Robespierre contre Anacharsis Cloots. VI. 1794. La fin d'Anacharsis Cloots

Rédigé par Christine Belcikowski Aucun commentaire
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Portrait d'Anacharsis Cloots dessiné et gravé avec le physionotrace par Edme Quenedey, Paris, au bureau du Cercle social, 1793.

« Représentez-vous la situation d’un patriote dans les fers, par l’influence, sans doute, d’une cabale étrangère qui persécute les plus ardens défenseurs des droits éternels et universels de l’homme. [...].

Je compte beaucoup sur la droiture des bons esprits, sur la candeur des partisans de la fraternité une et indivisible. Hâtez-vous donc, mes anciens collègues du Comité de sûreté générale, à ordonner la levée de mes scellés... »

I. Depuis la prison du Luxembourg, le 8 janvier 1794, lettre d'Anacharsis Cloots au Comité de salut public, aux « Citoyens raisonnables » et aux « Hommes » tout court

Arrêté dans la nuit du 27 au 28 décembre 1793, Anacharsis Cloots se trouve désormais enfermé à la prison du Luxembourg, d'où, le 8 janvier 1794, il adresse une lettre au Comité de salut public, aux « Citoyens raisonnables » et aux « Hommes » tout court (130). Pour la première fois dans ses écrits, il parle de « mélancolie » et de « catastrophe du gaulois Cloots », avant d'ajouter que « la prison achève tristement son éducation », celle qui l'a « fait homme maintenant, grâce à l'étude que nous [le peuple des Sans-Culottes] faisons de la nature humaine ». « Je souffre la captivité avec horreur et résignation », observe-t-il. « Quel contraste entre mes quatre murailles et les quatre parties du monde dont nous proclamons les droits imprescriptibles ! » Et de célébrer la vertu « régénératrice » qui est celle de la prison pour le vrai patriote : « Liberté, tu es adorable en tous lieux, et surtout dans les cachots de la république régénératrice. Un amant prisonnier adore sa maîtresse avec une nouvelle ardeur. Un patriote dans les fers est plus libre qu'un mauvais citoyen qui se promène d'un bout de la France à l'autre. »

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Vu par une fenêtre de la prison du Luxembourg, la ferme du Luxembourg en 1794, par Jacques Louis David, enfermé au Luxembourg le 27 août 1794.

Mélancolie et sentiment de catastrophe mis à part, Anacharsis Cloots s'éprouve d'autant plus libre dans ses fers qu'il continue de crier à la nécessité de poursuivre la guerre contre les tyrans, guerre au terme de laquelle « le monde se régénérera de lui-même, nous dormirons la grasse matinée ». Car « rendre la liberté au fleuve qui nous sépare de l’Allemagne, c’est donner des ailes aux droits de l’homme ». « Le perfide Dumouriez nous fit de vaines promesses ; le brave Jourdan remplira nos vœux. »

Dans les allégations de ceux qui l'accusent d'espionnage et de conspiration au profit des puissances coalisées, Anacharsis Cloots voit la main de Pitt, i.e. le résultat de la campagne d'influence entreprise de longue date par le gouvernement anglais auprès de certains membres de la Convention, et plus particulièrement auprès d'un « gouvernement » de « fripons » — nombre de membres du Comité de salut public — qui se serait secrètement laissé gagner par les raisons de « l'infâme Pitt ». « En effet, s’il existe en France un gouvernement secret, le vrai moyen de le consolider, c’est de perdre les orateurs qui divulguent tous les secrets. Anacharsis publie ses confessions trop naïvement, pour que sa bonhommie ne déplaise pas aux fripons qui profitent toujours de la fausse honte des dupes. Si toutes les dupes en avaient fait autant que moi, les fripons renonceroient à leur métier. »

S'il ne prononce pas là le nom de l'Incorruptible, Anacharsis Cloots, toujours aussi pugnace, vise Robespierre tout de même lorsqu'il déclare que, contrairement à la marche des armées françaises sur l’Escaut et le Rhin, « la descente en Angleterre est une folie ». Il fait ici allusion au projet présenté par Edmond Louis Alexis Dubois-Crancé à la Convention le 24 janvier 1793, projet auquel Robespierre s'était alors brièvement intéressé (131) et auquel il a resongé en décembre 1793, dans l'espoir de faire diversion quant à la guerre intérieure de plus en plus dangereuse à laquelle se livrent alors les Indulgents et les Hébertistes.

Concernant la « folie » d'une descente en Angleterre, Anacharsis Cloots raisonne comme toujours en stratège et en praticien des cartes de géographie : « Il serait peu sûr de nous hasarder sur les rivages capricieux de l’Angleterre, dont la puissance maritime pourroit déjouer nos tentatives navales. Jamais descente n’a réussi sans une cavalerie nombreuse ; or, nous n’avons pas trop de chevaux pour nos expéditions continentales. Certainement, on ne nous coupera pas les vivres dans la Gaule belgique ; mais en Angleterre, nous y serions exposés à tous les accidents prévus ou imprévus. Le gouvernement anglois, nous le tuons, sans coup férir, dans les Pays Bas ; mais si nous échouons en Albion, nous serons forcés de renoncer à la Belgique, le marchepied des Allemands, le palladium de le république gauloise. C’est une erreur ou une perfidie d’aller en Angleterre avant de récupérer nos départemens de Mayence, de Liège, de Jemmape, etc. Je mourrai dans l’impénitence finale, si c’est un crime de préférer l’expédition du plancher des vaches à celle de la grande isle des Bretons. Ces insulaires sont prévenus contre les généreux Français, par un tissu de calomnies. La calomnie est plus puissante que je ne le croyais : les commentaires de la malignité garottent l’orateur du genre humain dans les prisons du Chef-Lieu des lumières philosophiques ; jugez de l’égarement des sujets britanniques qui ne lisent que les rapsodies ministérielles de Londres. Défiez-vous de la prétendue armée de 91 mille Écossais conventionnels. C’est par le Texel (132) que les Français conventionnels arriveront sagement dans la Tamise, pour y plonger Georges et Pitt. »

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Détail de L'Europe divisée suivant l'estendüe de ses principaux Estats / par Guillaume Sanson (1633-1703), cartographe ; présentée à Mgr le Dauphin par Alexis Hubert Jaillot, éditeur scientifique, Paris, édition Desnos, 1788.

« Je le désire, en priant mes frères de songer à un athlète qui n’a jamais appartenu à personne, mais dont le cœur débonnaire a cru quelquefois à la vertu des personnages soi-disant vertueux. »

Parmi ces « personnages soi-disant vertueux », par effet d'allusion, Anacharsis Cloots désigne une fois encore l'Incorruptible, à la vertu duquel, ajoute-t-il, il a cru jadis, et désormais ne croit plus.

Cependant qu'il évite de nommer expressément Robespierre, Anacharsis Cloots n'hésite pas à dénoncer la perfidie de Camille Desmoulins, qui, à la demande de Robespierre, l'a sévèrement attaqué dans son journal Le Vieux cordelier et précipité ainsi son éviction du club des Jacobins. « Mon calomniateur Camille Desmoulins lui-même, me dit plusieurs mois avant la chute du trône : "Cloots, la brillante perspective que tu montres au genre humain dans ton livre de la République Universelle, relève mon courage abattu ; la plume me tombait des mains, je vais la reprendre aux sons consolants de ta trompette tyrannicide ». Et Anacharsis Cloots ne craint pas ici de se laisser aller à un trait d'ironie tragique concernant le sort qui lui est fait de se trouver aujourd'hui, lui, « l'orateur du genre humain, « garotté dans les prisons du Chef-Lieu des lumières philosophiques ».

Anacharsis Cloots termine sa lettre par cette magnifique péroraison :

« Mon système philantropique, l’utopie de mes veilles et non pas de mes rêves, a ramené vers la Révolution française les plus célèbres philosophes de l’Allemagne et du Nord. Un entre autres, vient de publier ses opinions, il se déclare le zélateur de ma doctrine, en s’écriant avec enthousiasme, que le moderne Anacharsis veut faire du Globe entier un paradis terrestre, et que semblable à une citadine de Damas, je tiens une cruche pour éteindre l’enfer et un brasier pour brûler le ciel fabuleux.
Citoyens raisonnables, le genre humain vous saura gré de mon élargissement.
Anacharsis Cloots, homme.
Paris, Maison d’arrêt du Luxembourg, 19 nivôse, l’an II de la République des Hommes.

Lorsque qu'Anacharsis Cloots dit ci-dessus que « semblable à une citadine de Damas il tient une cruche pour éteindre l'enfer et un brasier pour brûler le ciel fabuleux », on remarque qu'il condense, déplace, détourne et renverse, de façon hardie, plusieurs versets de l'Ancien Testament, qu'on trouve dans le Lévitique :

Lévitique 10.1-2. Alors Nadab et Abiu, fils d’Aaron, ayant pris leurs encensoirs, les allumèrent et mirent de l’encens dessus, et ils offrirent devant le Seigneur un feu profane qui ne leur avait point été commandé ; alors un feu venu du Seigneur les dévora, et ils moururent devant le Seigneur.

Lévitique 16.1-2 et 11-13. Yahvé parla à Moïse après la mort des deux fils d'Aaron, qui périrent en se présentant devant Lui. Yahvé dit à Moïse : Parle à Aaron ton frère : qu'il n'entre pas à n'importe quel moment dans le sanctuaire derrière le rideau, en face du propitiatoire qui se trouve sur l'arche d'alliance. Il pourrait mourir, car j'apparais au-dessus du propitiatoire dans une nuée. Aaron prendra l’encensoir qu’il aura rempli de charbons de l’autel, et les parfums qui auront été composés pour servir d’encens ; il entrera au dedans du voile dans le saint des saints ; il déposera l'encens sur le feu, et la fumée et la vapeur qui en sortiront, occulteront l’oracle qui est au-dessus du propitiatoire, de telle façon qu'il ne mourra pas.

On se souviendra ici qu'Anacharsis Cloots a publié en 1782 à Berlin une savante Lettre sur les juifs à un ecclésiastique de mes amis. Après avoir déclaré dans les premières lignes de sa Préface que, du Chrétien, du Mahométan et du Juif, « tous trois s'appuient sur des Prophéties » et que « tous trois déraisonnent », il tranche, en page XII, que « nous n'avons qu'à opter entre deux partis, l'un infiniment répugnant, l'autre infiniment désirable. C'est de fléchir le genou devant la Synagogue, ou d'arborer le pavillon du Déisme. Cette dernière résolution sera la plus sage et le plus sûre ».

Passé par la suite du Déisme à un Athéisme radical et militant, il se campe désormais dans une posture luciférienne triomphante qui annonce, à sa manière, le satanisme de l'âge romantique. Outre sa puissance de suggestion plastique — « une cruche pour éteindre l'enfer et un brasier pour brûler le ciel fabuleux » —, cette posture, qui fait des misérables fils d'Aaron une dame damascène, ou plutôt une sorte de Samaritaine retournée, se trouve rendue dérangeante par l'effet de transidentité qu'elle induit.

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Léon Viardot, Le Christ et la Samaritaine, 1859, église Notre Dame, Gaillefontaine, Seine-Maritime.

Cet effet de transidentité renvoie peut-être ici à une vérité de l'homme Cloots, qui se plaît à parler ailleurs, sur le ton du défi, de ses postulations homosexuelles fantasmées ou réprimées, qui a été, entre autres, un ami proche du chevalier d'Éon, et qui a besoin maintenant de se projeter dans la figure d'une « dame de Damas » — pour tromper l'angoisse d'une mort possiblement prochaine, et mutatis mutandis misérablement semblable à celle des fils d'Aaron.

Anacharsis Cloots ajoute à sa lettre du 8 janvier 1794 le post-scriptum suivant :

P.S. Citoyens compatissants, débarrassez-moi, s’il vous plaît, d’un gardien qui me brûle la chandelle par les deux bouts. Ma gouvernante vous dira le reste. »

Toujours pratique, malgré les apparences, Anacharsis Cloots s'inquiète ici de l'argent que lui coûte le séjour de la prison. Au Luxembourg comme à la Force ou ailleurs, il se trouve renfermé à ses frais. Le « gardien qui lui brûle la chandelle par les deux bouts », ménage à un prix usuraire la distribution du minimum nécessaire. La gouvernante d'Anacharsis Cloots doit donc se rendre à la prison, depuis l'hôtel particulier que celui-ci loue rue Ménars, afin de lui fournir des vêtements et du linge, et afin de régler les sommes réclamées pour sa nourriture et autres menus ou grands besoins de la vie carcérale.

