Au 17ème Salon du Livre d’Histoire Locale à Mirepoix

 

 

Ci-dessus, de gauche à droite : David Lilienfeld, montrant son livre ; Jean-Christophe Sanchez, au micro.

Honneur aux lauréats de l’année 2011 : David Lilienfeld, prix Joseph Laurent Olive pour La vie quotidienne des juifs en Ariège, 1940-1945, Jean-Christophe Sanchez, prix spécial du jury pour Histoire de l’astronomie dans le midi de la France : observatoires et astronomes du Grand siècle au début du XXe siècle, et… la dormeuse, prix du site Internet pour le blog que vous connaissez !

On notera que les deux livres primés ici sont issus de la recherche universitaire. Avec La vie quotidienne des juifs en Ariège, 1940-1945, la maison d’édition « 100% ariégeoise » Les 3 chaises publie sous un titre inchangé le mémoire de maîtrise de David Lilienfeld. Et avec Histoire de l’astronomie dans le midi de la France : observatoires et astronomes du Grand siècle au début du XXe siècle, la maison Loubatières, basée à Portet-sur-Garonne, publie une version réduite de la thèse de doctorat de Jean-Christophe Sanchez. Relayée par deux maisons d’édition régionales, l’Alma Mater fournit ici la substance de deux livres importants, qui allient, conformément aux règles de l’art, puissance de la documentation et rigueur de la méthodologie. Ce sont là des vertus qui, aujourd’hui comme hier, en matière historique, méritent d’être célébrées, et plus que jamais illustrées et défendues.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Jean-Christophe Sanchez ; David Lilienfeld ; la dormeuse.

Voici la brochette d’heureux. David Lilienfeld remporte aussi, ce jour, la palme du beau sourire !

Sensible à l’honneur qui m’était fait, je me suis laissé aller au plaisir de la fête, j’ai papillonné sous la halle, et pour une fois je ne me suis pas souciée ici de reportage. Je rapporte seulement quelques photos d’ambiance, inspirées par la lumière d’été, le hasard de la chose vue, l’amitié, le plaisir des rencontres. Je me suis amusée ensuite à éclairer ces photos d’un jour subjectif, reflet assumé de mes petites pensées du moment.

 

J’ai ainsi resitué dans l’ombre verte d’une décennie d’écriture Geneviève Mouton, lauréate du prix Lacour pour Manses, escale de la croisade, dans le cadre du salon de l’année 2000. Geneviève Mouton publie cette année le premier volume de Gontran, un croisé pour Jérusalem.

 

J’ai inscrit dans l’éclat versicolore d’un contrejour sur-éclairé la silhouette d’Antoine de Lévis Mirepoix, qui revient au salon pour la troisième année consécutive, avec un nouveau récit intitulé Le crabe et l’aube.

 

J’ai postérisé ici les Dalton de l’Association des Amis des Archives de l’Ariège. Trois générations d’archivistes. Ne sont-ils pas craquants ? Vous aurez reconnu ici Jean-Jacques Pétris, président des Amis des Archives de l’Ariège, Bruno Evans, récent intervenant au 60e congrès de la Fédération historique des Pyrénées, et M. Evans junior, déjà lancé sur la piste des grands Anciens.

 

Voici enfin, de gauche à droite, nimbés d’une fine brume olympienne, Martine Rouche, vice-présidente du SLHLM, Claude Prono, président d’honneur du SLHLM, Max Brunet, président du SLHLM. SLHLM, pour mémoire, c’est l’association Salon du Livre d’Histoire Locale à Mirepoix.

 

J’ai rapporté du salon, outre un beau parchemin mentionnant le prix spécial du jury décerné au blog de la dormeuse, un sac de livres, aussi pesant qu’un sac de pommes de terre. De quoi lire une semaine au moins 🙂

A Mirepoix – Le quartier de Lilo – L’Isle et le Bascou

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du quartier de Lilo sur le plan aquarellé de 1766 ; vue aérienne du même quartier en 2011.

