Raymond Escholier, un Ariégeois écrivain, combattant de la Grande Guerre

 

Samedi dernier, 9 novembre 2013, à la mairie de Mirepoix, Bernadette Truno, docteur d’Etat ès lettres, André Minet, professeur d’histoire honoraire, et Roger Little, docteur d’Etat ès lettres, professeur de français au Trinity College de Dublin, directeur de la collection Autrement mêmes chez L’Harmattan ont présenté Avec les tirailleurs sénégalais – 1917-1919, lettres inédites du front d’Orient, ouvrage issu du dépouillement de la correspondance de guerre de Raymond Escholier, et Mahmadou Fofana, réédition du roman dédié aux tirailleurs sénégalais par Raymond Escholier en 1928.

 

Ci-dessus : illustration de Claude Escholier pour Mahmadou Fofana de Raymond Escholier, édition Ferenczi, coll. Le Livre moderne illustré, Paris, 1935.

J’avais relu Mahmadou Fofana avant de me rendre à la conférence du soir. Frappée par la chaleur du portrait que les trois conférenciers ont brossé de Raymond Escholier, je me suis souvenue d’une formule heureuse, relative à la jeunesse de Mahmadou Fofana, lorsque, devenu apprenti cuisinier chez un restaurateur italien, celui-ci se plaît à guigner les ébats amoureux de son patron et se rit des fureurs de cet Othello au petit pied.

De tempérament plus calme, l’élève cuisinier, qui ne mettait pas l’infini dans l’amour, voyait là un cas des plus intéressants. Aussi s’efforçait-il de l’observer dans ses moindres détails. [1]Raymond Escholier, Mahmadou Fofana, édition Ferenczi, coll. Le Livre moderne illustré, Paris, 1928.

La suite du roman montrera que si Mahmadou Fofana ne met pas l’infini dans l’amour, ou plutôt parce qu’il ne met pas l’infini dans l’amour, il saura dans la guerre faire montre d’une formidable capacité d’assentiment à la vie. Derrière Mahmadou Fofana, il y a Raymond Escholier, tel qu’il apparaît dans sa correspondance de guerre, curieux de tout, doué pour la chaleur humaine, et, quoique solidement réaliste, porté à l’optimisme par une nature heureuse.

On comparera le tempérament de Raymond Escholier avec celui de Louis Ferdinand Céline, qui prête à Bardamu, héros du Voyage au bout de la nuit, roman publié en 1935, la noirceur de ses propres souvenirs de guerre et son mépris de l’espèce humaine, ravalée ici au rang des « caniches ».

C’est pas une vie…
– Il y a l’amour, Bardamu !
– Arthur, l’amour c’est l’infini mis à la portée des caniches et j’ai ma dignité moi !
[2]Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1935.

 

Ci-dessus : illustration de Clément Serveau pour le Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline, édition Ferenczi, coll. Le Livre moderne illustré, Paris, 1935.

Louis Ferdinand Céline, qui a lu comme tout le monde en son temps Mahmadou Fofana, semble avoir voulu renverser le propos de Raymond Escholier, partant, le retourner à l’envoyeur, jugé trop candide sans doute. Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. — Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal. [3]Voltaire, Candide, XIX.

Voici quelques photos prises lors de la conférence de samedi dernier :

 

Ci-dessus, de gauche à droite : André Minet, Bernadette Truno, Roger Little.

 

Ci-dessus : Françoise Escholier Achard, petite-fille de Raymond Escholier, lit un extrait des Saisons du vent [4]Marie Escholier, Les saisons du vent, éditions Garae/Hésiode, Carcassonne, 1986., journal tenu d’août 1914 à mai 1915 par Marie Louise Escholier, sa grand-mère, en l’absence de Raymond Escholier. Claude Achard, époux de Françoise Escholier, lit ensuite un passage de Mahmadou Fofana. (Les deux photos ont été prises par Mme Little.)

A propos du regard que Raymond Escholier, combattant de le Grande Guerre, porte sur les tirailleurs sénégalais, j’ai lu depuis samedi dernier Le regard de l’étranger, éditorial publié par Roger Little en tête du Courrier de la SIELEC – n°2, et Petit-nègre et bambara. La langue de l’indigène dans quelques oeuvres d’écrivains coloniaux en Afrique occidentale française, article publié par Cécile Van den Avenne dans Mots étrangers dans le roman : de Proust à W.G. Sebald, Queffélec, C., Perrot, D. (2007), repris sur le site Sciences de l’Homme et de la Société-Archives ouvertes. Je recommande ces deux bases de réflexion.

A lire aussi :
Bernadette Truno, Raymond et Marie-Louise Escholier, de l’Ariège à Paris, un destin étonnant, éditions Trabucaire, Canet en Roussillon, 2004
La dormeuse : Raymond et Marie-Louise Escholier
La dormeuse blogue : Raymond et Marie-Louise Escholier, écrivains
La dormeuse blogue : Raymond Escholier – Dansons La Trompeuse
La dormeuse blogue : Raymond Escholier – Quand on conspire
La dormeuse blogue : Quand Raymond Escholier parle de Clément Serveau
La dormeuse blogue : Françoise Escholier – La racine et autres nouvelles
La dormeuse blogue 3 : Claude Achard – Masques animaux et bêtes de toile – Quatrième journée de printemps de l’histoire locale à Mirepoix

Notes

1 Raymond Escholier, Mahmadou Fofana, édition Ferenczi, coll. Le Livre moderne illustré, Paris, 1928.
2 Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1935.
3 Voltaire, Candide, XIX.
4 Marie Escholier, Les saisons du vent, éditions Garae/Hésiode, Carcassonne, 1986.