N.d.R. Alexandre Tuetey (1842-1918), dans le volume 10 de son Répertoire général des sources manuscrites de l'histoire de Paris pendant la révolution française, p. 579, rapporte que, le 4 pluviôse an II, « la femme Jamel, domestique au service d'Anacharsis Gloots », adresse au citoyen Jagot, membre du Comité de sûreté générale, « une pétition renouvelant la requête déjà présentée par elle afin d'obtenir la levée des scellés apposés chez son maître et de retirer son linge ainsi que ses habillements (si nécessaires à son sexe), et que la rapidité de l'arrestation d'Anacharsis Cloots ne lui a pas permis de rechercher ». L'original de cette lettre se trouve conservé aux Archives nationales sous la cote F7 4649.

II. Depuis la prison du Luxembourg, le 29 janvier 1794, seconde lettre d'Anacharsis Cloots, adressée au Comité de salut public et aux « Citoyens tyrannicides »

Trois semaines après l'envoi de sa première lettre de prison, Anacharsis Cloots en adresse une seconde au Comité de salut public et aux « Citoyens tyrannicides (133). Cette lettre est, sans surprise, de tonalité plus sombre que la première, et plus critique encore.

« Une prétendue raison d'État me prive de la vie civique [...]. On m'a jeté dans la fosse aux lions et aux tigres, dans la fosse aux aristocrates : je souffrirais moins dans le taureau de Phalaris. »

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Pierre Woeiriot de Bouzey (1532-1596 ?), Le taureau de Phalaris, taille-douce et burin, Bibliothèque de Lyon. Phalaris (ca 570 av. J.-C – 555 av. J.-C), tyran d'Agrigente en Sicile, demanda un jour à Perillos d'Athènes de lui concevoir un supplice pour les condamnés. Celui-ci lui construisit un taureau en airain creux dans lequel on enfermait les suppliciés avant de le porter au rouge.

Mais, opposant à « la prétendue raison d'État » « le triomphe récent de la raison universelle », i.e. celui des droits de l'homme, tels qu'il les entend, Anacharsis Cloots veut croire que c'est la « raison universelle », et elle seule, qui le « tirera de l'abîme ». De quel « triomphe » parle-t-il ici, sinon de la victoire du général Jourdan contre les Autrichiens du prince Frédéric de Saxe-Cobourg le 16 octobre 1793 à Wattignies, en Flandre ; de l'essor de la campagne de déchristianisation que lui, Anacharsis Cloots, a contribué à accélérer en poussant l'évêque Gobel à la résignation de sa charge le 7 novembre 1793 ; de la victoire du général Dugommier contre les Anglais le 19 décembre à Toulon. La « Gaule », comme dit Anacharsis Cloots, commence de tendre vers l'horizon d'universalité que l'Orateur du genre humain lui assigne depuis toujours.

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De gauche à droite : Jean Baptiste Jourdan (1762-1833) ; Jacques François Coquille, dit Dugommier (1738-1794).

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Portrait de Jean Baptiste Joseph Gobel (1727-1794), croqué sur le chemin de la guillotine par Dominique Vivant Denon (1747–1825) le 12 avril 1794.

Au regard de ce qu'il nomme « l’utopie de ses veilles et non pas de ses rêves », Anacharsis Cloots juge son cas exemplaire, et il le clame sur le ton du défi : « Le Père de la République universelle ne saurait être classé sur le tableau des gens suspects, des étrangers. Je suis le plus opprimé des hommes, ou le plus guillotinable des scélérats ; point de milieu. C'est mentir à sa conscience, c'est se révolter contre le bon sens, que de retenir Anacharsis Cloots en arrestation, sous prétexte de mesure révolutionnaire. La République n'a pas trop d'athlètes capables de motiver l'acte d'accusation contre tous les rois. »

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De gauche à droite : Camille Desmoulins (Guise, 1760- 5 avril 1794, Paris, guillotiné) ; Philippe François Nazaire Fabre, dit Fabre d'Églantine (Carcassonne, 1750-5 avril 1794, Paris, guillotiné).

Après avoir dénoncé une fois encore le coup que lui a porté « l'enfant perdu Camille Desmoulins » le 10 décembre 1793 dans son article du Vieux cordelier ; et après avoir dénoncé aussi la malhonnêteté de [Philippe François Nazaire Fabre] Fabre d'Églantine, qui, afin de mieux détourner les regards de ses propres affaires, certes louches, a instruit auprès de Robespierre en octobre 1793 le procès de la « conspiration des agents de l'étranger » ; Anacharsis Cloots, qui reste jusque dans sa situation de « catastrophe » un grand animal politique, les accuse tous deux d'être en tant que « nouveaux Brissotins » les porte-voix funèbres de ces « Rolando-brissotins » qui ont été guillotinés le 31 octobre 1793 et qui soutenaient effrontément depuis le 17 novembre 1792, date de la publication de son Ni Marat ni Roland, que « le factieux Cloots avec ses philippiques universelles, nous a fait un mal infini ! » Ces nouveaux Brissotins, remarque-t-il, ont été plus habiles que les autres, en provoquant, très à propos, dans un moment d'aberration des principes, le décret mémorable qui me sépare du peuple et me couvre de l'opprobre de ses ennemis ». À noter que Fabre d'Églantine a été arrêté dans la nuit du 12 au 13 janvier 1794 pour faux en écriture et concussion dans l'affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes.

L'ambiguité demeure toutefois quant au positionnement politique du très belliciste Anacharsis Cloots relativement au très belliciste Jacques Pierre Brissot, guillotiné le 31 octobre 1793, quand le même Anacharsis Cloots explique de façon byzantine que « les pacificateurs-plâtriers avaient surpris la religion de la Convention nationale en lui insinuant avec une astuce ultra-brissotine, que les prédications d'Anacharsis Cloots pourraient nuire à la paix qu'on voulait bénignement nous procurer en moins de deux mois. On trompa les meilleurs patriotes par des considérations diplomatiques dont la futilité, la perversité est reconnue maintenant avec un saint enthousiasme ». Parmi « les meilleurs patriotes » Anacharsis Cloots vise une fois encore sans le nommer, Robespierre, qu'on sait avoir été opposé de longue date à la guerre. Il attribue ladite opposition à des « considérations diplomatiques » fallacieuses, soufflées au trop vertueux ou trop naïf patriote par de méchants esprits, secrètement contre-révolutionnaires d'évidence.

Anacharsis Cloots signale à la fin de sa lettre du 29 janvier 1794 qu'il « allait publier une Adresse aux Sans-Culottes anglais, lorsqu'on a mis les scellés chez lui. Cette Adresse véhémente, persuasive, est dans les principes qu'on me connaît, et que la cabale pacificatrice voulait étouffer en calomniant et persécutant mystérieusement l'invariable Orateur du genre humain ». Là encore, il dénonce la main de Pitt et veut croire, par effet de pétition de principe, que cette dénonciation participerait du soulèvement général de l'opinion contre les tyrans, et en faveur de la République universelle  : « Les agents du très pacifique Monsieur Pitt sont démasqués ; la cause des peuples l'emporte sur l'iniquité des princes. Tout milite aujourd'hui en faveur de l'homme courageux et perspicace qui prêche la souveraineté du genre humain, la suprématie de la raison une et indivisble. »

Il conclut et signe sa lettre comme suit : « Citoyens tyrannicides, mettez-moi à même de publier ma Pittique [Pythique (134)], mon Adresse aux Sans-Culottes anglais. Faites lever mes scellés, en attendant la levée de mon fatal écrou.
Maison d'arrêt du Luxembourg, 10 pluviôse, l'an II de la République des Hommes. »

III. Depuis la prison Saint-Lazare, le 18 février 1794, lettre d'Anacharsis Cloots, victime, à son ami Vincent

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Intérieur de la prison Saint Lazare, photographie de presse / Agence Meurisse, Paris, 1912.

Au début du mois de février 1794, Anacharsis Cloots est transféré à la prison Saint-Lazare, située au nº 107 de la rue du Faubourg-Saint-Denis. Depuis cette nouvelle prison, il adresse le 18 février 1794 une lettre (135) à son ami François Nicolas Vincent, secrétaire général du ministère de la Guerre, qui, attaqué par les Indulgents au club des Jacobins et arrêté le 17 décembre 1793, a été enfermé à la prison du Luxembourg, puis libéré le 2 février 1794 après avoir été défendu par Jacques René Hébert le 21 décembre 1793, toujours au club des Jacobins, puis par Danton lui-même, inquiet de sauver sa propre tête, le 2 février 1793.

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François Nicolas Vincent (1767-24 mars 1794, guillotiné), in Album du centenaire. Grands hommes et grands faits de la Révolution française (1789-1804), Paris, Furne, Jouvet et Cie, éditeurs, 1889, p. 66. On se méfiera de l'article que l'Album du centenaire consacre à François Nicolas Vincent, car il s'agit d'un article à charge. Là où les auteurs de l'Album disent que « le passage de Vincent au ministère de la guerre fut signalé par un désordre et une incurie qui eurent pour l'armée des résultats déplorables, et que Philippeaux se fit son accusateur et lui reprocha d'une manière des plus violentes de jouer au ministre et de se faire distributeur de places au lieu de travailler au bon entretien de l'armée », d'autres disent que Vincent travailla à remplir les bureaux de vrais patriotes.

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Défense de François Nicolas Vincent par Jacques René Hébert au club des Jacobins, telle que rapportée le 23 décembre 1793 (primidi de la première décade de nivôse) dans la Feuille du salut public, n° 173, p. 4.

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Défense de François Nicolas Vincent par Danton et élargissement dudit François Nicolas Danton, tels que rapportés le 4 février 1794 dans la Feuille du salut public, n° 216, 4 février 1794 (sextidi de la IIe décade de pluviôse, l'an IIe de la République française), p. 1.

Le 19 février 1794, la lettre d'Anacharsis Cloots à François Nicolas Vincent est lue au club des Cordeliers :

« Ah, c'est ma bonne étoile qui m'amène vers toi ! Les Cordeliers me sauveront, les Cordeliers sauveront la République pour la septième fois... Intrépide et loyal Vincent, tu tiens parole, tu poursuis la faction en véritable défenseur des principes éternels et universels. La séance des Cordeliers, dont la Feuille du salut public nous a transmis le procès-verbal, ravit mon âme jusqu'au troisième ciel !... Républicains courageux, poursuivez votre carrière civique et je réponds du succès le plus rapide, le plus éclatant. Les patriotes opprimés oublieront leurs souffrances, car le peuple souverain est outragé dans la personne des hommes populaires que l'on calomnie et que l'on énerve dans la prison des gens suspects et des criminels de lèse-nation.
Maison d'arrêt dite Saint-Lazare, 30 pluviôse, l'an II de la République des Hommes. »

On remarque dans l'invocation à François Nicolas Vincent et à ses amis du club des Cordeliers une tonalité quasi- ou pseudo-religieuse que l'on ne connaissait pas à Anacharsis Cloots juqu'alors. De la « bonne étoile » à la « septième fois », empruntant ici au langage de la croyance superstitieuse ou de la tradition biblique, Anacharsis Cloots tente de récuser, sinon de surmonter ainsi, le sentiment qu'il n'est plus désormais d'espérance pour lui.

