, femme de Vigneron, président au parlement de Nancy, et sa fille Suzanne, qui ont « entretenu des correspondances avec les émigrés, et notamment avec leur fils et frère ; Mathieu Jouve Jourdan, dit Jourdan « Coupe Tête », ancien marchand d’eau-de-vie, chef d’escadron de la 12e division de la gendarmerie nationale, général de l’armée du Vaucluse, massacreur des prisons de la Glacière en Avignon.

H. Wallon, dans son Histoire du Tribunal révolutionnaire, résume ainsi l’interrogatoire de Charles Philibert Marie Gaston de Levis :

« Charles Philibert Marie Gaston de Levis, (quarante ans), ancien colonel du régiment du maréchal de Turenne, puis maréchal de camp et député à l’Assemblée constituante, avait à répondre pour lui, pour sa qualité de noble, de comte, d’ancien offcier général, de constituant et pour toute sa famille. Son père était allé à Rome en 1789 ; son frère était « on ne sait où » ; de ses six sœurs, trois étaient en France, trois « on ne sait où », c’est-à-dire émigrées. II était, lui, resté en France. Ne leur avait-il pas écrit quelques lettres, n’en avait-il pas reçu d’eux ? Ne leur avait-il pas fait passer quelque chose de leurs revenus ? et lui-même ne l’appelait-on pas quelquefois comte ? Il avouait ce dernier point. » ((H. Wallon. Histoire du Tribunal révolutionnaire. Tome 4. Pages 41-42. Librairie Hachette. Paris. 1881.))

Enregistrée aux Archives nationales sous la cote W 374, nº 844, l’incrimination de Charles Philibert Marie Gaston de Levis semble au vrai un peu plus complexe. Charles Philibert Marie Gaston de Levis fait l’objet de 7 chefs d’accusation, ainsi libellés et commentés :

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Si certains de ces chefs d’accusation semblent relever de la haine de la noblesse, du règlement de compte politique (2) et du procès d’intention (1, 4, 5), certains autres (3, 6, 7) méritent d’être considérés avec plus d’attention.

S’il n’existe point de preuves que Charles Philibert Marie Gaston de Levis ait été présent, avec d’autres aristocrates armés, aux côtés des Gardes Suisses qui ont tiré sur la foule des insurgés venus en masse, le 10 août 1792, assiéger le roi et la reine aux Tuileries, il semble certain, au moins d’après le chef d’accusation nº 3, que le même comte de Mirepoix a fait partie des chevaliers du poignard qui ont constitué un arsenal secret aux Tuileries dans le but de délivrer le roi ou plutôt de « l’enlever » comme veut le discours révolutionnaire du temps, et qui ont été arrêtés par les gardes nationaux, puis battus par la foule le 28 février 1791. Il s’agit là, de la part des dits « chevaliers », d’une faute politique d’autant plus manifeste que le roi prend ce jour-là l’initiative de mander qu’on les désarme.

Concernant le chef d’accusation nº 6, relatif à l’arrêt de la forge de Léran, Joseph-Laurent Olive, historien de la Révolution à Mirepoix, observera plus tard valoir que, même si « une dénonciation partie de Mirepoix accuse le comte d’avoir interrompu le travail de ses forges », celles-ci « manquaient en réalité de matière première. » ((Joseph-Laurent Olive. La Révolution de 1789 à Mirepoix (Ariège). P. 177. Imprimerie du Champ de Mars. 09700 Saverdun. 1981.))

Quant au chef d’accusation nº 7, qui intéresse le paiement des 21.000 livres obtenues par Charles Philibert Marie Gaston de Levis auprès du Chapitre de Mirepoix, même si on se trouve aujourd’hui aujourd’hui bien en peine de vérifier la légalité d’un tel paiement, on devine que, compte tenu l’importance de la somme, la récupération d’une telle somme constitue pour la nation l’enjeu le plus important du procès.

Charles Philibert Marie Gaston de Levis se trouve au vrai condamné par avance. Il est guillotiné le 8 (ou 9 ?) prairial an II (27 (ou 28 ?) mai 1794).

