À propos du carnet de Robespierre

Rédigé par Christine Belcikowski Aucun commentaire
Classé dans : Histoire Mots clés : aucun

robespierre_carnet17.jpg

Ci-dessus : 7 nivôse [an II] (27 décembre 1793), dix-septième et dernière page écrite du carnet de Robespierre, qui en comprend 42 :
« Dévoiler la double intrigue. Statuer sur Girard. Rapport sur le tribunal révolutionnaire. Accusateur public à m. Affaire de l'Orient. Panthéon pour le jeune hussard, pour Gasparin et Bayle. Rapport du décret en faveur des femmes des conspirateurs. »
Archives nationales. Papiers saisis chez Robespierre le 10 thermidor an II. Carnet de Robespierre. Cote : AE/II/1419/A. On trouve sur le site Gutenberg la meilleure édition numérique de ce carnet. Elle comprend, à la suite des notes de Robespierre, les commentaires d'Albert Mathiez : Reproduction, par les procédés héliographiques Motteroz, du Carnet de Robespierre.

Délaissé par Edme Bonaventure Courtois, qui n'en rapporte que cinq phrases (1) dans le deuxième volume des Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc. supprimés ou omis par Courtois. précédés du Rapport de ce député à la Convention Nationale, Genève, 1828, Megariotis Reprints, 1978, le cahier de Robespierre n'a fait l'objet d'une première édition que dans les années 1900 (2), par les procédés héliographiques de l'imprimeur Motteroz. Le titre de cette première édition, Reproduction, par les procédés héliographiques Motteroz (3), du Carnet de Robespierre trouvé sur lui au moment de son arrestatio‪n‬, est trompeur, car le carnet en question n'a pas été trouvé sur Robespierre au moment de son arrestation, mais après sa mort, dans le logement qu'il occupait chez le menuisier Maurice Duplay.

motteroz_mathiez.jpg

De gauche à droite : Jean-Claude Motteroz (1830-1909) ; Albert Mathiez (1874-1932).

Fondateur de la Société des études robespierristes en 1907 et des Annales révolutionnaires en 1908, Albert Mathiez dit dans son « Essai d'édition critique du carnet de Robespierre » l'intérêt que présente la lecture de ce carnet :

« Les actes du grand Comité de Salut public sont sans doute d'une magnifique éloquence dans leur sécheresse, mais d'une éloquence impersonnelle. Le carnet de Robespierre nous permet de saisir l'élément psychologique, l'élément humain qui s'y mêle. Grâce à lui, nous pouvons inscrire un nom, découvrir une volonté déterminée sous le manteau glorieux des décisions collectives. Robespierre nous fait entrer un moment, sinon dans la salle même des délibérations, du moins dans l'antichambre. Nous percevons le bruit des discussions, nous devinons l'écho des préoccupations, et de ce passé lointain une bouffée de vie monte jusqu'à nous. » (4)

Grâce aux notes rapidement saisies sur ledit carnet, on voit, remarque Albert Mathiez, « quelle fut l'attitude de Robespierre sur les principaux problèmes qui sollicitaient le gouvernement, de septembre à décembre 1793, pendant la période qui vit l'organisation de la Terreur, la levée en masse, le maximum, les fabrications de guerre, le premier effort de résistance à l'invasion, le procès des Girondins, la déchristianisation, les divisions de la Montagne, etc. ». Robespierre, lui-même, détaille ces problèmes comme suit :

robespierre_programme1.jpg

robespierre_programme2.jpg

robespierre_programme3.jpg

Note 61 :
« 4 points essentiels du gouvernement :
1° Subsistances et approvisionnemens
2° Guerre
3° Esprit public et conspirations
4° Diplomatie.
Tous les jours, il faut se demander dans quelle situation se trouvent ces quatre choses.
Subsistances et approvisionnemens. Ce chapitre se subdivise en deux parties :
1° Moïens de connoître, conserver et de répartir celles qui sont dans l'intérieur. Le second à en faire venir de l'extérieur.
Guerre. Comprend la fabrication des armes et des poudres, leur répartition, les plans de campagne, les choix des généraux et l'emploi des nouvelles levées.
Esprit public et conspirations. Contient les bons écrits, la répression des rebelles, l'organisation du tribunal révolutionnaire et toutes les mesures nécessaires pour punir les conspirateurs ; le tableau de la situation des diverses parties de la République ; la correspondance avec les autorités constituées, avec les sociétés populaires, avec les représentans du « peuple. Il faut surtout ici un travail méthodique, dont l'une des bases seroit le degré de civisme ou d'incivisme des divers départemens.
 »

I. Subsistances et approvisionnemens

Note 2 : « Formation des Comités et premièrement du Comité des marchés. »
Note 28 : « La taxe du tabac rompt nos relations commerciales avec l'Amérique.
 »

Note 29 : « Taxer les gros marchands en gros de manière que les débitants puissent vendre. »
Note 60 : « Subsistances, approvisionnemens à l'intérieur, à l'extérieur. »

I.1. Approvisionnements à l'intérieur

Après les mauvaises récoltes qui ont été cause de disettes dans les provinces en 1787 et 1788, malgré des récoltes meilleures en 1789, 1790, 1791 et 1792, la France continue en 1793 de souffrir d'une crise des subsistances (5). Liée à l'inégale fertilité des régions de France, à l'inégalité de leur peuplement, à l'inégalité des moyens de communication dont elles disposent, cette crise résulte alors principalement de l'inégalité des prix entre les régions. Le blé, qui valait vingt-quatre ou vingt-cinq livres le septier dans une région, était payé jusqu’à cinquante ou soixante livres dans une province voisine, et la lenteur autant que les frais énormes des transports, constituaient des obstacles invincibles au nivellement des cours ». Le peuple, de son côté, soupçonne les propriétaires et fermiers de spéculer sur les prix et réclame qu'on poursuive les « accapareurs », i.e. de ceux qui stockent leur blé ou autres substances, pour cause de dépréciation des assignats. Robespierre prescrit de « taxer les gros marchands en gros de manière que les débitants puissent vendre » (note 29).

Sur la question des subsistances, « la position de Robespierre n'est pas limpide », note Cécile Obligi dans Robespierre. La probité révoltante. « Il ne semble pas avoir une théorie construite, mais un certain nombre d'idées, en partie inspirées du XVIIIe siècle libéral, en partie forgées au cours de la Révolution. Héritier des principes libéraux du XVIIIe siècle, il est, comme l'écrasante majorité des députés de la Convention, très attaché aux libertés économiques et répugne à préconiser la contrainte dans ce domaine. [...]. Refusant farouchement que l'on réprime les émeutes de la faim, il peste contre les accapareurs et revendique pour le peuple le droit de ne pas mourir de faim quand les denrées sont bien là, thésaurisées par certains. Il n'est pas totalement à l'aise sur ce sujet, on sent qu'il tâtonne [...]. Il part de l'idée suivante : dans un pays où la production suffit à nourrir ses habitants, la disette ne s'explique pas par le manque de ressources, mais par "les mauvaises lois et la mauvaise administration" ; elle est donc "factice". Il est bien connu que la France produit en quantité suffisante de quoi nourrir les Français, il faut donc chercher où se trouve le dysfonctionnement. Il résume ainsi l'action de la Constituante en la matière :

"Des millions au ministre, dont il était défendu de lui demander compte, des primes qui tournaient au profit des sangsues du peuple, la liberté indéfinie du commerce, et des baïonnettes pour calmer les alarmes ou pour opprimer la faim, telle fut la politique vantée de nos premiers législateur." » (6)

Le 4 mai 1793, constatant que la crise des subsistances perdure, la Convention vote la loi du Maximum, qui institue le Maximum décroissant du prix des grains (7) et stipule que 1° Tout cultivateur doit déclarer la quantité de grains qu’il posséde ; 2° Que les ventes ne peuvent avoir lieu qu’au marché ; 3° Que les officiers municipaux peuvent faire des réquisitions chez les détenteurs de grains.

Puis, le 27 juillet 1793, la Convention vote la loi qui condamne à mort les accapareurs et appelle à les signaler par voie de dénonciation.

Enfin, le 29 septembre 1793, la Convention vote la loi du Maximum général, qui fixe également des maxima pour les prix de 39 articles (viande fraîche, viande salée, lard, beurre, huile douce, bétail, poisson salé, vin, eau-de-vie, vinaigre, cidre, bière, bois de chauffage, charbon, chandelle, huile à brûler, sel, soude, savon, potasse, sucre, miel, papier blanc, cuirs, fers, fonte, plomb, acier, cuivre, chanvre, lin, laines, étoffes de toile, matières premières nécessaires aux fabriques, sabots, souliers, colza, chou-rave et tabac) et qui bloque les salaires. La note 28, relative à la taxe du tabac, est probablement consécutive à la promulgation de cette loi du Maximum général.

De fait, ce Maximum ne s'applique guère ensuite qu'au blé. Il permet d'approvisionner en mauvais pain - effet du décret du 25 brumaire an II (15 novembre 1793) qui impose une seule et même espèce de pain dans toute la France — l'armée et les grandes villes, mais le recours à la réquisition contribue à un nouvel appauvrissement des campagnes.

Les Comités révolutionnaires et, à partir du 3 novembre 1793, les représentants en mission se trouvent chargés d'assurer lesdites réquisitions et la préhension des substances. Marc Antoine Alexis Giraud (1748-1821), membre du Comité de commerce et d'approvisionnement, rapporteur de la loi du Maximum à la Convention, dénoncera le 2 nivôse an III (22 décembre 1794), dans son Rapport et projet de décret sur la nécessité de rapporter la loi sur le Maximum, les effets néfastes de ladite loi :

« Les Comités révolutionnaires se constituèrent juges sans appel de l’application de cette loi. Le premier intrigant venu clabaudait à la tribune d’une société populaire contre les marchands, les boutiquiers, et les faisait incarcérer. Ceux qui n’étaient pas encore pris, se hâtaient, en vendant leurs marchandises, d’éviter la terrible accusation d’accaparement, et pour éviter qu’elle pesât sur eux, ils se gardèrent bien de remplacer les marchandises vendues. Les particuliers mêmes, dont le ménage était considérable, renoncèrent à des approvisionnemens qu’ils étaient habitués à faire ; ils vécurent au jour le jour, et augmentèrent le nombre des consommateurs journaliers, ce qui donna une cause de plus au surhaussement des prix. »

« Les résultats détestables produits par l’ingérence de l’Etat et de ses agens, par l’action des municipalités, et par les actes arbitraires des comités révolutionnaires, se trouvèrent encore aggravés par l’intervention des représentans du peuple en mission dans les départemens » (8). Nombre de ces représentants usèrent et abusèrent en effet des visites domiciliaires, de la surveillance des travaux des champs, de l’arrestation des chefs d’exploitation ou des ouvriers « pervers », etc.

I.2. Approvisionnements à l'extérieur

Dans le même temps, la France souffre des effets du blocus et de la prise de ses colonies par la Royal Navy. Robespierre, dans son carnet, s'inquiète des « subsistances, approvisionnemens à l'extérieur » (note 60). Le 4 octobre, le Comité de salut public ordonne au Conseil exécutif de lui présenter « les moyens les plus sûrs et les plus prompts de se procurer des grains à l'étranger », précise Albert Mathiez. Robespierre craint toutefois que la « taxe du tabac » (note 28) n'aggrave encore la difficulté des approvisionnements à l'extérieur, en entraînant la rupture des relations commerciales avec l'Amérique, et possiblement l'entrée en guerre des États-Unis.

II. Guerre

Note 61 : « Guerre. Comprend la fabrication des armes et des poudres, leur répartition, les plans de campagne, les choix des généraux et l'emploi des nouvelles levées. »

Le souci de la guerre suscite, sans surprise, abondance de notes dans le carnet de Robespierre. Bien qu'en 1792 Robespierre se soit déclaré opposé à tout projet de guerre, la Convention girondine a voulu la guerre, et, en 1793, il s'agit désormais d'y faire face. Menacés d'invasion par la Coalition (Angleterre, Espagne, États pontificaux, Naples, duchés de Parme et Modène, Toscane, Portugal, Prusse, Autriche-Hongrie), les Français doivent en septembre 1793 se battre aux frontières du Nord et de l'Est (note 55), du Sud-Est et des Pyrénées (« l' », note 88). Robespierre évoque par exemple les « besoins pressans de l'armée de la Moselle et du Rhin » (note 30). Les troupes françaises doivent également se battre en « Vendée » (note 22) et réprimer diverses dissidences, dont celle de la « Lozère » (note 56), ou encore celle des villes de « Bordeaux, Lyon et Toulon » (Note 24).

II.1. Levée en masse

D'où le recours à la levée en masse, décrétée le 24 février 1793 concernant les célibataires ou veufs de 18 à 25 ans, puis le 23 août 1793 concernant la tranche d'âge de 25 à 30 ans. Chaque département doit fournir des volontaires, complétés par des hommes requis par désignation ou par tirage au sort. Cette levée fournit 500.000 hommes en juillet 1793, 732.000 en septembre, et 804.000 en décembre, répartis en 15 armées. Mais elle suscite aussi des émeutes et des insurrections, et elle constitue à ce titre l'une des causes de la guerre de Vendée.

Telle levée de troupes ne va pas sans requérir l'usage de fonds importants, soumis au contrôle du trésorier-payeur des armées. À propos des « besoins pressans de l'armée de la Moselle et du Rhin », Robespierre note qu'il faut interpeller le payeur « [Miquel] Jubinal de Lure » (note 30) (9). Telle levée de troupes exige également la fabrication ou la récupération de l'armement nécessaire. Or Robespierre observe que les armes manquent ou disparaissent, et qu'en matière de fabrication, leur qualité laisse à désirer : « Le bronser est une manière de cacher les défauts des armes, les ouvriers patriotes dénoncent cet abus contre les intrigans » (note 68), i.e. contre les marchands d'armes peu scrupuleux. Suspecté de ce type d'intrigue, détenu depuis quelque temps à la maison d'arrêt de la section de Popincourt, l'administrateur des armes [Jean] Julien [dit Julien de Toulouse), député de la Haute-Garonne, sera libéré toutefois le 16 frimaire (6 décembre 1793) suite à un arrêté signé de la main de Robespierre même (note 77). Concernant la récupération des armes déjà existantes, Robespierre note encore qu'il faut « forcer les villes ci-devant rebelles par la terreur à retrouver les armes qu'elles ont cachées » (note 51) — « armes de Bordeaux, de Marseille, de Lyon » (note 68) — et tenir scrupuleusement à jour « l'inventaire » du stock ainsi constitué (note 54).

II.2. Nomination ou destitution des généraux, envoi et rappel des commissaires

De l'ensemble des notes consacrées par Robespierre à la guerre, il ressort qu'en tant que membre du Comité de salut public, et en accord avec au moins deux autres membres dudit Comité, Robespierre prescrit à Jean Baptiste Bouchotte, nommé ministre de la Guerre depuis le 4 avril 1793, la nomination ou la destitution des divers généraux ; qu'il s'enquiert des plans mis en œuvre par lesdits généraux : « La Mozelle. Victoire manquée parce que cette armée, qui a un bon général en chef, n'a point de généraux de division » (note 82) ; qu'il veille à « prévenir la division » (note 66) entre ces généraux ; et qu'il nomme, mande ou rappelle, au gré des circonstances, les commissaires — « deux par chaque armée » (note 63) - chargés de suivre et de contrôler la marche de la guerre. « Il faut en mettre un fort avec un patriote plus faible. Il faut les renouveler ou les changer assez fréquemment. Il faut à tous une instruction générale. Il faut une correspondance active dirigée par le même principe et adaptée aux localités. »

dentzel_etc.jpg

De gauche à droite : Georges Frédéric Dentzel (1755-1828) ; Edmond Louis Alexis Dubois-Crancé (1747-1814) ; Antoine François Gauthier des Orcières (1752-1838).

Il arrive que parmi les commissaires, certains ne fassent pas montre d'un comportement suffisamment « vertueux », ni de la bonne mesure ni de la juste intelligence de la situation. Robespierre relève ainsi les noms d'Élie Lacoste, député de la Dordogne, membre du Comité de sûreté générale, et de [Jean Pascal Charles de] Peyssard, député de la Dordogne lui aussi, représentant en mission à l'armée du Nord, qui ont fait arrêter à tort le général Declaye [cf. infra]. Il relève aussi le nom de Georges Frédéric Dentzel, député du Bas-Rhin, enfermé dans Landau assiégé, et le nom de Belin, qu'on lui désigne comme suspects pour avoir réclamé à tort la destitution du général [Antoine Guillaume Muralhac Delmas, dit Antoine Guillaume] Delmas : « Dentzel, Belin, traîtres à dénoncer enfin » (note 19). Il fait allusion à Edmond Louis Alexis Dubois-Crancé et à [Antoine François Gauthier des Orcières, dit] Gauthier, qui, envoyés en mission à Lyon auprès de Fouché et de Collot d'Herbois, ont fait montre de faiblesse dans les opérations du siège et qui, rappelés le 6 octobre 1793, seront remplacés le 30 octobre par [Louis Marie Bon de Montaut, dit Maribon de] Montaut (notes 17 et 18). Un peu plus tard, en rapport avec sa note 14 : « Alsace vendue », Robespierre note qu'il faut « rappeler tous les commissaires du Rhin et de la Mozelle » (note 45) et « rappeler aussi les mauvais commissaires aux chevaux, et surtout Boursault » (note 46). Nommé le 8 octobre 1793, Jean-François Boursault dit Boursault-Malherbe, député de la Seine, ancien acteur et directeur de théâtre, est accusé le 27 novembre de « vivre avec opulence, alors qu'il est en état de faillite ».

Robespierre relève également dans son carnet, puis raye, le nom d'André Antoine Bernard.

bernard.jpg

Portrait d'André Antoine Bernard (1751-1818) par Jacques Louis David. The J. Paul Getty Museum.

L'appel de Robespierre à l'accusateur public pour Bernard n'a finalement pas lieu, puisque le nom de Bernard se trouve barré. Robespierre s'est ici ravisé. D'où vient cependant qu'il ait songé à Bernard ? Outre qu'il rangeait ledit Bernard dans la « détestable » catégorie des Exagérés, Robespierre, alerté par Augustin Robespierre, son frère, le soupçonnait de prévarication dans l'exercice de sa fonction d'envoyé en mission.

André Antoine Bernard (Corme-Royal, Charente-Maritime, 21 juin 1751-19 octobre 1818, Funchal, Portugal), dit Bernard de Saintes, puis Bernard de Xantes, puis Pioche Fer Bernard, est député de la Charente-Inférieure à la Convention où il siège dans les rangs de la Montagne et où il vote la mort de Louis XVI. Membre du Comité de sûreté générale, il est envoyé en mission dans le Jura, puis dans la Côte-d'Or. En octobre 1793, après la prise de la principauté de Montbéliard par les armées françaises, Bernard de Saintes impose la population de 400.000 livres. Dans le même temps, il organise le département de Mont-Terrible, ancienne propriété de l'évêché de Bâle réunie à la France le 23 mars précédent. À Dijon, il fait arrêter et traduire devant le tribunal révolutionnaire, entre autres « scélérats royalistes », le président du Parlement de Bourgogne, Jean Vivant Micault de Corbeton, dont il se hâte d'occuper l'hôtel particulier, saisi le 24 brumaire an II (14 novembre 1793). « Mon coup d'essai a été de prendre gîte dans la maison du Crésus Micault, président du Parlement, et j'ai eu assez bon nez : car, outre que la cave est meublée de très bon vin, c'est qu'il s'y est trouvé quelques petites armoiries qui m'ont mis dans le cas de faire confisquer au profit de la nation ce superbe hôtel, bien plus richement meublé que le château de Montbéliard. J'ai donc fait une bonne capture... » (10). Bien qu'il ait quitté la France en 1789 par crainte d’être arrêté, Jean Vivant Micault de Corbeton y est rentré en 1792 pour éviter la confiscation de ses biens et il a fourni les certificats de résidence nécessaires. Or, bien que Jules François Paré, alors ministre de l'Intérieur, proche des Indulgents, soit intervenu en sa faveur, il est condamné pour émigration, et lui, ainsi que son fils, son frère et son gendre, seront guillotinés à Dijon le 17 mars 1794. Après la mort de Robespierre, les six sections révolutionnaires de Dijon enverront à la Convention nationale une dénonciation dans laquelle elles accusent Pioche Fer Bernard d'avoir forcé la condamnation de Jean Vivant Micault de Corbeton et d'avoir pillé sa maison avant de l'envoyer à l'échafaud.

Et, comme les petites causes peuvent fournir l'exemple des plus grandes, Robespierre relève encore le nom de Justin Laurent, commissaire des guerres, qui, chargé de mettre fin à un soulèvement dans la région de Senlis, se trouve accusé d'avoir fait arrêter à tort le citoyen Le Meignan (note 51).