Dans l'Ancien Testament, le livre de Josué rapporte qu'à la septième fois, comme dira plus tard le poète, les murailles tombèrent :

« L’Éternel dit à Josué : Vois, je livre entre tes mains Jéricho et son roi, ses vaillants soldats. Faites le tour de la ville, vous tous les hommes de guerre, faites une fois le tour de la ville. Tu feras ainsi pendant six jours. Sept sacrificateurs porteront devant l’arche sept trompettes retentissantes ; le septième jour, vous ferez sept fois le tour de la ville ; et les sacrificateurs sonneront des trompettes. Quand ils sonneront de la corne retentissante, quand vous entendrez le son de la trompette, tout le peuple poussera de grands cris. Alors la muraille de la ville s’écroulera, et le peuple montera, chacun devant soi. » (136) Josué 6,2-5

Dans l'Apocalypse, le livre 8 rapporte que « sept anges se tiennent devant Dieu : il leur fut donné sept trompettes. [...]. Dans les jours où retentira la voix du septième ange, quand il sonnera de la trompette, alors se trouvera accompli le mystère de Dieu, selon la bonne nouvelle qu’il a annoncée à ses serviteurs les prophètes. » (137)

Dans l'histoire du club des Cordeliers, on sait que par six fois déjà, lesdits Cordeliers sont intervenus de façon décisive dans le cours de la Révolution française. 1° Le 21 juin 1791, ils ont appelé à la déchéance de Louis XVI après sa fuite et son arrestation à Varennes. 2° Le 17 juillet 1791, ils ont organisé la manifestation du Champ de Mars. 3° Le 10 août 1792, ils ont poussé à l'insurrection qui aboutit à la destitution et à l'emprisonnement de Louis XVI. 4° Le 22 mai 1793, ils ont fomenté l'insurrection qui entraîne la chute des Girondins à la Convention nationale. 5° Le 24 avril 1793, ils ont obtenu l'acquittement et la libération triomphale de Marat. 6° Le 21 juillet 1793, Jacques René Hébert, leur porte-parole, a obtenu à la suite d'un discours mémorable la condamnation du rival de Dumouriez en traîtrise, le général Adam Philippe de Custine :

Hébert. — « Oui, Custine est un scélérat, dont il faut avant tout punir les crimes. Nous serons tous anéantis si nous le renvoyons à son poste. [...]. Qu’on prenne toutes les précautions pour s’assurer de lui, et qu’on ne lâche point ce scélérat qu’on ne l’ait conduit à la guillotine.
(Vifs applaudissements)
(Le cordelier Vincent intervient à la suite d’Hébert et soumet aux jacobins des preuves écrites de la scélératesse de Custine depuis qu’il a pris le commandement de l’armée du Rhin. Il promet de les communiquer soit à la commission que la société nommera, soit à la tribune).
Hébert. — « Je demande donc que Custine soit mis en état d’arrestation, qu’il soit traduit devant le tribunal révolutionnaire et que sa tête tombe ; qu’à l’instant on nomme une commission pour recueillir tous les faits qui sont contre ce scélérat ; que des commissaires aillent sur le champ au Comité de salut public pour lui faire part des sollicitudes qui agitent le peuple et que sur le champ Custine soit mis en état d’arrestation afin qu’il ne puisse échapper. » (138)

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De gauche à droite : Charles François du Perrier du Mouriez, dit Dumouriez (Cambrai, 1739-1823, Turville-Park, près de Londres) ; Adam Philippe de Custine (Metz, 1742-28 août 1793, Paris, guillotiné).

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Jacques René Hébert (Alençon, 1757-24 mars 1794, Paris, guillotiné), chef de file des Exagérés, nom donné en 1793 aux membres du club des Cordeliers.

Quant à la « septième fois » dans l'histoire du club des Jacobins, on ne sait si elle correspond, dans l'esprit d'Anacharsis Cloots, à la libération de son ami François Nicolas Vincent ou à la sienne propre, qu'il tâche d'espérer encore, mais dont il parle désormais comme si elle ne pouvait plus relever que du miracle, ou plutôt de quelque justice immanente au processus révolutionnaire.

IV. Seul passage subsistant d'une lettre adressée par Anacharsis Cloots depuis la prison Saint-Lazare le 1er mars 1794 aux « citoyens-hommes »

Le 1er mars 1794, depuis la prison Saint-Lazare, Anacharsis Cloots adresse encore une lettre (139) à on ne sait quel destinataire précis, en tout cas aux « citoyens-hommes » :

[...]. Votre religion est suffisamment éclairée sur un vieux soldat de la révolution, sur le factieux, le désorganisateur, l'anarchiste, l'ultra-révolutionnaire Anacharsis Cloots, belge de naissance, français d'adoption, fondateur régicide de la république des droits de l'homme. La masse infecte des prisonniers me regarde comme un monstre ; j'approuve autant que jamais la grande mesure de l'incarcération des gens suspects. On n'ignore pas dans les prisons que je fus un des premiers provocateurs de cette mesure salutaire. Les scélérats me mangeraient volontiers le blanc des yeux. Un patriote jeté pêle-mêle dans une maison de suspicion se trouve sur la roue d'Ixion. Et voilà 64 jours et autant de nuits que mon supplice dure. Citoyens-hommes, la liberté ou la mort !
Maison d'arrêt de Saint-Lazare, 11 ventôse, an II. »

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Illic Junonem tentare Ixionis ausi / Versantur celeri noxia membra rota. « Là les membres coupables d'Ixion, qui osa outrager Junon, tournent sur une roue rapide » [Tibulle, Élégie III, v. 74-75], in Tableaux du Temple des Muses, tirez du cabinet de feu M. Favereau, conseiller en la Cour des Aides, représentant les Vertus et les vices, sur les plus Illustres fables de l'Antiquité, par M. de Marolles Abbé de Villeloin, à Paris, chez Antoine de Sommaville, 1655, p. 434.

On remarque que, si Anacharsis Cloots se félicite de ce que son ami François Nicolas Vincent ait pu être libéré — provisoirement, au vrai, mais l'avenir seul le lui révèlera —, il ne réclame plus pour lui-même d'avoir la vie sauve. Il se dit « vieux soldat de la révolution » ; né en 1755, en 1794 il n'est âgé pourtant que de 38 ans. Mais la prison fatigue, et sa « roue d'Ixion ». Las de cette « roue », Anacharsis Cloots continue malgré tout de se réclamer de ce dont on l'accuse et dont il fait sa fierté ; il demeure jusqu'au bout « le factieux, le désorganisateur, l'anarchiste, l'ultra-révolutionnaire Anacharsis Cloots, belge de naissance, français d'adoption, fondateur régicide de la république des droits de l'homme. »

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« La liberté ou la mort », gouache attribuée à Jean Baptiste Lesueur (1749-1826) et à son frère Pierre Étienne Lesueur († 1802), Musée Carnavalet.

Mot d'ordre des Insurgents américains repris en 1780 par Jacques Pierre Brissot en 1780 son Testament politique de l'Angleterre, la formule « La liberté ou la mort » devient à partir de 1789 le « cri » du peuple en révolution : il s'agit pour chacun des Sans-Culottes de défendre la Révolution au prix de sa propre vie. Anacharsis Cloots, qui a souvent repris ce cri à son compte dans ses écrits passés, le détourne maintenant de son acception usuelle, relative au domaine de la mobilisation collective, pour en faire le cri de sa seule condition de prisonnier : il s'agit pour lui de recouvrer au plus vite la liberté, faute de quoi, au séjour de la prison, il préfère désormais la mort.

On remarque que, pour la seule et unique fois dans tous les écrits d'Anacharsis Cloots, l'excipit de sa dernière lettre n'est pas signé. Cette lettre n'était peut-être qu'un brouillon. Telle absence de signature donne toutefois l'impression qu'à cette date du 1er mars 1794, le visage de l'homme Anacharsis Cloots se perd déjà par avance dans la nuit du tombeau.

V. Le 21 mars 1794, présentation au Tribunal révolutionnaire de 20 prévenus alors détenus à la Conciergerie, parmi lesquels Anacharsis Cloots. Lecture du réquisitoire rédigé la veille par l'accusateur public, Antoine Quentin Fouquier[-Tinville]. Attitude d'Anacharsis Cloots

V.1. Le réquisitoire d'Antoine Quentin Fouquier[-Tinville]

Conservé aux Archives nationales, série W, carton 339, dossier 617, pièce 25, le réquisitoire prononcé par Antoine Quentin Fouquier[-Tinville] lors de la séance du Tribunal révolutionnaire datée du 21 mars 1794, se trouve recueilli dans les Réquisitoires de Fouquier-Tinville : publiés d'après les originaux conservés aux Archives nationales et suivis des trois mémoires justificatifs de l'accusateur public / avec une introduction, des notes et des commentaires, par Hector Fleischmann, Paris, 1911, Procès des Hébertistes, p. 57 sqq.

« Antoine Quentin Fouquier[-Tinville] Accusateur public du Tribunal révolutionnaire
Expose que par décret de la Convention du seize ventôse, l'accusateur public est chargé d'informer sans délai contre les auteurs et distributeurs de pamphlets, manuscrits, répandus dans les halles et marchés, et qui sont attentatoires à la liberté du peuple français et à la représentation nationale, et de rechercher en même temps les auteurs et agents des conjurations formées contre la sûreté du peuple, et les auteurs de la méfiance inspirée à ceux qui apportent des denrées et des subsistances à Paris ; qu'en exécution de ce décret, il a été procédé à des informations et auditions de témoins ; qu'en conséquence du résultat de ces dépositions et des pièces remises, l'accusateur public a décerné des mandats d'arrêt et traduit au tribunal révolutionnaire :

1° Charles Philippe Ronsin, âgé de quarante-deux ans, né à Soissons, département de l'Aisne, demeurant à Paris, boulevard Montmartre, commandant de l'armée révolutionnaire.
2° Jacques René Hébert, âgé de trente-cinq ans, natif d'Alençon, département de l'Orne, agent national près la commune de Paris.
3° François Nicolas Vincent, âgé de vingt-sept ans, secrétaire général du département de la Guerre, natif de Paris, y demeurant, rue des Citoyennes, section de Mucius Scevola.
4° Antoine François Momoro, âgé de trente-huit ans, né à Besançon, département du Doubs, demeurant à Paris, rue de La Harpe, nº 171, imprimeur-libraire et administrateur du département de Paris.
5° Frédéric Pierre Ducroquet, âgé de trente et un ans, né à Amiens, ci-devant perruquier coiffeur et commissaire aux accaparements de la section de Marat, rue du Paon, nº 2.
6° Jean Conrard Kock, âgé de trente-huit ans, né à Husden, en Hollande, banquier, demeurant à Passy.
7° Michel Laumur, àgé de soixante-trois ans, né à Paris, ci-devant colonel d'infanterie, maintenant gouverneur de Pondichéry, demeurant rue Croix-des-Petits-Champs.
8° Jean Claude Bourgeois, âgé de vingt-six ans, demeurant à Paris, rue des Sans-Culottes, section de Mucius Scœvola.
9° Jean Baptiste Mazuel, âgé de vingt-huit ans, né à Ville-Affranchie [Lyon], chef d'escadron dans l'armée révolutionnaire, demeurant à Versailles, boulevard de l'Égalité.
10° Jean Baptiste Laboureau, âgé de quarante-et-un ans, natif d'Arnay-sur-Aron, département de la Côte d'Or, médecin et premier commis au conseil de santé, demeurant rue de La Harpe.
11° Jean Baptiste Aucar, âgé de cinquante-deux ans, employé au département, au bureau des recherches des émigrés, natif de Grenoble, demeurant à Paris, rue des Mauvais Garçons.
12° Armand Hubert Leclerc, ci-devant chef de division au bureau de la guerre, demeurant à Paris, rue Grange-Batelière.
13° Jacob Pereira, âgé de cinquante-et-un ans, né à Bayonne, département des Basses-Pyrénées, manufacturier de tabac, demeurant à Paris, rue Saint-Denis, nº 55.
14° Marianne Latreille, femme Quétineau, âgée de trente-quatre ans, née à Montreuit-BeUay, près Saumur, ci-devant cultivateur, demeurant à Paris, rue de Rohan, chez la citoyenne Corbet, et depuis rue et maison de Buci.
15° Anacharsis Cloots, âgé de trente-huit ans, né à Clèves, demeurant à Paris rue de Ménars nº 563, section Le Pelletier, ci-devant député à la Convention nationale, homme de lettres.
16° François Desfieux, âgé de trente-neuf ans, né à Bordeaux, demeurant à Paris, rue des Filles-Saint-Thomas, section Le Pelletier, marchand de vins de Bordeaux.
17° Antoine Decomble, âgé de vingt-neuf ans, né à Besançon, département du Doubs, demeurant à Paris, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, section des Droits de l'Homme, secrétaire-greffier de la dite section.
18° Jean Antoine Florent Armand, âgé de vingt-six ans, né au Chailat, département de l'Ardèche, élève en chirurgie, demeurant à Paris, rue et maison de Buci.
19° Pierre Ulric Dubuisson, âgé de quarante-huit ans, né à Laval, département de la Mayenne, demeurant à Paris, rue Saint-Honoré, section de ia Montagne nº 1443, homme de lettres.
20° Pierre Jean Berthold Proli, âgé de quarante-deux ans, né à Bruxelles, demeurant à Paris nº 7, ci-devant négociant ; actuellement sans état.

