Raymond Escholier – Dansons La Trompeuse

 

Ci-dessus : Jacques-Joseph Tissot (1836-1902), dit James Tissot, Le Bal.

La Trompeuse ! on danse la Trompeuse !
Quittant le Chevalier, Mme Lestelle courut prendre place dans la longue chaîne des dames. Celles-ci se tenaient par la main et s’avançaient vers la rangée des habits noirs, en chantant un refrain en patois :
                                                Dansen la troumpuso,
                                                Qui réfuso muso
Le refrain amenait les danseuses très près de la ligne masculine et les remportait plusieurs fois comme une guirlance balancée par le vent ; il les inclinait à droite, puis à gauche, dans une sorte d’hésitation…
                                                Dansen la troumpuso en çà,
                                                Dansen la troumpuso en là
Enfin, elles se détachaient, choisissaient un partenaire et venaient lui sourire, le convier…
[1]Raymond Escholier, Dansons La Trompeuse, VI, p. 86-87, Editions La Cité des Livres, collection « Le roman français d’aujourd’hui », Paris, 1926.

Les quelques lignes reproduites ci-dessus sont extraites de Dansons La Trompeuse, roman publié par Raymond Escholier en 1926. Elles éclairent, sur le mode de l’exemplum, le sens du titre éponyme. Le titre diffère toutefois de l’exemplum par une variation de la casse. De « Dansons la Trompeuse ! » à Dansons La Trompeuse, conformément à la logique de l’exemplum qui veut qu’une petite chose fournisse un exemple des plus grandes [2]Lucrèce, De natura rerum, xxx, on passe, par effet de variation graphique, d’une scène de la vie de province à une méditation sur la vie.

Induit par l’usage de la majuscule, le changement d’échelle implique la promotion de « La Trompeuse » au rang de figure de la destinée. Le sens de l’invitation à la danse s’en trouve soudainement changé. Comme ailleurs La Faucheuse, c’est ici La Trompeuse qui mène le bal. « Dansons », dit Raymond Escholier. « Eh bien, dansez maintenant ! », disait hier La Fontaine. Ainsi lesté de références inquiétantes, le titre annonce un drame dont le moment se réfléchit jusque dans le renversement de la syntaxe. De « Dansons la Trompeuse » à Dansons !, [dit] La Trompeuse, il y a, par effet de mouvement tournant, retour vers le futur, partant, rappel d’une injonction hélas toujours déjà paradoxale.

 

Ci-dessus : ancien chemin de Mirepoix à Mazerettes (dans le roman, Fleurizel).

Quand Mme Lestelle parcourait les fermes et les hameaux, en quête de choses anciennes, elle entendait souvent les paysans dire qu’elle faisait le peillarot ; et c’était bien avec une nuance de mépris qu’on la comparait au marchand de plumes, l’homme qui achète sur le seuil des métairies les chiffons, le fer rouillé et les peaux de lapin.
Mme Lestelle espérait dénicher ainsi des trésors ignorés. En attendant la rarissime pièce de musée, elle rapportait quelque caleil de cuivre ou quelque faïence de Martres, trop souvent ébréchée.
Ce matin-là, elle avait encore fait le peillarot. Les hauts talons de ses petits souliers s’étaient tordus le long des sentiers, dont les pluies d’orage avaient mis à vif tous les cailloux
[3]Raymond Escholier, Dansons La Trompeuse, I, p. 1.

Ainsi présentée dans l’incipit du roman, Mme Lestelle, ce petit bout de femme au nom d’étoile, se trouve immédiatement désignée comme un personnage déclassé, un être des lisières, une âme errante. La recherche des « trésors » participe chez elle d’une quête intime qui est indifféremment celle de l’amour, celle du beau, et celle du sens. Mme Lestelle croit pouvoir inventer de tels trésors. La foi sauve, ou devrait sauver. Elle prête en tout cas à cette petite grande âme un charme poignant.