II.3. Courrier

On remarque que Robespierre se trouve gêné dans le suivi de la guerre aux frontières par les retards fréquents des trente courriers qui sont attachés au Comité de salut public. D'où la note 60 : « Demander à [Étienne Anatole Gédéon] Jarri [alors adjudant-général chef de bataillon à l'armée du Nord] son projet d'organisation des courriers et les noms des courriers sûrs, soit à la guerre, soit au Comité de Salut public ». D'où aussi la note 65 : « Envoier au Rhin un nouveau courrier porteur des dépêches de Saint-Just, avec une lettre à celui-ci : "Comme nous avons quelqu'inquiétude sur le courrier bavard que vous nous avez envoié et qui est reparti avec nos dépêches, nous vous envoions la lettre ci-jointe par un second courrier, afin qu'elle vous parvienne plus sûrement ». D'où encore la note 67 : « Organisation nécessaire des courriers. Deux venant de Strasbourg ont été rencontrés voiageant tranquillement en cabriolet. Point de courriers en avant. Désorganisation effraïante des postes. Nommer des inspecteurs patriotes pour les courriers. Tout courrier rapportera au Comité un reçu de ses dépêches. Il sera tenu de se présenter au Comité au moment de son arrivée. »

II.4. Du sort de quelques généraux et de quelques affaires

II.4.1. Nicolas Declaye

Né à Liège, Belgique, entré en service en 1774 comme volontaire au régiment de Berwick, régiment d'infanterie irlandais au service du Royaume de France, devenu sous la Révolution le 88e régiment d'infanterie de ligne, Nicolas Declaye (1758-1805) est promu général de brigade le 30 juillet 1793 et nommé commandant de la place de Cambrai. Accusé de trahison par Élie Lacoste, membre du Comité de sûreté générale, et [Jean Pascal Charles de] Peyssard, tous deux députés de la Dordogne et représentants en mission à l'armée du Nord, pour une sortie malheureuse ordonnée entre Apres et Avesnes-le-Sec, il est arrêté le 15 septembre 1793 à Cambrai et remplacé par le général Chapuy. Robespierre, qui note alors dans son carnet « Écrire sur Declaie » (note 8), aide ledit Declaie à se justifier auprès du Comité de salut public. Nicolas Declaye est nommé commandant temporaire de la place de Lyon le 9 brumaire an II (30 octobre 1793), puis général de division le 13 ventôse an II (3 mars 1794), puis commandant d’armes au Mont-Cenis en prairial an II (juin 1794).

II.4.2. Jean Louis Dumas

Au début du mois de septembre 1793, Robespierre prescrivait la nomination de Jean Louis Dumas, chef de brigade du bataillon des Vosges, à la Vendée, lequel Jean Louis Dumas sera tué le 22 septembre 1793 au combat de Clisson et nommé post mortem, le 29 octobre 1793, au grade de général de brigade. À cette date, Robespierre note simplement : Dumas, chef de brigade du bataillon des Vosges à la Vendée » (note 44). Il vient d'apprendre seulement alors que Jean Louis Dumas est mort depuis le 22 septembre et que sa nomination au grade de général de brigade se trouve désormais nulle et non avenue.

II.4.3. Dugommier

dugommier.jpg

Portrait de Jacques Cristophe Coquille, dit Dugommier, né le 1er août 1738 à Trois-Rivières, Guadeloupe, mort le 18 novembre 1794 lors de la bataille de la Sierra Negra, maréchal de camp d'état-major en 1792, par François Bouchot (1800–1842).

En septembre 1793, Robespierre prescrit l'envoi de [Jacques François Coquille dit] « Dugommier, général de brigade à l'armée d'Italie » (note 62), au siège de Toulon lequel Dugommier, avec Bonaparte, reprendra la ville de Toulon aux Anglais le 19 décembre 1793.

II.4.4. Carnot

carnot.jpg

Portrait de Lazare Nicolas Marguerite Carnot par H. Rousseau, dessinateur, et E. Thomas, graveur, in Album du centenaire. Grands hommes et grands faits de la Révolution française (1789-1804), Paris, Furne, Jouvet & Cie, éditeurs, 1889.

En septembre et octobre 1793 Robespierre prescrit à deux reprises le « départ de [Lazare Nicolas Marguerite] Carnot pour l'armée ». Envoyé comme inspecteur à l'armée du Nord, Carnot destitue le 16 octobre 1793 le général [Pierre Guillaume] Gratien, accusé d'avoir reculé sur le champ de bataille ; il se met lui-même à la tête des colonnes françaises et contribue ainsi, le même jour, à la victoire de Wattignies, près de Lille, aux côtés du général Jourdan.

II.4.5. Charles de Hesse Rheinfels-Rotenbourg

Robespierre note par ailleurs que le général de division « [Charles de] Hesse [Rheinfels-Rotenbourg] à Orléans, est à destituer » (note 14). « Le ci-devant prince allemand Charles de Hesse (1752-1821) fut relevé de son commandement à Orléans, le 13 octobre 1793. Robespierre se défiait des étrangers et surtout de ceux qui affectaient un patriotisme exagéré, comme c'était le cas de Hesse », remarque Albert Mathiez. Après sa destitution, Charles de Hesse, qui est membre du club des Jacobins, tente de s'y rendre pour y réclamer de quoi vivre, mais il s'y trouve éconduit en raison de son titre de prince. Il est emprisonné alors au Luxembourg, puis transféré le 15 mai 1794 à Saint-Lazare, d'où il ressortira le 11 janvier 1795. Il sera réformé le 13 juin suivant, et admis à la retraite le 5 janvier 1796.

II.4.6. Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie, dit le général Dumas

dumas_general.jpg

Portrait de Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie, dit le général Dumas, né le 25 mars 1762 à Jérémie, Saint-Domingue, mort le 26 février 1806 à Villers-Cotterêts, Aisne. Auteur anonyme. Source : Fredrick Douglass National Historic Site, Washington, U.S.A.

Robespierre note qu'il faut « réintégrer [Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie, dit le général] Dumas et les autres officiers nommés par le gouvernement » (note 67) en septembre 1793 au commandement de l'armée des Pyrénées occidentales et récusés par les représentants à cette même armée, qui préfèrent maintenir au commandement en chef le général Muller, nommé par leurs soins. Le 12 brumaire (2 novembre 1793), le Comité arrête que les états-majors des armées des Pyrénées orientales et occidentales seront épurés. Robespierre le signale pour mémoire ainsi : « Affaire de l'Orient » (note 88). Le général Dumas ne prendra toutefois jamais le commandement susdit, car il sera nommé en décembre 1793 commandant en chef de l'armée des Alpes. Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie est par ailleurs le père du grand Alexandre Dumas.

II.4.7. Jean Baptiste Jourdan et Jean Augustin Ernouf

jourdan_ernouf.jpg

De gauche à droite : portrait de Jean Baptiste Jourdan (1762-1833) par Eugène Charpentier (1811-1890) d'après Joseph Marie Vien (1716–1809), château de Versailles ; portrait de Jean Augustin Ernouf (1753-1827) in Collection complète des portraits des Grands-Aigles et des Grands-Officiers de la Légion d Honneur, Meyer, Éditeur scientifique, 1810.

Robespierre note que, dans la guerre du Nord, en septembre 1793, « [Jean Baptiste] Jourdan et [Jean Augustin] Ernouf sont rendus suspects par leur inaction et leur correspondance », alors que le Comité de salut public souhaite qu'ils engagent une nouvelle offensive sur Dunkerque. Peu soucieux de mener en hiver, par de mauvais chemins, une troupe principalement composée de nouvelles recrues, la plupart sans armes ni habits, le général de division Jourdan se trouve alors destitué et bientôt remplacé à la tête de l'armée du Nord par Jean Charles Pichegru. Suspendu pour motif d’incivisme, le chef-d'état-major Ernouf partage jusqu'à Thermidor la disgrâce de son général.

II.4.8. Simon Camille Dufresse

dufresse.jpg

Portrait du général baron Simon Camille Dufresse (1762-1833), auteur anonyme, Musée du Nouveau Monde, La Rochelle.

En novembre 1793, Robespierre note sans autre précision, mais probablement avec inquiétude, le nom du « général Cordelier »(note 52). Élevé au grade de général de brigade le 3 septembre 1793, puis au grade de général de division le 1er octobre et affecté à l'armée des Ardennes, Étienne Jean François Cordelier-Delanoüe participe à la bataille victorieuse de Wattignies, puis passe en novembre à l'armée de l'Ouest. Il se livre là d'emblée à des violences qui annoncent les atrocités bientôt commises par la neuvième colonne infernale. En décembre 1793 déjà, Robespierre note qu'en « Vendée, tout est à changer » (note 82). Suspendu le 13 mai 1794, poursuivi et emprisonné, le général Cordelier sera aministié et relevé de sa suspension le 19 juillet 1795, mais sans réintégration.

Robespierre note que « [Simon Camille] Dufresse (80) et l'armée révolutionnaire sont inquiétans ». E. Leleu, dans « Le général Dufresse et l'armée révolulionnaire du Nord » (11), éclaire la raison de cette inquiétude :

En juillet 1793, Simon Camille Dufresse, anciennement comédien au Théâtre Montensier, est lieutenant-colonel, et remplace à Lille comme commandant temporaire de la place, le général Louis Jean Baptiste de Lavalette dont il est l'ami. Lavalette est alors en lutte ouverte avec le général La Marlière, commandant de l'armée du Nord, qu'il fait accuser de trahison. Les commissaires de la Convention à Lille, Gaspard Jean Joseph Lesage-Senault, et Pierre Joseph Duhem, tous deux députés de Lille, voulant mettre fin à ces luttes intestines, et peut-être aussi par jalousie de voir l'influence politique que Lavalette et Dufresse prennent à Lille, les suspendent tous deux de leurs fonctions et les envoient au Comité de Salut public de la Convention, pour y être jugés. À la Convention, Robespierre attaque violemment La Marlière et prend la défense de Lavalette et de Dufresse. La Marlière est guillotiné le 27 novembre 1793 [cf. infra] ; les deux autres renvoyés à Lille où ils reprennent triomphalement leurs fonctions le 3 août 1793. Tous deux résolvent de se venger des deux députés de Lille en s'emparant de la direction de la Société populaire. Le 15 septembre, Dufresse est reçu sociétaire par le club lillois, qui l'élève à la présidence le mois suivant. Lavalette se fait également affilier. La période de la Terreur commence à Lille. »

Le 13 brumaire, an II (3 novembre 1793), les commissaires de la Convention à Lille, Jacques Isoré et Pierre Jacques Chasles, arrêtent « qu'il y aura, dans le département du Nord, une armée révolutionnaire commandée par le citoyen Dufresse », élevé pour l'occasion au rang de général de brigade. Cette armée, qui vise à « inspirer la terreur aux prêtres, aux aristocrates et aux modérés » dans tout le département, et que certains tiennent pour « une troupe de brigands », suscite rapidement bien des plaintes, spécialement à Douai, à Bergues et à Dunkerque, où elle manque d'entrer en conflit avec les troupes de ligne. Le 14 frimaire (4 décembre 1793), elle est dissoute par ordre de la Convention. Immédiatement dépêchés à Lille, les commissaires Nicolas Hentz et Florent Guyot ordonnent l'arrestation de Lavalette et de Dufresse, et les envoient à Paris. Bientôt acquittés par le Tribunal révolutionnaire et maintenus dans leur grade de généraux de brigade, ils seront tous deux déplacés, Lavalette dans la garde nationale de Paris, et Dufresse à l'armée des côtes de Brest. Lavalette sera guillotiné le 10 thermidor en même temps que Robespierre ; Dufresse, qui dit alors « avoir été dupe de Robespierre » et qui sera poursuivi plusieurs fois encore, continuera de mener sa carrière aux armées des Alpes, d'Italie, de Naples, et il sera finalement nommé baron.

II.4.9. Calendini et le général La Marlière

En rapport avec la lutte qui oppose en 1793 à Lille le général Lavalette et le général La Marlière, Robespierre note qu'il faut « envoier [Maurice] Duplay près de Calendini » (note 68). Le Lieutenant-Colonel Herlaut évoque longuement cette affaire dans deux articles de la Revue du Nord :

« Le 10 juin 1793, était arrivé à Lille, pour faire fonction d'adjudant de place, un membre du club des Jacobins de Paris, un ami personnel de Robespierre qu'il avait connu autrefois à Arras : le capitaine Calendini. Il était placé sous les ordres directs de Dufresse et de Lavalette ; ardent sans-culotte comme eux, il se convainquit rapidement des sentiments contre-révolutionnaires de La Marlière et le dénonça à la Société populaire de Lille et au club des Jacobins de Paris. [...]. L'entourage contre-révolutionnaire de La Marlière, peut-être La Marlière lui-même, répandit alors le bruit que Calendini était payé par Pitt et Cobourg, et qu'il n'était pas citoyen français, mais italien ou espagnol. » (12)

Jusqu'au 31 juillet 1793, Calendini souffre d'être présenté ainsi par La Marlière auprès de la Société populaire de Lille, puis auprès du club des Jacobins, et finalement auprès du Comité de salut public. Jean Baptiste Bouchotte, ministre de la guerre, hésite à défendre la cause de Calandini, ainsi que celle des généraux Lavalette et Dufresse contre celle du général La Marlière, car La Marlière dispose au Comité de guerre du puissant soutien du commissaire Thomas Augustin de Gasparin. Mais le 31 juillet, grâce aux renseignements fournis à Robespierre par Lavalette et Calendini, Jean-Bon Saint-André, qui remplace désormais Gasparin au Comité de guerre, déclare que le Comité regarde « comme certain que Lavalette a été sacrifié à une intrigue qui faisait partie du vaste plan de conspiration formé par Custine pour livrer, à l'exemple de Dumouriez, les places et l'armée à l'ennemi » ; il reprend les accusations portées contre La Marlière, conclut qu'il n'y a lieu à aucune inculpation contre Dufresse, Lavalette et Calendini et annonce que La Marlière sera traduit au tribunal révolutionnaire comme prévenu de complots contre la sûreté. Arrêté le même jour, La Marlière fait l'objet d'un procès dont l'instruction se prolonge jusqu'au 2 octobre 1793. C'est durant cette longue instruction, dans laquelle Calandini intervient comme témoin à charge, que Robespierre, soucieux d'obtenir des informations, note dans son carnet : « Envoier [Maurice] Duplay près de Calendini » (note 68). Et c'est le 2 octobre 1793, date à laquelle se termine ladite instruction, que Robespierre note dans son carnet : « Appeler l'accusateur public pour Lamarlière » (note 78).

II.4.10. Jean Nicolas Houchard

houchard.jpg

Portrait de Jean Nicolas Houchard par H. Rousseau, dessinateur, et E.Thomas, graveur.

Entré en 1755 au au Régiment de Royal-Allemand, puis nommé capitaine dans le régiment de Bourbon-Dragons, puis blessé à la joue d'un coup de sabre en Corse, Jean Nicolas Houchard (Forbach, 1738-17 novembre 1793, guillotiné), est nommé ensuite colonel d'un régiment de chasseurs à cheval dans l'armée de Custine. IL participe au siège de Mayence en 1792, puis il est nommé commandant en chef de l'armée de la Moselle le 11 avril 1793. Il remplace ensuite le général Custine, qui vient d'être destitué et guillotiné, ainsi que le général Jennings de Kilmaine, qui remplace provisoirement Custine du 4 juillet au 4 août. Le 11 août 1793, il prend le commandement suprême de l'armée du Nord. Le 8 septembre, aidé de Collot, Jourdan, Vandamme et du représentant en mission Levasseur, il remporte la bataille d'Hondschoote. Jourdan et Vandamme poursuivent les mercenaires hanovriens. Houchard décide, lui, de ne pas poursuivre l'armée anglaise, car ses hommes sont épuisés.

Accusé de ne pas avoir tiré parti de la victoire de Hondschoote, il est destitué et arrêté à Lille le 24 septembre 1793 par le député Nicolas Hentz, puis présenté au Tribunal révolutionnaire le 15 novembre 1793.

« On traîna sur le même théatre le général Houchard. Il était difficile de placer le soupçon de l'intrigue ou de la trahison sur la figure de ce vieux guerrier. Houchard avait six pieds de haut, la démarche sauvage, le regard terrible. Un coup de feu avait déplacé sa bouche et l'avait renvoyée vers son oreille gauche. Sa lèvre supérieure avait été partagée en deux par un coup de sabre, qui avait encore offensé le nez, et deux autres coups de sabre sillonnaient sa joue droite de deux lignes parallèles. Le reste du corps n'était pas mieux ménagé que la tête. Sa poitrine était découpée de cicatrices. Il semblait que la victoire s'était jouée en le mutilant. Il parlait un jargon barbare, moitié allemand, moitié français, que sa difficulté de prononcer rendait plus raboteux encore. [...] Après le protocole d'usage sur la complicité avec ceux qui attentaient à la liberté, à la souveraineté du peuple, à l'unité et à l’indivisibilité de la république, on l'accusait de n'avoir pas assez tué d'Anglais ; ce sont les termes.[...]. Ce à quoi il ne s'attendait pas, ce à quoi personne ne pouvait s'attendre, c'est que le moine Dumas [René François Dumas, dit l'abbé Dumas, ancien Bénédictin, avocat, nommé en août 1793 président du tribunal révolutionnaire] osa reprocher à Houchard d'être un lâche. A ce mot, qui commençait le supplice du vieux guerrier, il déchira ses vêtements et s'écria, en présentant sa poitrine couverte de cicatrices : "Citoyens jurés, lisez ma réponse, c'est là qu'elle est écrite." » (13)

II.4.11. Dugommier encore

Robespierre note encore en décembre 1793 qu'à Toulon, « Dugommier excite la défiance par la manière dont il s'est conduit avec le général anglois » (note 81), i.e. par l'humanité dont il a fait montre à l'endroit de ce dernier pendant les combats et après la reddition de la place. La Gazette nationale évoque cet épisode dans son numéro du 7 décembre 1793 :

ohara.jpg

Gazette nationale du 7 décembre 1793, n° 77.

Dugommier, lui-même, revient sur cet épisode dans la lettre qu'il adresse après la reddition de Toulon, le 23 frimaire an II (13 décembre 1793), au Comité de salut public ; lettre dans laquelle on apprend qu'il lui a été fait reproche d'avoir « traité le général anglais avec trop de politesse ».

2ohara.jpg

Portrait du général Charles O'Hara (1740-1802) circa 1792, peintre inconnu.

« Je ne me rappelle pas les expressions d'une réponse qui peut-être vous a fait juger de ma conduite avec lui », écrit Dugommier ; « j'ai pu, sur le champ de bataille, ne pas donner assez d'attention à sa tournure lorsqu'elle fut provoquée ; le plaisir du succès, l'embarras du moment, mille bouches qui parlent à la fois doivent excuser quelques termes qui n'auraient pas le caractère de la circonstance ; quant au fond, quant aux procédés, pour le coup, toute l'armée (excepté un Allobroge qui a voulu tuer le général anglais quand on le conduisait ; ils été retenu par deux volontaires de l'Isère et deux du 59e régiment : c'est ceux à qui étaient destinés les 60 louis du général) doit en partager le tort s'il y en a, surtout quand elle a su que nos frères d'armes piémontais étaient bien traités ; nous avons été humains sans cesser, je vous le jure, d'être républicains, car nous n'avons pas épargné quelques traîtres qui se sont trouvés prisonniers et qui ont subi la rigueur de la loi, aussitôt qu'ils ont été reconnus ; ceux qui sont exposés aux représailles ont quelque intérêt à les rendre les moins dures possible. Quoi qu'il en soit, ce motif paraissait bien moins conduire mes frères d'armes que ce sentiment sublime qui a toujours distingué le Français victorieux et qui ne peut que s'exalter dans un cœur libre. » (14)

Dugommier n'aura finalement pas eu à souffrir de son excès de politesse du 7 décembre 1793, puisqu'il sera nommé à la tête de l’armée des Pyrénées Orientales le 16 janvier 1794 (16 nivôse an II).

II.4.12. L'affaire de Péronne

Concernant l'emploi des nouvelles levées, Robespierre, qui doute de la fiabilité de leur engagement dans la guerre intérieure, préconise de « ne disposer qu'avec précaution de la réquisition des grandes villes, surtout à Paris » (note 15), de « déclarer que la section réquisitionnée [section parisienne non précisée] n'aura pas l'honneur de servir la patrie » (note 26), de « n'employer qu'avec confiance la réquisition des campagnes et des pays où le patriotisme domine » (note 15), de n'« armer que les meilleurs ou les bons bataillons de cette réquisition » (note 54), et de « désarmer les pays suspects »(note 57). On découvre au passage, par une allusion à « l'affaire de Péronne » (note 53), que, pour soutenir en quelque façon l'engagement des troupes, de l'eau-de-vie leur était distribuée. Louis de Launay, dans Un grand français Monge, fondateur de l'Ecole polytechnique raconte ainsi l'« affaire de Péronne » (15) :

En octobre 1793, « on avait envoyé de l'eau-de-vie à l'armée du Nord. Quand elle parvint à Péronne, son aspect trouble parut singulier. L'explication toute naturelle ne vint à l'esprit d'aucun personnage politique ou aucun d'eux n'osa la suggérer. Évidemment, une partie de cette eau-de-vie avait été bue en route par ses conducteurs, si bons patriotes qu'ils fussent, et remplacée, pour masquer le déficit, par de l'eau quelconque un peu vaseuse [C'est l'explication que donne le rapport officiel signé par Monge, Fourcroy, Berthollet, Guyton et Prieur]. Il était beaucoup plus simple, en ce temps-là, d'imaginer un vaste complot contre-révolutionnaire, destiné à empoisonner l'armée. Des flacons furent prélevés, scellés et envoyés au Comité de Salut public, où leur vue suscita l'indignation de Robespierre. Monge et Berthollet furent chargés de les analyser en présence de Prieur, représentant de la Côte-d'Or. Ils osèrent conclure que "les eaux-de-vie examinées ne contenaient ni matières métalliques, ni chaux, ni aucune substance insalubre... et que, tirées au clair, transvasées et filtrées, elles pouvaient être bues sans aucune espèce d'inconvénient". On raconte qu'à la lecture de ce rapport, Robespierre, déçu, jeta aux savants un regard foudroyant et que ceux-ci, pour prouver leur confiance, burent devant lui de l'eau-de-vie suspectée... "Vous avez du courage !" aurait dit Robespierre, et Berthollet aurait répondu : "J'en ai surtout en te résistant."" L'anecdote a dû être enjolivée. Mais le rapport conclut, en fait, par la phrase suivante : "Nous sommes si convaincus de ce que nous avançons sur la qualité de ces eaux-de-vie, que nous en avons bu et que nous nous proposons d'en boire encore en présence du Comité de Salut public." »

Craignant le possible de la « conspiration de la réquisition », Robespierre préconise en outre de « tenir l'armée révolutionnaire prête et d'en rappeler les détachemens à Paris pour déjouer la conspiration » (note 16). Encore convient-il de « purger » (note 57) encore et toujours cette armée, de « faire passer ceux du Nord au Midi, ceux du Midi au Nord » (note 68), et bis repetita d'y envoyer « un petit nombre de commissaires forts, munis de bonnes instructions et surtout de bons principes, pour ramener tous les esprits à l'unité et au républicanisme, seul moïen de terminer bientôt la Révolution au profit du peuple » (note 69). Encore convient-il aussi d'« assurer les secours des veuves et des enfans des défenseurs » (note 7). Le 5 nivôse, Robespierre fait voter « un nouveau décret augmentant d'un tiers le chiffre des secours et pensions, et abrégeant les formalités pour les toucher », ajoute Albert Mathiez.

