Je passe devant cette maison tous les jours, spécialement lorsque je me rends aux archives. Elle est grande, massive, flanquée d’une tour carrée. et assortie d’un jardin bien plus grand encore qui abrite en son centre deux magnifiques pins parasols. Maison et jardin occupent à eux seuls la quasi totalité du moulon.
J’ai eu envie de savoir à qui elle avait pu appartenir à la fin de l’Ancien Régime. J’ai consulté à cette fin le compoix de 1766 et le plan correspondant. Chaque bien immobilier ou foncier fait l’objet d’une description dans le compoix. En regard du numéro d’ordre, il se trouve assorti d’un numéro topographique qui permet de le localiser sur le plan.
Voici la description de la maison sur laquelle je cherchais des renseignements :
Plan 1 N°6
Me François Rouvairollis avocat au parlement habitant de la présente ville tient une maison contenant cent cinq cannes, trente quatre cannes décharge, sur laquelle décharge Anne Pouytes en tient au premier plancher pour deux cannes un quart ; et douze cent quatre-vingt dix huit cannes jardin à la rue Cambajou autrefois le pas de moussu Lendauré ; confronte d’auta et midi rue, cers autre rue du faubourg d’amont, et d’aquilon en deux endroits la dite rue Cambajou, dudit auta, aquilon et du cers ladite Anne Pouytes ; estimé en tout trois cents livres de rente alivré dix livres cy.
On sait qu’avant 1795, date à laquelle l’usage du système métrique devient obligatoire, le système de mesure en vigueur demeure celui de la canne de Carcassonne ((Cf. Mesures anciennes sur l’excellent site de Robert Faure : Du côté de Tréziers.)). Celle-ci correspond à 1,784 mètres. Maître Rouvairollis, en 1766, tient donc à l’endroit indiqué ci-dessus une maison de 187,5m2 au sol, une décharge de 61m2, et un jardin de 2316m2. Le mot décharge désigne ici, comme chez Saint-Simon ci-dessous, une maison attenante « où l’on serre ce qui n’est pas d’un usage ordinaire » ((Littré)) :
La Touanne avait à Saint-Maur la plus jolie maison du monde, dont le jardin donnait dans ceux de la maison de Gourville, que Catherine de Médicis avait faits, et bâti un beau château. Gourville l’avait donné à M. le Prince, qui en avait fait présent à M. le Duc. Rien ne lui convenait davantage que de joindre les jardins de La Touanne aux siens, et d’avoir sa maison pour en faire à Saint-Maur une petite maison particulière à ses plaisirs, et souvent une décharge au château quand il y était avec Mme la Duchesse et bien du monde. ((Saint-simon, Mémoires, III, 17))
Aujourd’hui… Rue du Faubourg d’Amont : rue Victor Hugo ; rue du Coin de Cambajou : rue du Gouverneur Laprade ; promenade du Jeu du Mail et rue des Vieilles Caves : cours du Jeu du Mail ; rue Cambajou : rue Frédéric Soulié ; rue de Traverse : rue Pasteur ; rue del Sautadou : rue Carnot ; promenade de la Porte de la Roque : cours Chabaud.
On sait, toujours par le compoix de 1766, que Jean Clémens Rouvairollis de Rigaud, écuyer, ancien consul de Toulouse, seigneur de Caudeval, neveu de François Rouvairollis, est alors propriétaire d’une autre grande et belle maison, sise au n° 202 de la rue Courlanel, face à celle de Maître Baillé, le grand-père du futur Frédéric Soulié.
Mirepoix, à la fin de l’Ancien Régime, rassemble dans son étroit périmètre historique une petite société de notables puissants, essentiellement composée de notaires et d’avocats, dont quelques blasonnés ou plutôt blasonnants. Je dois cette vérité à ma patrie, qu’elle est infestée de cette race judiciaire, souligne Frédéric Soulié d’un trait acerbe, dans Deux séjours – Province, Paris ((Frédéric Soulié, Deux séjours – Province, Paris)).
Tandis que Jean Antoine Barthélémy Baillé, fils et successeur de Géraud Baillé, touche pendant la Révolution au sommet de sa carrière de notaire et d’avocat et acquiert rue Porte d’Amont la maison historique des anciens seigneurs de Mirepoix, François Rouvairollis disparaît du paysage mirapicien. La propriété du n°6 rue du Coin de Cambajou et celle du n°202 rue Courlanel, après la Révolution, changent de main. Comme on sait, la main passe.