Le même Antoine Quentin Fouquier expose :

Qu'examen fait tant des interrogatoires que des pièces et charges, il en résulte que jamais il n'a existé contre la souveraineté du peuple français et sa liberté, de conjuration plus atroce dans son objet, plus vaste, plus immense dans ses rapports et ses détails que celle ourdie par les prévenus, et que l'active vigilance dévoilée par la Convention vient de faire échouer en la dévoilant et en livrant au tribunal ceux qui paraissent en avoir été les instruments principaux. »

N.d.R. Albert Mathiez,dans La Révolution française. La chute de la royauté. La Gironde et la Montagne. La Terreur évoque ainsi cette conspiration, qui a échoué : Sur fond de crise des subsistances, « on parlait dans Paris d'un nouveau 2 septembre. [...]. Les Cordeliers crurent qu'il leur serait facile de réussir une nouvelle journée qui leur donnerait le pouvoir. Le 14 ventôse, Carrier en donna le signal : "L'insurrection, une sainte insurrection, voilà ce que vous devez opposer aux scélérats !" Hébert longuement dénonca de nouveau les Endormeurs des Comités [...]. Il se risqua à citer des noms. Il n'osa pas pourtant nommer Robespierre, mais il le désigna nettement et il conclut comme Carrier : "Oui, l'insurrection, et les Cordeliers ne seront point les derniers à donner le signal qui doit frapper à mort les oppresseurs !" Les Cordeliers voilèrent de noir la Déclaration des droits pour matérialiser l'oppression dont ils se disaient victimes.
Leur appel tomba dans le vide. Les masses n'avaient pas confiance dans la vertu de la guillotine pour ramener l'abondance, et les commissaires aux accaparements, par leurs procédés vexatoires, étaient franchement impopulaires. Momoro entraîna bien la section de Marat, qui essaya d'entraîner la Commune le 15 ventôse. Mais la Commune resta froide et hostile. [...]. La brusque agression des Hébertistes surprit le Comité de salut public, mais ne le prit pas au dépourvu. Il décida sur le champ de déclencher l'action judiciaire. »

« En effet, cette exécrable conspiration, dirigée par des individus qui avaient trompé la nation entière par les dehors les plus spécieux du patriotisme, avait pour objet principal d'anéantir à jamais la souveraineté du peuple, la liberté française et de rétablir le despotisme et la tyrannie, en usant de tous les moyens pour priver ce même peuple des subsistances, et en projetant de massacrer et faire massacrer les représentants du peuple, les plus énergiques et les plus zélés défenseurs de sa liberté. Le tyran indiqué pour asservir le peuple français, ne devait d'abord lui être présenté que sous le titre de grand juge, ainsi que la preuve en est établie dans les informations.

La représentation nationale devait être anéantie et disparaître avec les représentants du peuple qui auraient, en périssant sous les poignards des conjurés, expié le crime impardonnable, pour ces féroces agents de la tyrannie, d'avoir soutenu courageusement les droits du peuple.

Le gouvernement anglais et les puissances coalisées contre la République sont les véritables chefs de cette conjuration, dont les perfides agents masqués d'une profonde hypocrisie, qui se repliait en tous sens pour faire illusion, les uns étrangers et les autres sortis du sein de quelques autorités revêtus de la confiance du peuple qu'ils avaient usurpée, comblés de ses faveurs, élevés pour la plupart aux fonctions publiques.

Les Ronsin, les Hébert, Momoro, Vincent, des corrupteurs par état, et des généraux et des banquiers étrangers étaient les intermédiaires entre ces chefs et les agents qui ne voulaient de la Révolution que des honneurs et des places, pour satisfaire leur ambition, et surtout des richesses avec lesquelles à l'instar des tyrans ils parvinssent à entretenir leurs vices et à alimenter leurs débauches, en insultant aux généreux sacrifices du peuple pour sa liberté.

Cette conjuration méditée, suivie depuis longtemps sous les dehors du patriotisme, touchait à son exécution au moment où elle a échoué. Plusieurs factions qui seront rapprochées dans le cours de l'instruction usaient au même instant des mêmes moyens, excitaient les mêmes troubles pour arriver les unes et les autres à la destruction du gouvernement républicain, de la représentation nationale, et à la ruine des meilleurs défenseurs du peuple.

II paraît que c'est chez le banquier hollandais Kock, à Passy, que se rendaient les principaux conjurés, Ronsin, Hébert, Vincent, Laumur ; après avoir médité dans l'ombre leur révolte criminelle et les moyens d'y parvenir, ils se livraient, dans l'espoir d'un succès complet, à des orgies poussées fort avant dans la nuit.

Il paraît que ces conjurés s'étaient distribué chacun leur rôle. L'on voit Ronsin parcourant de son autorité privée toutes les maisons d'arrêt de Paris avec l'un des sous-commandants, Mazuel. On les voit faire des listes dans ces mêmes prisons, contenant les noms de ceux des détenus qu'ils croiraient propres à exécuter leurs infâmes complots. L'on voit Hébert et Vincent dénoncer tantôt les mauvais citoyens, tantôt les courageux défenseurs du peuple, pour égarer l'opinion publique et confondre dans une ruine commune la représentation nationale et tous les patriotes, comme auteurs de la disette des subsistances, tandis qu'il est prouvé qu'eux seuls, de concert avec leurs complices Ronsin et Mazuel, tenaient dans l'inaction la plus coupable une partie de l'armée révolutionnaire. L'on voit ces mêmes conjurés et leurs complices, Momoro, Ducroquet, Laboureau, Aucar et Bourgeois, leur proposer de porter une main parricide sur ce qu'il y a de plus sacré, sur les droits de l'homme, et les couvrir d'un voile funèbre. On les voit enfin dans tous les lieux publics et particuliers, avilir la représentation nationale en calomniant les patriotes les plus énergiques, oser même les qualifier d'hommes usés, propositions faites et suivies sous toutes les formes par l'aristocratie. On les voit enfin calomnier également et avec un acharnement criminel sous tous les rapports les membres des comités de Salut public et de Sûreté générale et se permettre en un mot de demander le renouvellement de la représentation nationale. Ne calculant que le désespoir où ils auraient conduit le peuple, et méconnaissant sa vertu supérieure à tous les dangers, ils formaient l'espoir sacrilège de lui faire demander l'esclavage. C'est à ce plan de conjuration qu'il faut attribuer les manoœuvres employées par Ducroquet, ses agents et ses complices, pour empêcher, par tous les genres d'oppression, les approvisionnements, soit en dépouillant les vendeurs, soit en arrachant des mains des acheteurs, soit en laissant corrompre partie, des denrées qu'il avait indûment saisi, soit en s'appropriant les autres.

Le système d'affamer Paris en écartant les approvisionnements de son enceinte, est suivi et exécuté par tous les complices dans le même temps, et des fonctionnaires publics font les défenses les plus sévères de laisser passer les provisions destinées pour Paris, des arrêtés pris par différentes communes, prononçant même des amendes contre quiconque apporterait des denrées à Paris, prouvent jusqu'à quel point les conjurés avaient porté l'excès des mesures qui pouvaient préparer et amener la crise effroyable qui devait reproduire le despotisme et la tyrannie.

L'on voit aussi que le projet de Ronsin et de ses complices était moins de faire servir l'armée révolutionnaire pour l'intérêt général de la République, que de la réserver pour l'exécution de leurs affreux complots. Si, comme le disait Ronsin lui-même, il parvenait à porter l'armée révolutionnaire à cent mille hommes au lieu de six, ce plan d'une force armée aussi considérable de la part de Ronsin et de ses complices, qui manifestait hautement le désir d'être un Cromwell, ne fût-ce que pour vingt quatre heures, démontre qu'il voulait, ainsi que tous les usurpateurs, fonder sa domination sur les armes et les crimes de tous les genres.

Aussi s'est-on aperçu bientôt des progrès rapides que faisait chaque jour ce système de disette factice imaginé par les conjurés pour arriver plus tôt à l'exécution de leur noir complot.

Les conjurés, suivant avec la plus active perversité le cours de leurs trames, en tiraient le parti le plus utile à leurs projets, tandis qu'ils aigrissaient le peuple sur ses besoins journaliers. Ils en attribuaient la cause à ses représentants contre lesquels ils dirigeaient leurs coups. Vincent n'a pas craint de déclarer qu'il se proposait d'habiller des mannequins en représentants du peuple, et qu'il les placerait dans les Tuileries en appelant le peuple autour de lui et en disant "Voyez les beaux représentants que vous avez ; ils vous prêchent la simplicité, et voilà comment ils se harnachent", projet qui tient évidemment au système d'avilissement de la représentation nationale formé par Vincent et ses complices selon les vues des despotes coalisés.

D'autres conjurés, les Desfieux, les Pereira, Proli, Lacombe, Anacharsis Cloots, Dubuisson, la femme Quétineau, Leclerc etc., préparaient aussi de leur côté, par l'avilissement de la représentation, sa dissolution, et ne craignaient pas de publier leurs projets assassins en désignant les représentants du peuple qu'ils se préposaient de faire tomber sous leurs coups meurtriers. Ces conjurés commençaient par jeter les brandons de la discorde entre les membres des deux sociétés populaires réunies jusqu'à ce jour pour écraser les traîtres et les despotes, et de là ils tentèrentles mémes manœuvres dans d'autres endroits soit publics, soit particuliers. Dans le moment où ces conjurés formaient le projet de la révolte criminelle contre la souveraineté du peuple et le gouvernement révolutionnaire, leurs émissaires se rëpandaient de toutes parts à Paris et dans les communes environnantes pour exciter par des placards incendiaires la rébellion envers la représentation nationale et les autorités constituées.

De tous côtés, des pamphlets, des écrits distribués dans les halles, marchés et autres endroits publics, provoquaient le peuple au retour de la tyrannie, dont le rétablissement était préparé par cette horde de conjurés, en demandant hautement l'ouverture des prisons pour renforcer le nombre de leurs complices, arriver plus promptement et plus sûrement au massacre des représentants du peuple. Déjà même tout indique que de nouveaux instruments de mort se préparaient.

À cette fin, de fausses patrouilles devaient égorger les citoyens de garde aux maisons d'arrêt. Le trésor public et la maison de la Monnaie devaient devenir la première proie des conjurés et de leurs complices.

Il est à remarquer que le moment ou cette conspiration a éclaté est celui où la Convention avait rendu un décret sévère entre les conspirateurs et assurait leurs biens aux malheureux. C'est ainsi que ces conspirateurs, dont les forfaits devaient surpasser ceux même des despotes coalisés contre le peuple français, se proposaient de rétablir la tyrannie et d'anéantir, s'il était jamais possible, la liberté qu'ils n'avaient paru défendre que pour l'assassiner plus sûrement.

D'après l'exposé ci-dessus, l'accusateur public a dressé la présente accusation contre Ronsin, Hébert, Momoro, Vincent, Laumur, Kock, Proli, Desfieux, Anacharsis Cloots, Pereira, la femme Quétineau, Armand, Ancor, Ducroquet, Leclerc, Mazuel, Laboureau, Dubuisson et Bourgeois, pour avoir conspiré contre la liberté du peuple français et la représentation nationale, pour avoir tenté de renverser le gouvernement républicain pour y substituer un pouvoir monarchique, pour avoir ourdi le complot d'ouvrir les prisons afin de livrer le peuple et la représentation nationale à la fureur des scélérats détenus, pour avoir coïncidé entre eux à la même époque dans les moyens et le but de détruire la représentation nationale, d'anéantir le gouvernement et livrer la république aux horreurs de la guerre civile et de la servitude, par la diffamation, par la révolte, par la corruption des mœurs, par le renversement des principes sociaux et par la famine qu'ils voulaient introduire dans Paris, pour avoir suivi un système de perfidie qui tendait à tourner contre le peuple et le régime républicain, les moyens par lesquels le peuple s'est affranchi de la tyrannie.

En conséquence, l'accusateur public requiert qu'il lui soit donné acte de la présente accusation, qu'il soit ordonné qu'à sa diligence et par un huissier du tribunal porteur de l'ordonnance à intervenir, les nommés Ronsin, Hébert, Momoro, Vincent, Laumur, Kock, Proli, DesHeux, Anacharsis Cloots, Pereira, la femme Quétineau, Armand, Ancor, Ducroquet, Leclerc, Mazuel, Bourgeois, Laboureau, Dubuisson et Decomble, actuellement détenus en la maison d'arrêt de la Conciergerie, seront écroués sur les registres d'icelle pour rester comme en maison de justice, comme aussi que l'ordonnance à intervenir sera notifiée tant à la municipalité de Paris qu'aux accusés.