À propos des « bons principes », Robespierre note qu'il lui faut « demander à [Claude Hilaire] Laurent [député du Bas-Rhin à la Convention, envoyé en mission près les armées du Rhin et du Nord] ses renseignemens » (note 9) concernant la nomination de Pierre Quentin Fouquier-Tinville, fils de l'accusateur public, à une sous-lieutenance dans le 4e régiment de chasseurs à cheval. C'est Xavier Audoin, adjoint du ministre de la Guerre, qui a favorisé cette nomination, contre l'avis des représentants de l'armée du Rhin, qui avaient déjà pourvu cette place. Dénoncée par Claude Hilaire Laurent, cette nomination est invalidée par le Comité de salut public, d'après l'avis de Robespierre sans doute. Quand il s'agit du fils « Crachet » (note 12) en revanche, Robespierre valide le 17 octobre 1793 sa nomination au poste d'inspecteur des chevaux pour la maladie de la morve. « Cette nomination fut due à Robespierre, selon toute apparence », commente Albert Mathiez. Crachet, père, était « homme de loi à Saint-Omer et administrateur du district de cette ville, artésien comme Robespierre ».

III. Esprit public et conspirations. Montée en puissance des activités du Tribunal révolutionnaire

ohara.jpg

[Jacques Pierre] Brissot et 20 de ses Complices Condamnés à mort par le tribunal Révolutionnaire. « Le 9 Brumaire de l'an 2ème [30 octobre 1793] de la République française une et indivisible, Brissot et 20 de ses complices furent condamnés à mort. Lors de la lecture de cette Sentence, ils se levèrent furieux et jetèrent leurs assignats au peuple en criant à nous nos amis ! Charles Éléonor Dufriche-]Valazé s'est tué d'un Coup de Poignard ». Gravure anonyme.

valaze_suicide.jpg

Suicide de Charles Éléonor Dufriche-Valazé le 9 brumaire an II [30 octobre 1793]. Gravure signée Louis Pauquet, in Armand Fouquier, Causes célèbres de tous les peuples, tome 5, Paris, Lebrun, 1862.

Après la trahison de Dumouriez, puis la journée d'émeute du 2 juin 1793 qui voit la Commune de Paris se porter contre la Convention girondine, 21 des députés girondins sont arrêtés sur ordre des Montagnards de la Convention le 2 juin 1793. Ce coup de force contre l’élite girondine fédéraliste de la Convention suscite des insurrections dans le Sud, le Sud-Ouest et l’Ouest du pays : Lyon, Bordeaux, Marseille et bien d’autres villes rompent avec Paris dès cette date. Créé en septembre 1793, le Grand Comité de salut public fait accuser les Girondins de conspiration contre la République, lesquels se trouvent présentés ainsi, par effet d'amalgame, comme les alliés objectifs de la Contre-Révolution. Jugés entre le 24 et le 30 octobre 1793, tous condamnés à mort, les députés girondins sont guillotinés le 31 octobre 1793, sauf Charles Éléonor Dufriche de Valazé, dit Dufriche-Valazé ou Valazé, qui se suicide en plein tribunal. D'autres Girondins qui ont pu s'enfuir, tenteront de soulever les provinces pendant quelques mois encore.

Au début du mois de décembre 1793, Robespierre s'inquiète de faire arrêter Jean Paul Rabaut Saint-Étienne, député de l'Aube, Girondin lui aussi, qui a brièvement été interpellé, puis s'est évadé après la journée d'émeute du 2 juin. Il croit savoir par ses indicateurs que « Rabaut est à Durfort, près de Saint-Jean de Gardonnenck [Saint-Jean de Gardonnenque], à quatre lieues d'Anduse [Anduze] et à huit lieues de Nismes » (note 42). « Robespierre était mal informé », remarque Albert Mathiez. « Le 15 frimaire [5 décembre 1793], Amar annonça à la Convention que les deux Rabaut venaient d'être arrêtés chez M. et Mme Payzac, au faubourg Poissonnière, à Paris ». Trahi par le menuisier qui avait construit sa cachette, Jean Paul Rabaut Saint-Étienne a été effectivement arrêté et guillotiné le 15 frimaire an II (5 décembre 1793). M. et Mme Payzac seront guillotinés à leur tour le lendemain.

Durant tout l'automne 1793, Robespierre se préoccupe en outre de prévenir les menées des traîtres qui pourraient infiltrer le cabinet des ministres ou se cacher encore parmi les députés et les membres des différents Comités. D'où la multiplication des notes dans le style suivant : « Ordonner aux ministres de donner la liste de leurs commis et de leurs agents » (note 6) ; « Organisation des Comités » (note 21) ; « Ne recevoir aucun étranger dans le sein du Comité. Les renvoier aux ministres, ou nommer un commissaire, ou un secrétaire pour les entendre » (note 27) ; « Infâme violation des secrets du Comité, soit de la part des commis, soit de la part d'autres personnages ; 1° Placez-vous dans un local convenable. 2° Renouvellez vos commis. Chassez surtout le traître qui siègeroit dans votre sein. 3° Punissez le commis qui vous présenta à signer une lettre dont l'objet étoit d'engager les détenteurs des pièces de conspiration relatives à l'ancien régime à les brûler » (notes 33, 34, 35, 36) ; « Surveiller les clubs, emprisonner et punir les contre-révolutionnaires hypocrites. Réprimer les journalistes imposteurs » (notes 59 et 60) ; « Demander la liste des commissaires du Conseil exécutif, purger les bureaux » (note 62) ; « Pour épurer les Comités révolutionnaires, il faut se procurer la liste de tous ceux qui les composent, leurs noms, qualités et demeures. Il faut celle du Comité dit Central. Il faut connoître surtout les président et secrétaires de chaque Comité et faire un rapport à ce sujet. — 2° Il faut revoir la liste des meneurs de la contre-révolution, dans chaque pays, indiqués par celles des commissions populaires, directoire, etc., etc., et sévir contre tous ces hommes. 3° II faut poursuivre tous les députés chefs de la conspiration et les atteindre à quelque prix que ce soit. Il faut que tous les individus connus soient promptement punis » (notes 69, 70 et 71).

III.1. Le Comité de salut public et le Tribunal révolutionnaire

Après la condamnation à mort des 21 Girondins, afin de « ramener tous les esprits à l'unité et au républicanisme », dixit Robespierre (note 69), le Comité de salut public entreprend de prévenir partout en France le possible d'autres conspirations. Il s'agit alors de se garder à la fois des menées de la Contre-Révolution et de celles des Exagérés [Hébertistes] et des Enragés [Jacques Roux et autres révolutionnaires radicaux]. D'où la mise en œuvre d'un réseau de surveillance généralisée, l'appel à la délation, et l'intensification des activités du Tribunal Criminel extraordinaire, créé par le premier Comité de salut public le 10 mars 1793, puis renommé Tribunal révolutionnaire et augmenté dans sa composition et dans ses prérogatives par le second Comité de salut public le 29 octobre 1793. C'est le début de la Terreur.

Article Premier du Décret de la Convention Nationale du 10 Mars 1793, relatif à la formation d'un Tribunal Criminel extraordinaire :

« Il sera établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire, qui connoîtra de toute entreprise contre-révolutionnaire, de tous attentats contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la république, la sûreté intérieure et extérieure de l’État, et de tous les complots tendant à rétablir la royauté, ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l’égalité, et à la souveraineté du peuple, soit que les accusés soient fonctionnaires civils ou militaires, ou simples citoyens. »

tribunal_revolutionnaire.jpg

Séance du Tribunal révolutionnaire, in Charles Aimé Dauban, La démagogie en 1793 à Paris, ou Histoire, jour par jour, de l'année 1793, Paris, H. Plon, 1868.

Tel que créé le 10 mars 1793, le Tribunal criminel extraordinaire doit comprendre cinq juges, dont un faisant fonction de président ; un accusateur public et deux adjoints ou substituts ; un jury de douze citoyens et quatre suppléants, issus du département de Paris et des quatre départements environnants, ou un peu plus tard des départements de l'Est et de l'Ouest ; plus un greffier, deux commis, et deux huissiers. Tous les membres du Tribunal sont nommés via le Comité de salut public par la Convention, hormis le greffier et les huissiers, qui sont élus par les juges. Note nº 1 du carnet de Robespierre : « Nomination des membres du Tribunal révolutionnaire. »

Le 29 octobre 1793, la composition du Tribunal révolutionnaire se présente comme suit : René François Dumas, président, puis Martial Joseph Herman ; Claude Emmanuel Dobsen, ex-commissaire national, président par intérim après l'arrestation de Jacques Bernard Marie Montané [président jusqu'au 23 août 1793, accusé de modérantisme lors du procès de Charlotte Corday] ; Jean Baptiste Coffinhal, vice-président, président par intérim avec Roussillon après l'arrestation de Montané ; Marc Claude Naulin, vice-président ; Gabriel Toussaint Scellier, vice-président ; Antoine Quentin Fouquier-Tinville, accusateur public ; François Garnier-Launay, substitut de l'accusateur public ; Jean Marie Barbet (de Lorient), substitut de l'accusateur public ; Charles Bravet, substitut de l'accusateur public ; Michel Nicolas Grebeauval, substitut de l'accusateur public ; François Givois, substitut de l'accusateur public ; Jean Louis Paul Laporte (maire de Lassay-les-Châteaux), juré, puis substitut de l'accusateur public ; Gilbert Liendon, substitut de l'accusateur public ; Julien Paillet, substitut de l'accusateur public ; Claude Royer, substitut de l'accusateur public ; Georges Couthon, juge ; Étienne Foucault, juge ; Gabriel Deliège, ex-député à la Législative, juge.

fouquier_tainville.jpg

Antoine Quentin Fouquier de Tinville, dit Antoine Fouquier-Tinville (1746-7 mai 1795, guillotiné), d'après Antoine Maurin dit l'aîné, ou Nicolas Eustache Maurin, British Museum, London.

Jurés : Pierre Aubry, tailleur ; Pierre Antoine Antonelle ; Louis René Barbet, ancien oratorien, ami de Robespierre ; Benoitrais ; Billon ; Blachet, payeur général à l'armée des Alpes ; Jean Joseph Bousquet, boucher ; Jean Étienne Brochet, ancien garde ; Butin, section de la République ; Claude Louis Châtelet, peintre et dessinateur ; Debeaux, greffier du tribunal de Valence ; Dereys ; Charles Huant dit Desboisseaux, ciseleur sur bronze ; Claude Jean François Despréaux, violoniste ; Jean Devèze, maître charpentier ; Jean Baptiste Didier, serrurier ; Pierre Nicolas Louis Le Roy de Montflobert, dit Dix-Août, ex-rentier, officier municipal ; Maurice Duplay, menuisier ; Duquenel, du comité révolutionnaire de Lorient ; Émery, marchand chapelier ; Fauvety, ancien directeur de la poste aux lettres d'Uzès, membre de la commission populaire d'Orange ; Feneaux ; Jean François Gauthier, charpentier ; Georges Ganney, perruquier ; Gemont ; François Gérard, orfèvre ; Pierre François Girard ; Gouillard, administrateur du tribunal de Béthune ; Gravier ; Hannoyer, du comité révolutionnaire de Lorient ; Lafontaine ; Laurent, membre du comité révolutionnaire de la section des Piques ; Laveyron l'aîné, cultivateur à Créteil ; Jacques Nicolas Lumière, violoniste alto solo ; Marhel, artiste ; Masson, cordonnier ; Meyère ; Moulin ; Muguin du comité de surveillance de Mirecourt ; Nicolas, imprimeur ; Pechts ; Petit-Tressin ; Nicolas Pigeot, coiffeur ; Potherel ; Presselin ; Jean Louis Prieur, peintre d'histoire ; Léopold Renaudin, fabricant d'instruments de musique, rue Saint-Honoré ; Jean Baptiste Sambat, contrôleur des impositions et miniaturiste ; François Topino-Lebrun, peintre, élève de David ; François Trinchard, menuisier ; Joachim Villate, dit Sempronius Gracchus Vilate, professeur de rhétorique.

Où l'on voit qu'environ un mois après le jour où Robespierre exprimait dans son carnet sa volonté « ramener tous les esprits à l'unité et au républicanisme, seul moïen de terminer bientôt la Révolution au profit du peuple » (note 69), et alors que la « guerre civile » s'aggrave dans le pays, le nombre des membres du Tribunal révolutionnaire a été fortement augmenté, non seulement celui des accusateurs, mais aussi et surtout celui des jurés, qui sont chargés de faire entendre la voix du peuple. Parmi ces jurés, deux amis de Robespierre, Louis René Barbet et Maurice Duplay. Quinze des membres de ce tribunal, surtout des jurés, seront guillotinés après le 9 Thermidor.

chatelet_prieur.jpg

Claude Louis Châtelet et Jean Louis Prieur, jurés au Tribunal révolutionnaire, guillotinés le 18 floréal an III (7 mai 1795). Croquis de Jean Duplessis-Bertaux (?-1818) reproduit in G. Lenotre, Le Tribunal révolutionnaire (1793-1795), Paris, Perrin, 1908.

C'est le Comité de salut public qui, au nom de la Convention et après enquête et lecture des dossiers, soumet à l'accusateur public les noms des conspirateurs et autres suspects désignés à son attention par voie de dénonciation. Outre qu'il signale quelques noms de dénonciateurs — Goutier (note 11) ; Lalande (note 72) —, le carnet de notes de Robespierre fournit nombre d'indications concernant la pression que le Comité de salut public exerce sur la Convention pour obtenir, par effet d'élargissement de la visée et de simplification et d'accélération de la procédure, une meilleure efficacité et en quelque sorte un meilleur rendement du Tribunal révolutionnaire.

Le 7 septembre 1793, la Convention décrète que 1° Tous les Français qui ont accepté ou accepteraient ci-après, des fonctions publiques dans les parties du territoire de la République envahies par les puissances ennemies, sont déclarés traîtres à la patrie et hors de la loi ; 2° Tous les biens des personnes mentionnées dans l'article précédent, sont confisqués au profit de la République. Comme signalé dans son carnet : « Rapport du décret qui rapporte la loi sur les biens des étrangers » (note 4), Robespierre s'inquiète de ce que, contesté par une partie de l'Assemblée, ce décret se soit trouvé suspendu le lendemain.

Le 13 septembre, les Jacobins se plaignent à l'Assemblée de la suspension dudit décret. Le même jour, « le décret qui ordonne que les émigrés seront jugés par tous les tribunaux criminels » (note 5), dont ceux des départements dans lesquels ils ont été arrêtés, est voté, probablement contre l'avis de Robespierre, qui craint l'effet possible de certaines solidarités locales ou encore les dérives induites par les menées du parti « indulgent » (16).

Au début du mois d'octobre 1793, Robesperre consigne dans son carnet cette observation elliptique : « Tribunal révolutionnaire va mal. » (note 25)

Albert Mathiez tente d'expliciter cette observation comme suit : « À la séance du 5 octobre 1793, le président de la Convention fait lire deux lettres par lesquelles Fouquier-Tinville réclame des pièces pour commencer le procès des Girondins et celui de Marie-Antoinette. Est-ce à cet incident que fait allusion la réflexion de Robespierre ? » Il est vrai qu'à cette date, le dossier de Marie-Antoinette se trouve vide encore. Dès le 27 mars pourtant, Robespierre appelait déjà à la tenue du procès de Marie-Antoinette : « La punition d'un tyran, obtenue après tant de débats odieux, sera-t-elle donc le seul hommage que nous ayons rendu à la liberté et à l'égalité ? Souffrirons-nous qu'un être non moins coupable, non moins accusé par la Nation, et qu'on a ménagé jusqu'ici, comme par un reste de superstition pour la royauté ; souffrirons-nous qu'il attende tranquillement ici le fruit de ses crimes ? Une grande République, outragée avec tant d'insolence, trahie avec tant d'audace, attend de vous l'impulsion qui doit ranimer dans tous les cœurs une sainte antipathie pour la royauté, et donner une nouvelle force à l'esprit public ». In Œuvres de Maximilien de Robespierre, tome IX, Discours (4e partie), Septembre 1792-27 juillet 1793, Presses universitaires de France, juillet 1958, p. 340.

marie_antoinette.jpg

Procès de Marie-Antoinette le 15 octobre 1793, d'après Pierre Bouillon (1776–1831), Musée Carnavalet.

Le 9 octobre, Robespierre et Jacques Nicolas Billaud-Varenne obtiennent la restauration du décret du 7 septembre.

lecointre.jpg

Laurent Lecointre, in Album du centenaire. Grands hommes et grands faits de la Révolution française (1789-1804), Paris, Furne, Jouvet & Cie, éditeurs, 1889.

Le 18 octobre, Laurent Lecointre, dit Lecointre de Versailles, proche alors des Indulgents, fait voter, dans le but de freiner les effets de la Terreur, un décret stipulant que les comités révolutionnaires ne pourront faire arrêter personne sans motiver leurs décisions, qu'ils seront tenus de communiquer sous trois jours au Comité de Sûreté générale de la Convention. Robespierre, qui juge nécessaire d'accélérer l'instauration de la Terreur, réclame logiquement la révocation d'un tel décret.

pavillon_flore.jpg

Le Pont Royal et le Pavillon de Flore, rebaptisé « pavillon de l'Égalité » en 1789. Le Comité de salut public siège au rez-de-chaussée sur le jardin, dans l'ancien appartement de la reine. Gravure anonyme, 1814.

Le 12 novembre, le Comité de salut public examine la demande du département de l'Eure-et-Loir (note 38) qui souhaite donner aux tribunaux criminels ordinaires la fonction de tribunaux révolutionnaires. Là encore, Robespierre craint que l'acceptation d'une telle demande ne favorise ou bien les abus de pouvoir de certains représentants en mission, ou bien les dérives « indulgentes ». Il préconise qu'on refuse cette demande.

L'organisation du Tribunal révolutionnaire continue de préoccuper Robespierre jusqu'à la fin de son carnet. On relève encore à ce sujet cinq autres notes, relatives à des préoccupations que Robespierre n'explicite pas : « Organisation du tribunal révolutionnaire. » ; « Organisation du tribunal. » (note 55) ; « Rapport sur le tribunal révolutionnaire. » (note 86) ; « Accusateur public à m » [d'après Albert Mathiez, il faut lire sans doute « accusateur public à mander »] (note 87) ; « Tribunal révolutionnaire à surveiller, organisation à réformer. » (note 7 nivôse)

III.2. De la multiplication des prisons

« Appeler l'accusateur public. Ordonner que chaque jour la municipalité surveillera les prisons, sans pouvoir relaxer personne, et qu'elle sera responsable de l'évasion des prisonniers. Lui ordonner de tenir la main à l'exécution du décret qui défend aux prévenus de conspiration toute communication entre eux ou avec toute autre personne. » (note 37) ; II faut avoir la liste circonstanciée de tous les prisonniers, décréter que ceux qui auront donné asile aux conspirateurs, aux hors la loi, seront punis des mêmes peines. » (note 71)

Paris abrite en 1789 seize prisons, auxquelles s'ajoutent par la suite un certain nombre d'hôtels particuliers et de maisons de santé transformés en prisons, de telle sorte qu'en 1793, la ville compte une cinquantaine de prisons.

Prisons principales : l'Abbaye (ancienne abbaye de Saint-Germain-des-Prés) ; les Carmes (ancien couvent) où sont détenus plus particulièrement les prêtres réfractaires ; la Conciergerie, antichambre de la mort annoncée ; le collège du Plessis ; les Anglaises 1 (ancien couvent des Bénédictines anglaises du Champ-de-l'Alouette) ; les Anglaises 2 (ancien couvent des Bénédictines anglaises des Fossés Saint-Victor) ; les Madelonnettes (ancien couvent) ; la Grande Force (ancien hôtel particulier, pour les hommes ; la Petite Force (autre partie du même hôtel), pour les femmes ; l'Hospice de l'Évêché ; le Luxembourg ; Port Libre (ex-abbaye de Port-Royal) ; Sainte-Pélagie (ancien couvent) ; Saint-Lazare (ancien hôpital pour lépreux) ; la chambre d'arrêt de la mairie ; la maison d'arrêt de la rue de Sèvres (ancien hospice) ; la Salpêtrière (ancien hôpital) ; Bicêtre (ancien hôpital) ; le Grand-Châtelet, réservé aux criminels de droit commun ; le Temple (ancienne forteresse des Templiers).

Le recensement opéré le 6 août 1793 à la demande de la Convention donne un total de 1555 prisonniers, dont 402 à la Grande-Force (83 militaires), 323 à Bicêtre, 294 à la Conciergerie, 145 à la Petite-Force, 113 à Sainte-Pélagie, 81 à l'Abbaye (11 militaires), 76 aux Madelonnettes, 69 à la Salpêtrière, 46 en chambre d'arrêt à la mairie, 6 au Luxembourg. Dans les mois suivants, on comptera jusqu'à 7140 détenus.

girondins_souper.jpg

Henri Félix Emmanuel Philippoteaux (1815–1884), Le dernier banquet des Girondins, ou Dernier Repas des Girondins à la Conciergerie, interrompu par l’appel pour la guillotine, 31 octobre 1793. Au premier plan à gauche se trouve étendu sur une civière le corps sans vie de Charles Éléonor Dufriche-Valazé qui s'est poignardé dans la salle d'audience du Tribunal révolutionnaire à l'énoncé de la condamnation à mort. Musée de la Révolution française.

