Laurent Marguliew – Fictions

Ci-dessus : Laurent Marguliew, Frankenstein.

Laurent Marguliew s’affiche à Pamiers, salle Espalioux, dans le cadre de l’exposition intitulée Fictions. Organisée par l’association Mille Tiroirs, l’exposition regroupe un ensemble de tableaux, photos, sculptures, livre, issus d’un travail qui s’étend sur plusieurs années. Les photos témoignent d’une inflexion nouvelle de l’oeuvre.

Je me suis rendue à l’exposition Fictions, et j’y ai vu une oeuvre étonnante, à la fois commandée et habitée par une rage, qui est ici celle de la fiction.

 

Passionné de littérature et de cinéma, fervent défenseur des « mauvais genres » – polar, aventure, fantastique, BD, comics – qu’il pratique depuis l’enfance, l’artiste puise aux sources de ces derniers l’eau très noire qui irrigue son imaginaire et nourrit dans le même temps, jusque dans les jeux de collage, de parodie, de clins d’oeil pour happy few, son inspiration plastique. La rage de la fiction trouve là son bonheur, i. e. matière à prolonger, détourner ou subvertir les souvenirs de mauvais genre, ceux de l’enfance et ceux du présent aussi. Elle entraîne personnages et scénarios, par effet de condensation et de déplacement comme en rêve, dans le secret d’un invu qui a urgence de paraître et qui se déploie de façon complexe, à la fois sans prévision possible et sans oblitération des références initiales.

A la poursuite de l’invu, qui constitue, à l’horizon de la rage, le lieu et le moment de l’expression, l’oeuvre s’élabore sur le mode de l’enquête, façon Harry Dickson, Rouletabille, Fantômas ou Strange, et elle fait du jeu de masques sous le couvert duquel l’enquêteur mûrit sa rage, non seulement sa signature propre, mais aussi l’objet, ou l’objeu, de la question qui la hante quant au possible de l’identité de soi à soi, partant, quant au possible de la signature même.

 

 

 

Ci-dessus : Laurent Marguliew, images numériques.

Parmi le jeu de références propre à l’esthétique de Laurent Marguliew, à côté des figures cheap and trash reprises des mauvais genres, on repère nombre de motifs, de détails de forme et de couleur, qui constituent chaque fois autant de rappels de la grande peinture, là, par exemple, une réminiscence de Paolo Uccello dans le Saint Georges terrassant le dragon, ou une reprise de Turner dans ses aquarelles de Venise, ailleurs encore de nombreuses allusions aux maîtres de l’angoisse ou du cri, James Ensor, Edvar Munch, George Grosz, Edward Hopper, Francis Bacon, entre autres, dont l’artiste cultive la mémoire, de façon à la fois très libre et très typée.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Laurent Marguliew, Sans Titre ; Paolo Uccello, Saint Georges terrassant le dragon, détail, 1498.

 

Ci-dessus : Laurent Marguliew, Saint Georges.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Laurent Marguliew, Memories of the Night of the Venitian Fear ; Edward Turner, Vue de Venise.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Laurent Marguliew, Memories of the Night of the Venitian Fear ; Laurent Marguliew, Composition photographique.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Laurent Marguliew, Memories of the Night of the Venitian Fear ; Francis Bacon, Figure with Meat, 1954.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Laurent Marguliew, Sans titre ; James Ensor, L’entrée du Christ à Bruxelles, détail, 1889.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Laurent Marguliew, Sans titre ; Edvard Munch, Le Cri, 1893.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Laurent Marguliew, Sans titre ; George Grosz, La Ville, 1916.

 

Fasciné depuis toujours par la vie et l’oeuvre de Edward Hopper, peintre américain qui a vécu et travaillé au bord de l’océan, dans une petite maison baptisée « La Volière », à Cap Cod (Massachusetts), Laurent Marguliew est l’auteur d’un beau récit, dédié à la rencontre imaginaire de Edward Hopper et de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) à Cap Cod. Ecrivain méconnu de son vivant, Howard Phillips Lovecraft est l’auteur d’une oeuvre aujourd’hui devenue culte, tournée vers le fantastique et vers l’horreur. Il est venu en villégiature à Cap Cod dans les années 1930 et a pu, ou aurait pu, y rencontrer Edward Hopper.