Fait au cabinet de l'accusateur public, le trente ventôse l'an second de la République française une et indivisible [20 mars 1794]. »

V.2. Du 21 au 24 mars 1793, les débats du procès fait à Anacharsis Cloots, tels que relatés — romancés ? — par Georges Avenel

Le réquisitoire de l'accusateur public se trouve prolongé par trois jours de débats. Les accusés ne disposent pas d'avocats et ils n'ont pas le droit de prendre la parole, sinon pour répondre aux questions que les membres du jury leur posent.

En 1865, Georges Avenel, dans le deuxième volume de l'ouvrage qu'il consacre à Anacharsis Cloots, l'orateur du genre humain, évoque l'attitude qui a été, ou aurait été, celle d'Anacharsis Cloots lors de ces trois jours de débats. On ne sait d'où il tire certaines de ses informations, car il ne cite pas ses sources. Mais l'évocation est intéressante, dans la mesure où elle jette un jour enthousiaste, plutôt rare, sur la personnalité étonnante d'Anacharsis Cloots.

« Oui, c'était Anacharsis, qui n'avait rien perdu de son calme philosophique pendant ces trois jours d'agonie, en dépit des juges, des jurés, de l'accusateur, des témoins. Et pourtant il n'avait pas moins subi d'épreuves que les autres. À l'audience on l'avait amalgamé, lui neuvième, entre Desfieux et Pereira. Mais, en déclinant ses noms et qualités, il fit déjà sentir aux jurés comme il se distinguait bien de ses voisins les diplomates : "Anacharsis Cloots législateur", répondit-il à [René François] Dumas [président du Tribunal révolutionnaire], "né Clévois, en deçà du Rhin, et Parisien depuis vingt-sept ans". Il n'avait pas dit autrement dans la Jacobinière, le jour de son épuration. L'emprisonnement ne l'avait donc point amendé. C'était toujours l'incorrigible aspirant aux frontières naturelles de la Gaule, partant un agent de l'étranger. Dans l'acte d'accusation, Anacharsis n'avait pu trouver une seule ligne à son adresse. Aussi, en s'asseyant, s'était-il murmuré comme Desfieux : "Je voudrais bien savoir ce qu'on va dire contre moi". »

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De gauche à droite : Antoine Quentin Fouquier[-Tinville] (Herouël, Picardie, 1746-7 mai 1795, Paris, guillotiné), accusateur public ; René François Dumas (Jussey, Haute-Saône, 1753-28 juillet 1794, Paris, guillotiné), président du Tribunal.

« Mais l'attaque ne se fit pas attendre. Le témoin Dufourny lui porta le premier coup, rude choc qu'il n'avait su prévoir. Dufourny venait de déposer contre Ronsin, quand, par une réminiscence subite, il reprit la parole pour raconter, de la façon la plus bénigne, que Cloots, en compagnie d'Hérault [de Séchelles], avait fait auprès de lui, en septembre, une démarche dans l'intérêt d'une émigrée, la femme Cheminot (140). À ce nom tous les yeux des jurés se fixèrent sur la co-accusée de Cloots, la citoyenne Quétineau, et il se fit dans leur esprit un amalgame par consonnance. "Avez-vous pratiqué des manæuvres tendantes à séduire et corrompre le témoin, à extorquer un certificat ?" déclama le président de sa plus belle voix. "Je n'ai demandé aucune déclaration", répondit Anacharsis le plus simplement du monde, je n'ai rien fait de contraire à la loi et qui pût en la moindre chose compromettre les intérêts de la République !" Mais il avait beau dire, les jurés ne songeaient plus qu'aux deux noms Cheminot-Quétineau, dont la confusion pouvait excuser une des vingt condamnations qu'exigeait d'eux le Comité. »

N.d.R. On sait par le compte-rendu plus exact de l'attaque menée par Louis Pierre Dufourny (1739-1796) [ancien marchand de tissu, architecte et agent national du salpêtre] contre Anacharsis Cloots, compte-rendu publié par Philippe Joseph Benjamin Buchez et Pierre Célestin Roux-Lavergne dans leur Histoire parlementaire de la Révolution française (141), qu'à la question de Dufourny, Anacharsis Cloots a fourni la réponse suivante : « Je m'intéressais à la femme Cheminot, qui avait été forcée de faire un voyage en Angleterre pour y contracter une alliance avantageuse ; elle m'avait assuré n'être restée en Angleterre que le temps suffisant pour y terminer son mariage ; je ne la considérais pas comme émigrée, mais, dans tous les cas, j'invitais le citoyen Dufourny à examiner promptement cette affaire, et à me donner la certitude si cette femme était ou non portée sur la liste des émigrés ; mais je ne lui ai demandé aucune déclaration tendante à légitimer l'émigration de la femme Cheminot, dans le cas où elle eût été réelle ; rien là de contraire à la loi, et qui pût en la moindre chose compromettre les intérêts de la république. »

« Le lendemain Anacharsis, prenant toujours au sérieux tout ce jeu de justice, ne s'inquiéta nullement d'entendre le marchand bijoutier [Jean] Jacquemier présenter aux jurés les concerts de la prison comme des réunions de conspirateurs. — "Le sot conte !" Il convint avec le greffier de Saint-Lazare d'avoir embrassé Ronsin sous ses yeux ! Quel mal à cela ? Enfin il eut une exclamation de résurrection quand le ministre même de la République en Suède, un des agents de la politique étrangère du Comité, un partisan de la paix plâtrée, de la neutralité armée, etc., [Raymond] Verninac-Saint-Maur (1761-1822), vint hautement déclarer l'innocence du philosophe cosmopolite : "Tête exaltée", dit-il, "mais je ne lui ai jamais soupçonné de projets nuisibles à la République".

N.d.R. On sait par d'autres sources que « le marchand bijoutier Jacquemier », 27 ans, lui-même emprisonné avec Anacharsis Cloots, est un « mouton » chargé par le Comité de sûreté générale de fournir des renseignements sur ses co-détenus afin de nourrir auprès du Tribunal révolutionnaire le chef d'accusation qui est celui de la conspiration des prisons.

« Ah ! citoyens jurés, ce témoignage courageux à cette heure est d'autre poids que les suppositions du Phelippotin Dufourny. Aussi, tout heureux, Anacharsis se nourrissait encore, le troisième jour, de la parole tombée si bravement, si miraculeusement, des lèvres d'un diplomate, et les jurés assurément devaient en garder l'empreinte, car les témoins défilaient - déjà trente-six – sans rien plus dire du député de l'Oise [Anacharsis Cloots], quand maitre Fouquier lui-même, s'adressant brusquement au candide conspirateur : "N'as-tu pas entretenu une correspondance avec les généraux ennemis ?" À cette interpellation, Anacharsis se crut réveillé de son rève par la voix même de Robespierre. Il nie, tout ahuri. Mais l'accusateur lui oppose une déclaration dans laquelle on parle de trois lettres par lui écrites à Brunswick. - "Quelles déclarations ? quelles lettres ?" L'auteur de la déclaration soutient les avoir vues sur la table du général prussien Kalckreuth. — "Où les a-t-on vues ? Quand les a-t-on vues ? Pendant les pourparlers du siège de Mayence ? ou plutôt en 92, après Valmy ? Ne seraient-ce pas de simples signatures données par moi sur pièces comme président du comité diplomatique ? Et Kalkreuth n'aurait-il pas uniquement montré mon nom comme argument contre la paix plâtrée que les traîtres voulaient faire et qu'on veut faire encore ? Car que disaient ces lettres ? Où sont-elles ? Le nom de mon dénonciateur ?..." Et, sans se laisser distraire par les huées des muscadins ni par les rappels calculés de Dumas, Anacharsis allait toujours, tenant sous son doigt Fouquier qui ne soufflait plus. »

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De gauche à droite : Friedrich Adolf von Kalckreuth (Sotterhausen, 1737-1818, Berlin), feld-maréchal prussien ; Charles Guillaume Ferdinand de Brunswick-Wolfenbüttel (Wolfenbüttel, 1735-1805, Berlin), général et prince allemand.

N.d.R. On ne sait si Anacharsis Cloots parle vrai, quand, en réponse à la lecture d'une déclaration émanant d'un dénonciateur non nommé, il nie avoir entretenu aucune correspondance avec les généraux ennemis, Brunswick et Kalkreuth. Par leur véhémence, ses dénégations semblent sincères. On sait cependant qu'il a écrit plusieurs fois à Dumouriez et à Custine, les deux généraux français qui ont trahi la France au bénéfice des puissances coalisées.

« Mais une voix s'éleva des bancs des jurés : "Votre système de la république universelle était une perfidie profondément méditée et qui a donné un prétexte à la coalition des têtes couronnées contre la France". Anacharsis s'arrêta, regarda. Qui disait là le mot du procès ? [Léopold] Renaudin (1749-7 mai 1795, Paris, guillotiné) le luthier ! qui, au lendemain de la démission de Gobel, avait apparu si robespierriquement à Fabre [d'Églantine], à l'évêque et à Cloots lui-même.

Ah ! plus d'espoir ! Non seulement l'esprit du Myope agite la langue de Fouquier, mais il siége, mais il écoute, mais il juge. Anacharsis comprit enfin : l'idée parisienne-cosmopolite était condamnée ! L'Europe attendait !... Et il vit la mort. Et soudain il s'apaisa. Il eut même, miracle ! plus de sourire encore que dans son rêve d'acquittement ; car son aventure s'expliquait toute.

C'est pourquoi il répondit à Renaudin avec la douceur d'un enfant : "Citoyen, la république universelle est dans le système naturel. J'en ai donc pu parler, comme l'abbé de Saint-Pierre, au temps de la Régence, parlait de la paix universelle. Quant à me suspecter d'être le partisan des rois, par cela seul que je me suis déclaré l'ennemi de tous, vous n'oseriez !

C'est pourquoi aussi, les muscadins lui ayant alors crié aux oreilles : "Le Prussien à la guillotine !", le philosophe se retourna vers eux : "À la guillotine, soit ; mais vous m'avouerez, citoyens, qu'il sera bien extraordinaire que l'homme brûlable à Rome, pendable à Londres, rouable à Vienne, soit guillotiné à Paris, en pleine république".

C'est pourquoi enfin, dès qu'il se retrouva, le soir, dans la salle commune avec ses seuls camarades de guillotine, qui se bataillaient, hélas ! il les rappela, au nom de la mort, à la fraternité, et les amena tous à dormir leur dernière nuit sur la terre, comme il la dormit lui-même, dans le calme du Juste.