Eprise d’un passé qu’elle n’a pas connu et qu’elle se représente de façon idéalisée comme ferait une petite fille qui lit les Contes de Madame d’Aulnoy, Mme Lestelle se plaît à en projeter le reflet sur la personne du marquis de Sénabugue, qui vient de loin en loin la visiter en sa demeure de Fleurizel :

— Et ceci, demanda le marquis en montrant des morceau de soie aux couleurs passées, piqués au mur par des épingles.
— Ah ! c’est ma collection de lambeaux historiques. Celui-ci faisait partie d’une robe de Mme de Polignac. Je le trouve si évocateur !… Je pense à ces femmes merveilleuses qui ont pu vivre auprès des rois, des reines, dans les splendeurs de Versailles, au milieu de tout ce qu’il y avait d’élégant, de beau, de raffiné à leur époque. C’est un enivrement que d’y songer…
— Et un acheminement vers la folie des grandeurs, nota le marquis en faisant sonner un rire dur… Mais enfin, j’y pense, vos collections vont tout envahir
[4]ibid., I, p.p. 12-13.

Trahie par un mari volage, puis restée veuve sans enfant, Mme Lestelle, ruinée, peine à maintenir toute seule le domaine de Fleurizel. Elle s’applique toutefois à donner le change. C’est ainsi qu’afin d’accommoder son ami, l’abbé Roumens, curé du Couret, elle reçoit en sa demeure Mgr Landry, évêque de Pamiers, et sa suite. Il se trouve que la demeure de Mme Lestelle a été, en des temps plus anciens, la résidence d’été des évêques de Saint-Gauderic, bourg voisin de Fleurizel, autrefois florissant, aujourd’hui déchu de son ancien statut d’évêché. La conversion roule, à table, sur « le temps où Saint-Gauderic était encore un évêché »…

 

Ci-dessus : à Mazerettes (dans le roman, Fleurizel, la grande allée.

— Hélas ! l’ouragan révolutionnaire… gémit l’abbé Larnaude en balayant d’un revers de main les miettes éparses sur la nappe.
— Le dernier évêque de Saint-Gauderic, Mgr de Vernajoul, reprit Mme Lestelle, a laissé le souvenir d’un grand seigneur de vieille souche. Il s’entourait d’une charmante cour de nobles dames, poudrées et parées, qui le suivait jusqu’ici, où était sa résidence d’été. Les murs de mon vieux Fleurizel ont vu passer cette foule étincelante de marquises, de vicomtesses, de baronnes, de présidentes, de petits abbés mondains, de beaux esprits sensibles et galants. Des carrosses armoriés ont roulé sous ces vieux arbres. Le parc s’est illuminé pour de somptueuses fêtes épiscopales.
— Ah ! Monseigneur, je songe bien souvent à ces choses évanouies ! Si tout garde ici l’air un peu abandonné comme chez la Belle au bois dormant, c’est que je défends qu’on touche à rien : j’ai si peur de mettre en fuite ces merveilleux fantômes ! La mémoire de ce passé éblouissant m’est réellement très chère.
— Mon Dieu, madame, murmurait Mgr Landry, le passé est le passé… mais il peut renaître […].
Le regard de Mme Lestelle semblait perdu dans le lointain des années…
[5]ibid., VII, p.p. 115-116

Ainsi « perdu dans le lointain des années », le regard de Mme Lestelle n’est, à l’encontre des apparences, ni véritablement passéiste ni véritablement politique. Il ne traduit pas non plus l’aspiration à une autre condition sociale. Empreint d’une nostalgie sans âge, il se laisse couler dans les années profondes, comme un navire coule dans l’eau fermée. Quelque part, dans la profondeur des années, pour Mme Lestelle le possible de l’émerveillement s’entretient, la réalité demeure la soeur du rêve. « Vois se pencher les défuntes Années, sur les balcons du ciel, en robes surannées ; surgir du fond des eaux le Regret souriant… […] Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche » [6]Baudelaire, Recueillement, 1857, dit mystérieusement le poète.

Mal mariée, mal aimée, Mme Lestelle ressemble d’une certaine façon à Madame Bovary. La scène du bal chez Mme Doumenc, dans Dansons La Trompeuse, rappelle, sur le mode de la variation brillante, celle du bal à la Vaubyessard, dans le roman de Flaubert.