Situé de part et d’autre du cours du Rumat, le quartier de Lilo comprend en 1766, côté ville, entre la rue du Coin de Paraulettes et la rue du Coin de Caramaing, les quatre moulons qui bordent le cours, et côté campagne, entre la route de Limoux et la rue du Countirou :

1. Le Bascou, sis entre le ruisseau du Countirou et le cours du Rumat ;

2. L’Isle proprement dite, ou Lilo, sise entre le ruisseau du Countirou et le canal qui dérive de ce dernier.

La section du cours du Rumat qui longe l’Isle se trouve renommée rue de L’Isle, ou rue de Lille (sic).

 

 

L’usage du mot « Lilo » en lieu et place de « l’Isle » s’observe au XVIIIe siècle, durant la Révolution, et jusqu’en 1815, dans le compoix et dans les registres municipaux. On reconnaît, sous la graphie naïvement phonétique, l’occitan, tel qu’on le parle en 1766.

 

1. Le Bascou

 

 

Les archives ne disent rien du Bascou, du Basque, qui a donné son nom au moulon de l’affachoir, ou du corchoir, qui se trouve situé au Rumat, côté campagne, entre le pont de Limoux, le ruisseau Countirou, et le canal du moulin. Il se peut que le dit Bascou ait été au XVIIIe siècle un habitué du foirail, connu pour la qualité de ses bêtes, venues du pays basque ou bien du Béarn.

 

Ci-dessus : le Bascou aujourd’hui, par temps de pluie.

Le corchoir (abattoir) porte sur le plan le n°29 bis. Le grand espace laissé libre alentour du corchoir est destiné aux activités du foirail côté Rumat, et à l’abreuvage des bêtes côté Countirou. Conformément à la vieille charte de la boucherie ((Cf. La dormeuse blogue : A Mirepoix, la charte de la boucherie, en 1303.)), les bêtes arrivent à pied au corchoir, où elles sont mises en stabulation. On les mène donc matin et soir boire au ruisseau.

J’évoque l’histoire du corchoir dans Al Bascou, la maison de l’écorcheur et dans Al Bascou – Autrefois, à l’aile du pont. Je vous invite à vous y reporter, pour d’autres précisions.

 

Ci-dessus : maisons situées aux abords de l’ancien corchoir. La maison (n°27) qui fait angle et qui est actuellement à vendre appartenait en 1766 à François Izard, dit La Mort, voiturier ((Cf. A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 1. Entre la rue du Coin de Cambajou et la rue del Bascou.)).

 

Ci-dessus : portail de la bâtisse portant le n°31 sur le plan de 1766 ; alors, décharge de Gabriel Ortala.

 

Ci-dessus : maison (n°41) formant un triangle al Bascou, jadis propriété de Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra.

 

Ci-dessus : derrière la maison formant un triangle al Bascou, le canal du moulin.

Quelques maisons seulement s’élèvent en 1766 au bord du foirail (numéros 24 à 30), puis au bord de la promenade (n°31), puis au bord du canal du moulin (n°37 à 41), à l’endroit où celui-ci amorce, alors à ciel ouvert, la traversée de la promenade. La présence d’un tisserand (n°26) est liée à la nécessité professionnelle de la ressource en eau ((Cf. A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 3. De la rue du Coin de Loubet à la rue Coin de la rue de Paraulettes.)).

Situées au bord du Countirou, toutes les parcelles restantes sont occupées par des jardins, des breils et des « graviers ». Certaines comprennent logiquement « des passages pour aller au canal ». Parmi les propriétaires de ces parcelles vertes, on retrouve sans surprise François Rivel, dit le Romain, teinturier, et Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs, qui, tous, ont besoin d’écorces de bois et de diverses plantes spécifiques, comme le redoul ((Cf. Monographie Redoul.)), pour leurs activités professionnelles.

 

Ci-dessus : vue de l’ancien corchoir sur l’arrière, depuis le passage qui descend au Countirou, en contrebas du pont de Limoux.

