A propos du méridionalisme – Jean Girou

 

Ci-dessus : Antoine Bourdelle, Monument aux défenseurs de 1870, détail, Montauban.

S’il existe dans le domaine de l’art un méridionalisme, et en quoi il consiste ou consisterait, la question fait débat depuis le XIXe siècle et l’avénement de la fierté félibriste. D’aucuns jugent qu’une telle question demeure sans objet. D’autres tiennent le méridionalisme pour un fait d’évidence. Je m’intéresse dans ce débat aux propositions constructives, formulées par des artistes ou des écrivains qui usent d’arguments pro ou contra.

J’ai relevé ainsi le point de vue de Jean Girou dans Sculpteurs du Midi – Bourdelle – Maillol – Despiau – Dardé – Malacan – Costa – Parayre – Iché, ouvrage daté de 1938. Homme du Carcassès, grand amateur d’art, familier des ateliers des peintres et sculpteurs qui vivent et travaillent alors dans sa région, Jean Girou tire de cette fréquentation la certitude qu’il y a effectivement un méridionalisme, mais que celui-ci se manifeste dans la forme, forme en quoi, et en quoi seulement, l’origine trouve à faire visage et, ainsi faisant, à vérifier son statut de fond.

Rappelant que Bourdelle est né à Montauban, il observe que, si Montauban aux briques rouges et à l’ordonnance verticale des lignes est une sorte de prélude à l’oeuvre de Bourdelle, ce n’est pas cette ville à la grandeur déchue, capitale d’un protestantisme rigide où la rectitude de la pensée étouffe la passion de l’essor et où l’austérité des moeurs et la gravité de la logique arrêtent l’expansion de l’enthousiasme, qui nous donnera l’explication systématique de la pensée de Bourdelle, il n’en reste pas moins vrai qu’enfant, Bourdelle a eu, devant les yeux, le spectacle de cette architecture majestueuse dont les lignes s’épuisent dans le Tarn ; et, s’il existe pour certains un protestantisme de l’art, ne doit-on pas trouver dans cette ville où il passa son enfance et son adolescence l’explication de l’archaïsme linéaire de ses sujets, de la nudité héroïque de sa composition et de la fougue concentrée et freinée de son inspiration. Je sais qu’il faut pour saisir tout le caractère de son oeuvre, remonter en Chaldée, en Egypte, mais il n’en est pas moins un enfant de Montauban ; il en était fier et rarement un artiste a autant aimé son pays que ce grand sculpteur.

C’est son amour pour le pays natal qui lui a fait concevoir son Monument aux morts de 1870. 1Jean Girou, Sculpteurs du Midi – Bourdelle – Maillol – Despiau – Dardé – Malacan – Costa – Parayre – Iché, Librairie Floury, Paris, 1938, p. 22-24

Elargissant ici le propos, Jean Girou formule à propos du méridionalisme la constatation suivante :

Il est toujours dangereux de poursuivre une filiation quelquefois artificielle d’un artiste avec son pays natal, mais il est des rencontres qui peuvent suggérer des comparaisons satisfaisant notre esprit ; elles inversent les termes et ainsi l’oeuvre d’un artiste peut expliquer un paysage plutôt que le sceau du pays nous livrer l’oeuvre de l’artiste. 2Ibidem, p. 23

 

Ci-dessus : Aristide Maillol, Monument aux morts de 14-18, détail, Céret.

S’il y a dans le domaine de l’art un méridionalisme, ajoute Jean Girou dans le chapitre qu’il dédie à Maillol, le méridionalisme en question ne se laisse déterminer ni comprendre ailleurs que dans le paysage auquel il renvoie et avec lequel il conserve un lien d’étroite co-naturalité. Jean Girou s’inspire là d’une idée chère à Maillol : l’oeuvre esthétique ne doit pas être emprisonnée dans un Musée sous le plumeau du gardien ; l’étiquette d’un catalogue est le pansement d’une blessure par où fuit la vie ; l’oeuvre d’art doit vivre familière avec nous, près de nous. 3Ibid. p. 62

En l’appliquant au méridionalisme, Jean Girou radicalise toutefois de la façon suivante l’idée de Maillol 

La compréhension d’une oeuvre d’art ne peut être complète et directe que si cette oeuvre est vue dans le pays qui l’a créée ; la nature qui a servi à cette création lui prête une âme, un rayonnement spécial ; tout site confère à un tableau ou à une sculpture une divination et une vertu autochtones. 4Ibid., p. 58.

Ainsi reconduite au lien de co-naturalité qu’elle entretient avec un pays, une terre, une histoire commune, un vivre-ensemble, l’oeuvre d’art, excédant ainsi son statut d’objet, devient figure d’un monde auquel elle appartient, au sein duquel elle vit, parmi la rue bruyante du commerce, la joie vulgaire des marchands de vin et de primeurs attablés au Café 5Ibid. p. 62., et dont elle rend manifeste l’essence, la vertu, jusqu’ici invue. C’est, en matière de méridionalisme, le possible d’une telle manifestation que Jean Girou invoque, lorsqu’il prête à l’oeuvre d’art, relativement au sol qui l’a portée, un pouvoir de divination et une vertu autochtones.

Notes[+]

Ce contenu a été publié dans art, littérature, Midi-Pyrénées. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.