Sous-titré « fantaisie moderne », le récit composé et illustré par Laurent Marguliew s’intitule lapidairement Cap Cod. Il fait l’objet d’un livre d’artiste, présenté dans le cadre de l’actuelle exposition.

Témoignage de Dan Scrow

C’était un bel été. Ils arrivaient ; je ne me souviens plus si c’était la première année. Ils louèrent la maison d’Ab Cobb. Ils la surnommèrent « La Volière », j’ai oublié pourquoi.

C’était un bel été. Je ne savais pas moi qu’il deviendrait célèbre, un peintre célèbre, Edward Hopper. Pour moi, il n’était qu’un peintre parmi d’autres, quand je le regardais peindre, je ne voyais qu’un jeu de couleurs, et le pays, mon pays qui naissait peu à peu. Je trouvais ça normal, évident. J’étais bête, je n’avais rien vu, je n’étais pas sorti. Je ne savais pas qu’il deviendrait célèbre, comment aurais-je pu savoir quand il a débarqué avec sa petite bonne femme, dans leur voiture rouge ?

Comment aurais-je pu savoir ? J’ai escorté alors Ab Cobb jusqu’à sa bicoque. Il fallait vérifier que tout était en ordre pour les Hopper. Je tenais sous mon bras un numéro du Weird Tales. Cobb a fait le tour du propriétaire, de sa villa bien que pour moi ça ressemble plus à une ferme sans poules qu’à une villa, comme celles de la côte où s’installent les riches. Je crois que j’ai posé à un moment mon exemplaire de Weird Tales, puis quand nous sommes partis, je crois que je l’ai oublié…

Laurent Marguliew, Incipit de Cap Cod.

 

Ci-dessus : Laurent Marguliew, Carton BD.

Bons et mauvais genres, art et littérature, cinéma, photographie, peinture, sculpture, BD, images numériques, tout se télescope dans l’univers de Laurent Marguliew. On reconnaît ci-dessous, par exemple, le souvenir de quelques uns des grands films du cinéma expressionniste allemand, que l’artiste a vus, enfant, avec sa grand-mère.

 

Ci-dessus : Robert Wiene, images extraites du Cabinet du docteur Caligari, 1919.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Laurent Marguliew, Le magicien ; Laurent Darton, le messager de la mort, sculptures.

 

Ci-dessus : Laurent Marguliew, Le spectre sans tête.

 

Ci-dessus : Laurent Marguliew, La hantise.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : James Ensor, Le Cab ; Laurent Marguliew, Sans titre ; image de la Rumpler Tropfenwagen utilisée en 1927 dans le film Metropolis de Fritz Lang.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Fritz Lang, affiche du film M le Maudit (1931) ; James Ensor, La Mort et les masques (1897), détail ; photo de l’acteur Peter Lorre dans M le Maudit.

 

Ci-dessus : Laurent Marguliew : Cartons BD, détails.

 

Ci-dessus : Laurent Marguliew : Dick Tracy, sculptures.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Laurent Marguliew, Sans titre, détail ; Laurent Marguliew, Dorian Gray revisited.

Jeux de masques, hantises, collages, superpositions, écritures trouées, pans de non finito, autant de façons caractéristiques d’un work in progress qui envisage, dévisage, configure, défigure chaque fois un visage, comme Dorian Gray, dans le roman d’Oscar Wilde ((Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, 1890)), envisage inlassablement son propre visage sur le portrait peint par son ami Basil Hallward, puis, d’un coup de couteau, ruine ce visage, qu’il ne reconnaît pas, et qu’il ne saurait faire sien.

C’est cet impossible du visage, ou plutôt cet invu du visage vrai, qui impose à l’artiste à la fois sa démarche et sa manière, si particulières. A la question de l’identité qui se dérobe, l’artiste oppose le libre jeu des masques, la ronde des images, la lanterne sourde de la fiction, i. e. la réponse de l’art.