Flaubert, in Madame Bovary, Le bal à la Vaubyessard

Les quadrilles étaient commencés. Il arrivait du monde. On se poussait. Elle [Emma Bovary] se plaça près de la porte, sur une banquette.
Quand la contredanse fut finie, le parquet resta libre pour les groupes d’hommes causant debout et les domestiques en livrée qui apportaient de grands plateaux. Sur la ligne des femmes assises, les éventails peints s’agitaient, les bouquets cachaient à demi le sourire des visages, et les flacons à bouchon d’or tournaient dans des mains entrouvertes dont les gants blancs marquaient la forme des ongles et serraient la chair au poignet. […]. Pacifiques à leurs places, des mères à figure renfrognée portaient des turbans rouges.
[…]
Quelques hommes (une quinzaine) de vingt-cinq à quarante ans, disséminés parmi les danseurs ou causant à l’entrée des portes, se distinguaient de la foule par un air de famille, quelles que fussent leurs différences d’âge, de toilette ou de figure.
Leurs habits, mieux faits, semblaient d’un drap plus souple, et leurs cheveux, ramenés en boucles vers les tempes, lustrés par des pommades plus fines. Ils avaient le teint de la richesse, ce teint blanc que rehaussent la pâleur des porcelaines, les moires du satin, le vernis des beaux meubles, et qu’entretient dans sa santé un régime discret de nourritures exquises.
Cependant, un des valseurs, qu’on appelait familièrement vicomte, et dont le gilet très ouvert semblait moulé sur la poitrine, vint une seconde fois encore inviter madame Bovary…
[…] Ils commencèrent lentement, puis allèrent plus vite. Ils tournaient : tout tournait autour d’eux, les lampes, les meubles, les lambris, et le parquet, comme un disque sur un pivot
[7]Gustave Flaubert, Madame Bovary, I, 8.

Madame Bovary porte sur la foule un regard de chasseresse qui s’ignore. Dédaignant les « mères à figure renfrognée », les « femmes assises », elle scrute les hommes, de préférence ceux qui lui semblent riches et nobles. Rapidement instruite du jeu qui préside à la formation des couples, elle accorde une deuxième danse au vicomte, et déjà le couple tourne rond, « comme un disque sur un pivot ». On les regarde, on les admire. Elle triomphe.

Raymond Escolier, in Dansons La Trompeuse, le bal chez Mme Doumenc

Mme Lestelle croyait sentir sa vie se multiplier. Dans ce tournoiement rapide, l’air envahissait ses poumons, ses narines, gonflait sa robe, glissait entre son front et ses frisons, l’enroulait, la soulevait presque. Ses bijoux bougeaient un peu ; elle les sentait sur sa peau, tièdes comme des choses vivantes.
[…] Parmi l’essaim tourbillonnant des jeunes filles et aussi des gens inconnus qui l’intriguaient, elle observait, rangées en frise sombre le long des murs, les dames inoccupées et respectables. Des portes ouvertes laissaient entrevoir de petits salons pleins de danseurs et la salle où les joueurs de whist s’absorbaient. Enfin, au hasard des glaces, elle surprenait, emportée comme par un souffle, une petite Mme Lestelle aux invraisemblables cheveux d’or rouge, aux épaules blanches, graciles et encore jeunes, jaillies très hardiment du corsage prune.
Monsieur de Sénabugue parlait en se penchant…
[8]Raymond Escholier, Dansons La Trompeuse, VI, p.p. 84-85

A la différence de Madame Bovary, Mme Lestelle prête aux personnages du bal une attention bienveillante, dénuée d’a priori ou de calcul. Sensible à ce qui fait des autres des êtres à la fois si proches et si lointains, orientée vers eux par une sorte de tropisme, elle regarde tour à tour les jeunes filles, vibrionnantes comme un essaim d’abeilles, les « gens inconnus », figures d’un ailleurs mystérieux, les joueurs de whist, grands stratèges sur le théâtre des cartes, les « dames inoccupées et respectables », fortes d’une condition qu’elle-même, la « petite Mme Lestelle », n’aura pas connue. Puis, reconduite à soi par sa propre image réfléchie dans une glace, elle se regarde danser, soudain devenue idéalement transparente à elle-même, « une petite Mme Lestelle aux invraisemblables cheveux d’or rouge », et, emportée dans une extase sollipsiste, elle se referme sur son propre secret.

Ce moment d’extase demeure, dans l’existence de Mme Lestelle, une grâce unique. Hantée par la vision des « dames respectables », « la petite Mme Lestelle » constate qu’elle est de ces femmes à qui, bien que nées femme, la grâce de l’être devenues a manqué. Une femme se perd si elle plie les draps en travers [9]ibid., IX, p. 133. Ni épouse, ni mère, au regard de la petite société de Saint-Gauderic, des siens eux-mêmes, de sa soeur qui a réussi sa vie de femme, Mme Lestelle n’est rien. Elle n’est personne. C’est ce personne pourtant, sa personne, qu’elle habille avec tant de soin. Sans doute pour faire croire à l’existence du fantôme, mais aussi par défi, pour illustrer et défendre sa logique bouleversante de fantôme.

