A propos de Madame Arnaud, modèle de la petite Mme Lestelle dans Dansons La Trompeuse de Raymond Escholier

 

Jacques Joseph Tissot (1836-1902), dit James Tissot, Le Bal.

Mme Lestelle croyait sentir sa vie se multiplier. Dans ce tournoiement rapide, l’air envahissait ses poumons, ses narines, gonflait sa robe, glissait entre son front et ses frisons, l’enroulait, la soulevait presque. […]. Enfin, au hasard des glaces, elle surprenait, emportée comme par un souffle, une petite Mme Lestelle aux invraisemblables cheveux d’or rouge… [1]Raymond Escolier, Dansons La Trompeuse, VI, pp. 84-85, Editions La Cité des Livres, collection « Le roman français d’aujourd’hui », Paris, 1926.

On sait par le chronique mirapicienne que le personnage de la petite Mme Lestelle, héroïne de Dansons La Trompeuse, a été inspiré à Raymond Escholier par une certaine Madame Arnaud, qui, « à la fin du siècle dernier, tenait salon au château de Mazerettes, ancienne résidence des évêques, où elle recevait le tout Mirepoix » [2]Joseph-Laurent Olive, Quarante lettres de Norbert Baillé, officier de la Grande Armée, à sa fiancée, p. 79, Imprimerie du Champ de Mars à Saverdun, 1984..

Je me suis longtemps interrogé sur l’identité de Madame Arnaud et de Monsieur Arnaud. Il y a, au XIXe siècle, plusieurs Arnaud homonymes dans la population de Mirepoix. De quel Arnaud s’agit-il ici ? Et, oblitéré par le nom d’épouse, quel pouvait bien être le patronyme de Madame Arnaud ? C’est une note de Joseph Laurent Olive, dans son édition des Quarante lettres de Norbert Baillé, officier de la Grande Armée, à sa fiancée [3]Ibidem, pp. 78-79., qui m’a fourni récemment une partie des réponses à ces deux questions.

Monsieur Arnaud, prénommé Paul, né en 1821, décédé le 19 janvier 1900 à Artenac, près de Saverdun, Ariège, est l’un des fils du commandant Jacques Germain Arnaud (1788-1865), qui a été aide de camp du Maréchal Clauzel. Il épouse en 1859 Maria Chloé Larivière, ou Marie Françoise Chloé Larivière, laquelle est donc notre Madame Arnaud, partant, le modèle de Mme Lestelle. Concernant l’identité de cette Madame Arnaud, Joseph Laurent Olive ne livre pas d’autres informations.

Je me suis renseignée aux archives.

  • Née en 1838, décédée à l’âge de 63 ans, le 29 novembre 1901, à Mazerettes, Marie Françoise Chloé Larivière est la fille d’Alcide Larivière (1798-1852) et d’Anne Marie Belondrade (1804-1871) ; d’où, par son père, la petite-fille de Jean Larivière, né à Sarlat, officier d’artillerie ; d’où, par sa mère, l’arrière petit-fille de Jean Paul Lafont du Carlat, seigneur de Dahuze, coseigneur de Lanoux, né en 1740 à Sabarat, mort en 1842 à Rieux.

  • Marie Françoise Chloé Larivière a quatre soeurs : Anastasie Catherine Larivière (1826-1914), mariée en 1845 à Gustave Paul de Gilède de Pressac (†1871, Auterive) ; Ernestine Larivière (1828-?), mariée à X… de Loubens ; Mathilde Larivière (1835-?), mariée en 1860 à Calixte Delpech (†1900) ; Anaïs Larivière (1835-1905), mariée à X… Issartier-Delbourg (1823-1904).

  • De son mariage avec Paul Arnaud, Marie Françoise Chloé Larivière a un fils, Jacques Germain Dominique Arnaud (1861-1953), marié à Marie Bories ; et une petite-fille, Madeleine Arnaud.

Raymond Escholier ne mentionne à propos de Mme Lestelle, ni enfant, ni parentèle, mais seulement un mari volage, qui s’est définitivement absenté. Il dramatise ainsi la condition de son personnage, qui souffre d’une solitude morale cruelle, sous le couvert des fêtes et des excentricités auxquelles elle s’adonne, ou s’abandonne, longtemps [4]Cf. La dormeuse, encore : Raymond Escholier – Dansons La Trompeuse..

L’une de ces excentricités, au dire des bonnes gens de Saint-Gauderic (double romanesque de Mirepoix dans Dansons La Trompeuse), c’est que Mme Lestelle aime la peinture et qu’elle a souhaité, un jour, être peintre :

— Je connais aussi de grands artistes, dit Mme Lestelle, tout simples et charmants…
— Je sais, fit M. de Sénabugue, ils ont failli faire de vous une seconde Vigée-Lebrun.
— J’ai aimé passionnément la peinture à une époque. Quand nous quittâmes Paris, au moment du siège, – j’étais très jeune alors, mais je me souviens de mon désespoir, en abandonnant le Louvre, où j’allais tous les matins, copier…
[5]Raymond Escholier, Dansons La Trompeuse, II, p. 46

Raymond Escholier prête ici à Mme Lestelle une passion qui a été effectivement celle de Madame Arnaud. Francis Couquet, qui a vécu dans son enfance à Mazerettes (Fleurizel dans Dansons La Trompeuse), m’a montré en 2009 quelques uns des tableaux que Madame Arnaud a laissés, ainsi que deux ou trois survivants des objets qu’elles collectionnaient. Tableaux et objets demeuraient encore circa 1950, dit-il, entassés dans le grenier de la maison de Mazerettes. [6]Cf. La dormeuse blogue : Souvenirs de Mazerettes.

 

Ci-dessus : paysage inconnu, peint sur carton, oeuvre de Madame Arnaud.

Suite à cette petite enquête, en souvenir de Madame Arnaud, à qui, rebaptisée Mme Lestelle, Raymond Escholier rend un si touchant hommage dans Dansons La Trompeuse, je re-publie aujourd’hui sur La dormeuse, encore l’article qu’en 2008, je consacrais ailleurs à ce roman. Voici donc la nouvelle édition de l’article : Raymond Escholier – Dansons La Trompeuse.

Notes

1 Raymond Escolier, Dansons La Trompeuse, VI, pp. 84-85, Editions La Cité des Livres, collection « Le roman français d’aujourd’hui », Paris, 1926.
2 Joseph-Laurent Olive, Quarante lettres de Norbert Baillé, officier de la Grande Armée, à sa fiancée, p. 79, Imprimerie du Champ de Mars à Saverdun, 1984.
3 Ibidem, pp. 78-79.
4 Cf. La dormeuse, encore : Raymond Escholier – Dansons La Trompeuse.
5 Raymond Escholier, Dansons La Trompeuse, II, p. 46
6 Cf. La dormeuse blogue : Souvenirs de Mazerettes.

2 réflexions sur « A propos de Madame Arnaud, modèle de la petite Mme Lestelle dans Dansons La Trompeuse de Raymond Escholier »

  1. Bonjour,

    Je suis un descendant d’Anastasie Larivière née en 1826 et serais heureux de communiquer sur ce sujet avec vous.
    Bien cordialement

  2. Je suis heureuse, de mon côté, que vous ayez songé à me contacter.
    Je vous invite à m’écrire en privé à l’adresse email accessible en bas à droite de mon blog sous l’étiquette « Contact ».
    Bien à vous,
    Christine Belcikowski

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