Liste des propriétaires des parcelles enregistrés sur le compoix de 1766 :

23 bis. Commune : couvert servant de corchoir al Bascou
24. Madeleine Sabatier, veuve et héritière de Joachim Mir ; maison, jardin et gravier al Bascou
25. Paul Arnoux, brassier ; maison et patu al Bascou
26. Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Moux tisserand ; maison et jardin al Bascou
27. François Izard, dit La Mort, voiturier ; maison al Bascou
28. Gabriel Ortala
29. Jeanne Marie Laffage, veuve de Jacques Gautier ; maison, patu, jardin, breil al Bascou
30. Jean Tadieu, bastier ; al Bascou
31. Gabriel Ortala ; décharge et jardin al Bascou
32. François Rivel, dit le Romain, teinturier ; breil al Bascou
33. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; breil ou terre inculte al Bascou
34. Jacques Pons, bastier
35. Pierre Verger, dit Lalem, laboureur ; maison et jardin al Bascou
36. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; jardin al Bascou
37. Jean Pierre Bertrand, huissier ; maison al Bascou
38. Barthélémy Clauzel ; le bas d’une maison dont le dessus est tenu par Jean Pierre Bertrand et par Michel Bourges, al Bascou
39. Michel Bourges, brassier ; maison al Bascou et passage pour aller au canal ; Jean Pierre Bertrand : latrines au premier plancher
40. Jean Pierre Bertrand ; jardin le long du canal du Bascou et passage public pour aller au canal
41. Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra ; maison formant un triangle al Bascou.

 

2. L’Isle, ou Lilo

 

 

Liste des propriétaires des parcelles enregistrés sur le compoix de 1766 :

42. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; breil à Lilo
43. Jacques Pons, bastier ; breil à Lilo
44. Jean Guillemat, marchand ; breil à Lilo
45. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; breil à Lilo
46. Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra ; maison, jardin, ferratjat, breil à Lilo
47. François Rivel, dit le Romain, teinturier ; jardin à Lilo
48. François Rivel, dit le Romain, teinturier ; maison et breil et autres à Lilo
49. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; maison servant d’adouvairie pour tanner les cuirs, ciel ouvert et boulmières à Lilo.
50. Non documenté dans le compoix !

 

Ci-dessus : vues rue Jacques Miquel, l’ancienne maison Sutra au premier plan, puis l’ancienne maison Rivel en dessous de la maison Sutra.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue de l’ancienne maison Sutra, rue Jacques Miquel ; vue de la même maison , rue de L’Ile.

 

Ci-dessus : la même maison, vue sur sa façade sud.

 

Ci-dessus : dans le passage qui la sépare de l’aile gauche, vue de l’aile droite de l’ancienne maison Sutra.

 

Ci-dessus : rue de l’Isle, vue de l’aile droite de l’ancienne maison Sutra. A l’angle de la maison, une lanterne.

 

Hormis deux breils qui appartiennent respectivement à Jacques Pons, bastier (n°43) et à Jean Guillemat, marchand (n°44), tout le reste de l’Isle se trouve contrôlé par François Rivel, dit le Romain, teinturier n°47 et 48), et par Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs (n°45, 49, 50), et apparentés (Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra ; n°46). Ainsi rapprochées, tannerie et teinturerie, qui s’exercent de façon complémentaire, font de l’Isle une entité industrielle de première importance pour la ville de Mirepoix. Elles trouvent là de quoi satisfaire leurs besoins en eau et en matières végétales. Elles disposent en outre de suffisamment d’espace pour multiplier des bassins de trempage qui, en raison de l’odeur et de la toxicité des substances qu’ils contiennent, ne souffriraient pas d’être installés côté ville. Dans la « maison servant d’adouvairie », on distingue, sur le plan, des cercles qui figurent probablement les dits bassins. On imagine l’atmosphère fétide qui devait être au XVIIIe siècle celle de cet isolat industriel.

 

Le mot « adouvairie », utilisé dans le compoix, est d’usage rare et plutôt archaïque. Il se comprend dans le contexte, mais il ne figure pas dans les dictionnaires modernes. J’ai demandé à Robert Gueuljans, étymologue, de l’éclairer de façon plus précise. Voici les renseignements que Robert Gueuljans m’a fournis :

Dans le Dictionnaire Occitan mediéval, l’adobaria est justement spécifique aux tanneurs !