Le libre d’une telle réponse, mais aussi le destin de grandissement auquel tout libre s’oblige, veut que l’oeuvre tende ici, par effet d’accrétion, comme on dit des planètes, à la fois vers la sculpture et vers la scénographie, d’où en quelque sorte, vers la réalisation des fictions, auxquelles désormais la sculpture donne corps. La peinture, dans le cadre d’une telle scénographie, tient lieu d’espace : la sculpture fournit les personnages ; la photographie constitue le moment de réalité de l’invu ainsi envisagé, configuré, enfin, l’espace d’un instant, figuré.

L’artiste consacre ainsi des trésors de patience à la réalisation de figurines sculptées en pâte Cernit sur une base de fil de fer torsadé, puis revêtues d’habits cousus à même leur corps, installées enfin, en équilibre instable, au pied des peintures ou dehors, dans un décor semé de meubles également réalisés à la main à partir de matériaux de hasard, toujours pauvres. Il faut à ce petit théâtre le regard de la photographie, qui, seul, fait venir l’invu, i. e. le possible de la réalité comme vérité de l’illusion.

A preuve, sur l’icône ainsi obtenue, on ne retrouve rien du théâtre initial.

 

 

 

 

 

 

Du petit théâtre des figurines à la révélation de l’invu…

Autres figures possibles de l’invu :

 

 

 

 

Le jour du vernissage…

 

Le mur de figurines.

 

Le buffet d’Hajiba.

 

L’artiste devant son mur de tableaux.

 

L’équipe de Mille Tiroirs salue les deux représentants de la mairie de Pamiers.

 

Le mur de photos.

Le coin diaporama. Un documentaire sur les sources d’inspiration et l’univers de Laurent Marguliew.

 

 

Au bas de la rue Jules Amouroux, l’affiche dédiée à l’exposition Fictions.

Attention ! Les dates imprimées sur l’affiche sont erronées. L’exposition se tient à la salle Espalioux, rue Jules Amouroux, Pamiers, du 8 novembre au 4 décembre 2010.

A lire aussi :
Les Mille Tiroirs : Laurent Marguliew
La Dépêche : Les Fictions dont il est le héros.

3 réponses sur “Laurent Marguliew – Fictions”

  1. In a Convex Mirror

    A stately room – chaise-longue and easy chairs,
    Old jugs on carved commodes, a clavichord,
    Three landscapes, minor eighteenth century
    Against the pale grey walls ; and all in half-light,
    The street being narrow, the houses opposite tall,
    Each with a room like this – a waiting-room.

    Sunk in a chair, quite still, a waiting man
    Who stares into a classic composition
    Heavily framed above the mantelpiece.
    A streak of grey, myself in miniature
    Against pale pink upholstery, exhales
    Invisible smoke ; and slowly moves one hand,
    Ten minutes only here, half lost already,
    Half vanquished by the furniture, half absorbed,
    But for the ticking of a clock would yield
    All his defences, call the blur delusion.

    But  » trumpery  » now I mutter, jump up to break it,
    Stretch legs not frozen yet, jerk my glazed eyes
    Out of this glazed anachronism’s eye,
    And hear my name called ; going, look once more :

    A classic composition ; nothing stirs.
    One little streak of grey that matched the walls
    Removed, but in that half-light far too faint
    To leave a gap, and soon to be replaced.

    Michael Hamburger, in The New Poetry, selected and introduced by A. Alvarez, Penguin Books, 1962, pages 120-121.
    The cover of this edition shows Jackson Pollock’s  » Convergence  » …

  2. Je suis très attirée par le mur de figurines ; la relation entre la roue et la pantomime des personnages me fait tragiquement penser à la loterie humaine. La vie ressemble à ce chaos où l’ombre de chacun s’accapare le premier plan pour ne laisser à la vérité des personnages qu’un second rôle difficilement accessible.

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