A Mirepoix – Le quartier de Lilo – L’Isle et le Bascou

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du quartier de Lilo sur le plan aquarellé de 1766 ; vue aérienne du même quartier en 2011.

Situé de part et d’autre du cours du Rumat, le quartier de Lilo comprend en 1766, côté ville, entre la rue du Coin de Paraulettes et la rue du Coin de Caramaing, les quatre moulons qui bordent le cours, et côté campagne, entre la route de Limoux et la rue du Countirou :

1. Le Bascou, sis entre le ruisseau du Countirou et le cours du Rumat ;

2. L’Isle proprement dite, ou Lilo, sise entre le ruisseau du Countirou et le canal qui dérive de ce dernier.

La section du cours du Rumat qui longe l’Isle se trouve renommée rue de L’Isle, ou rue de Lille (sic).

 

 

L’usage du mot « Lilo » en lieu et place de « l’Isle » s’observe au XVIIIe siècle, durant la Révolution, et jusqu’en 1815, dans le compoix et dans les registres municipaux. On reconnaît, sous la graphie naïvement phonétique, l’occitan, tel qu’on le parle en 1766.

 

1. Le Bascou

 

 

Les archives ne disent rien du Bascou, du Basque, qui a donné son nom au moulon de l’affachoir, ou du corchoir, qui se trouve situé au Rumat, côté campagne, entre le pont de Limoux, le ruisseau Countirou, et le canal du moulin. Il se peut que le dit Bascou ait été au XVIIIe siècle un habitué du foirail, connu pour la qualité de ses bêtes, venues du pays basque ou bien du Béarn.

 

Ci-dessus : le Bascou aujourd’hui, par temps de pluie.

Le corchoir (abattoir) porte sur le plan le n°29 bis. Le grand espace laissé libre alentour du corchoir est destiné aux activités du foirail côté Rumat, et à l’abreuvage des bêtes côté Countirou. Conformément à la vieille charte de la boucherie ((Cf. La dormeuse blogue : A Mirepoix, la charte de la boucherie, en 1303.)), les bêtes arrivent à pied au corchoir, où elles sont mises en stabulation. On les mène donc matin et soir boire au ruisseau.

J’évoque l’histoire du corchoir dans Al Bascou, la maison de l’écorcheur et dans Al Bascou – Autrefois, à l’aile du pont. Je vous invite à vous y reporter, pour d’autres précisions.

 

Ci-dessus : maisons situées aux abords de l’ancien corchoir. La maison (n°27) qui fait angle et qui est actuellement à vendre appartenait en 1766 à François Izard, dit La Mort, voiturier ((Cf. A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 1. Entre la rue du Coin de Cambajou et la rue del Bascou.)).

 

Ci-dessus : portail de la bâtisse portant le n°31 sur le plan de 1766 ; alors, décharge de Gabriel Ortala.

 

Ci-dessus : maison (n°41) formant un triangle al Bascou, jadis propriété de Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra.

 

Ci-dessus : derrière la maison formant un triangle al Bascou, le canal du moulin.

Quelques maisons seulement s’élèvent en 1766 au bord du foirail (numéros 24 à 30), puis au bord de la promenade (n°31), puis au bord du canal du moulin (n°37 à 41), à l’endroit où celui-ci amorce, alors à ciel ouvert, la traversée de la promenade. La présence d’un tisserand (n°26) est liée à la nécessité professionnelle de la ressource en eau ((Cf. A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 3. De la rue du Coin de Loubet à la rue Coin de la rue de Paraulettes.)).

Situées au bord du Countirou, toutes les parcelles restantes sont occupées par des jardins, des breils et des « graviers ». Certaines comprennent logiquement « des passages pour aller au canal ». Parmi les propriétaires de ces parcelles vertes, on retrouve sans surprise François Rivel, dit le Romain, teinturier, et Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs, qui, tous, ont besoin d’écorces de bois et de diverses plantes spécifiques, comme le redoul ((Cf. Monographie Redoul.)), pour leurs activités professionnelles.

 

Ci-dessus : vue de l’ancien corchoir sur l’arrière, depuis le passage qui descend au Countirou, en contrebas du pont de Limoux.