Parmi les détenus des prisons de Paris figurent en silhouette, à un moment ou à un autre du dernier trimestre de l'année 1793, la plupart des personnages incriminés dans le carnet de Robespierre (cf. supra et infra), dont les Girondins ; les généraux Antoine Nicolas Collier de La Marlière et Jean Nicolas Houchard ; Jean Marie Girey-Dupré et Gabriel Nicolas François de Boisguion ; Louis François de Perrochel ; le chirurgien Lefebvre ; la veuve Fournier, née de La Chapelle-Caylus ; Charles Pierre Maximilien Radix de Sainte-Foi ; Louis Antoine Pio, dit le chevalier Pio ; Pierre Jean Berthold de Proli, dit Proly ; Jean Théophile Victor Leclerc, dit Leclerc d'Oze ou de Lyon ; Pierre Marie Henri Hélène Tondu, dit Lebrun ou Lebrun-Tondu ; etc.

III.3. De quelques dénonciations et poursuites

Comme indiqué dans les notes 37, 74 et 87, Robespierre s'enquiert des cas qu'il juge urgent d'examiner, comme celui de Bernard (note 76), ou de régler, tels ceux de Girey (notes 64 et 75), de Boisguion (note 64), de Perrochel et de ses correspondants (notes 73, 74, 76, 77), de Lefebvre (note 74), de Fournier (note 74), de Lamarlière (note 78), de Sainte-Foix (note 74), de Pio (note 50), de Proli (notes 50 et 55), ou encore de Leclerc (note 50).

III.3.1. Jean Marie Girey-Dupré et Gabriel Nicolas François de Boisguion

Jean Marie Girey-Dupré, né le 9 novembre 1769, proche collaborateur de Brissot, directeur de son journal Le Patriote français, créateur lui-même d'un journal intitulé La Légende dorée, fait partie des Girondins que Robespierre continue de traquer après la mise à mort des 21 guillotinés et le suicidé du 31 octobre 1793. On sait qu'échappé à l'arrestation du 2 juin 1793, Girey s'est réfugié à Bordeaux. Robespierre note à ce sujet qu'il faut « demander la correspondance de Bordeaux. Boisguion et Girey » (note 64), puis « écrire à Brune pour Girey » (note 75). Guillaume Marie Anne Brune, alors général de brigade, se trouve chargé de réprimer les révoltes fédéralistes. Jean Marie Girey-Dupré est arrêté à La Réole le 3 brumaire an II (24 octobre 1793) par Claude Alexandre Ysabeau et Jean Lambert Tallien, commissaires de la République chargés plus spécifiquement que Brune de réprimer la révolte fédéraliste de Bordeaux. Jean Marie Girey-Dupré est condamné par le Tribunal révolutionnaire le 1er frimaire an II (21 novembre 1793) et guillotiné le même jour.

girey_boisguion.jpg

Bulletin du Tribunal criminel révolutionnaire, établi au Palais, à Paris, par la loi du 10 mars 1793, pour juger sans appel les conspirateurs, À Paris, 1793.

Gabriel Nicolas François de Boisguion, né le 27 Mai 1758, est page de la Comtesse d'Artois en 1773, premier page en 1775, puis sous-lieutenant au Régiment de la Fère Infanterie, en 1776, puis sous-lieutenant en pied en 1778 ; après 1789, membre du club des Jacobins, suppléant du département de l'Eure-et-Loir à la Convention, puis adjudant général à l'armée des Côtes de Brest. Le 11 juin 1793, il essuie à Machecoul une grave défaite contre les Vendéens. Destitué de son poste, il rejoint la dissidence fédéraliste en Normandie, puis se réfugie dans la région de Bordeaux, qu'il sillonne sous le nom de La Rozay en compagnie de Jean Marie Girey-Dupré. Arrêtés ensemble à La Réole, les deux hommes sont jugés également ensemble le 24 brumaire an II (14 novembre 1793) et guillotinés le même 1er frimaire an II (21 novembre 1793).

III.3.2. Louis François de Perrochel, Alix Elisabeth Louise Rose Gabrielle de Cheylus, « femme La Chapelle », Pierre Charles de Fournier de La Chapelle, et François Jérôme Riffard Saint-Martin

L'appel de Robespierre à l'accusateur public pour « Perrochel » (note 73) peut intéresser a priori, soit René François Hortense de Perrochel (1748-1832), anciennement seigneur de Saint Aubin Locquenay, major au régiment de Champagne, chevalier de Saint Louis ; soit Louis François de Perrochel (1750-1819), frère cadet de René François Hortense, ci-devant vicomte de Perrochel, anciennement seigneur de Lassay, Sarthe, et anciennement capitaine des dragons au régiment de Monsieur [frère du Roi].

[René François Hortense de] Perrochel, alors colonel de la garde nationale de Fresnay (Sarthe) et membre du conseil général du district, est suspendu de ses fonctions en octobre 1793 « pour n'avoir pas exprimé son voeu sur l'acceptation de la constitution », puis arrêté et emprisonné. Il se trouve libéré toutefois le 9 novembre 1793 grâce au soutien de Nicollas Follis, procureur de sa commune, de Michel Rigault de Beauvais, capitaine de la garde nationale, ainsi que par l'intervention du conseil municipal et de l'ensemble des habitants de sa commune.

On sait par la note 72 de son carnet qu'en la personne de Perrochel, Robespierre ne vise pas René François Hortense de Perrochel, mais Louis François de Perrochel, son frère cadet, ami et le correspondant de « la femme La Chapelle, nièce de l'évêque de Bayeux, De Cheylus », connu lui pour avoir refusé de signer la Constitution civile du clergé et de renoncer à son épiscopat.

Lettre du « patriote » Arthur Lalande, ou Delalande (17), luthier de son métier, membre du comité de surveillance de Coutances, animateur de la Société jacobine locale, et membre du Directoire du département de la Manche, à Robespierre :

delalande1.jpg

delalande2.jpg

delalande3.jpg

delalande4.jpg

delalande5.jpg

delalande6.jpg

delalande7.jpg

delalande8.jpg

delalande9.jpg

Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Paya, etc. ; supprimés ou omis par Courtois ; précédés des rapport de ce député à la Convention nationale, tome I, Paris, Baudouin Frères Éditeurs, 1828, p. 159.

D'après le même Lalande, la « femme La Chapelle qui loge alors à Paris, rue Turenne, n° 756 [n° 156 ?], dans la même maison que Louis François de Perrochel et Jérôme Riffard Saint-Martin, député de l'Ardèche, Girondin, entretiendrait sous le couvert de François Jérôme Riffard Saint-Martin dont elle serait la maîtresse, une correspondance secrète avec Louis François de Perrochel. Or 1° Louis François de Perrochel, arrêté le 5 août 1793 et évadé le même jour, est l'un des chefs du fédéralisme dans le Calvados, et 2° « la femme La Chapelle » est depuis le le 25 novembre 1778 l'épouse de Pierre Charles de Fournier de La Chapelle, ci-devant marquis de la Chapelle, ci-devant seigneur de Laval, de Roisette, d'Argilliers, entré au Conseil privé en 1767, commissaire de la Maison du roi, maître des requêtes, nommé Intendant de la généralité d'Auch le 9 janvier 1786, puis chef du département de la Maison du roi en 1790, familier de Calonne et de la Cour. Pierre Charles de Fournier de La Chapelle et son épouse sont parents de deux filles, nées respectivement en 1787 et 1789. Le même Pierre Charles de Fournier de La Chapelle et Louis François de Perrochel sont amis de longue date.

Louis François de Perrochel, quant à lui, a épousé dans la religion anglicane Sophie Osborn le 24 mars 1778 à Londres, puis réitéré ce mariage dans la religion catholique le 3 avril 1781 à Rouen. Il semble toutefois que le mariage en question ait assez rapidement tourné court :

« De funestes démêlés et la découverte d’un adultère complique de bigamie, vinrent empoisonner cette union ; une procédure éclatante mit au jour la rare turpitude de Madame de Perrochel. Par sentence de la chambre criminelle du Châtelet de Paris du 17 avril 1788, elle fut frappée des peines de l’authentique, soit deux à trois ans de réclusion au couvent, et Milord Salisbury, son complice, fut lui-même condamné à un bannissement perpétuel ; mais déjà ils s’étoient dérobés par la fuite, et ils ont depuis rendu toutes les recherches inutiles. » (18)

En 1793, « la femme La Chapelle », née en 1757 en Avignon Alix Elisabeth Louise Rose Gabrielle de Cheylus, fille de Louis François de Cheylus, capitaine de vaisseau, chevalier de Saint-Louis, et de dame Charlotte Ursule de Brunier d’Adhémar de Monteil de Larnage, et nièce de Monseigneur Joseph Dominique de Cheylus, se fait appeler et signe « veuve Fournier ». Perclus de dettes, Pierre Charles de Fournier de La Chapelle, son époux, a quitté le domicile conjugal en 1789. Il serait parti le 29 juin 1791 à Saint-Domingue où il possèdait des propriétés ainsi qu'une importante sucrerie, et il n'aurait plus jamais donné signe de vie à sa famille par la suite. Au début de l'année 1793, il se trouve réputé mort dans les troubles de 1792 à Saint-Domingue. On sait toutefois par les souvenirs de Guy Le Gentil, marquis de Paroy, qu'en 1789, Pierre Charles de Fournier de La Chapelle, son cousin germain, a été membre du club de l'hôtel de Massiac [assemblée de colons blancs résidant à Paris], puis, à partir d'octobre 1791, agent de l'armée des Princes au profit de la communauté des planteurs de Saint-Domingue, et qu'il a donc œuvré au bénéfice de la Contre-Révolution. On ne connaît malheureusement pas le détail de cet épisode secret.

« L'histoire des relations politiques des colons "américains" avec la métropole au cours de la Révolution, celle de leurs liaisons avec les émigrés et les princes, sont une zone d'ombre qu'on a voulue épaisse.

Au moment, peu d'hommes ont été au courant des projets et des démarches. La Révolution finie, les survivants de ceux qui avaient su quelque chose ont peu parlé, écrit moins encore. Aux heures de danger, ils avaient fait disparaître beaucoup de papiers compromettants.

Cette obscurité et ce silence cachent les efforts qui furent tentés après les décrets du 15 mai 1791 [abolition de l'esclavage] et du 4 avril 1792 [égalité civile complète des Noirs libres et des Blancs] pour lutter contre les assemblées révolutionnaires et organiser un front commun entre les princes et les colons. Ainsi les îles seraient préservées, et du même coup, constitué au nom du roi, mais sans le roi, un foyer d'action contre-révolutionnaire, une des mailles du réseau qui, avec l'aide des puissances étrangères, étoufferait la Révolution.

Cette ombre veut aussi cacher les circonstances et la haute date des tentatives de sécession et des appels à l'étranger, garanties du statu quo social, et première phase d'une autonomie dont plus d'un rêvait. » (19)

La « femme La Chapelle », « veuve Fournier », couvre à vrai dire sous le manteau de son « veuvage » d'alors la liaison qu'elle entretient depuis 1788, non point avec François Jérôme Riffard Saint-Martin, mais avec Louis François de Perrochel, ami de de son mari disparu. On ne sait si l'enfant baptisé sous le nom d'Aymé Louis de Perrochel le 27 septembre 1791 en la paroisse Saint-Germain-des-Près, est fils de Louis François de Perrochel et d'une inconnue, ou fils du même Louis François de Perrochel et d'Alix Elisabeth Louise Rose Gabrielle de Cheylus, ou encore fils d'Alix Elisabeth Louise Rose Gabrielle de Cheylus et de Pierre Charles de Fournier de La Chapelle ! On sait en revanche que la « femme La Chapelle », « veuve Fournier », joue un rôle de correspondante dans les menées de la mouvance fédéraliste, et c'est là tout justement l'une des raisons pour laquelle, en sus du désordre des mœurs, Robespierre s'intéresse au couple qu'elle forme avec Louis François de Perrochel.

saint_martin.jpg

Portrait de François Jérôme Riffard Saint-Martin, par Olivier Perrin (1761-1832), dessinateur, et Nicolas Wilbrode Magloire Courbe, graveur.

François Jérôme Riffard Saint-Martin, quant à lui, quoique Girondin déclaré, n'a pas fui après l'arrestation des 21 députés girondins, le 2 juin 1793. Il échappe probablement à cette arrestation parce qu'il n'a pas voté le 24 mai 1793 la mise en détention de Jacques René Hébert et parce qu'il jouit de l'estime de Robespierre qui sait son républicanisme sincère. Évitant de signer la lettre de protestation adressée un peu plus tard à la Convention par les 73 Girondins restés libres, François Jérôme Riffard Saint-Martin poursuit à l'Assemblée le travail entrepris dans les différents Comités. Il se fera ensuite de plus en plus discret jusqu'au 9 Thermidor. (20)

Reste ce [Pierre Charles de] Fournier [de La Chapelle], dit retourné à Saint-Domingue en 1791, qui intéresse particulièrement Robespierre, comme l'atteste dans son carnet la note 74 : « Faire arrêter Fournier, s'assurer si Perrochel est à l'abbaye, conférer avec le Comité de Sûreté générale, arrêter le chirurgien Lefebvre et les correspondans de Perrochel ».

Informé sans doute par ses espions, Robespierre sait qu'en cet automne 1793, [Pierre Charles de] Fournier [de La Chapelle], réputé avoir tenté de défendre le roi et sa famille lors de la journée du 10 août 1792, se trouve clandestinement en France, bien que dit mort à Saint-Domingue. En poursuivant Louis François de Perrochel et la « femme La Chapelle », il espère pouvoir se saisir aussi de Fournier par effet de nasse. Et ledit Fournier sera effectivement saisi, bien qu'on ignore dans quelles circonstances. Convaincu en tout cas « de s'être rendu coupable des crimes de Laporte, ex-intendant de la liste civile des Capet, et d'avoir été avec lui l'un des agents et des instruments de la conspiration de Capet et de sa famille contre le Peuple français à la journée du 10 août » — et l'on ne parle pas là de ses activités contre-révolutionnaires au profit de la communauté des planteurs de Saint-Domingue —, il sera guillotiné sur la Place de la Bastille, avec vingt-huit autres condamnés, le 16 juillet 1794 — sans que son épouse, paraît-il, l'ait jamais su, car elle se trouvait alors enfermée à la Petite Force et ne pouvait recevoir aucune correspondance. Ledit Pierre Charles de Fournier de La Chapelle figure sous le nom de Lachapelle sur la Liste des guillotinés : N° 2228. P. C. La Chapelle, âgé de 49 ans, né à Commune-Affranchie (Saint-Domingue), ex-commissaire de la ci-devant Maison du Tyran, "convaincu de s'être rendu coupable des crimes de Laporte, ex-intendant de la liste civile des Capet, et d'avoir été avec lui l'un des agents et des instruments de la conspiration de Capet et de sa famille contre le Peuple français, à la journée du 10 août. »

lachapelle_guillotine.jpg

Tiré de la Liste générale et très-exacte des noms, âges, qualités et demeures de tous les conspirateurs qui ont été condamnés à mort par le tribunal révolutionnaire établi à Paris par la loi du 17 août 1792, numéro 9, Paris, Berthet, 1794, l'enregistrement reproduit ci-dessus est inexact sur deux points : les initiales des prénoms de Pierre Charles de Fournier de La Chapelle ne sont pas C. G., mais P. C., et l'homme n'est pas âgé de 39 ans, mais de 49 ans. Cf. aussi : Bellevue (X. de) (1854-1929), Généalogie de la maison Fournier, actuellement représentée par les Fournier de Bellevüe, Rennes, Imprimerie de F. Simon, 1909, p. 205.

Le 11 brumaire an III, le divorce sera prononcé par l’officier de l’état civil de la municipalité de Paris entre Mme de La Chapelle et son époux disparu, et entre M. de Perrochel et son épouse, également disparue ; deux mois plus tard, le 12 nivôse an III (1er janvier 1795), Mme de La Chapelle et M. de Perrochel feront célébrer leur mariage devant l’officier public de la commune de Lessay, où ils se sont installés depuis la prononciation de leur double divorce. Alix Elisabeth Louise Rose Gabrielle de Cheylus, devenue Mme de Perrochel, mourra de maladie le 5 février 1800.

III.3.3. Siméon Nicolas Lefèbvre

On ne sait rien du chirurgien Lefebvre, sinon qu'il a été dénoncé comme prêchant le fédéralisme dans la mouvance de Louis François de Perrochel. Il s'agit probablement de Siméon Nicolas Lefèbvre, dit Siméon Nicolas Lefèbvre de Lessay, officier de santé ou chirurgien, maire de Lessay, Manche, né le 11 janvier 1756 à Créances, Manche, fils de feu Siméon Lefèbvre, officier de santé. Il épousera le 20 floréal an VIII (10 mai 1800) à Rauville-la-Place, Manche, Henriette Suzanne Françoise Renée du Hecquet, fille d'Henry François du Hecquet, chevalier, et de Suzanne de Lempérière, demoiselle de Montigny.

III.3.4. Antoine Nicolas Collier de La Marlière encore

L'appel de Robespierre à l'accusateur public pour Lamarlière » [cf. supra] fait montre d'efficace rapide. Décrété d'accusation par la Convention le 31 juillet 1793 à la suite d'un rapport de Jeanbon Saint-André qui signalait ses liens avec le général Custine, lié lui-même au traître Dumouriez, le général Antoine Nicolas Collier, comte de La Marlière ou de Lamarlière, est condamné à mort et guillotiné le 6 frimaire (26 novembre 1793). Marie Françoise Elisabeth Fouquard d'Olympies, son épouse, est venue la veille solliciter la clémence de Robespierre. En vain.

robespierre_chambre.jpg

La chambre de Robespierre chez Maurice Duplay. Illustration de L. Crépon pour l'Histoire des Girondins de Lamartine.

Le 22 frimaire (12 décembre 1793), une députation de femmes des suspects détenus vient demander à la Convention la mise en liberté de leurs époux. Le 6 nivôse (26 décembre 1793), Bertrand Barère de Vieuzac propose, au nom des deux Comités, la formation d'une commission de cinq membres chargés d'examiner les motifs d'arrestation des suspects et de prononcer sur leur cas. Robespierre note dans son carnet « Rapport du décret « en faveur des femmes des conspirateurs » (note 91) et fait ajourner cette proposition.

Dans le même temps, Robespierre se penche sur la requête d'Antoine Marie Anne Girard (Narbonne, 1753 à Narbonne-1818, Narbonne), député de l'Aude, qui, nommé représentant en mission, lui demande un congé d'un mois. « Statuer sur Girard », lit-on dans le carnet de Robespierre (note 85). On ne sait si ce congé a été accordé. À noter que Girard, qui siège dans les rangs de la Montagne, a voté lors du procès de Louis XVI pour l'appel au peuple. Il aurait dit, en votant : « Il est enfin arrivé ce jour de vengeance d’une faction infâme. Français, consolez vous ; il est arrivé aussi le jour du triomphe de l’humanité ! »

III.3.5. Charles Pierre Maximilien Radix de Sainte-Foix

sainte-foix.jpg

Maison de M. de Sainte-Foix, dessin de Jean Baptiste Lallemand (1716-1803). Sur l'emplacement de cet hôtel particulier, démoli en 1858, s'élève aujourd'hui l'Opéra Garnier.

Charles Pierre Maximilien Radix de Sainte-Foix (1736-1810) est un homme de finances. Attaché d'ambassade à Vienne en 1759, trésorier de la Marine de 1764 à 1771 avec cinq cent mille livres de revenu, premier commis-secrétaire de légation, puis ministre plénipotentiaire à la cour du duc des Deux-Ponts en 1774, il achète en 1776 la charge de surintendant des finances du comte d'Artois. Accusé en 1780 par Necker de détournement — au détriment ou en faveur du comte d'Artois ? —, il doit fuir un temps à Londres, où il se lie avec le groupe des mécontents des années pré-révolutionnaires, parmi lesquels Charles Alexandre de Calonne, ancien ministre et contrôleur général des finances de Louis XVI, brutalement renvoyé le 10 avril 1787, et Jean Joseph de Laborde, banquier de Calonne.

calonne_laborde.jpg

De gauche à droite : portrait de Charles Alexandre de Calonne, par Élisabeth Vigée-Lebrun ; portrait de Jean Joseph de Laborde, par Alexandre Roslin (1718-1793), dessinateur, et Ange Laurent de La Live de Jully, graveur.

Rentré à Paris après la prise de la Bastille, et alors que le comte d'Artois est parti en émigration, Charles Pierre Maximilien Radix de Sainte-Foix se trouve sollicité par Armand Marc de Montmorin Saint-Hérem, ministre des Affaires étrangères, pour aider à mettre au service de la Contre-Révolution, avec l'appui de Calonne et la collaboration du banquier Laborde, une part de la liste civile votée le 26 mai 1791 par l'Assemblée législative au bénéfice du Roi et de la Reine, soit une somme de 24 millions de francs annuelle. Il succède à Mirabeau dans ce rôle occulte. Il reçoit alors dans sa maison, située sous les arcades du Palays-Royal, ses proches amis : Dumouriez ; Talleyrand ; Yvan Matvéevitch Simoline, dit M. de Simolin, ministre plénipotentiaire en France de l'Impératrice de Russie ; Montmorin ; Maximilien Gérard de Rayneval, secrétaire d'ambassade à Lisbonne, puis à Saint-Petersbourg ; et le général de Biron, bientôt guillotiné (31 décembre 1793). C'est lui qui inspire à Louis XVI l'idée de prendre un temps Charles François Dumouriez au ministère des Affaires étrangères, puis au ministère de la Guerre. Il est ensuite le banquier de Danton.

armoire_fer.jpg

Correspondance royale trouvée en 1792 dans l'Armoire de fer, au château de Tuileries, et remise par Roland, ministre de l'Intérieur à l'Assemblée nationale. À droite, l'ouvrier Gamain qui a créé cette armoire pour Louis XVI et qui l'ouvre pour Roland de la Platière, à gauche. Le squelette de Mirabeau sort de l'armoire. Les documents trouvés dans l'armoire montrent la complicité qu'ont entretenue Mirabeau et la famille royale. Mirabeau sera en conséquence exclu du Panthéon. Dans un médaillon au-dessus de la porte, le roi Louis XVI, représenté en serpent. Caricature anonyme.

barere.jpg

Portrait de Bertrand Barère de Vieuzac en 1790, par Gabriel Fiesinger (1752–1807) d'après Jean Urbain Guérin (1761–1836).