2. Procès à la maison de Lévis Ajac

Le 28 floréal an II (18 mai 1794), Martial Joseph Armand Herman, commissaire des administrations civiles, police et tribunaux, adresse au maire de Paris le message suivant :

« Il nous est revenu qu’il existait depuis quelques jours de la rumeur dans la maison de détention du Luxembourg. Les victoires, la marche rapide du tribunal révolutionnaire les met dans une situation à tout tenter ; l’on soupçonne des intelligences avec les autres prisons : ils tiennent beaucoup de comités, ont l’air de gens qui méditent quelques projets. Nous en avons référé au comité de salut public ; nous avons pris des mesures pour faire juger, dans le plus court délai, les moteurs de cette fermentation. Une liste de cent et quelques de la maison du Luxembourg est remise à l’accusateur public. Nous sommes chargés de prendre dans les diverses prisons, et d’abord dans les plus nombreuses, l’écume de tous ces scélérats. »

Martial Harman soupconne plus particulièrement le comte Arthur Dillon, enfermé au palais du Luxembourg, de fomenter depuis sa geôle une conspiration des prisons. Il adresse en conséquence à Antoine Fouquier-Tinville une liste de 151 détenus, dont le comte Dillon, qu’il prescrit de transférer à la prison de la Conciergerie.

Le 7 messidor, Antoine Fouquier-Tinville, accusateur public du Tribunal révolutionnaire, rajoute à cette liste, de sa main, les noms de « Michel Levis, ex-noble ; Michel Levis Du Luc ; Michel Levis Beranger ». Il s’agit de Gabrielle Augustine Michel de Tharon, « ex-noble », 50 ans, veuve du maréchal François de Lévis Ajac ; Marie Gabrielle de Lévis, « ex-noble », 28 ans, fille de Gabrielle Augustine Michel de Tharon et de François de Lévis Ajac, épouse de Charles Félix René de Vintimille du Luc, Comte du Luc et de Vintimille, « son mari émigré » ; Henriette Françoise de Lévis, « ex-noble », 27 ans, autre fille de Gabrielle Augustine Michel de Tharon et de François de Lévis Ajac, épouse de Charles Raymond Ismidon de Bérenger, comte de Gua, comte Béranger et de Gua, marquis de Pontraragon, baron de Sassenage, major en second au régiment de Turenne.

« Aucune de ces trois dames ne se trouve comprise pourtant, ni par l’accusateur public dans sa requête, ni par les juges dans l’ordonnance de mise en accusation. Elles seront mises en jugement sans avoir été mises en accusation, et ne paraîtront sur la liste des prévenus destinés à être accusés que par une addition postérieure, addition dont témoigne leur place même sur cette liste, puisqu’elles s’y trouvent enregistrées sous les nºˢ 152, 153, 154. » ((H. Wallon. Histoire du Tribunal révolutionnaire. Tome 4. Librairie Hachette. Paris. 1881.))

Les accusés de la conspiration des prisons seront jugés en trois fournées de cinquante, les 19, 21 et 23 messidor. Les dames Lévis font partie de la deuxième fournée, le 21 messidor. « Tout leur crime est dans leur parenté », dit H. Wallon. Elles aussi se trouvent condamnées par avance. Jacques Jobert, 47 ans, marchand de vin, seul acquitté de la fournée, rapportera lors du procès d’Antoine Fouquier-Tinville, le 8 germinal an III (28 mars 1795), ce propos de la « femme Béranger » :

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Ci-dessus : témoignage de Jacques Jobert. Cité par H. Wallon in Histoire du Tribunal révolutionnaire. Tome 4. Page 439. Librairie Hachette. Paris. 1881.

Augustine Michel de Tharon, « ex-noble », 50 ans, veuve du maréchal François de Lévis Ajac ; Henriette Françoise de Lévis, « ex-noble », 27 ans, fille de Gabrielle Augustine Michel de Tharon et de François de Lévis Ajac, épouse de Charles Raymond Ismidon de Bérenger, comte de Gua, comte Béranger et de Gua, marquis de Pontraragon, baron de Sassenage, major en second au régiment de Turenne, un enfant ; Marie Gabrielle de Lévis, « ex-noble », 28 ans, autre fille de Gabrielle Augustine Michel de Tharon et de François de Lévis Ajac, épouse de Charles Félix René de Vintimille du Luc, Comte du Luc et de Vintimille, « son mari émigré », trois enfants, seront guillotinées le 21 messidor an II (9 juillet 1794). Leurs restes ont été confondus plus tard dans une même fosse au cimetière de Picpus. ((Procès-verbaux / Commission municipale du Vieux Paris. Imprimerie municipale. Paris. 1921.))