Liste des propriétaires des parcelles enregistrés sur le compoix de 1766 :

23 bis. Commune : couvert servant de corchoir al Bascou
24. Madeleine Sabatier, veuve et héritière de Joachim Mir ; maison, jardin et gravier al Bascou
25. Paul Arnoux, brassier ; maison et patu al Bascou
26. Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Moux tisserand ; maison et jardin al Bascou
27. François Izard, dit La Mort, voiturier ; maison al Bascou
28. Gabriel Ortala
29. Jeanne Marie Laffage, veuve de Jacques Gautier ; maison, patu, jardin, breil al Bascou
30. Jean Tadieu, bastier ; al Bascou
31. Gabriel Ortala ; décharge et jardin al Bascou
32. François Rivel, dit le Romain, teinturier ; breil al Bascou
33. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; breil ou terre inculte al Bascou
34. Jacques Pons, bastier
35. Pierre Verger, dit Lalem, laboureur ; maison et jardin al Bascou
36. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; jardin al Bascou
37. Jean Pierre Bertrand, huissier ; maison al Bascou
38. Barthélémy Clauzel ; le bas d’une maison dont le dessus est tenu par Jean Pierre Bertrand et par Michel Bourges, al Bascou
39. Michel Bourges, brassier ; maison al Bascou et passage pour aller au canal ; Jean Pierre Bertrand : latrines au premier plancher
40. Jean Pierre Bertrand ; jardin le long du canal du Bascou et passage public pour aller au canal
41. Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra ; maison formant un triangle al Bascou.

 

2. L’Isle, ou Lilo

 

 

Liste des propriétaires des parcelles enregistrés sur le compoix de 1766 :

42. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; breil à Lilo
43. Jacques Pons, bastier ; breil à Lilo
44. Jean Guillemat, marchand ; breil à Lilo
45. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; breil à Lilo
46. Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra ; maison, jardin, ferratjat, breil à Lilo
47. François Rivel, dit le Romain, teinturier ; jardin à Lilo
48. François Rivel, dit le Romain, teinturier ; maison et breil et autres à Lilo
49. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; maison servant d’adouvairie pour tanner les cuirs, ciel ouvert et boulmières à Lilo.
50. Non documenté dans le compoix !

 

Ci-dessus : vues rue Jacques Miquel, l’ancienne maison Sutra au premier plan, puis l’ancienne maison Rivel en dessous de la maison Sutra.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue de l’ancienne maison Sutra, rue Jacques Miquel ; vue de la même maison , rue de L’Ile.

 

Ci-dessus : la même maison, vue sur sa façade sud.

 

Ci-dessus : dans le passage qui la sépare de l’aile gauche, vue de l’aile droite de l’ancienne maison Sutra.

 

Ci-dessus : rue de l’Isle, vue de l’aile droite de l’ancienne maison Sutra. A l’angle de la maison, une lanterne.

 

Hormis deux breils qui appartiennent respectivement à Jacques Pons, bastier (n°43) et à Jean Guillemat, marchand (n°44), tout le reste de l’Isle se trouve contrôlé par François Rivel, dit le Romain, teinturier n°47 et 48), et par Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs (n°45, 49, 50), et apparentés (Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra ; n°46). Ainsi rapprochées, tannerie et teinturerie, qui s’exercent de façon complémentaire, font de l’Isle une entité industrielle de première importance pour la ville de Mirepoix. Elles trouvent là de quoi satisfaire leurs besoins en eau et en matières végétales. Elles disposent en outre de suffisamment d’espace pour multiplier des bassins de trempage qui, en raison de l’odeur et de la toxicité des substances qu’ils contiennent, ne souffriraient pas d’être installés côté ville. Dans la « maison servant d’adouvairie », on distingue, sur le plan, des cercles qui figurent probablement les dits bassins. On imagine l’atmosphère fétide qui devait être au XVIIIe siècle celle de cet isolat industriel.

 

Le mot « adouvairie », utilisé dans le compoix, est d’usage rare et plutôt archaïque. Il se comprend dans le contexte, mais il ne figure pas dans les dictionnaires modernes. J’ai demandé à Robert Gueuljans, étymologue, de l’éclairer de façon plus précise. Voici les renseignements que Robert Gueuljans m’a fournis :

Dans le Dictionnaire Occitan mediéval, l’adobaria est justement spécifique aux tanneurs !