Au vu des papiers trouvés le 20 novembre 1792 dans l'armoire de fer » de Louis XVI , papiers qui ont pourtant été préventivement purgés par Jean Marie Roland de La Platière, alors ministre de l'Intérieur, Charles Pierre Maximilien Radix de Sainte-Foix est décrété de prise de corps à la demande d'une partie de la Convention girondine et déféré le 27 février 1793 devant le Tribunal criminel. Mais Bertrand Barère de Vieuzac, qui est à l'Assemblée l'une des têtes politiques de la Plaine et qui craint des révélations susceptibles de concerner trop de membres du gouvernement, dont lui-même, le fait acquitter. Jusqu'en juin 1793 toutefois, Charles Pierre Maximilien Radix de Sainte-Foix demeure assigné à résidence chez lui. Il s'installe ensuite dans le vaste couvent des Prémontrés qu'il a acquis dans l'Aisne.

dumont.jpg

André Dumont, croquis de Georges François Marie Gabriel, Musée Carnavalet.

En octobre 1793, Robespierre se saisit à nouveau de l'affaire Sainte-Foix. « Parler à Dumont pour Sainte-Foi [sic] », écrit-il alors dans son carnet (note 74). Il intime donc au représentant André Dumont, député de la Somme, par ailleurs son ami personnel, l'ordre de faire arrêter Sainte-Foix comme étant prévenu de spéculation sur les biens nationaux et de complot avec les Autrichiens, en particulier de financement de la trahison de Dumouriez. D'abord détenu à Laon, Saint-Foix est incarcéré le 4 frimaire an II (25 novembre 1793) à la Conciergerie. Mais protégé par Barère, Vadier et le Comité de sûreté générale, il échappe au jugement « pour cause de maladie » et se trouve mis à l'abri dans la maison de santé Belhomme.

chabanais_hotel.jpg

Vue du pavillon Colbert de l'ancien hôtel de Chabanais, carte postale reproduite par Frédéric Lenormand, in La pension Belhomme ; une prison de luxe sous la Terreur, Paris, Fayard, 2002. L'hôtel de Chabanais a été détruit en 1972.

« À la suite du vote de la loi des suspects en septembre 1793, les prisons de Paris sont bientôt bondées et l’État réquisitionne les cliniques privées pourvues de barreaux, en commençant par la pension Belhomme, située dans l'ancien hôtel de Ventadour, rue de Charonne. Jacques Belhomme s’entend avec les policiers pour se faire envoyer de riches prisonniers qui paieront une forte pension pour vivre cette épreuve aussi confortablement que possible. Dès lors se bousculent chez lui, au milieu des fous, marquises, banquiers, journalistes, comédiennes célèbres, vieux nobles, officiers, et une foule d’anonymes en disgrâce qui soudoient médecins et policiers pour s’y faire transférer sous prétexte de maladie. Pour s’agrandir, Jacques Belhomme loue le bâtiment voisin, l’hôtel de Chabanais, confisqué par l’État à la suite du départ en émigration du marquis éponyme » (21). Arrêté le 26 janvier 1793 car « prévenu d’ exactions envers les riches et d’ inhumanité envers les malheureux ; en outre d’avoir laissé communiquer les personnes suspectes détenues dans sa maison avec celles du dehors sans autorisation » (22), Belhomme est emprisonné à l'ancien couvent de Picpus, devenu lui aussi maison de santé-prison. Quoique condamné à six ans de fers, il échappe à sa peine au lendemain de Thermidor.

Le 18 vendémiaire an III (9 octobre 1794), Charles Pierre Maximilien Radix de Sainte-Foix sera déféré une troisième fois devant le Tribunal révolutionnaire et une troisième fois acquitté. Talleyrand, son ami de toujours, l'emploiera officieusement avec Jean Frédéric Perregaux, banquier neuchâtelois, et autres vieux partisans de la perpétuation de la monarchie.

III.3.6. Louis Antoine Pio, dit le chevalier Pio, Pierre Jean Berthold de Proli, dit Proly, Jean Théophile Victor Leclerc, dit Leclerc d'Oze ou de Lyon, Pierre Marie Henri Hélène Tondu, dit Lebrun ou Lebrun-Tondu

III.3.6.1. Louis Antoine Pio, dit le Chevalier Pio et Pierre Marie Henri Hélène Tondu, dit Lebrun ou Lebrun-Tondu

En septembre 1793, Robespierre mentionne dans son carnet, sans autre précision, « les sermens de Pio » (note 10), puis « Conspiration de Proli, Leclerc » (note 50). Louis Antoine Pio, dit le chevalier Pio, alors secrétaire de l'ambassade de Naples en France, commence en 1790 sa carrière de dénonciateur en révélant que l'ambassadeur Circello tient chez lui des « conciliabules aristocratiques » (23). Démis de ses fonctions par la cour de Naples, Louis Antoine Pio reste en France, obtient la nationalité française et un emploi dans les bureaux du ministère de la Guerre, puis dans ceux de l'Hôtel de ville chargés des papiers des émigrés, puis encore dans ceux du ministère de la Guerre. Ardent thuriféraire de Robespierre, d'où les « les sermens de Pio » (note 10) signalés par l'Incorruptible, il se fait en 1793 grand contempteur des Girondins et de Danton.

lebrun_tondu.jpg

Portrait de Pierre Henri Hélène Marie Tondu, dit Lebrun, ou Lebrun-Tondu (1754-28 décembre 1793, guillotiné), gravure au pointillé par François Bonneville (1755-1844).

En mars 1793, Louis Pio informe Lebrun-Tondu, son ministre de tutelle, qu'il le dénonce au Comité de salut public. Lebrun est en effet ami et complice de Dumouriez. Décrété d'arrestation le 2 juin 1793 mais maintenu en fonction jusqu'au 5 septembre, Lebrun s'évade alors dans Paris. Finalement arrêté le 4 nivôse an II (24 décembre 1793), il est guillotiné le 28 décembre 1793.

Quelques jours après la dénonciation de Lebrun, Louis Pio dénonce encore dans le journal de Marat, Proli, Dubuisson (24) et Pereira (25), comme étant des agents de Lebrun. Il reçoit chez lui dans le même temps Charles Pierre Maximilien Radix de Sainte-Foix et ses amis politiques.

Dénoncé à son tour, Louis Antoine Pio sera arrêté et incarcéré le 25 ventôse 1793 (15 mars 1794), soit deux jours après l'arrestation de Jacques René Hébert. Le 22 thermidor an II (9 août 1704), il adressera au Comité révolutionnaire de la section des Piques une supplique pour être libéré : « Persécuté, opprimé, trahi par le dictateur Robespierre et ses satellites, je suis aujourd'hui dans les fers... » (26). Après sa libération, il vivra petitement de traductions de l'italien et publiera en 1807 Lettere italiane scelte.

III.3.6.2. Pierre Jean Berthold de Proli, dit Proli ou Proly

Né le 18 décembre 1750 à Bruxelles, fils du comte Balthazar Proli, conseiller et receveur-général des domaines et finances de l’Impératrice Marie-Thérèse aux Pays-Bas, directeur à Anvers d’une importante maison de banque, et de Marie-Anne Cloots — ou fils naturel du prince de Kaunitz ? –, Pierre Jean Berthold de Proli est avant la Révolution auditeur à la Chambre des comptes de Bruxelles. Parallèlement é cette fonction, il s’occupe d’affaires commerciales et industrielles « pour le trafic de la Mer Rouge et des Indes » et il participe aux grandes spéculations relatives à la création de la nouvelle Compagnie des Indes, notamment avec l’abbé d’Espagnac, le baron de Batz et les initiés de l’entourage de Charles Alexandre de Calonne.

À partir de 1789, Proli fréquente d'abord le club des Étrangers de la rue du Mail et le salon contre-révolutionnaire de Mme de Sainte-Amaranthe. Investi en mars 1793 par Lebrun de la mission secrète de se rendre aux Pays-Bas pour « surveiller » la conduite de Dumouriez, il est à l'origine de la dénonciation de ce dernier comme « traître à la patrie », le 1er avril 1793. Il s'implique ensuite dans le mouvement des Exagérés, contribue au financement des émeutes des 31 mai et 2 juin 1793 et tire ainsi gloire d’être à l’origine de l’arrestation des Girondins.

31_mai_1793.jpg

Journées des 31 mai, 1er et 2 juin 1793, ou 12, 13 et 14 prairial an Ier de la République, qui entraînent la chute des Girondins ; Swebach Desfontaines inv. & del. ; Pierre Gabriel Berthault (1737-1831) sculp. ; eau-forte par Jean Duplessis-Bertaux (1750-1819).

Arrêté à son tour au début d’octobre 1793, Proli se voit relâché sur intervention de Marie Jean Hérault de Séchelles, qui protège discrètement les initiatives des Exagérés, car proche de ce mouvement lui-même.

herault_sechelles.jpg

Portrait de Marie Jean Hérault de Séchelles (1759-5 avril 1794, guillotiné) en 1793 par Jean Louis Laneuville (1756–1826), Musée Carnavalet.

À nouveau décrété d’arrestation le 27 brumaire, Proli parvient à se cacher un temps dans la banlieue parisienne, chez l'épouse d'un ancien directeur de la Compgnie des Indes. Mais Robespierre, qui commence d'entrevoir l'implication de certains députés de la Convention — François Chabot, Joseph Delaunay dit d'Angers [membre du premier Comité de salut public], Jean Julien dit de Toulouse [membre du premier Comité de salut public], Fabre d'Églantine, Claude Basire —, dans l'opération de spéculation relative au décret de liquidation de la Compagnie des Indes voté le 24 août 1793, entreprend alors, pour « sauver l'honneur de la Convention et de la Montagne » et pour se donner le temps de « distinguer la nuance entre les chefs de la corruption et les foibles égarés » (note 79), de frapper d'abord au moins politiquement coûteux, i.e. de faire arrêter Proli, qu'on pouvait assez facilement accuser d’espionnage pour le compte de l’Autriche, comme indiqué par une dénonciation signée [Jean Pierre André] Amar [député de l'Isère à la Convention], trouvée dans les papiers de Robespierre après Thermidor :

amar.jpg

Portrait de Jean Pierre André Amar (1755-1816), membre du Comité de sûreté générale, in Histoire de la Revolution Francaise de Louis Blanc.

« Comment se fait-il que Proly, étranger et fils de la maîtresse du prince de Kaunitz, par conséquent très fort dans le cas d’être soupçonné le bâtard et le pensionnaire de ce prince autrichien, se soit donné, à Paris, comme un patriote à trente-six karats (sic), et qu’il n’ait pu jusqu’ici passer, malgré son adresse, que pour un intrigant ? Comment se fait-il que Proly, qui n’est rien, qui ne doit se mêler de rien, soit fourré dans toutes les affaires ? Comment se fait-il que Proly et Desfieux [ami de Jacques René Hébert], et leur cabale, sachent tous les secrets du gouvernement quinze jours avant la Convention nationale ; qu’ils connaissent les promotions futures, et qu’à point nommé ils aient des nouvelles fraîches et ostensibles sur toutes les affaires, et des nouvelles secrètes, qu’on devine à leur allure, et d’après lesquelles ils se conduisent ? Comment se fait-il que Desfieux et Proly, étant de grands patriotes, soient les inséparables des banquiers étrangers les plus dangereux, tels que Walquiers, de Bruxelles, agent de l’empereur, tels que Simon, de Bruxelles, agent de l’empereur ; tels que Grenus, de Genève, grand inséparable de Proly ; etc. » (27)

Proli sera arrêté en février 1794. Malgré les efforts entrepris par Bertrand Barère de Vieuzac, là encore, pour le sauver, il sera impliqué dans la conspiration des Exagérés et guillotiné le 24 mars 1794 en même temps que ces derniers, ainsi qu'avec le banquier Jacob Pereira et avec Anacharsis Cloots, son propre cousin, — trois de ces étrangers dont Robespierre se méfiait de longue date.

Extrait de l'acte d'accusation dressé par Antoine Quentin Fouquier-Tinville :

D'autres conjurés, les Desfieux, les Pérère, Proly, Lacombe, Anacharsis Clootz, Dubuisson ; la femme Quétineau, Leclerc etc., préparoient aussi de leur côté, par l'avilissement de la représentation sa dissolution et ne craignoient pas de publier leurs projets assassins en désignant les représentants du peuple qu'ils se proposoient de faire tomber sous leurs coups meurtriers. Ces conjurés commençoient par jetter les brandons de la discorde entre les membres des deux sociétés populaires réunies jusqu'à ce jour pour écraser les traîtres et les despotes, et delà ils tentèrent les mêmes manœuvres dans d'autres endroits soit publics, soit particuliers. Dans le moment où ces conjurés formaient le projet de la révolte criminelle contre la souveraineté du peuple et le gouvernement révolutionnaire, leurs émissaires se répandoient de toutes parts à Paris et dans les communes environnantes pour exciter par des placards incendiaires la rébellion envers la représentation nationale et les autorités constituées.

De tous côtés, des pamphlets, des écrits distribués dans les halles, marchés et autres endroits publics, provoquaient le peuple au retour de la tirannie, dont le rétablissement étoit préparé par cette horde de conjurés, en demandant hautement l'ouverture des prisons pour renforcer le nombre de leurs complices, arriver plus promptement et plus sûrement au massacre des représentants du peuple. Déjà même tout indique que de nouveaux instruments de mort se préparoient.

À cette fin, de fausses patrouilles devoient égorger les citoyens de garde aux maisons d'arrest. Le trésor public et la maison de la Monnaye devoient devenir la première proie des conjurés et de leurs complices.

Il est à remarquer que le moment où cette conspiration a éclaté est celuy où la Convention avait rendu un décret sévère entre les conspirateurs et assuroit leurs biens aux malheureux. C'est ainsi que ces conspirateurs, dont les forfaits devoient surpasser ceux même des despotes coalisés contre ie peuple françois, se proposoient de rétablir la tirannie et d'anéantir, s'il étoit jamais possible, la liberté qu'ils n'avoient paru deffendre que pour l'assassiner plus sûrement.

D'après l'exposé cy-dessus, l'accusateur public a dressé la présente accusation contre Ronsin, Hébert, Momoro, Vincent, Laumur, Kock, Proly, Desfieux, Anacharsis Clootz, Pérére, la femme Quétineau, Armand, Aucor, Ducroquet, Leclerc, Mazuel, Laboureau, Dubuisson et Bourgeois pour avoir conspiré contre la liberté du peuple françois et la représentation nationale, pour avoir tenté de renverser le gouvernement républicain pour y substituer un pouvoir monarchique, pour avoir ourdi le complot d'ouvrir les prisons afin de livrer le peuple et la représentation nationale à la fureur des scélérats détenus, pour avoir coïncidé entre eux à la même époque dans les moyens et le but de détruire la représentation nationale, d'anéantir le gouvernement et livrer la république aux horreurs de la guerre civile et de la servitude par la diffamation, par la révolte, par la corruption des mœurs, par le renversement des principes sociaux et par la famine qu'ils vouloient introduire dans Paris pour avoir suivi un sistème de perfidie qui tendoit à tourner contre le peuple et le régime républicain les moyens par lesquels le peuple s'est affranchi de la tirannie. » (28)

III.3.6.3. Jean Théophile Victoire Leclerc, dit Théophile Leclerc d'Oze, ou de Lyon

Lorsque Robespierre note dans son carnet « Conspiration de Proli, Leclerc » (note 50), on voit qu'il associe dans sa pensée deux figures des dérives politiques qui menacent alors l'unité de la Convention : celle des Hébertistes et celle des Enragés.

leclerc_bapteme.jpg

22 décembre 1771. Acte de baptême de Jean Théophile Victoire Leclerc. AD42. Lézigneux. Baptêmes, mariages, sépultures. 1762-1775. Document 3NUMRP6/1MIEC123X02. Vue 108.

leclerc.jpg

Portrait de Jean Théophile Victor Leclerc, peintre inconnu. Source : Anarcopedia.

Parti en Martinique en mars 1790, Jean Théophile Victoire Leclerc (1771-ca 1820) s'y engage au côté des révolutionnaires martiniquais. Expulsé en juillet 1791 vers la France, il entre dans l'armée révolutionnaire et continue de défendre ses camarades martiniquais auprès du Club des Jacobins et de l'Assemblée. Il rejoint ensuite l'armée du Rhin et participe à la bataille de Jemmapes. Transféré en février 1793 à l'armée des Alpes, il est envoyé à Paris le 9 mai afin d'y rendre compte de la situation lyonnaise. Nommé le 29 mai, membre du Comité révolutionnaire formé au Comité central, puis, le 31 mai, membre de la Commission des Postes, il se lie au club des Cordeliers et à la Société des Républicaines Révolutionnaires, puis s'associe aux Enragés, incarnés par Jacques Roux et Jean François Varlet. Membre du comité insurrectionnel qui précipite la chute des Girondins lors de la journée du 2 juin 1793, il intervient à la Convention nationale le 4 juin pour réclamer une répression plus sévère.

Chassé du club des Cordeliers ainsi que Jacques Roux le 30 juin 1793, il s'érige après l'assassinat Marat en successeur de ce dernier. Il publie alors L'Ami du peuple par Leclerc, journal dans lequel il prône le maximum des prix, une purge radicale de l'armée, la création d'une armée révolutionnaire composée seulement des partisans de la Terreur, l'exécution de tous les suspects. Après la publication de 24 numéros de ce journal, les Jacobins demandent son arrestation. Il cesse en conséquence, le 15 septembre 1793, la publication de son journal. « Les hommes nouveaux ne paraissent trop exaltés que parce que les vieux s'usent », ne se prive-t-il pas toutefois d'écrire peu de temps auparavant dans L'Ami du peuple par Leclerc.

Il sera arrêté le 3 avril 1794 sur ordre du Comité de sûreté générale et incarcéré le 6 avril 1794 à la prison du Luxembourg. Pauline Léon, son épouse, et Claire Lacombe, son ancienne compagne, fondatrices toutes deux de la Société des Républicaines Révolutionnaires, ont été arrêtées en même temps que lui et écrouées elles-aussi à la prison du Luxembourg. On se souviendra ici qu'à la fin du mois d'octobre 1793, Robespierre note dans son carnet : « Dissolution des f. r. r. [Femmes Républicaine Révolutionnaires] » (note 37). Le Règlement de cette Société date du 9 juillet 1793. Le décret relatif à la dissolution de ladite Société date du 30 octobre 1793. Opposé au vote de ce décret, le député Louis Joseph Charlier, député de la Marne, déclare ce même 30 octobre à l'Assemblée : « Je ne sais sur quel principe on peut s'appuyer pour retirer aux femmes le droit de s'assembler paisiblement. À moins que vous contestiez que les femmes font partie du genre humain, pouvez-vous leur ôter ce droit commun à tout être pensant ? »

femmes_revolutionnaires.jpg

Jean Baptiste Lesueur (1749-1826) ou Pierre Étienne Lesueur († 1802), Club patriotique de femmes, 1793, Musée Carnavalet.

« Le 7 juillet 1793, « le Comité révolutionnaire inspecte les papiers de Leclerc qui sont mis sous scellés et laissés à la garde de la mère de Pauline Léon et conclut "qu’il ne s’est rien trouvé de contraire au principe de la révolution" » (29). Jean Théophile Victoire Leclerc et Pauline Léon-Leclerc seront libérés le 22 août 1794. Jean Théophile Victor Leclerc reste en France jusqu'à 1798. Il est alors employé au bureau des musées, bibliothèques, conservatoires, théâtres et fêtes nationales, qui relève du ministère de l'Intérieur. En 1804, Pauline Léon-Leclerc est institutrice dans Paris. Elle mourra en 1838 à La Roche-sur-Yon. On retrouve Jean Théophile Victoire Leclerc, devenu entre temps Jean Leclerc, en 1809 à la Nouvelle Orléans, où il publie L’Ami des Lois, journal qui fait montre de son soutien aux luttes révolutionnaires et indépendantistes contre la couronne d’Espagne, mais qui vit des annonces esclavagistes. Le 8 janvier 1815, engagé volontaire dans une compagnie de carabiniers, il participe aux côtés du général Jackson à la bataille pour la défense de La Nouvelle-Orléans contre la tentative d'invasion anglaise. Il meurt pauvre, probablement bigame, circa 1820. (30)

III.3.7 Du projet d'instauration d'un tribunal censorial : « Blanval, finances, Rome, Rafron, Merlin, Jagot, Laloi, Bouquier, Isoré, Gentil, du Mont-Blanc, Lombart-Lachaux, Forestier, Enlard, Deville » (note 43).

Robespierre dresse encore dans son carnet la liste de noms reproduite ci-dessus — « Blanval, Rome, Rafron, Merlin, Jagot, Laloi, Bouquier, Isoré, Gentil, [Simond] du Mont-Blanc, Lombart-Lachaux, Forestier, Enlard, Deville » — noms dont il ne dit pas en quoi ceux-ci l'intéressent. Faute d'indications minimales, hormis dans le cas de Blanval, on peine à identifier parfois les personnes que ces noms désignent. D'autant que lesdits noms se trouvent plus d'une fois mal orthographiés.

Joseph Annet Artaud de Blanval, dit Artaud-Blanval (1743-1810), est un propriétaire-négociant d'Ambert, Puy-de-Dôme. Élu député du Puy-de-Dôme à la Convention, régicide, il siège sur les bancs de la Montagne. L'Histoire n'a rien retenu d'autre de sa participation à la Convention. Robespierre note à son propos « Blanval, finances ». Il s'intéressait donc à ses aptitudes comptables.

romme.jpg

Portrait de Charles Gilbert Romme (1750-1795) par Jules Porreau (1853). Clermont Auvergne Métropole. Bibliothèques et médiathèques. L'Auvergne en portraits.