La dernière nuit ! Oui, c'était bien la dernière des enfants selon la Nature. En ce moment les politiques du pavillon de Flore ordonnaient à Fouquier, qui leur racontait sa journée, d'en finir avant vingt-quatre heures. »

Au matin du 24 mars, « le président Dumas demanda aux jurés s'ils étaient suffisamment instruits. Ils répondirent : "Non". Alors on produisit un témoin, un seul, mais à lui seul il valait les trente-neuf autres. Grâce à lui, le miracle attendu de l'amalgame le plus parfait s'opéra dans l'esprit des jurés. Le témoin ne parlait pas, il baragouinait : c'était un Allemand, un ci-devant officier de la légion germanique (142), — Ô mon pauvre Anacharsis ! — [Charles François Frédéric de] Haindel [lieutenant-colonel des piconniers], qui déposait contre Armand et madame Quétineau, baragouina les projets formés, l'été dernier, par le général Dillon : fausses patrouilles, enlèvement du petit Capet, l'Île Saint-Louis pour refuge, etc., en même temps qu'il disait les agitations muscadines, royalistes, phelippotines des derniers jours contre les Cordeliers. Et cela sans méthode, sans suite et naïvement, à l'allemande, avec bredouillement. Les jurés, à cet amphigouri, se crurent en droit de ne point distinguer non plus ; leur conviction naquit. »  (143),

V.3. Du 21 au 24 mars, débats du procès fait à Anacharsis Cloots, tels que consignés par René François Dumas, président du Tribunal révolutionnaire, dans le rapport lu par ses soins au club des Jacobins le 10 avril 1794 (144)

Audience du 21 mars 1794.
Second témoin : Louis Pierre Dufourny, âgé de cinquante-cinq ans, architecte avant la révolution, et actuellement agent pour les poudres et les salpêtres
« Cloots est convenu de sa démarche avec Hérault [de Séchelles] près de Dufourny et de Lulier, du dîner chez la femme Cheminot ; mais il a prétendu avoir seulement prié Dufourny et Lulier d'examiner les réclamations de cette femme, portées au Département, et très connues des citoyens Regnier et Aubry [autres témoins]. » (145)

Audience du 22 mars 1794.
Sixième témoin : Jean Jacquemier, âgé de 27 ans, bijoutier du faubourg Saint-Denis, détenu à la maison Saint-Lazare
« Desfieux, Pereira et Ronsin furent transférés à Saint-Lazare, où le témoin eut une conversation avec Cloots qui était dans cette maison d'arrêt ; cet accusé lui dit que Hérault avait donné tête baissée dans un complot ; que lui, Cloots, n'avait été arrêté que parce qu'il avait été nommé président des Jacobins, et qu'on craignait qu'il ne fût nommé président de la Convention : malheur à ceux, continua-t-il, qui ont trempé dans ce complot ; il ajouta que Ronsin avait été nommé à pour aller à l'armée, mais qu'il ne partirait qu'après avoir élargi les patriotes.
Lors de la seconde arrestation de Ronsin, Cloots dit qu'il fallait gagner du temps, que l'opinion publique changerait, et que les patriotes cesseraient d'être opprimés. » (146)

N.d.R. Concernant le témoignage de Jean Jacquemier à propos d'Anacharsis Cloots, Alexandre Tuetey (1842-1918), dans le tome 10 de son Répertoire général des sources manuscrites de l'histoire de Paris pendant la Révolution française, p. 572, en donne une version un peu différente de celle de René François Dumas dans son rapport du 10 avril 1794 :
« À Saint-Lazare, Anacharsis Cloots lui a dit que Robespierre l'avait fait arrêter, parce qu'il avait la confiance du peuple, qu'il avait été nommé président des Jacobins et qu'on craignait qu'il ne le fût de la Convention nationale ; que Robespierre avait donné tête baissée dans ce parti, mais que bientôt lui ne serait plus détenu ; malheur à ceux qui auraient trempé dans ce complot ; et il parla dans le même moment de Ronsin, disant qu'il était le patriote le plus pur ; dans la même conversation, Cloots ajoutait que Robespierre était souverain, mais que cela cesserait sous peu ; que sa maladie n'était qu'une chimère ; et que ceux qui l'avaient certifié ultra-révolutionnaire n'étaient que des ultra-Brissotins. »

« Déclare le témoin qu'à Saint-Lazare, on a voulu établir une société populaire dans la chambre de CLOOTS ; l'ouverture s'est faite par un concert [une concertation, un accord secret] auquel a assisté un certain chevalier Dejean [ami proche d'Anacharsis Cloots] ; et CLOOTS demanda à PEREIRA, DESFIEUX et autres, s'ils n'allaient pas conférer avec lui. » (147)

« Jean Baptiste Cloots, dit Anacharsis, avoue le fait du concert ; mais dit que, n'étant pas seul dans sa chambre, il n'a pas été le maître d'empêcher une chose qui plaisait à ses camarades ; qu'il leur a même demandé acte de sa protestation. » (148)

Neuvième témoin : Félix Thomas Ridon, greffier à Saint-Lazare
« Déclare que Ronsin et Manuel sont venus à cette maison ; sont entrés dans l'intérieur, et y ont conféré avec Desfieux, Cloots et Pereira. » (149)

Douzième témoin : Raymond [de] Verninac [Saint-Maur], ministre de la République en Suède
« Ajoute le témoin, qu'il a vu Cloots comme une tête exaltée, sans lui soupçonner des projets nuisibles à la République. » (150)

Audience du 23 mars 1794.

Trente-sixième témoin : Claude François Payan (1766-28 juillet 1794, Paris, guillotiné), juré au Tribunal révolutionnaire
« Cloots, interpellé par l'Accusateur public s'il n'a pas entretenu une correspondance avec les généraux ennemis, nie le fait ; l'Accusateur public lui oppose une déclaration dans laquelle on parle de trois lettres par lui écrites à Brunswick ; et que l'auteur de la déclaration soutient avoir lues ; l'accusé persiste à soutenir que c'est une calomnie. » (151)

N.d.R. Alexandre Tuetey (1842-1918), dans le volume 10 de son Répertoire général des sources manuscrites de l'histoire de Paris pendant la révolution française, p. 579, précise que la déclaration mentionnée ci-dessus émanait de Frédéric Wilhelm Gugenthal, « officier allemand déserté, franc républicain ». « Frédéric Wilhelm Gugenthal vint en 1793 comme adjudant auprès du général Kalgstein, et fournit plusieurs renseignements sur les positions des armées autrichienne et prussienne, successivement aux généraux Custine, Kellermann, Landremont, Scherer, et à la Convention nationale. Il fut blessé en cherchant à déserter et soigné dans les hôpitaux de Spire et Huningue, d'où il vint à Metz. Là, dans une lettre cachetée, il exprime le désir d'obtenir des représentants du peuple une lettre de recommandation qui lui permettrait de conférer en particulier avec le président de la Convention nationale, relativement à Anacharsis Cloots, qui a écrit au duc de Brunswick trois lettres, qu'il dit avoir vu de ses yeux chez le général Kalgstein [sic] [Jean Procope, comte de Hartman-Klarstein (1760-1850), feld-maréchal lieutenant, chambellan de l'Empereur et membre du conseil aulique suprême de guerre] ». Reçue à Metz le 7 mars 1794 et traduite par le citoyen Beer, la lettre de Frédéric Wilhelm Gugenthal se trouve conservée aux Archives nationales sous la cote W 77, n° 14.

« [Léopold] Renaudin, juré, observe, à l'accusé Cloots, que son système de République universelle était une perfidie profondément méditée ; et donnait un prétexte à la coalition des têtes couronnées contre la France. Cloots répond que la République universelle est dans le système naturel ; qu'il a pu en parler, comme l'abbé de Saint-Pierre, de la paix universelle ; qu'au surplus on ne peut le suspecter d'être un partisan des rois, et qu'il serait bien extraordinaire que l'homme brûlable à Rome, pendable à Londres, rouable à Vienne, fût guillotiné à Paris. » (152)

Audience du 24 mars 1794
Dernier témoin : Charles François Frédéric de Hainde, officier dans la légion germanique [Le 12 mai 1794, il demandera à Lazare Carnot un acompte sur ce qui lui est dû, afin de pouvoir subsister, se trouvant dans le plus grand dénuement. Il a remis ses pièces à Collot d'Herbois et elles se sont égarées ou ont été perdues au Comité de salut public ; il ne peut donc en fournir d'autres. Arch. nat., AF 11 307, 354a, pièce 33].
« Le Tribunal et le jury ayant pris séance, et les accusés amenés, le président a conformément à la loi demandé au jury s'il était suffisamment instruit, et sur la réponse négative, il a déclaré que les débats allaient continuer. L'ordre est donné à l'un des huissiers de service d'appeler un témoin ; est entré le citoyen Charles François Frédéric Whindel [sic] [de Haindel], ci-devant officier dans la légion Germanique. [...]. Il prête serment et dépose :

Que le vingt-un du mois de ventôse [11 mars 1794], l'accusé Armand est venu chez lui ; que là, il lui a fait part qu'il existait un complot pour assassiner la Convention et les bons patriotes ; que le moyen d'exécution consistait dans de fausses patrouilles, à l'aide du mot d'ordre, que l'on aurait par l'intermédiaire de plusieurs conjurés ; dans l'assassinat d'Henriot, et de son état-major, que l'on savait dîner habituellement au Luxembourg ; que l'on s'emparerait de la Monnaie, du poste du Pont-Neuf, de l'Arsenal, de la Maison Commune ; que l'on forcerait les prisons, et qu'ensuite l'on armerait ou égorgerait à choix les prisonniers ; qu'en cas de résistance, les conjurés se retireraient dans l'Île Saint-Louis, plus forte, par sa situation, que celle de Noirmoutiers, et s'y retrancheraient. Le même a ajouté qu'au moment de l'exécution, on couvrirait les murs d'un placard contre le Comité de salut public.

En ce moment l'Accusateur public a donné lecture de ce placard dont un exemplaire a été déposé à son cabinet.

Le témoin reprend sa déposition après cette lecture. [...]. Il a ajouté que l'on établirait un chef, mais point de roi, pour ne point inquiéter ou effaroucher les départements, que Barras et Beysser, détenus à l'Abbaye, étaient à la tête du complot ; que Beysser était muni d'armes ; qu'il manquait encore environ soixante paires de pistolets et des sabres ; que l'on devait se presser pour l'exécution du projet, d'une décade à l'autre, et avant que l'abondance renaisse à Paris. Etc. » (153)

« Le jury ayant déclaré qu'il était suffisamment instruit, le Président a, en conformité avec la loi, déclaré les débats fermés, et posé les questions suivantes :

1° Est-il constant qu'il a existé une conspiration contre la liberté et la sûreté du peuple français, tendante à troubler l'État par une guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres ; contre l'exercice de l'autorité légitime, par suite de laquelle, dans le courant de ventôse dernier, des conjurés devaient dissoudre la représentation nationale ; en assassiner les membres et les patriotes ; détruire le gouvernement républicain ; s'emparer de la souveraineté du peuple, et donner un tyran à l'État ?
2° Hébert, Ronsin, Vincent, Momoro, Ducroquet, Kock, Laumur, Bourgeois, Manuel, Ancard, Hubert-Leclerc, Pereira, la veuve Quétinot, Cloots, Desfieux, Descombes, Armand, Dubuisson, Proli et Laboureau, sont-ils convaincus d'être auteurs ou complices de ladite conspiration ? (154)

Le Président a donné l'ordre de faire retirer les accusés, et le jury s'est ensuite retiré dans la chambre pour délibérer.

Le jury rentré vers midi, et ayant pris séance, chaque membre a donné son opinion à haute voix. L'unanimité s'est réunie pour l'affirmation sur la première question, ainsi que sur les dix-neuf premiers accusés, déclarés auteurs ou complices de la conspiration. Neuf voix se sont réunies, pour la négative, en faveur de l'accusé Laboureau.

Le Président donne l'ordre d'amener ledit Laboureau ; il lui lit la déclaration du jury, prononce le jugement d'acquit, et lui adresse un discours succinct, dans lequel il lui rappelle le danger des liaisons ». [On a dit que Jean Baptiste Laboureau était un mouchard politique]. « Le public applaudit ; et l'acquitté passe successivement des bras du gendarme préposé à sa garde dans ceux du Président, des juges et des jurés qui lui donnent l'accolade fraternelle, ainsi que le témoin Brochet. Il s'assied ensuite à côté du Président, qui dit : la justice voit avec plaisir l'innocence s'asseoir à côté d'elle. » (155)

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A. V. Arnault, A. Jay, E. Jouy, J. Norvins, E.-F. Bazot, Biographie nouvelle des contemporains ou Dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes, soit en France, soit dans les pays étrangers, tome 10, Paris, à la librairie historique et des arts et métiers d'Émile Babeuf, 1823, p. 217.

Concernant les autres accusés, « L'Accusateur public conclut à la peine de mort, d'après l'article II de la seconde section du titre premier de la deuxième partie du code pénal, et encore d'après l'article V de la loi du 16 décembre 1792 (vieux style) dont il donne lecture. Il conclut encore à la confiscation des biens des condamnés, en conformité de l'article II de la loi du 10 mars 1793 (vieux style) dont il fait aussi lecture. [...].

Cloots en appelle au genre humain, et dit qu'il boira la ciguë avec volupté. Les juges opinent ; le président prononce ; les accusés veulent parler, leur voix est étouffée par les cris de vive la République. Les gendarmes les emmènent, et ils sont presque obligés de porter le Père Duchesne. » (156)

VI. Le 24 mars 1794, vue par Pierre Turbat, exécution de 18 des condamnés, dont Jacques René Hébert

Le 24 mars 1794, 18 des accusés du 21 mars sont conduits à la guillotine dans l'après-midi. Marianne Latreille, femme Quétineau [veuve de Pierre Quétineau, général républicain de l'armée des côtes de La Rochelle, guillotiné le 17 mars 1794], qui s'est déclarée enceinte, sera guillotinée le 11 mai 1794, après une fausse couche.