Adobaria : n. f.
a. « atelier »
1432 < Pans5: sans contexte
b. « atelier de tanneur/corroyeur »
1445 < StatMunMarsP 261,19: Item que tot curatier deia senhar los truelhs de son adobaria cascun d'un senhal e different l'un de l'autre.
1480 < StatMunMarsP 272,18: … l'un vallat sive mondador… dintre loqual tonbon et pervenon las aygas de lasditas adobarias.
1480 < StatMunMarsP 271,18: … et que tota l'ayga de la adobarie deja tonbar dintre la dicha suelha.
1480 < StatMunMarsP 271, 45: Item, que tos curaties o adobadors de cuers deyon far un barquier sote lo pertus hont tonba l'ordura et l'ayga de totas las adobaryas en lo valat de Sant Loys.
1484 Navarrenx < Luc 213 n. 2: … tote aquere borde, berger, pelam, adoberie, taner, moler, fossas, peyras…

Outre la « maison servant d’adouvairie », la parcelle n°49 abrite également, dixit le compoix, des « boulmières ». Des boulmières ? Qu’ès aquò ?

Le mot reste introuvable dans aucun dictionnaire. Il pourrait donc s’agir d’un mot forgé, propre au parler de Mirepoix, issu peut-être de la corruption de « holmières », ou « olmières », i. e. ormaie, terrain planté d’ormeaux.

Le Dictionnaire Occitan-Français de Louis Alibert donne les indications suivantes :

Olm,m, « orme, ormeau ».
Syn. « Orm, orme, orma, ome, oume ».
Dér. olmada, « ormaie » ; olmat, « ormeau » ; oumada, « lait préparé avec de la racine d’orme pilée qui sert à luter la futaille » ; olmière, « plantation d’ormeaux » ; olmeda.
Etym. L. ulmus.
((Louis Alibert, Dictionnaire Occitan-Français, p. 515, Institut d’Estudis Occitans, 1966))

La parcelle n°46, appartenant à Jeanne Senesse, veuve de Jean François Sutra, comprend, quant à elle, un « ferratjat ». Le mot désigne en occitan un « champ de fourrage » ((Cf. Robert Geuljans, Dictionnaire Etymologique de l’Occitan, article « ferratge ».)).

 

Les « breils » enfin, présents tout au long du Countirou, sont des espaces humides situés entre les terres labourables et la rivière, amis des peupliers, des saules, des aulnes et autres espèces qui se plaisent au bord de l’eau ((Cf. La dormeuse blogue : Le chemin des breils ; Robert Geuljans, Dictionnaire Etymologique de l’Occitan : article « breilh ».)).

Au fil de mes promenades autour de l’Isle, j’ai constaté que celle-ci demeure difficile à photographier, faute d’accès aux espaces proprement îliens, compris entre les breils qui bordent le Countirou et les façades qui donnent sur la rue de L’Ile. L’intérieur de l’Isle échappe à la vue. Il préserve de la sorte un charme retiré, et comme un air de secret.

 

Ci-dessus : vue générale de la rue de l’Isle.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : autre vue de la rue de l’Isle ; vue d’un jardin dans l’Ile.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du canal à la hauteur de la « maison formant un triangle al Bascou, i. e. à la pointe sud de l’Ile ; vues du système de goulottes de déversement installé de l’autre côté de l’Ile.

Si, empruntant la rue Jacques Miquel, l’on passe le petit pont de fer qui se situe dans le prolongement de cette dernière, on se trouve de l’autre côté de l’Ile. Depuis le chemin qui court au bord du Countirou, on entrevoit la rive arrière de l’Ile au travers des breils, et plus loin le système de goulottes qui assure l’équilibre de l’étiage entre le Countirou et le canal du moulin. Le chemin aboutit au coeur d’un lotissement moderne, qui, hormis les grands arbres, ne conserve rien du charme propre à l’Ile avoisinante. Le tour de l’Ile s’arrête donc ici.

Un lecteur ami m’a récemment adressé le message suivant :

J’ai habité, il y a longtemps, la Rue de l’Ile. Savez-vous s’il existe des photos, des cartes postales, d’avant la destruction de ce qui était l’âme de ce quartier : le petit pont de pierre, le Béal et ses tilleuls, le lavoir… ?