Charles Gilbert Romme, dit Gilbert Romme (1750-1795), député du Puy-de-Dôme à la Convention, Montagnard, régicide, devient membre du Comité d'instruction publique. Chargé de concevoir le calendrier révolutionnaire, il voit son projet adopté le 5 octobre 1793 (3 brumaire an II), avec la nomenclature des noms de mois proposée par Fabre d'Églantine. Envoyé en mission à l'armée des côtes de Cherbourg le 30 avril 1793, il est arrêté à Caen le 9 juin avec son collègue Prieur de la Côte d'Or. Retenus tous deux comme otages par les fédéralistes à Caen, ils sont libérés le 29 juillet, suite à l'échec de l'insurrection en Normandie. Envoyé ensuite en Dordogne et départements voisins pour activer la fabrication de canons pour la Marine et pour épurer les administrations locales, il y œuvre du 24 pluviôse an II (12 février 1794) au 4 vendémiaire an III (25 septembre 1794), de telle sorte qu'il se trouve absent de Paris au moment de Thermidor. Opposé ensuite aux Thermidoriens, car décidé à poursuivre l'œuvre de la Montagne, il vote à la suite de la journée d'émeute du 1er prairial an III (20 mai 1795), marquée en pleine assemblée par l'assassinat du député Féraud, une série de lois favorables aux émeutiers. Déféré le 29 prairial an III (17 juin 1795) devant le Tribunal militaire et condamné à mort, il se suicide en pleine audience.

Nicolas Raffron-Dutrouillet (1723-1801), avocat, député de la Seine à la Convention, régicide, siège dans les rangs de la Montagne, puis commence de s'en éloigner à partir de février 1793. À l'Assemblée, il traite tour à tour de l'instruction publique, de la lutte contre les accapareurs, de l’exclusion des nobles de l’armée, etc. Le 13 nivôse an II (2 janvier 1794), il présente une suite d'observations sur les établissements proposés par les Comités des secours et d'instruction publique en faveur des sourds-muets. Après Thermidor, il réclame la mise en accusation de Jean Baptiste Carrier et de Guislain François Joseph Lebon, qui ont « terrorisé » respectivement la Vendée et l'Artois.

merlin_douai.jpg

Portrait de Philippe Antoine Merlin de Douai, lithographie de François Séraphin Delpech (1778–1825).

Philippe Antoine Merlin, dit Merlin de Douai (1754-1838) [plutôt qu'Antoine Merlin de Thionville (1762-1833), avocat, député de la Moselle à la Convention], avocat tenu très tôt pour un jurisconsulte de grande valeur, député du Nord à la Convention, siège avec la Montagne et vote la mort du Roi. Envoyé en mission en Belgique, il dresse un rapport sur la conduite de divers généraux, dont celle d'Arthur Dillon, et il rend compte de la trahison de Dumouriez. En septembre 1793, avec Jean Jacques Régis de Cambacérès, il est le rapporteur de la loi des suspects, ce qui lui vaut d'être surnommé « Merlin Suspect » :

« Sont désignés suspects ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté ; ceux qui ne pourront pas justifier, de la manière prescrite par le décret du 21 mars dernier, de leurs moyens d'exister et de l'acquis de leurs devoirs civiques ; ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme ; les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par la Convention nationale ou par ses commissaires et non réintégrés ; ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs, et agents d'émigrés, qui n'ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution ; ceux qui ont émigré dans l'intervalle du 1er juillet 1789 à la publication du 30 mars – 8 mars 1792, quoiqu'ils soient rentrés en France dans le délai prescrit par ce décret ou précédemment. »

Après le 9 Thermidor, Philippe Antoine Merlin de Douai prend le parti de la réaction, devient membre du Comité de salut public (1er septembre 1794-23 septembre 1795) et apporte de grandes améliorations à la législation criminelle par le Code des délits et peines, du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795). Sous le Directoire, il devient ministre de la Justice, puis ministre de la Police générale, puis Directeur avec Barras et Rewbell. Sous l'Empire, il est nommé procureur général au Tribunal de Cassation, conseiller d'État à vie, chevalier de l'Empire (1808), comte de l'Empire (1810), membre du comité pour les affaires de la couronne, grand officier de la Légion d'honneur (1810), et élu Académicien français. À la seconde Restauration, il doit s'exiler à Bruxelles et ne rentre en France qu'après la révolution de Juillet 1830.

Grégoire Marie Jagot (1750-1838), député de l'Ain à la Convention, Montagnard, régicide, est nommé en 1793 membre du Comité de division et du comité de sûreté générale où il développe une activité policière importante en concertation avec Jean Pierre André Amar et Marc Guillaume Alexis Vadier. Usant de listes de prétendus conspirateurs de prison méthodiquement créées par ses soins, il parvient à envoyer ainsi des centaines de personnes à l'échafaud avant Thermidor. Arrêté après Thermidor, il bénéficiera de l’amnistie d’octobre 1795.

lalloy.jpg

Portrait de Pierre Antoine Lalloy, ou Laloy (1749-1846), in Mémoires de la Société des lettres, des sciences, des arts, de l'agriculture et de l'industrie de Saint-Dizier, tome XIV, 1912.

Pierre Antoine Lalloy, ou Laloy (1749-1846), avocat, maire de Chaumont, député de la Haute-Marne à la Convention, Montagnard, régicide, participe à la lutte contre la Gironde et réclame à ce propos un décret d'accusation contre Charles Jean Marie Barbaroux. Sensible à la misère, il crée des ateliers de charité dans sa ville de Chaumont. Membre du jury de l'Instruction publique, il tente d'obtenir de la Convention « un salaire abondant et une retraite » pour les instituteurs, qui sont, dit-il, les « maîtres de notre jeunesse ». Le 6 novembre 1793, dans le contexte de la Terreur, il est élu président de la Convention et le 10 novembre 1793 à Paris, il participe à la fête donnée à Notre-Dame en l'honneur de la déesse Raison. Il entre ensuite dans la conjuration qui entraîne le 9 Thermidor la chute de Robespierre.

bouquier.jpg

Autoportrait de Gabriel Bouquier, reproduit dans La conversion d'un sans-culotte : Gabriel Bouquier, peintre, poète et conventionnel, 1739-1810... / Eugène Defrance (1874-19..), Paris, Mercure de France, 1912.

bouquier_rome.jpg

Gabriel Bouquier, La terrasse de la ville Mattei à Rome, 1778.

Gabriel Bouquier (1739-1810), artiste peintre formé en Italie, poète, député de la Dordogne à la Convention, Montagnard, régicide, membre du Comité d'Instruction publique et plusieurs fois rapporteur de ce dernier, fait voter un plan sur la liberté d'enseigner, qui ne sera pas appliqué, parce que celui-ci rendrait possible le retour des prêtres dans l'institution scolaire ; puis le 24 juin 1794 un décret relatif à la restauration des tableaux du Museum national. Il compose par ailleurs une pièce en cinq actes et en vers nommée La réunion du dix août ou L'inauguration de la république française, représentée le 5 avril 1794 à l'Opéra national, aux frais de la République. Il se retire dans sa Dordogne natale après Thermidor.

isore_jacques.jpg

Jacques Isoré (1758-1839). Base de données des députés français depuis 1789. Assemblée nationale.

Jacques Isoré (1758-1839), cultivateur, député de l'Oise à la Convention, Montagnard, régicide, est envoyé le 1er août 1793 en mission dans l'Oise et l'Aisne, où il prend des mesures contre les prêtres réfractaires. En septembre 1793, il est envoyé à l'armée du Nord. Avec son collègue Chasles, il lève des troupes dans le département du Nord et les lance contre Douai. Mais ces troupes se livrent à de tels excès que les représentants Florent Guyot et Nicolas Hentz la dénoncent au Comité de salut public qui la dissout. Jacques Isoré poursuit sa mission dans le Nord jusqu'au printemps 1794 et y fait preuve d'une grande rigueur jacobine. Retourné ensuite à Paris, il présente le 3 floréal an II (22 avril 1794) un rapport sur l'agriculture et l'approvisionnement de la capitale. Le 16 floréal (5 mai 1794), il est élu premier secrétaire de la Convention sous la présidence de Carnot. Il approuve ensuite le coup de force du 9 Thermidor. Banni en 1816 comme régicide, il s'exilera à La Haye, puis sera amnistié le 26 décembre 1818.

François Gentil (1755-1830) [plutôt que Michel Gentil (1759-1805), député du Loiret à la Convention, qui siège parmi les modérés et vote le sursis au procès de Louis XVI], avocat consultant, député du département du Mont-Blanc à la Convention, siège avec les Montagnards et vote la mort du Roi. Membre de la Commission des finances, il fait valoir à juste titre que, chargé de famille et vivant du seul salaire que la Nation lui accorde, il est resté pauvre. Envoyé en mission le 22 juin 1793 à l'armée de la Moselle, il assure l'inspection des places fortes de la frontière. Le 27 ventôse an II (17 mars 1794, il tente en vain de défendre le cas de Marie Jean Hérault de Séchelles, dont Saint-Just demande alors l'arrestation. Il tente également en vain de défendre le cas de Philibert Simond [dit par Robespierre « du Mont-Blanc »], prêtre assermenté né dans le duché de Savoie, député du Bas-Rhin à la Convention nationale, qui, avec Marie-Jean Hérault de Séchelles et Grégoire Jagot, a aidé en 1792 au rattachement de la Savoie à la France et à l'organisation du département du Mont-Blanc. Pour avoir défendu ces deux cas, François Gentil sera exclu du club des Jacobins le 26 germinal an II (15 avril 1794). Il rentre ensuite dans son pays natal.

Pierre Lombard-Lachaux (1744-1807), prêtre catholique ou pasteur protestant ? ou tailleur d'habits ???, élu maire d'Orléans en 1792, puis député du Loiret à la Convention, siège dans les rangs de la Montagne et vote la mort du Roi. En mars 1793, il est envoyé en mission dans l'Aude et dans la Haute-Garonne afin d'y accélérer la levée en masse. Le 23 janvier 1794, il fait décréter en tant que rapporteur du comité des Finances la distribution d'une somme de cent mille livres aux théâtres parisiens ayant joué pour le peuple. Après la chute de Robespierre, Lombard-Lachaux reste fidèle à la Montagne et prend la défense de son ami Robert Lindet, attaqué par les thermidoriens. Il se rétablit comme pasteur en 1802 dans son Dauphiné natal.

Pierre Jacques Forestier (1739-1823), avocat, député de l'Allier à la Convention, siège dans les rangs de la Montagne et vote la mort du Roi. Envoyé en mission dans la Nièvre et dans l'Allier, il surveille la fabrique d'armes de Moulins. Le 23 brumaire an II (13 novembre 1793), il réclame en vain l'invalidation de l'arrêt obligeant à l'échange du numéraire contre des assignats. Il est en conséquence exclu du club des Jacobins le 6 frimaire (26 novembre 1793). Un mois après Thermidor, il s'élève contre la fureur des dénonciations. Dénoncé lui-même par des pétitionnaires de Moulins qui l'accusent d'avoir « terrorisé » le département de l'Allier, il parvient momentanément à se justifier. Mais il se trouve poursuivi et emprisonné après les événements du 1er prairial an III (20 mai 1795). Il bénéficie ensuite de l'amnistie du 4 brumaire an IV (26 octobre 1795). Il sort alors de la carrière politique.

enlart1.jpg

Journal de la Révolution à Montreuil-sur-Mer par Georges de Lhomel, Abbeville, Imprimerie Lafosse, 1901, frontispice.

enlart2.jpg

Lettre citée in Journal de la Révolution à Montreuil-sur-Mer par Georges de Lhomel, Abbeville, Imprimerie Lafosse, 1901, pp. 310-311.

Nicolas François Marie Enlart (Montreuil-sur-Mer,1760-1842, Montreuil-sur-Mer), avocat, administrateur du district du Pas-de-Calais en 1790, député du Pas-de-Calais à la Convention, siège avec les modérés et vote l'emprisonnement de Louis XVI. Le 19 octobre 1793, en réponse à des citoyens de Montreuil-sur-Mer qui se plaignent à lui du caractère arbitraire des arrestations opérées les 29 et 30 septembre par Guislain François Joseph Lebon, il les invite à lui « adresser un double des procès-verbaux et des motifs d'arrestation », et leur promet de « juger du mérite des sollicitations qui lui sont adressées, sans s'exposer à contrarier les mesures de salut public, que les autorités constituées ont cru devoir prendre dans nos cantons ». Après Thermidor, il poursuit sa carrière dans la magistrature.

deville.jpg

Portrait de Jean Louis Deville in Les Députés de Reims. 2, Assemblée législative (1791-1792). 3, Convention Nationale (1792-1795) / Georges Beausseron et Gustave Laurent. Bibliothèque Carnegie de Reims.

Jean Baptiste Louis Deville (1757-1834), député de la Marne à la Convention, siège dans les rangs de la Montagne et vote la mort du Roi. Le 13 avril 1793, dans l'appel nominal concernant la mise en accusation de Marat, il se prononce de la sorte :« Les aristocrates de toutes les époques ont toujours dit du mal de Marat ; en conséquence, je vote qu’il n’y a pas lieu à accusation contre Marat ». Il combat la radiation de François Laurent Xavier Levrault (31), procureur général syndic du département du Bas-Rhin, et de Philippe Frédéric de Dietrich, de la liste des émigrés. À la différence de François Laurent Xavier Levrault, le baron de Dietrich (32), après avoir émigré, se constitue prisonnier au début du mois de mars 1793. Il est acquitté à Dijon le 7 mars 1793. Mais Robespierre, qui le tient pour un « homme dangereux », réclame son envoi à Paris. Condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire, le baron de Dietrich est guillotiné le 29 décembre 1793. Le 26 frimaire an III (16 décembre 1794), Jean Baptiste Louis Deville soutiendra le projet de ne point rappeler dans l'Assemblée les députés mis hors la loi après le 31 mai 1793. et il poursuivra les émigrés de sa vindicte jusqu'au Consulat. Ancien régicide, il mourra en exil à Bouillon, Belgique.

À quelle fin Robespierre constitue-t-il en octobre 1793 cette longue liste de noms ? Voici l'hypothèse formulée par Albert Mathiez :

« Le 10 octobre 1793, sur le rapport de Saint-Just, la Convention avait décrété que le gouvernement de la France était révolutionnaire jusqu'à la paix. L'article 14 du décret stipulait qu'il serait créé "un tribunal et un juré (sic) de comptabilité", dont les membres nommés par la Convention auraient pour mission d'enquêter et éventuellement de poursuivre tous ceux qui avaient manié des deniers publics depuis la Révolution. On peut se demander si la liste inscrite ici n'était pas celle des députés qui, dans la pensée de Robespierre, devaient composer la chambre ardente révolutionnaire imaginée par Saint-Just. La présence de Raffron, qui avait demandé à plusieurs reprises l'institution d'un tribunal censorial, le laisserait croire. »

Instruit des critiques qui enflent contre la corruption de certains Conventionnels, contre les excès de certains commissaires en mission, et plus généralement contre les abus de la Terreur, Robespierre semble vouloir en effet constituer un petit groupe d'hommes qu'il juge honnêtes, méritants, efficaces, porteurs d'idées, tous motivés par la cause de la République, même s'ils le sont dans des configurations diverses, puisque Nicolas François Marie Enlart, de façon qu'on remarque, n'est ni Montagnard ni régicide - mais il est artésien comme Robespierre.

Ce groupe d'hommes constituerait l'espèce de tribunal censorial réclamé par Nicolas Raffron. Alors qu'en vertu de la loi du 10 mars 1793 qui instaure le Tribunal révolutionnaire, les mises en accusation d'un représentant du peuple, d’un ministre ou d’un général républicain nécessitent désormais un décret de l’assemblée, ce tribunal censorial serait chargé de formuler des jugements sur les gouvernants et leurs actions, ou encore d'émettre des revendications, et par là de parler au nom d'une opinion publique rendue là en quelque façon à son statut de contre-pouvoir. Il serait ainsi en capacité de dénoncer « ceux qui étant chargé de fonctions publiques en abusent pour servir les ennemis de la Révolution, pour vexer les patriotes, pour opprimer le peuple », et plus spécialement ceux qui, parmi les représentants du peuple ou ministres, seraient des « dilapidateurs de la fortune publique », comme dit l'article VI de la loi du 10 mars 1793.

Deux des membres du groupe à la formation duquel Robespierre songeait en octobre 1793 le trahiront au moment de Thermidor. Il s'agit de Pierre Antoine Lalloy et de Jacques Isoré. Nicolas Raffron-Dutrouillet se bornera, lui, à dénoncer les méfaits de Carrier et de Vadier.

III.3.8. Du culte des héros, ou de l'héroïsation de quelques patriotes

De façon plus générale, Robespierre se soucie alors de « découvrir et d'inventorier les hommes dignes de servir la cause de la liberté » (note 60) et, tel Gabriel Bouquier ou autres écrivains bien inspirés, capables « répandre de bons écrits » (note 60) et de contribuer ainsi à « ramener tous les esprits à l'unité et au républicanisme, seul moïen de terminer bientôt la Révolution au profit du peuple » (note 69). Dans le même ordre d'idées, Robespierre se préoccupe en décembre 1793 de faire valoir aux yeux du peuple l'exemple de trois patriotes en réclamant le « Panthéon pour le jeune hussard, pour Gasparin et Bayle » (notes 89 et 90).

pantheon_1795.jpg

Le Panthéon en 1795.

bara.jpg

Jean Joseph Weerts (1847-1927), Mort de Bara en 1793, Musée d'Orsay.

Sous le nom de « jeune hussard », Robespierre désigne François Joseph Bara, ou Barra, « charretier d'artillerie », tombé à l'âge de 14 ans en criant, dit-on, « Vive la République ! » sous les balles des troupes royalistes en Vendée. Il prononce son éloge au Panthéon le 8 nivôse (28 décembre 2793).

gasparin.jpg

Thomas Augustin de Gasparin, capitaine au régiment de Picardie en 1789, député des Bouches-du-Rhône à la Législative er à la Convention. Œuvre anonyme.

Thomas Augustin de Gasparin (1754-1793), député des Bouches-du-Rhône, siège dans les rangs de la Montagne et vote la mort du Roi. Membre du Comité de la guerre, il est envoyé le 4 avril 1793 aux armées du Nord et des Ardennes, il s’y trouve lorsque Charles François Dumouriez passe à l’ennemi, et il fait montre d'efficacité dans la mise en œuvre des mesures que la situation nécessite. Le 15 mai, il est nommé adjudant-général chef de brigade par le Conseil exécutif provisoire. Le 13 juin, il entre avec Jeanbon Saint André au Comité de Salut public. Le 16 juin, il fait adopter à l'Assemblée un décret « punissant de mort les Français ou étrangers convaincus d'espionnage dans les places de guerre ou dans les armées ». Il tente ensuite de plaider, en vain, la cause du général Custine (guillotiné le 28 août 1793), qui, nonobstant ses défaites du printemps de l'année 1793, lui semble devoir continuer à mener l'armée du Nord. Envoyé en juillet 1793 à l’armée des Alpes et à Marseille, il se rend à Toulon où il assiste à la lecture du Souper de Beaucaire par le capitaine Napoléon Bonaparte, son auteur.

souper_beaucaire.jpg

Jean Jules Antoine Lecomte du Nouÿ (1842–1923), Le souper de Beaucaire, 28 juillet 1793. Musée national du Château de Malmaison.

Favorablement impressionné par la détermination de ce jeune officier d'artillerie, Gasparin défend le plan que celui-ci propose, contre l'avis du général Jean François Carteaux, pour forcer la résistance de Toulon, et il prend part aux premiers assauts. Mais atteint d'une grave maladie pulmonaire, il est ramené auprès de sa famille à Orange, où il meurt à l'âge de 39 ans, le 17 brumaire an II (7 novembre 1793), sans avoir pu assister au triomphe du siège. « Son cœur fut envoyé à la Convention, qui décréta qu'il serait placé au Panthéon : ce décret toutefois resta sans exécution ; le cœur fut seulement déposé aux archives, où il se trouvait encore il y a une année », dit l'Encyclopédie des gens du monde : répertoire universel des Lettres, des Sciences et des Arts en 1839. (33)

baille_beauvais.jpg

Pierre Baille et Beauvais, dessin de Jacques Louis David, 1793. Harvard Art Museum.

Sous le nom orthographié « Bayle », Robespierre désigne Pierre Marie Baile, né en 1750 à Marseille, condisciple de Charles Jean Marie Barbaroux chez les Oratoriens de Marseille, élu comme lui député des Bouches-du-Rhône à la Convention. Mais, à la différence Charles Barbaroux qui s'illustre dans le camp des Girondins, Pierre Marie Baille siège sur les bancs de la Montagne, vote la mort du Roi et se montre d'un jacobinisme rigoureux. Envoyé en mission le 30 avril 1793 à l'armée d'Italie avec Charles Nicolas Beauvais de Préau afin de rétablir le calme à Toulon, il y déploie des mesures violentes, arrestations massives, incorporations forcées dans l'armée, cours forcé de l'assignat, saisies, réquisitions, qui suscitent la colère de la bourgeoisie locale. Après avoir quitté Toulon pour Nice le 3 juin 1793, il retourne à Toulon le 18 juillet, alors que la ville se trouve en proie à la révolte des sections royalistes. Il est arrêté et emprisonné en même temps que son collègue Beauvais de Préau. Il aurait refusé de de crier Vive Louis XVII et aurait été massacré, dit la rumeur du temps. Relatée par son collègue et compagnon de cellule Beauvais de Préau, la vérité est probablement autre. Apprenant que son père a été lui aussi emprisonné, Pierre Marie Baille se pend dans sa cellule le 2 septembre 1793, peu avant de comparaître devant un tribunal.