Le journaliste Pierre Turbat (1773-1845), qui a été témoin des exécutions du 24 mars 1794, rend compte du climat dans lequel sont morts Jacques René Hébert et les autres. La foule a été prévenue contre les condamnés par des émissaires du Comité de salut public. Pierre Turbat n'est certes pas, lui non plus, un sympathisant des Exagérés.

« Faible et pusillanime dans le cours de son interrogatoire, Hébert démentit cette audace constante qu'il avait montrée dans !a combinaison de ses forfaits. Convaincu du crime dont il est accusé tant par ses propres écrits que par des faits attestés par quantité de témoins, ce scélérat tremble à la vue du supplice qui l'attend. L'idée de sa mort prochaine avait tellement aliéné toutes les facultés de son cerveau qu'il n'a cessé de crier, dans la nuit qui a précédé son jugement, qu'on voulait égorger sa femme et le brûler lui-même tout vif. Le concierge a été obligé de le faire garder à vue jusque au jour, époque où sa frénésie l'a laissé dans un anéantissement presque total.

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« Il est bougrement en colère, le Père Duchesne ! », gravure anonyme, Paris, 1794.

Ce jour fut le dernier de sa vie criminelle. Après trois jours de débats, le 4 germinal à midi et demie, la justice nationale prononça la sentence de mort contre des hommes atroces et sanguinaires qui, enveloppés du patriotisme le plus exalté et du républicanisme le plus sévère, ruinaient sourdement les bases de la République pour la renverser, pour écraser ses défenseurs sous ses ruines, et nous donner un maître. Le jugement est prononcé au milieu des applaudissements universels ; Hébert en est atterré.

À peine l'arrêt de mort contre les conspirateurs est-il porté, que tout Paris retentit des cris de joie : Hébert est jugé ; le traître va périr ; à quatre heures de l'après-dîner il est conduit à l'échafaud avec dix-sept de ses complices ; un peuple immense bordait tous les endroits de son passage ; le mépris et l'indignation de tous les citoyens s'exprimaient par des sarcasmes les plus humiliants ; des détachements considérables de troupes escortaient les condamnés ; mais cette mesure de sûreté devenait inutile, puisque, s'il eût été nécessaire, le peuple eût conduit lui-même ces monstres à l'échafaud.

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« Père Duchesne, foutre », estampe anonyme, Paris, 1793.

Le Père Duchesne ne témoigna dans le trajet ni joie ni colère ; la lâcheté a paru être, jusqu'au dernier moment, l'apanage de ce scélérat. Des dix-huit condamnés présents, Hébert a été le dernier exécuté ; sa tête a été montrée au peuple, qui, voyant dans cet acte de justice le triomphe de la vertu et l'affermissement du gouvernement populaire, a fait éclater sa joie par les cris réitérés de vive la République. » (157)

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Jacques René Hébert, croqué par Dominique Vivant Denon, sur la charrette le conduisant à l'échafaud.

VII. Le 24 mars 1794, vue par Georges Avenel, exécution d'Anacharsis Cloots

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La charrette des suppliciés ou « la bière des vivants », gravure extraite de La démagogie en 1793 à Paris, ou Histoire, jour par jour, de l'année 1793 : accompagnée de documents contemporains, rares ou inédits / recueillis, mis en ordre et commentés par Charles Aimé Dauban (1820-1876), Paris, H. Plon, 1868. Derrière la charrette, qui passe rue Saint-Honoré, on aperçoit le portail du club des Jacobins — « la jacobinière », comme dit Georges Avenel.

« Ainsi s'avança, toujours sous l'orage, la première charrette, puis la deuxième, puis la dernière. A la dernière, la tempête redoublait encore : c'était l'Orateur du Genre humain, le prédicateur de la guerre universelle, le baron d'Anacharsis, Maratis-Cloots. Souriant, le philosophe fermait la procession qu'Hébert le journaliste ouvrait pleurant. — "Il sourit ? À mort le Prussien ! À mort le ci-devant ! À mort le millionnaire ! À mort le mouchard ! Le ci-devant, le millionnaire, l'aristocrate, le mouchard prussien, à la guillotine !"

Anacharsis avait cru qu'il sourirait jusqu'au bout. Toute une minute son sourire tint bon, mais, au prolongement de tant d'injures vomies à la fois, le sourire passa. Va-t-il pleurer comme l'autre ? Point. Il se penche, il veut parler. Parler ? Oui. La raison lui reste tant que lui restera la tête, et la parole tant qu'il aura sa langue. Le voilà donc, le fou, qui s'allonge en sage sur cette multitude affolée, et, de sa charrette, tribune fuyante, il demande la parole. Ce furent des rires !...

"Canaille", lui crièrent toutes les voix des fenêtres, "tu prêcheras ta république à la barre de Sanson !" C'étaient ses amis des anciens jours ; il les avait quittés pour aller à la sainte Montagne. En même temps, sous ses pieds, d'en bas monta comme une vapeur sanglante : "À la guillotine !..."

Cependant il parlait ; il montrait de la tête, car ses bras étaient liés, son corps entassé ; seule la tête, bien dégagée et pour cause, avait son jeu libre. De la tête il montrait Proli, Pereira, Desfieux, les diplomates, avec lesquels on l'avait couplé. Quelqu'un du Comité qui était là (car le Comité surveille, il est dehors, il suit les charrettes), quelqu'un des gouvernants entendit, crut comprendre : "Au nom de la terre, au nom de l'Humanité, ne me confondez pas dans votre souvenir avec ces hommes !... Point de paix plâtrée !..." Mais ses paroles allèrent se perdre dans un tourbillon de cris qui l'enveloppa avec violence. Comme son patron le Scythe Anacharsis, à la face de son tyran, Anacharsis le Sans-Culotte eût craché sa langue à ses chiens. Mais, fi donc ! Il se redressa, ses lèvres allant toujours, et bientôt le sourire lui revint, non plus aux lèvres, mais dans les yeux. C'est qu'il n'entendait plus ! c'est qu'il ne voyait plus ! c'est qu'il ne sentait plus ! Le dernier mugissement de ces masses chaotiques l'avait soudain rejeté en lui-même. Encore au monde, il n'était plus des hommes. Pour la première fois de sa vie, il se faisait seul, minute avant la mort. Sa volonté se dénoua. Ses lèvres parlèrent, mais sans voix. Sa raison, n'humanisant plus, naturalisa. Que disait-elle ?...

"Laissez-moi m'endormir sous la verte pelouse pour que je renaisse par la végétation !"

"La nature est une bonne mère qui se plaît à voir naître et renaître ses enfants sous des combinaisons différentes. Tout ce qu'elle renferme est éternel, impérissable comme elle ! Laissez-moi m'endormir !"

Et les charrettes s'arrêtaient, et l'on criait tous en mesure : "Ran plan, ran plan-plan. Ran plan, ran plan-plan. Tambour, un ran !" Et dans la rue, aux fenêtres, d'en haut, d'en bas, éclataient alors avec des rires : "drelin, drelin, drelin ! À la guillotine !" Et les charrettes s'ébranlaient de nouveau, se rouvraient passage.

Mais Anacharsis, toujours hors des hommes :

"Nous ne mourrons jamais, nous transmigrons éternellement dans la reproduction infinie de tous les êtres qui se réchauffent dans le sein de la nature et qui se nourrissent du lait de ses innombrables mamelles (158). Ensevelissez-moi !"

"Nous étions des plantes ambulantes, nous redevenons des plantes sédentaires ; nous avons pris racine dans le sein de la femme, nous reprendrons racine dans le sein de la terre. Ensevelissez-moi sous la verte pelouse pour que je renaisse par la végétation."

Cependant on psalmodiait encore à l'entour : Adieu, projets ! adieu, ma Jacqueline ! Innocemment j'ai voulu m'agrandir, Pour récompense, on va me raccourcir. J'ai cru régner... et l'on me guillotine. (159)

Alors on passait devant la jacobinière [rue Saint-Honoré]. Et, dans la première charrette, c'était Vincent qui disait à Hébert : “Hébert, c'est le moment ou jamais de descendre pour faire une motion."

Et, dans la dernière, c'était Anacharsis, méditant toujours :

Que m'importe la réminiscence ! Assez de peines comme cela. Laissez-moi m'endormir. Un profond sommeil ne laisse pas que d'avoir son mérite. Sous la pelouse !...

Or, comme l'âme du philosophe se parlait ainsi, arrive un vaste flot d'air pur qui le baigne tout entier. Est-il encore vivant ? N'est-il pas mort plutôt ? Il regarde. C'est l'espace, le ciel, des arbres, la nature, et devant lui la Liberté se dresse blanche comme la Minerve qu'il avait vue, dans son enfance, au milieu des jardins de Mailand : deux colombes dans les plis de son manteau. Au nom du ciel, cette fois, jouirait-il donc d'une autre vie, mêlée de reminiscences ?... »

N.d.R. Anacharsis Cloots se souvient ici d'avoir visité dans son enfance les jardins du château de Mailand, près de Wesel, et il se souvient sans doute aussi des jardins de son château natal de Gnadenthal, près de Clèves. Voltaire l'y avait précédé en 750, lors de son premier voyage à Berlin. Il se souvient lui-même de son séjour à Mailand dans une lettre adressée de Clèves, en juillet 1750, à sa nièce Madame Denis (160) :
« J'ai été à Clèves, comptant y trouver des relais que tous les bailliages fournissent, moyennant un ordre du roi de Prusse, à ceux qui vont philosopher à Sans-Souci auprès du Salomon du Nord, et à qui le roi accorde la faveur de voyager à ses dépens : mais l'ordre du roi de Prusse était resté à Wesel, entre les mains d'un homme qui l'a reçu, comme les Espagnols reçoivent les bulles des papes, avec le plus profond respect, et sans en faire aucun usage. Je me suis donc arrêté quelques jours dans le château de cette princesse que madame de La Fayette a rendue si fameuse. [...]. le pays semble fait pour des princesses de Clèves : c'est le plus beau lieu de la nature, et l'art a encore ajouté à sa situation. C'est une vue supérieure à celle de Meudon ; c'est un terrain planté comme les Champs-Élysées et le bois de Boulogne ; c'est une colline couverte d'allées d'arbres en pente douce. Un grand bassin reçoit les eaux de cette colline ; au milieu s'élève une statue de Minerve. L'eau de ce premier bassin est reçue dans un second, qui la renvoie à un troisième, et le bas de la colline est terminé par une cascade ménagée dans une vaste grotte en demi-cercle ; la cascade laisse tomber ses eaux dans u canal qui va arroser une vaste prairie, et se joindre à un bras du Rhin ». Ce château et ces jardins ont été ravagés pendant la Guerre de 7 ans.

« Ah ! qu'il écoute, hélas  !... Voix lointaines, puis plus proches, longues clameurs, cris sanglants; c'est à la terre qu'il revient, c'est le monde qui remonte à lui : il est encore esclave des hommes, encore en vie, aux Champs-Elysées, mais parisiens, place de la Révolution, près de l'échafaud, nuque découverte, attendant son tour. Et déjà le supplice commence ; la machine tranche, une tête a passé devant ses yeux... celle du bel Hollandais de Kock. Oui, le dernier agent des réfugiés bataves a eu le pas sur tous, pour la satisfaction des vieilles puissances.

"Mais que fait donc le Prussien ?" disait-on dans la foule étagée autour de la machine. Il ne bouge !" - "Il a demandé sans doute", fit un loustic, "à être exécuté le dernier pour constater encore ses principes philosophiques, en voyant tomber les têtes de ses camarades."

Anacharsis, en effet, était là, immobile dans le groupe des condamnés : à chaque minute un de moins. Fixe, le philosophe regardait les corps, les têtes, le sang : corps roulant, têtes tombant, sang jaillissant, ruisselant, coulant, tout un ruisseau. Alors son cæur s'arrêta. Son sang, à lui encore, courut chaud, clair, rapide, tout à sa tête, qui n'avait plus qu'un quart d'heure. Toutes les puissances de son être s'y concentrèrent. Toutes les cases du cerveau s'ouvrirent, pleines de lumière. Et dans son crâne, qui s'élargit comme un monde, ce fut un courant de vastes images, un délire ordonné de pensées, un flux de réflexions subites, une extase de raison, une synthèse, une évidence, la vérité, l'avenir ; il vit !... Jamais l'individu Cloots n'avait tant vécu que dans cette ivresse d'une minute, ivresse d'éternité. Il monta l'échafaud. Fier et droit, il se sentait sur les épaules tout un foyer de lumière intellectuelle. Le soleil se couchait, emplissant de tous ses rayons d'or la place de la Révolution (161). Sur cette place même il avait rêvé de voir — et ç'avait été son premier rêve — Voltaire, en symbole de l'humanité libre, pénétrer de son sourire la ville par excellence. Anacharsis sourit, puis sa tête, tournant sur son cou, s'abaissa à droite, s'abaissa à gauche, s'abaissa en avant. "Il salue la lunette", crièrent des voix. Il saluait la Liberté, pour laquelle il allait — pour laquelle le voici culbuté, raccourci, mort. Alors ce fut un délire. Les cannes se levèrent, les chapeaux s'agitèrent, les pieds trépignèrent, les mains bruissèrent, toutes les voix clamèrent : "Vive la République !" »

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La guillotine, gravure anonyme, 1794, Musée Carnavalet.