Mme Ambroisine saisit au passage la manche de son mari.
— Voyons, tu ne remarques pas qu’elle s’attife comme un carnaval ?
— Bah ! toutes ces arlequinades lui vont bien.
— C’est une excellente femme, constata le marquis négligemment.
— Je ne dis pas non, mais enfin… le bon sens est un bon meuble.
Et Mme Ambroisine se mit à soupirer comme on soupire au chevet d’un malade qui ne peut plus guérir
[10]ibid. II, p.p. 48-49.

Chez Mme Ambroisine, on apprend que Mme Lestelle aime la peinture et qu’elle a souhaité, un jour, être peintre :

— Je connais aussi de grands artistes, tout simples et charmants…
— Je sais, fit M. de Sénabugue, ils ont failli faire de vous une seconde Vigée-Lebrun.
— J’ai aimé passionnément la peinture à une époque. Quand nous quittâmes Paris, au moment du siège, – j’étais très jeune alors, mais je me souviens de mon désespoir, en abandonnant le Louvre, où j’allais tous les matins, copier…
[11]ibid., II, p. 46

 

Ci-dessus : vue de Mirepoix depuis Malaquit et le moulon du Bastié.

On peut lire Dansons La Trompeuse comme le roman d’une artiste à qui l’art a manqué. De façon symptomatique, Mme Lestelle souffre de crises d’étouffement.

Issu d’une vieille famille de Mirepoix comme Marie Louise Pons-Tande, son épouse, domicilé à Malaquit, vieille demeure, sise près de Mirepoix, que son épouse a héritée de son grand-père Louis Pons-Tande, Raymond Escholier a poursuivi l’essentiel de sa carrière d’écrivain à Paris. L’étouffement qu’il prête à Mme Lestelle, on suppose qu’il l’a fui ou conjuré par ses nombreux séjours métropolitains. Assise à Mirepoix, dans le petit salon de Mme Ambroisine, Mme Lestelle évoque « les être côtoyés tous les jours, qui marchent, qui parlent, qui agissent, mais qui n’existent pas ». L’usage de la formule abrégée « Mme » souligne, partout dans le roman, la réduction de l’identité de genre à l’identité sociale seule, et, par effet de minimisation riante, le statut assigné aux femmes relativement aux hommes.

Raymond Escholier, dans certaines pages de Dansons La Trompeuse, pousse sans méchanceté excessive la satire d’un monde clos, figé, suranné. C’est le monde de Saint-Gauderic, alias Mirepoix, berceau de sa famille. Le lecteur qui connaît Mirepoix et ses environs reconnaîtra chacun des lieux invoqués par l’auteur. Brouillant délibérément les pistes, Raymond Escholier a changé les noms. Mais, de façon assez transparente, il s’est contenté de replier la carte sur le territoire, en lui imprimant un mouvement de translation. Saint-Gauderic remplace ainsi Mirepoix ; Fleurizel, Mazerettes, double secret de Malaquit ; (Sénesse de) Sénabugue, Sénesse, etc. De façon malicieusement anachronique, le marquis de Sénesse se révèle ainsi marquis de Terride, alias marquis de Mirepoix. Plus malicieusement encore, Raymond Escholier ne laisse pas d’évoquer ici, comme en filigrane, le duc de Mirepoix, Antoine Pierre Marie François Joseph de Lévis Léran, qu’il a bien connu.

Raymond Escholier, transfuge de Mirepoix, n’en demeure pas moins profondement attaché à son ancrage ariégeois. Lorsque son héroïne, le jour de la Toussaint, se rend au cimetière de Saint-Gauderic, il évoque sans le dire, surmontée d’une « pleureuse en pierre » [12]ibid., IX, p. 147, la tombe familiale, qu’on peut voir encore au vieux cimetière de Mirepoix. Eminent critique d’art, admirable connaisseur du romantisme français, c’est en peintre qu’il décrit les les ciels, les monts, les bois, les sentes que son héroïne foule d’un pied léger. Mme Lestelle, d’une certaine façon, c’est lui, c’est sa mémoire, son regard, et, de façon plus secrète, certain sentiment de l’existence qu’il ne peut éprouver qu’ici, dans la vieille demeure de Malaquit. Couper un ormeau de l’allée ! J’aimerais mieux vous voir tuer un homme… [13]ibid., VII, p. 102 Poésie des arbres, nostalgie des cimes, de façon pudiquement romantique, le paysage, chez Raymond Escholier, est un état d’âme.