Je n’ai pas connu, pour ma part, cet âge d’or de l’Ile. Mais j’imagine…

Si d’autres lecteurs ont conservé par exemple des photos, et s’ils acceptaient de partager, voilà qui ferait ici notre bonheur à tous.

A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 4. De la rue Coin de la rue de Paraulettes à la rue Coin de Caramaing

 

Ci-dessus, noms des rues qui encadrent le moulon : rue Coin de la rue de Paraulettes : aujourd’hui rue Astronome Vidal ; rue de Paraulettes et Saint Amans : aujourd’hui rue Frédéric Soulié ; rue du Coin de Caramaing : aujourd’hui rue Caraman ; promenade du Rumat : cours du Rumat, ici dans sa section rue de Lille.

Le moulon comprend seulement deux vastes parcelles et trois bâtiments, dont l’un situé au bord du cours du Rumat, l’autre rue Coin de la rue de Paraulettes, et le troisième à l’angle de la rue de Paraulettes et Saint Amans et de la rue du Coing de Caramaing. Le reste du moulon demeure vague ou dédié aux jardins. L’un de ces jardins présente sur le plan l’aspect d’un « parterre ».

Voici les noms des propriétaires de ces deux parcelles, situées sur le plan 2 du compoix de 1766 :

10. Jean Bauzil, bourgeois ; grange et autres couverts rue du Coin de Caramaing
11. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; maison, passage ou patu, jardin à la rue du Coin de Caramaing.

Les deux propriétaires, qui partagent ici à eux seuls la totalité d’un moulon, appartiennent, sans surprise, à la catégorie la plus fortunée des habitants de Mirepoix.

La famille de Jean Bauzil, bourgeois, comprend des hommes de loi, un perruquier très couru, et un baigneur qui exerce le monopole de cette activité dans la cité.

Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs, dominent le marché du cuir à Mirepoix. L’examen du plan 1766 montre qu’ils sont alors les plus gros, ou parmi les plus gros propriétaires fonciers de la ville. Ils jouissent en effet d’un territoire qui s’étend de part et d’autre du cours du Rumat, fait d’une addition de parcelles diverse côté ville, et de plus de la moitié de « l’Isle » ((Cf. A Mirepoix – Le quartier de Lilo – Description globale.)), côté Countirou. J’y reviendrai dans un prochain article consacré à « l’isle » en question.

Les deux bâtiments sis sur la parcelle n°11 des frères Sutra m’intéressent particulièrement, car l’un d’entre eux a été en 1801 le théâtre du drame que j’évoque dans Dossier Guillaume Sibra dit Jean d’Abail – 5. Un homme disparaît et dans Née le 26 ventôse an IX, elle a reçu le prénom de Magdeleine

Le 3 germinal an IX (24 mars 1801), étant sortie hier et de grand matin pour aller aider la citoyenne Berdeilh dans son ménage, Jeanne Marie Sonnac, épouse de Michel Pintat jardinier, se trouve fort surprise en rentrant chez elle d’entendre pleurer l’enfant de la Marion Marty, dite Marionnasse, accouchée de huit jours, et de ne point voir la mère. Après avoir inutilement attendu jusqu’à onze heures, elle se décide à donner à téter à l’enfant. Puis, comme la mère ne reparaît toujours pas, qu’elle ne sait pas où celle-ci a été, qu’elle a seulement ouï dire que le premier du courant Marion a donné en gage une jupe à la femme dite Marrane pour se procurer de l’argent, Jeanne Marie Sonac alerte les autorités.

Où le drame de 1801 se déroule-t-il ? « Dans la maison de la citoyenne Maranne, près de la barrière du pont vis-à-vis du canal du moulin”, note l’agent municipal dans son registre. Or la « maison de la citoyenne Marrane » , comme on peut facilement en juger sur le plan de 1766, c’est anciennement la bâtisse qui s’élève au bord du cours du Rumat sur la parcelle n°11, alors propriété des frères Sutra. Je ne puis désormais passer devant cette bâtisse sans penser à Marion et à la petite Magdeleine, obscures victimes de ce drame de la misère toute crue.

 

Ci-dessus : vues de l’ancienne maison des frères Sutra, située à l’angle de la rue Astronome Vidal et du cours du Rumat.