« Le lendemain on n'avait de cette fête gardé qu'un souvenir. En s'abordant, les muscadins allongeaient le cou, jouaient trois fois de la tête : c'était saluer à la prussienne. » (162)

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Les muscadins attaquent la salle des Jacobins le 9 novembre 1794, gravure signée Antoine Joseph Gaitte, in Musée de la Révolution, chez Perrotin, 1834 ; Musée Carnavalet.

VIII. En 1795, hommage d'Honoré Riouffé à Anacharsis Cloots

Honoré Riouffé (1764-1813), écrivain, lui aussi emprisonné, a côtoyé Anacharsis Cloots à Saint-Lazare. Dans ses Mémoires d'un détenu, il dédie à l'Orateur du genre humain ce beau témoignage :

« L'orateur du genre humain, l'ennemi personnel de Jésus-Christ, Cloots, est mort comme il avait vécu, mais avec un courage que je ne lui eusse jamais soupçonné. Il était avec la tourbe Hébert. Ces misérables se reprochaient leur mort. Cloots prit la parole, et, d'une voix haute, leur cita tout au long ces vers si connus :
"Je rêvais cette nuit que de mal consumé,
Côte à côte d'un gueux on m'avait inhumé."
L'apologue eut son effet, on redevint amis, et Cloots, qui se mourait de peur qu'un d'eux ne crût en Dieu, prit la parole et leur prêcha le matérialisme jusqu'au dernier soupir. » (163)

Honoré Riouffé ne cite que deux vers seulement du poème qu'Anacharsis Cloots, à l'heure de sa mort, récitait à ses compagnons d'infortune. Roland Mortier, dans L'utopie foudroyée, indique que ces trois vers font partie d'un dizain de Pierre Patry, publié d'abord en 1692 dans un Ramas de poésies vieilles et nouvelles, repris ensuite sous le titre Le Songe de monsieur Patry dans les anthologies destinées aux écoliers. Anacharsis a dû apprendre ce poème dans sa jeunesse, au collège du Plessis. En voici le texte exact et complet :

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Roland Mortier, Anacharsis Cloots ou l'utopie foudroyée, Paris, Stock, 1995, p. 482.

Le corps d'Anacharsis Cloots, né belgo-prussien, naturalisé français, tout comme les corps de son cousin Pierre Jean Berthold de Proli, né belgo-autrichien, de Jean Conrard de Kock, batave, de Jacob Pereira, « juif » né à Bayonne — la France de 1794 n'aimait plus les « étrangers » —, et tout comme les corps de Jacques René Hébert et des autres, est parti à la fosse commune. Les biens d'Anacharsis Cloots, comme ceux des autres condamnés, ont été saisis. On trouve à son domicile, rue Ménars, le 25 juin 1794 : « une paire de boutons de manchettes et deux petits anneaux de doigt pesant 2 gros 63 grains ; 7 couverts, 1 plat à barbe, une boite à savonnette et son couvercle, 7 boutons d'habit, une pièce de monnaie d'Allemagne, présumée valoir 10 livres ; une autre pièce de monnaie de Suisse d'une valeur de vingt sols ; de l'argenterie avec des pierres fausses, et une boucle de ceinture d'1 once, 2 gros, 48 grains » (164). Franciscus Johannes Adrianus Maria de Cloots, son frère, meurt en 1795 à Clèves. Ses terres de Crépy-en-Valois, dans l'Oise, sont revendiquées en 1796 par sa belle-sœur, née Van Dael. Georges Avenel prétend qu'Anacharsis Cloots a eu une fille, mais il n'en fournit aucune preuve : « Comment ! il était père ? — Oui, mais la femme et l'enfant n'appartiennent pas à l'histoire. De sa petite-fille seule on peut dire qu'elle jouait hier encore sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin. » (165)

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Les acteurs du théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1847, gravure d'Eustache Lorsay (1822-1871).

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130. « Une lettre d'Anacharsis Cloots, du 19 nivôse an II », publiée par Albert Soboul in Annales historiques de la Révolution française, année 1971, 203, pp. 145-148.

131. 24 janvier 1793. « Dubois-Crancé fait un rapport sur l'organisation générale des armées. [...]. Il indique le projet d'une descente en Angleterre, qui, sous le règne du despotisme ne fut jamais sérieusement préparé : mais dont le régime de la liberté garantit le succès. Il destine à cette entreprise quarante mille hommes d'embarquement. », in Recueil des œuvres de Maximilien Robespierre, et de pièces pour servir à son histoire, volume 3, Paris, De l'Imprimerie Patriotique et Républicaine, 1819, p. 357.

132. Texel est une île néerlandaise située en mer du Nord. Elle constitue une entité administrative de la province de Hollande-Septentrionale. Elle se trouve séparée du continent par le bras de mer du Marsdiep et la mer des Wadden. Cette île est la plus grande, la plus peuplée et la plus occidentale de l’archipel frison, qui s’étend jusqu’au Danemark.

133. « Anacharsis Cloots, né dans la Belgique et français depuis l'âge de onze ans, cultivateur à crépy, électeur de Paris, et appelé à la Convention nationale par sept départements, salut et fraternité aux membres du Comité de sûreté générale », in Anacharsis Cloots. Écrits révolutionnaires 1790-1794, Paris, Champ Libre, 1979, pp. 649-650.

134. Les Pythiques sont un recueil d'odes triomphales du poète grec Pindare, célébrant les vainqueurs des jeux pythiques qui se célébraient tous les quatre ans à Delphes en l'honneur d'Apollon.

135. « Anacharsis Cloots, victime, à son ami Vincent », in Anacharsis Cloots. Écrits révolutionnaires 1790-1794, Paris, Champ Libre, 1979, p. 651.

136. Ancien Testament, Livre de Josué 6,2-5.

137. Apocalypse 8,2 et 10,7.

138. Discours d’Hébert au Club des Jacobins le 21 juillet 1793, texte collationné par Jacques Guilhaumou, CNRS/UMR « Triangle. Action, discours, pensée politique et économique », ENS-LSH Lyon, in Révolution française. L'esprit des Lumières et de la Révolution.

139. Excipit d'une dernière lettre d'Anacharsis Cloots, datée du 1er mars 1794, in Anacharsis Cloots. Écrits révolutionnaires 1790-1794, Paris, Champ Libre, 1979, p. 652.

140. Cf. Christine Belcikowski, À propos de Mlle Coupée, alias Madame de Cheminot. Quand le lieutenant de la police des mœurs a du style.

141. Philippe Joseph Benjamin Buchez et Pierre Célestin Roux-Lavergne, Histoire parlementaire de la Révolution française, ou Journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu'en 1815, tome 31, p. 378 sqq.

142. La légion germanique, dite aussi légion Rosenthal, et le Comité des fédérés germains ont été créés en juillet 1792 à Paris, à l'initiative de Jean Geoffroy Saiflfert et d'Anacharsis Cloots, tous deux allemands. Ces créations sont approuvées toutes deux le 4 septembre 1792 par l'Assemblée nationale. La légion germanique accueille les déserteurs de l'empire germanique, prussiens, autrichiens, hessois, qui veulent combattre le despotisme. Au 1er mai 1793, elle compte 1492 hommes — son maximum. Le 12 juin 1795, le Comité de salut public décrète « que les officiers étrangers de la légion germanique sont assimilés aux autres citoyens français pour les prérogatives militaires et que le gouvernement français doit leur assurer la jouissance des avantages promis aux officiers français ». Cf. Arthur Chuquet, La Légion germanique (1792-1793), Paris, Librairie militaire R. Chapelot et Cie, 1904, chapitre X, p. 230.

143. Georges Avenel, Anacharsis Cloots, l'Orateur du genre humain, Paris, Champ Libre, 1979, deuxième partie, chapitre VI : La Sans-Culotterie, pp. 505-516 passim.

144. Procès instruit et jugé au tribunal révolutionnaire, contre Jacques-Réné Hébert et consorts, Paris, de l'imprimerie du Tribunal révolutionnaire, 1794.

145. Ibidem, p. 46.

146. Ibid., p. 68.

147. Ibid., p. 70.

148. Ibid., p. 71.

149. Ibid., p. 81.

150. Ibid., p. 85.

151. Ibid., p. 122.

152. Ibid., p. 123.

153. Ibid., p. 133.

154. Ibid., p. 137.

155. Ibid., p. 139.

156. Ibid., pp. 139-141.

157. Vie privée et politique de J.-R. Hébert, auteur du Père Duchêne, pour faire suite au Vies de Manuel, Pétion, Brissot et d'Orléans / par Pierre Turbat, Paris, Imprimerie de Franklin, 1794, p. 31 sqq.

158. Repris d'Anacharsis Cloots dans La République universelle, ou Adresse aux tyrannicides, p. 164 : « La nature vivifiante est si aimable ; tout ce qu'elle renferme est éternel, impérissable comme elle. La nature ne gagne rien et ne perd rien. Le grand tout est parfait, malgré les défauts apparens ou relatifs de ses modifications. Nous ne mourrons jamais ; nous transmigrerons éternellement dans la reproduction infinie de tous les êtres qui se réchauffent dans le sein de la nature, et qui se nourrissent du lait de ses innombrables mamelles. »

159. Chanson composée à partir d'une lettre de Jean Jacques Rousseau, adressée le 22 juillet 1761 à sa nourrice Jacqueline Danet : « Votre lettre, ma chère Jacqueline, est venue réjouir mon cœur dans un moment où je n'étois guère en état d'y répondre. Je saisis un temps de relâche pour vous remercier de votre souvenir, et de votre amitié, qui me sera toujours chère. Pour moi, je p'ai point cessé de penser à vous et de vous aimer. Souvent je me suis dit dans mes souffrances que si ma bonne Jacqueline n'eût pas tant pris de peine à me conserver étant petit, je n'aurois pas souffert tant de maux étant grand. Soyez persuadée que je ne cesserai jamais de prendre le plus tendre intérêt à votre santé et à votre bonheur, et que ce sera toujours un vrai plaisir pour moi de recevoir de vos nouvelles. Adieu, ma chère et bonne Jacqueline. Je ne vous parle pas de ma santé, pour ne pas vous affliger ; que le bon Dieu conserve la vôtre, et vous comble de tous les biens que vous désirez.
Votre pauvre Jean Jacques, qui vous embrasse de tout son coeur. » In Œuvres complètes de J.J. Rousseau, citoyen de Genève, Paris, A. Sautelet et Cie, 1826, p. 1435.

160. Voltaire, Oeuvres complètes, volume 2, Paris, Furne et Cie, 1846, p. 548.

161. Georges Avenel parle de la « place de l'Étoile ». Mais il s'agit au vrai de la place de la Révolution, renommée ensuite place de la Concorde.

162. Georges Avenel, Anacharsis Cloots, l'orateur du genre humain, tome 2, extrait du livre VI : « La Sans-Culotterie », Paris, Librairie Internationale, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, Éditeurs, 1865. On trouve en ligne une version numérisée de cet ouvrage, mais il s'agit d'une version corrompue. On se reportera donc à la réédition du même ouvrage parue en 1979 aux éditions Champ Libre, pp. 518-521.

163. Honoré Riouffé, Mémoires d'un détenu : pour servir à l'histoire de la tyrannie de Robespierre, Paris, et se trouve à Londres chez de Boffe, 1795, p. 76.

164. Archives nationales, F7/4649,n°691.

165. Georges Avenel, Anacharsis Cloots, l'Orateur du genre humain, Paris, Champ Libre, 1979, deuxième partie, chapitre VI : La Sans-Culotterie, p. 524.

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