Cet article marque ta satisfaction d’avoir trouvé le propriétaire, après les recherches nécessaires et prenantes. Il va jouer, comme c’est le cas pour tant d’articles de ton blog, le rôle de source d’information unique et avérée. Nous ne passerons plus devant cette maison sans nous dire : » C’est là qu’habitait Maître François de Rouvairollis » … Je me souviens de la jubilation intense, n’ayons pas peur des mots, que Claudine et moi avons ressentie quand nous avons réussi à retrouver les propriétaires des maisons de l’actuel moulon de la poste selon le compoix du XVIIe siècle : la difficulté était d’identifier une maison de façon indiscutable, ensuite c’était un jeu de faire le tour du moulon par les confronts . Nous pouvons donc désormais avoir en passant une pensée pour Henri et Marie de Calages, Pierre Pol Riquet, la famille Cairol, le chirurgien David et tant d’autres … Cela donne vie et épaisseur au paysage urbain et maintient le lien avec des personnes disparues qui ne restent pas seulement des noms sur des manuscrits.
Les Rouvairollis sont des descendants d’un couple Rouvairollis-Niort, au XVIIe siècle, les Niort étant des descendants ou alliés des Labalme : la ligne financière ou juridique demeure !
Autre petit plaisir linguistique : le mot » cambajou » dans le nom des deux rues, qui évoque le jambon et, sans doute, le » trafic du cochon » comme disaient mes grand-parents …
J’ai bien du plaisir à te lire. Une belle écriture. Certaines fois j’attends de disposer de plusieurs épisodes. Il en est d’autres en attente.
Ici le dialogue avec Martine m’est bien agréable et me décide à t’écrire.
Je me permets de te rappeler que je suis dans l’attente de petites écritures à propos des « destins brisés ».
Le 3 avril 1793, Jean Clément Rouvairollis obtient, à sa demande, un certificat de résidence. Il a 60 ans, mesure 5pieds 6 pouces et demi, a les cheveux et les sourcils châtain, les yeux gris, le nez bien fait, la bouche moyenne, le menton rond, le front grand et le visage ovale. Il réside chez lui depuis quarante ans. Peut-être dans cette maison ?
Le même jour, son épouse Rose Champflour (de la famille de l’avant-dernier évêque) obtient, à sa demande également, un certificat de résidence. Elle a 48 ans, mesure 5 pieds, a les cheveux et les sourcils châtain, les yeux bleus, le nez retroussé, la bouche moyenne, le menton rond, le front grand et le visage rond. Elle réside chez son mari ( … ) depuis vingt-six ans.
Jolis portraits en texte, n’est-ce pas ?
Rose de Champflour, épouse de Jean Clément de Rouvairollis, seigneur de Caudeval, avait le style aussi impertinent que le nez ….
Lettre de Rose de Champflour, épouse de Jean Clément de Rouvairollis, à Messieurs les Administrateurs de l’hospice civil de Mirepoix
Limoux, le 9 octobre 1808
il faut avouer Messieurs que vous suposés a Mr de Caudeval une bonhomie d’autre nature pour le juger disposé a payer une indemnité a vos fermiers qui n’est n’y dite ni accordée par le jugement du tribunal. je ne vous ai rien demandé a cet égard ; ma lettre n’a eu pour objet, que de traiter avec vous pour les réparations seulement, qui ne peuvent etre que locatives pour le fermier. je crois pouvoir vous assurer quelles sont finies en ce moment et le celebre Canon de la cheminée remonté ; du reste il est tres possible que mr maudet lourd et pesant de sa structure, en comptant aussi minutieusement les tuiles de ce certain toit, n’en aye Cassé plus d’une j’ai quelque souvenir d’un ancien different que fit naitre Mr maudet dans une affaire majeure qu’il traitait avec Mr de Caudeval Celui Ci en fut si offensé qu’il en a conservé les dents agacées, et eut trouvé plus conciliant que Mr maudet ce fut recusé, crainte de faire entrer de la partialité dans son rapport je n’ai pu présumer que vous voulussiez persister a demander une indemnité illusoire, C’est beaucoup trop de vouloir faire payer l’amende aux Battus, et quelque Recommandable que soit la cause de l’hospice, il n’est pas juste de vexer le particulier a ce point pour sa defence. penetrez vous bien Messieurs que le tribunal de limoux a victimé dans cette affaire Mr de Caudeval pour favoriser la cause des personnes. Ce seul motif la fait renoncer a appeller de ce jugement etrange.
Je suis avec consideration Champflour Caudeval
(lettre manuscrite, orthographe et ponctuation conformes à l’original)