 

Ci-dessus : vues du mur de refend de la même maison des frères Sutra, côté Rumat.

 

Ci-dessus : vue du front du moulon, côté Rumat.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue globale du moulon sur le plan de 1766 ; vue aérienne du moulon aujourd’hui.

Je cherche à déterminer où se situe la maison qui fut en 1801 celle de « la citoyenne Marrane, près de la barrière du pont vis-à-vis du canal du moulin”. On voit que, sise jadis « près de la barrière du pont » figuré sur le plan de 1766, alors propriété des frères Sutra (parcelle n°11), c’est la maison que j’ai marquée d’un point rouge sur la vue aérienne. C’est donc là que le drame de 1801 s’est passé.

 

Ci-dessus : volets gris, portes vertes, aspect actuel de l’ancienne maison des frères Sutra, située sur la parcelle n°11, au bord du cours du Rumat.

 

Ci-dessus : détails de l’ancienne maison de la citoyenne Marrane, où habitèrent Jeanne Marie Sonnac, épouse de Michel Pintat jardinier, et Marion Marty.

 

Ci-dessus : vue du mur de refend de la même maison, depuis la rue Caraman.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du cul-de-sac de la rue Caraman, à l’endroit où le Béal, anciennement appelé canal du moulin, traverse le cours du Rumat sous la chaussée ; depuis le cul-de-sac de la rue Caraman, vue d’une maison de belle patine, qui n’existait pas toutefois en 1766.

A noter que la subduction du Béal sous la chaussée du cours du Rumat n’a été réalisée qu’au XIXe siècle. D’où, en 1801 encore, la nécessité du pont que l’on voit figuré sur le plan de 1766.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : à l’angle de la rue Caraman et de la rue Frédéric Soulié, vue de la maison qui fut en 1766 la grange de Jean Bauzil, bourgeois ; vue de la même maison, côté rue Frédéric Soulié.

A suivre… Prochainement : A Mirepoix – Le quartier de Lilo – L’Isle et le Bascou.

A lire aussi : Moulons de Mirepoix

A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 3. De la rue du Coin de Loubet à la rue Coin de la rue de Paraulettes

 

Ci-dessus, autrefois, aujourd’hui, noms des rues : rue du Coin de Loubet : rue Bayle ; rue Paraulettes et Saint Amans : rue Frédéric Soulié ; rue Coin de la rue de Paraulettes : rue Astronome Vidal ; la promenade du Rumat : cours du Rumat.

Le moulon ici n’est bâti que sur son front est, i. e. au bord du cours du Rumat. L’angle du cours et de la rue du Coin de Loubet et celui du cours et de la rue Coin de la rue de Paraulettes demeurent toutefois libres de constructions, puisque l’un est occupé par le jardin (n°66) de Bertrand Laporte, dit Capitaine, brassier, et l’autre par l’aire (n°51) des frères Sutra, marchands tanneurs. Les trois autres côtés du moulon demeurent eux aussi libres de constructions.

Le front bâti comporte en son milieu un étroit passage qui a fonction de traverse, puisqu’il permet de gagner la rue de Paraulettes et Saint Amans en circulant entre les jardins.

Voici la liste des propriétaires des parcelles :

51. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; aire à la rue de Paraulettes et Saint Amans
52. Andrieu Joui, brassier ; rue de Paraulettes
53. Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Amouroux, tisserand ; hôpital de Mirepoix : jardin à la rue de Paraulettes
54. Germain Giret, ancien porteur de la ville ; jardin à la rue de Paraulettes
55. Jeanne Gouze, veuve de Jacques Carrière ; maison et jardin
56. Marie Savary, veuve de Jean Gayer ; maison et jardin
57. Maurice Bailhade, dit Jean de Jeanne, brassier ; maison
58. Joseph Vidal, brassier ; maison
59. Louise Vidal, veuve de Simon Vidal
60. Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs ; maison
61. François Amouroux, tisserand de razet ; maison
62. Etienne Gailhard, voiturier ; jardin à la rue de Paraulettes
63. Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux, tisserand ; maison et jardin rue de Paraulettes
64. Jeanne Saurel, femme de Pierre Taillefer dit Pierre Couzy, et veuve de François Arnaud ; jardin à la rue de Paraulettes
65. Jean Saint-Félix, brassier ; rue de Paraulettes
66. Bertrand Laporte, dit Capitaine, brassier ; maison et jardin.