« Vers 1915, l’archiviste Mireur communique l’acte de décès de Baille, relatant les circonstances officielles de sa mort dans une casemate du fort Lamalgue : "Le nommé Pierre Baille, âgé d’environ quarante ans, taille de cinq pieds trois pouces, cheveux bruns, aurait été trouvé pendu par le cou, par un mouchoir qu’il aurait attaché à une poutre de fer serrant un râtelier de bois contre le mur près de la porte de la seconde casemate dans laquelle étoit détenu ledit Baille, avec le sieur Charles Nicolas Beauvais, audit fort Lamalgue, constatant de plus, que sur le rapport fait par le chirurgien, il n'a été trouvé aucune blessure sur ledit cadavre." » (34). Retrouvé vivant après la reprise de Toulon, Charles Nicolas Beauvais mourra à Montpellier le 8 germinal an II (28 mars 1794).

Du commentaire qu'Albert Mathiez consacre à cet épisode, il ressort qu'en décembre 1793, date de la note dans laquelle il nomme Pierre Marie Baille, Robespierre ignorait encore quand exactement et de quelle façon celui-ci était mort :

« Pierre Baille, en mission à Toulon, était tombé aux mains des rebelles. Le bruit courut qu'il avait été supplicié, et le 5 frimaire (25 novembre), le jour même où la Convention expulsait les restes de Mirabeau du Panthéon, Merlin de Thionville faisait décréter que le Comité d'instruction publique présenterait un rapport sur la mort de Baille et de son collègue Beauvais, "afin de présenter leur mémoire à la reconnaissance publique".

III.3.9. À propos des excès des patriotes

On ne sache pas que le tribunal censorial auquel Robespierre songeait en décembre 1793, ait pu être mis en œuvre. Invoquant « des dangers nouveaux et pressants », Robespierre, dans son discours du 5 nivôse an II (25 décembre 1793) parle seulement de « perfectionner l'organisation du tribunal révolutionnaire », et il préfère jeter sur certains excès des patriotes une sorte de manteau de Noé :

« S'il fallait choisir entre un excès de ferveur patriotique et le néant de l'incivisme, ou le marasme du modérantisme, il n'y aurait pas à balancer. Un corps vigoureux, tourmenté par une surabondance de sève, laisse plus de ressources qu'un cadavre.

Gardons-nous surtout de tuer le patriotisme, en voulant le guérir.

Le patriotisme est ardent par sa nature. Qui peut aimer froidement la patrie ? Il est particulièrement le partage des hommes simples, peu capables de calculer les conséquences politiques d'une démarche civique par son motif. Quel est le patriote, même éclairé, qui ne se soit jamais trompé ? Eh ! si l'on admet qu'il existe des modérés et des lâches de bonne foi, pourquoi n'existerait-il pas des patriotes de bonne foi, qu'un sentiment louable emporte quelquefois trop loin ? Si donc on regardait comme criminels tous ceux qui, dans le mouvement révolutionnaire, auraient dépassé la ligne exacte tracée par la prudence, on envelopperait dans une proscription commune, avec les mauvais citoyens, tous les amis naturels de la liberté, vos propres amis, et tous les appuis de la République. Les émissaires adroits de la tyrannie, après les avoir trompés, deviendraient eux-mêmes leurs accusateurs, et peut-être leurs juges. » (35)

Dans le même temps, de plus en plus inquiet du risque de trahison qu'entraîne au sein même des bureaux des différents ministères, Comités, et clubs, la présence de « révolutionnaires hypocrites », Robespierre multiplie les notes relatives à la nécessité d'une épuration menée de façon plus méthodique et plus rigoureuse :

« Ordonner aux ministres de donner la liste de leurs commis et de leurs agents » (note 6) ; « Ne recevoir aucun étranger dans le sein du Comité. Les renvoier aux ministres, ou nommer un commissaire, ou un secrétaire pour les entendre » (note 27) ; « Infâme violation des secrets du Comité, soit de la part des commis, soit de la part d'autres personnages. 1° Placez-vous dans un local convenable. 2° Renouvellez vos commis. Chassez surtout le traître qui siègeroit dans votre sein. 3° Punissez le commis qui vous présenta à signer une lettre dont l'objet étoit d'engager les détenteurs des pièces de conspiration relatives à l'ancien régime à les brûler » (notes 33, 34 et 35) ; « Surveiller les clubs, emprisonner et punir les contre-révolutionnaires hypocrites. Réprimer les journalistes imposteurs » (notes 59 et 60) ; « Demander la liste des commissaires du Conseil exécutif, purger les bureaux » (note 62) ; « Pour épurer les Comités révolutionnaires, il faut se procurer la liste de tous ceux qui les composent, leurs noms, qualités et demeures. Il faut celle du Comité dit Central. Il faut connoître surtout les président et secrétaires de chaque Comité et faire un rapport à ce sujet » (notes 69 et 70).

III.3.10. Élimination des « révolutionnaires hypocrites »

Qu'entend Robespierre à cette date quand il parle de « révolutionnaires hypocrites » ? Sans doute vise-t-il tout à la fois les Indulgents, partisans de Georges Danton et de Camille Desmoulins, et, confondus dans le possible de ce qu'il appelle la « double intrigue », les Exagérés, partisans de Jacques René Hébert, et les Enragés, partisans de Jacques Roux, Jean François Varlet et Théophile Leclerc. Tous minent l'œuvre du gouvernement, selon lui, et plus encore celle de la Révolution elle-même.

sainte_pelagie2.jpg

Vue de la prison Sainte-Pélagie au début du XIXe siècle.

bicetre.jpg

Façade de la prison de Bicêtre. Dessin de M. Delahaye, architecte de l'hospice, d'après d'anciens plans des archives de Bicêtre (Gentilly).

Déjà exclu du club des Cordeliers en juin 1793, brièvement arrêté en août, Jacques Roux est interné à Sainte-Pélagie le 6 septembre et déféré devant le Tribunal révolutionnaire le 12 janvier 1794. Il tente de se suicider de plusieurs coups de couteau en pleine audience. Blessé seulement, il est transféré à l'infirmerie de la prison de Bicêtre où il meurt le 10 février 1794.

conciergerie.jpg

Entrée de la Conciergerie, rue de Paris.

Arrêté dans la nuit du 13 au 14 mars 1794 et conduit à la Conciergerie, Jacques René Hébert est guillotiné le 24 mars (4 germinal an II).

luxembourg_david.jpg

Vue du jardin du Luxembourg en 1794 par Jacques Louis David.

Arrêtés le 31 mars 1794 et enfermés à la prison du Luxembourg, Georges Jacques Danton et Lucie Simplice Camille Benoît Desmoulins sont guillotinés le 5 avril (16 germinal an II). « La chambre attribuée à Camille Desmoulins à la prison du Luxembourg, c'était, au dire d'anciens employés du Sénat, une pièce située au deuxième étage et prenant jour sur l'allée des platanes. Camille aurait écrit là, pour sa chère Lucile, ces lettres déchirantes qui lui ont conquis l'attendrissement et la sympathique pitié de la postérité. » (36)

plessis.jpg

Vue de l'ancien collège du Plessis, devenu sous la Révolution prison du Plessis, aujourd'hui partie du lycée Louis-le-Grand. L'endroit est, en tant que prison, des plus inconfortables. On y enferme les hommes dans les caves et les femmes sous les toits. Plusieurs d'entre elles en profitent pour se jeter dans le vide par désespoir.

la_force.jpg

Cour intérieure de La Force en 1840, estampe de Theodor Josef Hubert Hoffbauer, Brown University Library, Providence, Rhode, U.S.A.

Jean François Varlet tenait et déclarait hautement que « pour tout être qui raisonne, gouvernement et révolution sont incompatibles ». Arrêté une première fois en 24 mai 1793 avec Jacques René Hébert, libéré trois jours plus tard, puis arrêté à nouveau en septembre 1793 et libéré le 29 octobre 1793, Jean François Varlet sera arrêté une troisième fois après la chute de Robespierre, incarcéré le 5 septembre 1794 à la maison du Plessis, puis à la prison de la Force, puis à la Conciergerie, puis à Bicêtre, et finalement libéré après l'insurrection royaliste des 13 et 14 vendémiaire an IV (5-6 octobre 1795), avec restitution de ses papiers le 13 brumaire an IV (4 novembre 1795). (37)

III.2.11. Critique des excès de la déchristianisation

Dans les raisons qui, à partir de l'automne 1793, poussent plus spécifiquement Robespierre à souhaiter la mise au pas, puis l'élimination des Exagérés et des Enragés, on trouve le rôle que ceux-ci ont joué dans les excès de la déchristianisation.

Après le vote du décret qui instaure le 5 octobre 1793 — le 14 vendémiaire an II désormais —, sur proposition de Gilbert Romme, le calendrier républicain, Robespierre consigne dans son carnet les quelques mots qui suivent, témoins sans doute du vœu qu'il nourrit en privé : « Ajournement indéfini du décret sur le calendrier » (note 20). Point ajournée, la proclamation de ce décret marque le début de la campagne de déchristianisation. Plus tard, Robespierre note qu'il faut « casser l'arrêté de la municipalité qui interdit la messe et les vêpres. Il n'en a pas le droit. C'est un moyen de trouble » (note 36). Et plus tard encore : « Il faut se défier de la contre-révolution religieuse dans ce pays. [...]. Intérieur. Troubles religieux à appaiser dans le département de la Somme. Y envoier un représentant sage et patriote » (notes 80 et 83).

« La persécution contre le culte commença à se faire sentir d'une façon violente dans le courant du mois d'octobre 1793 », rapporte Ernest Hamel dans son Histoire de Robespierre. « On a vu plus d'une fois Robespierre établir une distinction bien tranchée entre les prêtres réfractaires et séditieux et ceux qui, franchement ralliés aux nouveaux principes, se contentaient d'exercer leur ministère à l'abri de la constitution et des décrets de la Convention nationale. Le mouvement antireligieux fut donc une violation des lois consacrant la liberté des cultes. Le comité de Salut public n'avait pas attendu l'explosion de ce mouvement pour engager les esprits à une extrême tolérance, sachant bien que les résistances s'accroîtraient en raison des persécutions. A la première nouvelle des désordres occasionnés dans les départements par la violation de la liberté des cultes, il écrivit en ces termes, par la plume de Robespierre, aux sociétés patriotiques : "Des troubles religieux ont éclaté, c'est à vous à en atténuer les effets ; à vous, sociétés populaires, qui êtes les foyers où l'opinion se forge, s'agrandit et s'épure.

PÉNÉTREZ-VOUS DE CETTE VÉRITÉ, QU'ON NE COMMANDE POINT AUX CONSCIENCES. Il est des superstitieux de bonne foi, parce qu'il existe des esprits faibles, parce que, dans le passage rapide de la superstition à la vérité, ce sont ceux qui ont médité et franchi tous les préjugés qui les premiers se trouvent au niveau. Le surplus, resté en arrière, exige des encouragements pour avancer à son tour. L'effrayer, c'est vouloir qu'il rétrograde. Ce sont des malades qu'il faut préparer à la guérison en les rassurant, et qu'on rendrait fanatiques par une cure forcée."

Malheureusement il y avait dans les départements des commissaires de la Convention peu disposés à écouter ces conseils de la raison. Fouché dans la Nièvre et à Lyon, André Dumont à Beauvais et dans le Nord, se ruèrent en furieux sur le christianisme. Tandis qu'au Midi, Robespierre jeune, Ricord, Salicetti, livraient aux Anglais des combats sanglants, que dans l'Est Saint-Just et Lebas, à la tête des troupes de la République, chassaient de notre territoire les Prussiens et les Autrichiens, eux faisaient la guerre aux saints de bois et de pierre. À Commune-Affranchie [Lyon], on promena en cérémonie dans les rues un âne revêtu d'une chape, d'une mitre et de tous les ornements pontificaux. André Dumont envoyait à la Convention d'ignobles pasquinades sur les prêtres. C'était, en style du Père Duchesne, le récit des persécutions dont il était l'auteur. "Je viens de requérir l'arrestation des prêtres qui se permettroient de célébrer les fêtes ou dimanches", écrivait-il le 1er brumaire (22 octobre 1793), "je fais disparoître les crucifix et les croix, et bientôt je comprendrai dans la proscription les animaux noirs appelés prêtres. Je pars pour Beauvais, que je vais mettre au bouillon maigre avant de lui faire prendre une médecine."

revolution_eglise.jpg

Révolution française. Humiliation de l'Église et de l'aristocratie. © Getty. Universal History Archive.

Cette façon de procéder à l'égard des prêtres en général, et cette idée de mettre au bouillon maigre nos chefs-lieux de département avant de leur faire prendre une médecine, déplurent souverainement au comité de Salut public, au nom duquel Robespierre répondit en ces termes, le 6 brumaire (27 octobre 1793), au trop farouche proconsul : "Il nous a paru que dans vos dernières opérations vous avez frappé trop violemment sur les objets du culte catholique. Une partie de la France, et surtout du Midi, est encore fanatisée. Il faut bien se garder de fournir aux contre-révolutionnaires hypocrites, qui cherchent à allumer la guerre civile, aucun prétexte qui semble justifier leurs calomnies. Il ne faut pas leur présenter l'occasion de dire que l'on viole la liberté des cultes et qu'on fait la guerre à la religion elle-même. Il faut punir les prêtres séditieux et inciviques, mais non proscrire ouvertement le titre de prêtre en soi. Il ne faut pas non plus appliquer au pays où le patriotisme est tiède et engourdi les remèdes violens nécessaires dans les contrées rebelles et contre-révolutionnaires. Continuez, cher collègue, de réprimer les traîtres et les mauvais citoïens, frappez-les même avec plus de promptitude et de rigueur que vous ne l'avez fait jusqu'ici, mais ménagez la masse foible et ignorante.

Suivez les principes que nous venons d'exposer, appliquez-les aux habitans de Beauvais en particulier, et vous acquerrez de nouveaux droits à la reconnoissance publique."

André Dumont ne tint guère compte de ces observations si pleines de sagesse ; il ne cessa pas de désoler les départements de la Somme, de l'Oise et du Pas-de-Calais, écrivant encore à la Convention nationale des lettres où se trouvaient des phrases dans le genre de celle-ci : "J'ai tendu mon large filet, et j'y prends tout mon gibier de guillotine". Voilà l'un des hommes à qui Robespierre indigné déclarera résolûment la guerre. Aussi verrons-nous cet émule d'Hébert devenir un des plus fougueux Thermidoriens, et diriger contre les patriotes les persécutions que Maximilien l'avait accusé d'étendre aux innocents et aux coupables. Un jour, après Thermidor, on l'entendit, lui le terroriste en démence, insulter la mémoire de Robespierre, et traiter de buveurs de sang ceux qui tenteraient de faire le procès à la journée du 9 Thermidor.

À quelque temps de là, un de ses collègues lui reprochait brutalement d'avoir, à diverses reprises, écrit à ce même Robespierre qu'il calomniait maintenant ; et Choudieu, l'honnête Choudieu, réclamait l'impression de toutes les lettres trouvées dans les papiers de Maximilien, afin que l'univers pût juger de la partialité révoltante avec laquelle Courtois avait trié les pièces livrées par lui à la publicité. André Dumont, qui jadis avait écrit à Robespierre, sans doute pour répondre aux reproches qu'il en avait reçus et s'excuser de la façon dont il s'entendait à mettre au bouillon maigre les villes où il était en mission, monta précipitamment à la tribune tout troublé par les applaudissements dont avaient été couvertes les paroles de Choudieu, tant la voix de la justice avait en ce moment étouffé l'esprit de réaction dont la Convention était animée alors. Il prit, ironiquement ou non, l'engagement de faire imprimer, traduire dans toutes les langues et envoyer à toute l'Europe, à ses frais, les lettres qu'il avait écrites à Robespierre. Et cela lui était facile, puisque ses complices de Thermidor les lui avaient rendues. Mais il s'en tint à sa promesse, et se garda bien de jamais la remplir. Il est même à croire qu'il s'empressa de détruire ces précieux documents, dont la publication eût été entièrement à l'honneur de Robespierre. »

pillage_eglise.jpg

Victor Henri Juglar (1826-1855), Pillage d'une église en 1793, Musée de la Révolution française.

« Le mouvement contre le culte eut à Paris pour directeurs ardents et infatigables Chaumette, Hébert, les deux Bourdon, Cloots et Momoro. À la nouvelle de la déprêtrisation organisée dans les départements par quelques proconsuls insensés, le Père Duchesne ne se sentit pas de joie : "Par la vertu de la sainte guillotine", s'écria-t-il, "nous voilà délivrés de la royauté. Il faut à votre tour sauter le pas, prêtres avides, prêtres sacrilèges. Tonnerre de Dieu ! quel branle on vous donne dans les départemens ! Les commissaires de la Convention vont en mesure comme une pie qui abat des "noix". Les églises furent mises à sac et à pillage. Si une partie des dépouilles sacrées entrèrent dans les coffres de l'État, il en est qui devinrent la proie de commissaires avides. Plus d'une fois le vol se para du manteau de la philosophie. » (38)

chaumette_etc.jpg

De gauche à droite : Pierre Gaspard Anaxagore Chaumette (1763-13 avril 1794, guillotiné) ; Jacques René Hébert (1757-24 mars 1794, guillotiné) ; François Louis Bourdon (1758-22 juin 1798, Guyane, déporté).

bourdon_etc.jpg

De gauche à droite : Louis Jean Joseph Léonard Bourdon de la Crosnière (1754-29 mai 1807, Breslau, Allemagne) ; Jean-Baptiste de Cloots, dit Anacharsis Cloots (Gnadenthal, Allemagne, 1755-24 mars 1794, Paris, guillotiné) ; Antoine François Momoro (1755-24 mars 1794, guillotiné).

Robespierre, de son côté, nourrit alors le projet d'organiser une grande Fête de l'Étre suprème, dont il espère que, faisant ainsi pièce à la déchristianisation, elle permettra aux Français de se réunir autour d'un culte commun. Cette fête sera célébrée le 20 prairial an II (8 juin 1794).

immortalite_ame.jpg

Le peuple français reconnaît l'Être suprême et l'immortalité de l'âme, estampe anonyme, 1794.

Charles Nodier, qui avait 14 ans en 1794, se souvient en 1830 d'une fête « très belle » et observe que « la France répondit à cette révélation de son cœur par un cri de joie unanime » (39). Mais l'unanimité n'était pas dans le cœur des Conventionnels, puisque à partir du 20 prairial an II (8 juin 1794), Robespierre, comme on sait, n'a plus que cinquante jours à vivre.

IV. Préoccupations diplomatiques

Robespierre n'explicite pas dans dans son carnet les raisons qui le guident dans ses prises de position diplomatiques, mais on trouve cette explicitation dans le Rapport fait à la Convention nationale au nom du Comité de salut public par le citoyen Robespierre, membre de ce comité, sur la situation politique de la République, présenté et imprimé par ordre de la Convention nationale le 27 brumaire an II (18 novembre 1793) (40). Robespierre dénonce dans ce rapport la guerre que l'Angleterre et la Prusse mènent contre la Révolution française et la Révolution américaine.

Extrait du Rapport fait à la Convention nationale au nom du Comité de salut public par le citoyen Robespierre, membre de ce comité, sur la situation politique de la République, présenté et imprimé par ordre de la Convention nationale le 27 brumaire an II (18 novembre 1793)

york_orleans.jpg

De gauche à droite : portrait de Frederick Augustus, comte d'Ulster, duc d'York et d'Albany (1763-1827), fils de George III, par Thomas Lawrence (1769–1830), Windsor Castle  ; caricature anonyme de Louis-Philippe d'Orléans (1747-1793, guillotiné) en Philippe Pique.

« Il est connu aujourd'hui de tout le monde que la politique du cabinet de Londres contribua beaucoup à donner le premier branle à notre révolution. Ses projets étaient vastes ; il voulait, au milieu des orages politiques, conduire la France épuisée et démembrée à un changement de dynastie, et placer le duc d'York [fils cadet de George III] sur le trône de Louis XVI. Ce projet devait être favorisé par les intrigues et par la puissance de la maison d'Orléans, dont le chef [Louis Philippe de Bourbon, duc d'Orléans, dit après 1792 Philippe Égalité], ennemi de la cour de France, était depuis longtemps étroitement lié avec celle d'Angleterre. Content des honneurs de la vengeance et du titre de beau-père du roi (41), l'insouciant Philippe aurait facilement consenti à finir sa carrière au sein du repos et de la volupté. L'exécution de ce plan devait assurer à l'Angleterre les trois grands objets de son ambition ou de sa jalousie : Toulon, Dunkerque et nos colonies. Maître à la fois de ces importantes possessions, maître de la mer et de la France, le gouvernement anglais aurait bientôt forcé l'Amérique à rentrer sous la domination de George. Il est à remarquer que ce cabinet a conduit de front, en France et dans les Etats-Unis, deux intrigues parallèles, qui tendaient au même but. Tandis qu'il cherchait à séparer le Midi de la France du Nord, il conspirait pour détacher les provinces septentrionales de l'Amérique des provinces méridionales ; et, comme on s'efforce encore aujourd'hui de fédéraliser notre République, on travaille à Philadelphie à rompre les liens de la confédération qui unissent les différentes portions de la République américaine.

Ce plan était hardi. Mais le génie consiste moins à former des plans hardis qu'à calculer les moyens qu'on a de les exécuter. L'homme le moins propre à deviner le caractère et les ressources d'un grand peuple est peut-être celui qui est habile dans l'art de corrompre un parlement. Qui peut moins apprécier les prodiges qu'enfante l'amour de la liberté que l'homme vil dont le métier est de mettre en jeu tous les vices des esclaves ? Semblable à un enfant dont la main débile est blessée par une arme terrible qu'elle a l'imprudence de toucher, Pitt [William Pitt le Jeune, premier ministre britannique] voulut jouer avec le peuple français, et il en a été foudroyé.

pitt_jeune.jpg

Portrait du Right Honourable William Pitt the Younger (1759-1806) par John Hoppner (1758–1810). Source : the Marquesses of Londonderry, with Owen Edgar Gallery, London.