Elle s’engagea sous la voûte assombrie de l’allée et longea le bord du chemin pour fouler le gazon mou.
Au-dessus de sa tête, les cimes des grands arbres se devinaient, dressées très haut, immobilisées et endormies dans les dernières clartés qui les baignaient encore.
Un peu oppressée par la rigidité des vieux troncs rangés en colonnade, Mme Lestelle s’arrêta.
Au bout de l’allée, les Pyrénées lui apparurent avec leurs contours familiers ; un reflet rose persistait sur un sommet taché de neige. Et Madame Lestelle repartit, allégée de sentir cette lumière les regarder, Bobine et elle, s’enfoncer dans le parc enveloppé de repos
[14]ibid. III, p.p. 57-58.

Ailleurs dans le roman, Raymond Escholier pare la nuit et le moment, après l’extase, d’une aura mélancolique, empruntée à l’univers de Watteau et de Verlaine…

Ci-dessus : Antoine Watteau, La Perspective, ou Fête dans le parc de Pierre Crozat, 1715.

Noyé dans l’obscurité transparente des nuits d’été, le jardin semblait désert. Ses banquettes de pierre s’estompaient en vagues lignes blanches, au loin effacées par l’ombre légère. Des marches apparaissaient, montant vers d’invisibles terrasses où des arbres se dressaient, très sombres. Les massifs projetaient, ça et là, des formes molles, étirées et comme endormies sur l’herbe des pelouses.
— Vous entendez ? souffla M. Charles. Je voudrais bien savoir qui c’est.
— C’est la… la jeunesse, mon pauvre ami…
— Attendez, ils vont peut-être venir par ici, nous les verrons.
— Eux ne nous verront pas, soupira Mme Lestelle.
Une subite amertume lui gonflait le coeur. Elle baissa la tête et redit à mi-voix :
— C’est fini, fini.
M. Charles crut qu’elle parlait de son malaise.
— Alors, nous pourrions rentrer.
Ils revinrent lentement vers la maison qui projetait des clartés diffuses sur les dalles de la terrasse.
Dans l’embrasure d’une fenêtre, des silhouettes se profilaient contre les carreaux à peine teintés de lumière
[15]ibid. VI, p.p. 92-93.

Dans le vieux parc solitaire et glacé, deux formes ont tout à l’heure passé… A la fois simple et savant, l’art suggère ici, de façon légère, la peine d’aimer, l’énigme de vivre, la solitude première. Homme brillant, complexe, Raymond Escholier livre sans doute, dans de telles pages, quelque chose que le monde permet rarement de dire. On ne manquera pas de s’interroger sur la place qu’occupe, aux sources de cette rêverie douloureuse, Marie Escholier, son épouse, amie, compagne de toute une vie, pourtant restée à Malaquit, chargée du soin de la vieille maison, écrivain jamais publié de son vivant, familière des bois et des sentes, âme rêveuse, solitaire… Le roman touche peut-être ici au secret de l’écriture partagée.

Ci-dessus : à droite, vu du sentier qui chemine sur l’arrière, ce qui reste aujourd’hui de la demeure de Fleurizel (alias Mazerettes), ancienne résidence d’été des évêques de Mirepoix.

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Notes

1 Raymond Escholier, Dansons La Trompeuse, VI, p. 86-87, Editions La Cité des Livres, collection « Le roman français d’aujourd’hui », Paris, 1926.
2 Lucrèce, De natura rerum, xxx
3 Raymond Escholier, Dansons La Trompeuse, I, p. 1
4 ibid., I, p.p. 12-13
5 ibid., VII, p.p. 115-116
6 Baudelaire, Recueillement, 1857
7 Gustave Flaubert, Madame Bovary, I, 8
8 Raymond Escholier, Dansons La Trompeuse, VI, p.p. 84-85
9 ibid., IX, p. 133
10 ibid. II, p.p. 48-49
11 ibid., II, p. 46
12 ibid., IX, p. 147
13 ibid., VII, p. 102
14 ibid. III, p.p. 57-58
15 ibid. VI, p.p. 92-93