Types de propriétaires : 6 veuves ; 5 brassiers ; 2 marchands tanneurs ; 1 ancien porteur de la ville ; 1 tisserand de razet ; hôpital de Mirepoix.

Le moulon accueille une majorité de brassiers, qui voisinent ici avec une partie de la riche propriété d’Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs, sachant que celle-ci comprend de l’autre côté du cours du Rumat plus de la moitié de la presqu’île formée par la dérivation du Countirou en aval du pont de Limoux.

La présence d’Etienne Gailhard, voiturier, concurrent d’autres voituriers installés dans les moulons avoisinants, témoigne ici encore des besoins que les activités du Rumat suscitaient jadis en matière de transport.

Parmi les 5 veuves, qui vivent probablement de la production de leur jardin, Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Amouroux, tisserand, se distingue par l’indivision, sans doute charitable, qu’elle conserve avec l’hôpital de Mirepoix. Ce type d’indivision suggère un possible engagement confrériste, comme on voit aussi en 1766 dans le moulon voisin du Saint-Sacrement ((Cf. A Mirepoix – Le moulon du Saint-Sacrement)).

Le moulon concentre ici, avec Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Amouroux, tisserand ; François Amouroux, tisserand de razet ; Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux, tisserand, les partenaires et agents d’une activité familiale, dont le savoir-faire perpétué ici et sans doute enrichi par François, dit « tisserand de razet » ((Razet ou rase : étoffe croisée et unie à poils ras)), requérait pour s’exercer de façon optimale d’importantes ressources en eau. D’où l’installation à proximité du canal du moulin (aujourd’hui le Béal) et du ruisseau Countirou.

Les fils de chaîne, en particulier dans le cas du chanvre, devant être maintenus dans une ambiance humide, le tisserand de jadis s’appliquait à compenser par une émission continue de vapeur la sécheresse excessive de l’air. Il pouvait éventuellement par la suite se charger aussi de la parure et du foulage ((Cf. Histoire locale : Le tisserand : « La parure consistait à laver le tissu plusieurs fois en le tirant avec un chardon entre chaque bain pour retirer les petits nœuds et le faire feutrer. Le foulage consistait à battre le tissu dans un bain d’eau avec soit un peu de sable, soit un peu de lie de vin ».)), toutes activités requérant, elles aussi, la disponibilité d’importantes quantités d’eau.

La lecture des archives relatives à la période révolutionnaire montre qu’une trentaine d’années plus tard l’activité de François Amouroux, tisserand de razet, se perpétue dans sa maison sous l’égide de son fils, Antoine Amouroux, dit Credo. En 1797, celui-ci a pour voisin et éphémère « apprentif »… un certain Guillaume Sibra, dit Jean Dabail. La maison Amouroux, qui correspond à la parcelle n°61 sur le plan de 1766, porte désormais le n°188 de la section C. La famille de Guillaume Sibra habite au n°187 de la même section la maison qui correspond à la parcelle n°60 sur le plan de 1766, laquelle parcelle était en 1766 propriété d’Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs.

Voisins d’Antoine Amouroux, Guillaume et sa soeur Marie, enfants de pauvre, ont probablement bénéficié de la bienveillance, du soutien, ou de la charité de celui-ci et de son épouse. On sait, en 1776, l’engagement de Jeanne Marie Senié, veuve de Jean Amouroux, auprès de l’hôpital de Mirepoix. François Amouroux, dit Credo, perpétue à sa façon l’oeuvre de sa tante. Il engage en la personne de Guillaume Sibra un « apprentif » incertain, par ailleurs dangereusement livré à lui-même. Le surnom de Credo suggère que François Amouroux fait montre d’une conduite instruite par des valeurs ou des principes déclarés. En avril 1800, dans la chapelle des Trinitaires, où un prêtre insermenté célèbre une messe clandestine tandis qu’une battue générale se prépare à fin d’arrestation de Guillaume Sibra, alors évadé de la prison de Foix, condamné contumax à 25 ans de fer, l’épouse de François Amouroux se trouve présente aux côtés de Marie Sibra et elle la précède sans doute dans la prière pour la vie de son frère Guillaume. François Amouroux, lui, demeure absent de la chapelle. Il est en revanche identifié dans l’émeute qui aboutit le soir du 22 pluviôse an V (10 février 1797) au sac de la maison Clauzel. Franc catholique ou maçon, il élève ici la protestation du petit artisan contre Gabriel Clauzel, ancien maire jacobin de Mirepoix, complice en son temps de la politique de l’assignat, mais aussi contre Gabriel Clauzel, marchand de drap, qui a usé de sa position pour monopoliser le marché de l’étoffe et qui a par là ruiné les chances de tout un corps de métier. Débordant ce soir-là les consignes de son maître, l’apprentif Guillaume amorce à la faveur de l’émeute la carrière dissidente que l’on sait ((Cf. Dossier Jean Dabail.)).