Adobaria : n. f.
a. « atelier »
1432 < Pans5: sans contexte
b. « atelier de tanneur/corroyeur »
1445 < StatMunMarsP 261,19: Item que tot curatier deia senhar los truelhs de son adobaria cascun d'un senhal e different l'un de l'autre.
1480 < StatMunMarsP 272,18: … l'un vallat sive mondador… dintre loqual tonbon et pervenon las aygas de lasditas adobarias.
1480 < StatMunMarsP 271,18: … et que tota l'ayga de la adobarie deja tonbar dintre la dicha suelha.
1480 < StatMunMarsP 271, 45: Item, que tos curaties o adobadors de cuers deyon far un barquier sote lo pertus hont tonba l'ordura et l'ayga de totas las adobaryas en lo valat de Sant Loys.
1484 Navarrenx < Luc 213 n. 2: … tote aquere borde, berger, pelam, adoberie, taner, moler, fossas, peyras…

Outre la « maison servant d’adouvairie », la parcelle n°49 abrite également, dixit le compoix, des « boulmières ». Des boulmières ? Qu’ès aquò ?

Le mot reste introuvable dans aucun dictionnaire. Il pourrait donc s’agir d’un mot forgé, propre au parler de Mirepoix, issu peut-être de la corruption de « holmières », ou « olmières », i. e. ormaie, terrain planté d’ormeaux.

Le Dictionnaire Occitan-Français de Louis Alibert donne les indications suivantes :

Olm,m, « orme, ormeau ».
Syn. « Orm, orme, orma, ome, oume ».
Dér. olmada, « ormaie » ; olmat, « ormeau » ; oumada, « lait préparé avec de la racine d’orme pilée qui sert à luter la futaille » ; olmière, « plantation d’ormeaux » ; olmeda.
Etym. L. ulmus.
((Louis Alibert, Dictionnaire Occitan-Français, p. 515, Institut d’Estudis Occitans, 1966))

La parcelle n°46, appartenant à Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra, comprend, quant à elle, un « ferratjat ». Le mot désigne en occitan un « champ de fourrage » ((Cf. Robert Geuljans, Dictionnaire Etymologique de l’Occitan, article « ferratge ».)).

 

Les « breils » enfin, présents tout au long du Countirou, sont des espaces humides situés entre les terres labourables et la rivière, amis des peupliers, des saules, des aulnes et autres espèces qui se plaisent au bord de l’eau ((Cf. La dormeuse blogue : Le chemin des breils ; Robert Geuljans, Dictionnaire Etymologique de l’Occitan : article « breilh ».)).

Au fil de mes promenades autour de l’Isle, j’ai constaté que celle-ci demeure difficile à photographier, faute d’accès aux espaces proprement îliens, compris entre les breils qui bordent le Countirou et les façades qui donnent sur la rue de L’Ile. L’intérieur de l’Isle échappe à la vue. Il préserve de la sorte un charme retiré, et comme un air de secret.

 

Ci-dessus : vue générale de la rue de l’Isle.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : autre vue de la rue de l’Isle ; vue d’un jardin dans l’Ile.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du canal à la hauteur de la « maison formant un triangle al Bascou, i. e. à la pointe sud de l’Ile ; vues du système de goulottes de déversement installé de l’autre côté de l’Ile.

Si, empruntant la rue Jacques Miquel, l’on passe le petit pont de fer qui se situe dans le prolongement de cette dernière, on se trouve de l’autre côté de l’Ile. Depuis le chemin qui court au bord du Countirou, on entrevoit la rive arrière de l’Ile au travers des breils, et plus loin le système de goulottes qui assure l’équilibre de l’étiage entre le Countirou et le canal du moulin. Le chemin aboutit au coeur d’un lotissement moderne, qui, hormis les grands arbres, ne conserve rien du charme propre à l’Ile avoisinante. Le tour de l’Ile s’arrête donc ici.

Un lecteur ami m’a récemment adressé le message suivant :

J’ai habité, il y a longtemps, la Rue de l’Ile. Savez-vous s’il existe des photos, des cartes postales, d’avant la destruction de ce qui était l’âme de ce quartier : le petit pont de pierre, le Béal et ses tilleuls, le lavoir… ?

Je n’ai pas connu, pour ma part, cet âge d’or de l’Ile. Mais j’imagine…

Si d’autres lecteurs ont conservé par exemple des photos, et s’ils acceptaient de partager, voilà qui ferait ici notre bonheur à tous.

Analogies – Couleur Tapiès

 

Chose vue la nuit, en juin 2011, au flanc de la médiathèque de Mirepoix, i. e. au flanc de l’ancienne chapelle des Trinitaires.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Antoni Tapiès, Ocre, marron et blanc aux quatre, 1972 ; L’esprit catalan, 1971.