La topographie particulière du moulon a servi sans doute le jeune homme dans ses allées et venues obscures. Le passage qui circule à l’intérieur du moulon et qui permet de passer sans être vu du cours du Rumat à la rue de Paraulettes et Saint Amans, ou vice versa, appartient en 1776 à Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux. Il reste propriété d’Antoine Amouroux en 1797. Guillaume Sibra peut en user librement. Il dispose ainsi d’un espace à double entrée. La suite de l’histoire montre qu’il en a profité. La perquisition, puis la prise de corps ordonnées en 1798 par le tribunal de Pamiers ((Cf. Dossier Guillaume Sibra dit Jean D’Abail – 2. Chemins de traverse.)) ne donneront rien : l’oiseau, s’il était là, avait fui par le passage.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du moulon, côté rue Bayle, avec au fond le cours du Rumat – aucune des maisons actuelles n’existait en 1766 – ; vue du moulon, côté rue Frédéric Soulié -aucune des bâtisses actuelles n’existait, là non plus, en 1766. Le vieux mur de taille inférieure à celle des bâtisses abrite le jardin (n*63 sur le plan de 1766) qui fut jadis, rue de Paraulettes et Saint Amans, celui de Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux, tisserand.

 

Ci-dessus : vues du mur de l’ancien jardin de Marie Manent, veuve de Pierre Amouroux, tisserand, côté rue Frédéric Soulié, autrefois rue de Paraulettes et Saint Amans. La petite porte verte correspond à la sortie du passage qui permettait jadis de traverser directement le moulon à partir du cours du Rumat.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du moulon, côté rue Astronome Vidal – aucune des bâtisses actuelles n’existait, là encore, en 1766 – ; jardin vague, qui constitue une partie relique de l’ancienne aire de Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue du moulon depuis le cours du Rumat, dans sa section rue de Lille ((Cf. A Mirepoix – Le quartier de Lilo – Description globale.)) ; en 1766, la parcelle actuellement occupée par l’immeuble à colonnes à l’angle du cours du Rumat et de la rue Bayle n’était pas bâtie. Seules les deux maisons à encorbellement demeurent depuis 1766 peu ou prou inchangées. Le passage qui s’ouvre en leur milieu est celui qui permettait jadis de traverser directement l’intérieur du moulon pour sortir rue de Paraulettes et Saint Amans, aujourd’hui rue Frédéric Soulié.

 

Ci-dessus : l’entrée du passage, cours du Rumat. La suite du passage se trouve condamnée à la hauteur d’un puits, postérieur à 1766 puisqu’il ne figure pas sur le plan correspondant. La parcelle n°60, qui était en 1766 la propriété d’Alexandre et François Sutra frères, marchands tanneurs, et qui fut acquise en 1793 par Louis Sibra, père de Guillaumme Sibra, sans doute au titre de la vente des biens nationaux, se trouve à droite, au fond du passage. Le rôle des portes et des fenêtres indique que la maison acquise par la famille Sibra comportait alors une porte et une fenêtre.

 

Ci-dessus : l’ancienne maison de la famille Sibra : une seule pièce. C’est là qu’a vécu, avant de devenir casseur, puis voleur, puis déserteur, puis bandit, puis fantôme, l’apprentif tisserand nommé Guillaume Sibra, dit Jean Dabail.

A suivre… Prochainement : A Mirepoix – Le quartier de Lilo – 4. De la rue Coin de la rue de Paraulettes à la rue Coin de Caramaing et de Paraulettes

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