Pitt s'est grossièrement trompé sur notre révolution, comme Louis XVI et les aristocrates français, abusés par leur mépris pour le peuple, mépris fondé uniquement sur la conscience de leur propre bassesse. Trop immoral pour croire aux vertus républicaines, trop peu philosophe pour faire un pas vers l'avenir, le ministre de George était au-dessous de son siècle ; le siècle s'élançait vers la liberté, et Pitt voulait le faire rétrograder vers la barbarie et vers le despotisme. Aussi l'ensemble des événements a trahi jusqu'ici ses rêves ambitieux ; il a vu briser tour à tour par la force populaire les divers instruments dont il s'est servi ; il a vu disparaître Necker, d'Orléans, Lafayette, Lameth, Dumouriez, Custine, Brissot, et tous les pygmées de la Gironde. Le peuple français s'est dégagé jusqu'ici des fils de ses intrigues, comme Hercule d'une toile d'araignée. »

Robespierre, voix ici d'une patrie menacée tout à la fois de l'extérieur et de l'intérieur ; voix d'une patrie menacée de l'extérieur sur ses frontières maritimes et sur ses frontières terrestres par les troupes de Pitt et de Cobourg [Frédéric Josias de Saxe-Cobourg-Saalfeld, commandant suprême de l'armée du Saint-Empire] ; voix aussi d'une patrie menacée de l'intérieur par le complot des mêmes Pitt et Cobourg, dont les banquiers financent les menées de la Contre-Révolution, la trahison des généraux, et le vote des députés jusqu'à l'Assemblée ; bref, Robespierre, voix ici d'une patrie menacée, balaie dédaigneusement les noms de « Necker, d'Orléans, Lafayette, Lameth, Dumouriez, Custine, Brissot, et de tous les pygmées de la Gironde », pour mieux invoquer, en vertu du caractère universaliste du projet révolutionnaire, la nécessité de renforcer l'alliance de la République française avec la toute jeune République américaine. Contre le « fédéralisme », autrement dit la fin de l’unité et l’indivisibilité de la République, France et États Unis d'Amérique, même combat !

morris.jpg

Portrait de Gouverneur Morris (1752-1816) par Ezra Ames (1768–1836). Art Properties, Avery Architectural & Fine Arts Library, Columbia University in the City of New York, Gift of the Morris Family.

Cet éloge de l'alliance franco-américaine ne va pas chez Robespierre sans recouvrir diverses préoccupations économico-politiques. En mai 1792, Gouverneur Morris succède à Benjamin Franklin (1779-1785), Thomas Jefferson (1785-1789) et William Short (1790-1792), en tant que ministre plénipotentiaire des États-Unis en France. Il se peut à cette date que Robespierre ait déjà entendu parler de lui, car Gouverneur Morris est venu en France en 1789 « avec pour mission, non pas de tisser des liens diplomatiques avec la France et de représenter les intérêts du gouvernement américain, mais comme mandataire d’une compagnie financière dirigée par Robert Morris [l'un des signataires de la déclaration d'indépendance des États Unis], ce dernier ayant bâti une fortune considérable grâce à de juteuses opérations spéculatives, comme l’équipement des armées révolutionnaires ou la spéculation sur les terres de l’Ouest. »

Gouverneur Morris a reçu en 1789 pour mission de « spéculer sur la dette due à la France, et sa compagnie a désormais atteint la taille critique pour mener à bien une opération d’envergure qui consiste ni plus ni moins à racheter la dette souveraine de la Jeune République. Morris entend rembourser la dette par des livraisons en biens consommables, particulièrement en tabac. Ainsi, il écoulerait sur le marché français la production américaine de tabac, enrichissant au passage les producteurs que sont les Sudistes propriétaires d’esclaves. Au passage, l’entreprise Robert Morris prélèvera de substantielles commissions pour une affaire où intérêts privés et publics se trouvent intimement mêlés. »

« Gouverneur Morris use habilement de tous ses réseaux pour approcher Necker, qu’il tient par ailleurs en petite estime. Dans le même temps, il fait pression sur Georges Washington pour qu’il accepte le poste de président des États-Unis, escomptant sans doute obtenir des appuis de l’autre côté de l’Atlantique pour mener à bien ses propres affaires. Dans le même temps, ses activités privées ne l’empêchent nullement de réfléchir à un modèle de républicanisme qui serait applicable à la France. La question qui se pose est donc pour lui de saisir ce que l’on pourrait appeler l’esprit français et de déterminer si, et comment, ce pays ami peut se doter d’un système de gouvernement républicain, analogue à celui qui s’est imposé outre-Atlantique et qui est de nature à assurer le bien-être général. » (42)

À partir de 1792, le ministre plénipotentiaire Gouverneur Morris continue de soutenir auprès du gouvernement français le principe du remboursement de la dette américaine par les livraisons en biens consommables, et particulièrement en tabac. Le 22 avril 1793, malgré le traité franco-américain de 1778, Georges Washington, devenu entre temps président de son pays, fait proclamer la neutralité des États Unis dans la Guerre de la Première Coalition. Compte tenu du problème des subsistances, de la question du remboursement de la dette, et plus encore de la situation obsidionale de la France, on comprend pourquoi Robespierre, en octobre 1793, note avec inquiétude dans son carnet : « La taxe du tabac rompt nos relations commerciales avec l'Amérique » (note 28). Il fait alors obtenir une diminution de la taxe à Gouverneur Morris.

« Pragmatique et dépourvu d'une vision à long terme, remarque Thierry Lentz dans Les relations américano-françaises de la Révolution à la chute de l'Empire (1789-1815), Georges Washington se méfia immédiatement de la Révolution française et pencha de plus en plus nettement vers le camp anglophile. [...]. Pour des raisons économiques, les États-Unis ne pouvaient se heurter à l'Angleterre. »

« Le gouvernement de Washington pencha davantage encore vers l'Angleterre à l'occasion de l'affaire dite "du citoyen Genêt", du nom de l'envoyé de la Convention chargé de rappeler les États-Unis à leurs engagements antérieurs. Arrivé en Amérique en avril 1793 et fort bien accueilli, le Français se livra pourtant à une irritante agitation en faveur de la France, recrutant des volontaires et des corsaires pour aller se battre, détournant un navire dans le port de New York, suscitant la création de clubs – notamment dans les États du Sud très francophiles car francophones -, en appelant même au peuple américain contre la déclaration de neutralité de leur président. Les fédéralistes en profitèrent pour asseoir leur position et forcèrent même Jefferson, leader des républicains et secrétaire d'État de Washington, à intervenir publiquement contre Genêt et les pratiques des révolutionnaires français, avant de démissionner et de se retirer dans sa résidence de Monticello. Ce que Genêt ne pouvait pas comprendre, c'était que Washington avait adopté cette politique, non parce qu'il avait de l'animosité contre la France, mais parce qu'il jugeait que cette politique était la seule alternative à la guerre. Quelques mois après l'expérience Genêt, Joseph Fauchet, nouvel envoyé français connu les mêmes désillusions sur la gratitude américaine, même si les États-Unis reconnurent la République française. »

« Malgré une courte période d'incompréhension avec Londres (qui pensa d'abord que la neutralité lui était défavorable), et moins d'un an après les menées de Genêt, les États-Unis signaient un traité avec l'Angleterre, puis un autre avec l'Espagne. Ils s'assuraient ainsi de pouvoir poursuivre leur commerce maritime, si vital pour leur économie. » (43)

Dans le même temps que Gouverneur Morris, la France accueillait en 1792 un autre Américain, historiquement tout aussi célèbre. Il s'agit de Thomas Paine, né en 1737 en Angleterre, parti en 1774 en Amérique sur la recommandation de Benjamin Franklin, devenu en Amérique pamphlétaire et partisan des Insurgents. Revenu en Angleterre en 1787, Thomas Paine salue avec enthousiasme le début de la Révolution française et publie en 1791 Rights of Man, ouvrage dans lequel il critique la monarchie britannique et propose une réforme de l’impôt. Condamné en 1792 pour cette publication, il doit s'exiler en France.

paine.jpg

Portrait de Thomas Paine (1737-1809) par Auguste Millière (1822–1904) d'après George Romney (1734–1802), dessinateur, et William Sharp (1749–1824), graveur. National Portrait Gallery, London.

Accueilli avec enthousiasme à Calais, proclamé citoyen français le 26 août 1792 en même temps que Georges Washington et élu député du Pas-de-Calais à la Convention le 6 septembre 1792, Thomas Paine était aux yeux de tous « le champion de la liberté opprimée par l'Angleterre. »

« Tant qu'il vécut à Paris, d'abord place des Petits-Pères, puis rue du Faubourg-Saint-Denis, il protégea les citoyens américains et leur rendit de grands services. Il fit cause commune avec les Girondins ; il était l'ami intime de Brissot et de Condorcet. Il était rationaliste, comme eux ; il admettait avant tout la liberté de conscience. Il disait : "Laissons chacun suivre, comme il en a le droit, la religion et le culte qu'il préfère". Il voulait la liberté de toutes les sectes ; il ne comprenait pas qu'un homme d'Etat comme Robespierre imposât une religion de son choix, ruinât les sectes rivales, ressuscitât ainsi les vieilles forces du fanatisme ; et pourtant il était déiste, comme Robespierre. Il s'opposa à l'exécution du roi avec un courage qui manqua à beaucoup de députés français qui pensaient comme lui. Comme quaker, comme homme politique aussi, il était opposé à la peine de mort. "Tuez le roi, mais non l'homme ; supprimez la monarchie, mais laissez la vie à Louis XVI, à l'allié des États-Unis, à celui qui a donné aux colonies anglaises d'Amérique l'indépendance absolue". "La France, disait-il, dans un discours qu'il avait écrit en anglais et qui fut traduit et lu à la Convention, n'a maintenant qu'un seul allié, les États-Unis d'Amérique, et cet allié est la seule nation qui puisse lui fournir des provisions navales, car les royaumes du nord de l'Europe qui les lui procurent ordinairement sont ou seront bientôt en guerre avec elle. Or il arrive malheureusement ici que la personne qui est l'objet de la présente discussion est regardée dans les États-Unis comme leur meilleur ami, comme celui qui leur a procuré leur liberté. Je puis vous assurer que son exécution y répandra une affliction universelle, et il est en votre pouvoir d'épargner cette affliction à vos meilleurs amis." » (44)

Gouverneur Morris cependant, qui, menant auprès du gouvernement français double jeu, se préoccupe désormais de rapprocher son pays de l'Angleterre, entreprend de perdre Thomas Paine dans l'esprit de Robespierre. « Gouverneur Morris avait des relations avec les membres du Comité de Salut public, particulièrement avec Robespierre. Il avait déjà obtenu de Robespierre, pour le compte de son patron Robert Morris, l'abolition ou du moins la diminution de la taxe d'importation sur le tabac américain. Il comptait aussi obtenir l'incarcération de Thomas Paine.

Robespierre ménageait Gouverneur Morris ; il ignorait que Morris avait pour mission de détacher les États-Unis de la France, et il savait l'influence que l'ambassadeur américain exerçait sur Washington » (42). Mu par la méfiance instinctive qu'il éprouve à l'endroit des étrangers patriotes, et plus spécialement encore à l'endroit d'un homme dont on lui dit qu'il ferait « cause commune avec les Girondins », qu'il serait « l'ami intime de Brissot et de Condorcet », et pourquoi pas ? l'un de ces « révolutionnaires hypocrites » sous le masque duquel se dissimulerait un agent de la Contre-Révolution, il note dans son carnet en novembre 1793 : « Demander que Thomas Payne soit décrété d'accusation pour les intérêts de l'Amérique autant que de la France » (note 40). Mais, point totalement trompé par Gouverneur Morris, Robespierre « se garda de rien faire contre Paine ; des quarante-deux projets inscrits sur son carnet, celui-là seul qui concerne Paine ne fut pas exécuté. » (44)

Le 5 nivôse An II (25 décembre 1793), alors qu'il se trouve chargé de présenter un rapport sur l'attribution du titre de citoyen Français aux étrangers et leur droit d'entrer dans la représentation nationale, Robespierre parle d'Anacharsis Cloots, mais il garde le silence sur Paine. Il résultait en effet de ce rapport que, « par mesure révolutionnaire et de salut public », « tous individus nés en pays étrangers étaient exclus du droit de représenter le peuple français », et que « les citoyens nés en pays étrangers qui étaient actuellement membres de la Convention nationale ne pourraient plus, à compter de ce jour, participer à aucune de ses décisions ». Robespierre, dans le même temps, considérait Paine, en tant qu'Américain, citoyen d'un peuple ami de la France, comme à l'abri de telles mesures. « Ce fut Amar qui, considérant Paine comme un Anglais, le dénonça et le fit exclure de la Convention trois mois déjà avant le rapport de Robespierre ; ce fut le Comité de Sûreté générale, non celui de Salut public, qui le fit arrêter et emprisonner le 28 décembre 1793 à la prison du Luxembourg. S'il ne fut pas exécuté, ce fut sans doute grâce à la protection de Robespierre » (44).

Durant son séjour en prison, Thomas Paine achève la rédaction de The Age of Reason, livre dans lequel il exprime sa profession de foi déiste. Il se défend d’être Anglais et croit pouvoir en appeler au Gouverneur Morris, qui ne fait rien, on s'en doute, pour le délivrer, non plus que Georges Washington d'ailleurs.

Thomas Paine sera libéré en novembre 1794. En 1795, ilL est réélu à la Convention. « Mais, affaibli physiquement et politiquement, il ne fit qu’une apparition à l’Assemblée, le 19 messidor an III (7 juillet 1795), lors des débats sur la nouvelle Constitution. Cette apparition unique fut toutefois remarquée : Paine s’y prononça contre le projet de constitution et pour le suffrage universel, position défendue dans sa Dissertation sur les premiers principes de gouvernement, parue en France quelques mois auparavant » (45). Lors de l'arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte en 1799, il espère que celui-ci va diffuser les idéaux révolutionnaires en Europe, notamment en Angleterre. Mais, déçu par la tournure autoritaire du nouveau régime, il qualifie le Premier Consul de « charlatan le plus parfait qui eût jamais existé ». Sur l’invitation du président Thomas Jefferson, il retourne ensuite aux États-Unis où il meurt en 1809 à l'âge de 72 ans.

« À mesure que les réformes ou les révolutions, appelez-les comme bon vous semble, gagneront du terrain parmi les nations, celles-ci signeront entre elles des accords et des alliances et, quand plusieurs se seront ainsi confédérées, les progrès s’accélèreront jusqu’à l’extirpation totale du despotisme et de la corruption gouvernementale, du moins dans deux régions du monde, l’Europe et l’Amérique... » Ainsi Thomas Paine voyait-il l'avenir en 1791 dans Rights of Man.

« Oh ! qui de nous ne sent pas agrandir toutes ses facultés, qui de nous ne croit s'élever au-dessus de l'humanité même, en songeant que ce n'est pas pour un peuple que nous combattons, mais pour l'univers, pour les hommes qui vivent aujourd'hui, mais pour tous ceux qui existeront ? Plût au ciel que ces vérités salutaires, au lieu d'être renfermées dans cette étroite enceinte, pussent retentir en même temps à l'oreille de tous les peuples ! Au même instant les flambeaux de la guerre seraient étouffés, les prestiges de l'imposture disparaîtraient, les chaînes de l'univers seraient brisées, les sources des calamités publiques taries, tous les peuples ne formeraient plus qu'un peuple de frères, et vous auriez autant d'amis qu'il existe d'hommes sur la terre... » (46). Ainsi Robespierre voyait-il l'avenir dans son discours du 27 brumaire an II (18 novembre 1793).

De Thomas Paine à Robespierre, il y a, par effet de variation d'échelle, passage de deux régions du monde au monde tout entier, et par effet de changement de mode, subsomption du futur sous le conditionnel, lequel, en tant que mode de l'utopie, est celui qui tend à briser la suprématie de l'actuel sur le possible, et, par là, à faire venir à sa réalité, peut-être, la promesse de ce que le philosophe Ernst Bloch appelle « le Principe Espérance ».

Robespierre, qui rêvait de briser la suprématie de l'actuel sur le possible, a succombé à ladite suprématie. Sommes-nous aujourd'hui plus près de la briser ?

-----

1. N° LIV. Notes extraites d'un cahier écrit entièrement de la main de Robespierre, p. 50.
« Tenir l'armée révolutionnaire prête, en rappeler les détachemens à Paris, pour déjouer la conspiration.
Demander que Thomas Payne soit décrété d'accusation, pour les intérêts de l'Amérique autant que de la France.
Les commissaires s'appliqueront surtout à découvrir et INVENTORIER les hommes dignes de servir la cause de la liberté.
Il faut poursuivre les députés chefs de la conspiration, et les atteindre à quelque prix que ce soit.
Il faut avoir la liste circonstanciée de tous les prisonniers. »

2. Après avoir exercé différents métiers manuels (maçon, serrurier, estampeur, lithographe, compositeur) à Saint-Étienne et à Lyon, Jean-Claude Motteroz (1830-1909) fonde à Paris dans le dernier tiers du XIXe siècle un atelier de typographie ayant pour devise : « Tu penses, j’œuvre. »

3. La date exacte de publication de cette première édition demeure introuvable. D'après Albert Mathiez, dans son « Essai d'édition critique », in Annales révolutionnaires, t. 10, n° 1 (janvier-février 1918), pp. 1-21, cette Reproduction, par les procédés héliographiques Motteroz, du Carnet de Robespierre trouvé sur lui au moment de son arrestatio‪n‬ daterait de « quelques années avant la guerre ».

4. Albert Mathiez, « Essai d'édition critique », in Annales révolutionnaires, t. 10, n° 1 (janvier-février 1918), p. 2.

5. Cf. Zolla (D.), « La Crise des subsistances sous la Révolution », in Revue des Deux Mondes, 6e période, tome 30, 1915, p. 600-626.

6. Le prix moyen de janvier à mai devait d’abord servir de maximum, et ce maximum devait être abaissé par des réductions successives d’environ 1/4.

7. Obligi (C.), « L'éternel problème des subsistances », in Robespierre. La probité révoltante, , Paris, Belin, 2012.

8. Giraud (M. A. A.), Rapport et projet de décret sur la nécessité de rapporter la loi sur le maximum / présentés au nom du comité de commerce et d'approvisionnemens, Paris, imprimé par ordre de la Convention nationale, 2 nivôse an III, p. 5.

9. Né à Luz-Saint-Sauveur, Hautes-Pyrénées - il aurait accompagné Ramond de Carbonnières en 1787 au mont Perdu —, monté à Paris en 1790, Miquel Jubinal [de Lure] (1771-1859) exerce la fonction de payeur aux armées jusqu'à la fin de l'Empire. Il habitait Paris, 46, rue Jacob, avec son fils Achille, futur député de la circonscription de Bagnères. Rentré ensuite dans la vie civile à la chute de l'Empire, Miquel Jubinal sera jusqu'à sa mort receveur du canal de Briare et maire de Briare.

10. Cité par Pierre Perrenet in La terreur à Dijon : la conspiration des prisons, Dijon, L. Venot, 1907, p. 56.

11. Leleu (E.), « Le général Dufresse et l'armée révolulionnaire du Nord », in Revue du Nord, année 1920 / 22, pp. 102-125.

12. Lieutenant-colonel Herlaut, « Le conflit entre les généraux Favart, Lavalette et La Marlière, à Lille en 1793 », I ; « Le conflit entre les généraux Favart, Lavalette et La Marlière, à Lille en 1793 », II, suite et fin. In Revue du Nord, année 1929, 59, pp. 201-224.

13. Jacques Claude Beugnot (1761-1835), Mémoires du comte Beugnot, ancien ministre (1783-1815), vol. 1, Paris, Comte Albert Beugnot, 1866, p. 190 sqq.

14. Lettre citée par Vauchelet, in « Le Général Dugommier », Revue Historique, t. 30, fasc. 2, P.U.F., 1886, p. 330.

15. Launay (L. de), Un grand français Monge, fondateur de l'Ecole polytechnique, chapitre IV.

16. On désigne sous le nom de parti des Indulgents le groupe formé par Georges Danton et ses amis du club des Cordeliers, dont Camille Desmoulins, groupe qui, dès la fin de 1793, pose la question de l'utilité de la Terreur.

17. Le nom d'Arthur Lalande figure dans la liste des « patriotes ayant des talens plus ou moins », établie par Robespierre lui-même. Une note infraginale indique qu'à une date non précisée, après Thermidor sans doute, Arthur Lalande a été guillotiné. Source : Rapport fait au nom de la Commission chargée de l'examen des papiers trouvés ..., tome I, n° XXIX, p. 139.

18. Mémoire pour Louys Aymé Fournier de Lachapelle, mineur, agissant avec l'assistance de M.e Jean Baptiste Teste, avocat, son tuteur spécial ; Contre Les sieurs et dames Leplay, le sieur Pierre Charles Fournier de Lachapelle, et le sieur Louis François de Perrochel, Nîmes, 1809, p. 18.

19. Parrel (C. de) et Debien (G.), « Les colons des Antilles et la contre-révolution (1791-1793) », Congrès national des sociétés savantes, Actes du quatre-vingt-onzième congrès national des Sociétés savantes, Rennes, 1966 : Section d'histoire moderne et contemporaine. Histoire maritime et coloniale, Rennes, 1966, p. 293, 300, 304, 306.

20. Cf. Jacques-Olivier Boudon, « Le témoignage de François-Jérôme Riffard Saint-Martin, député à la Convention », in Annales historiques de la Révolution française, n° 376, avril-juin 2014 : Varia, p. 53-79.

21. Cf. Lenormand (F.), La pension Belhomme : Une prison de luxe sous la Terreur, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2002.

22. Archives de la Préfecture de police de Paris, 25-27, rue Baudin 93310, Le Pré Saint-Gervais. Carton A 265, dossier 1291, fiches 222-229.

23. Mot d'Albert Mathiez in « La Révolution et les étrangers. Le chevalier Pio », Annales révolutionnaires, t. 11, no 1, janvier-février, Armand Collin, 1919, pp. 94-104.

24. Pierre Ulric Dubuisson in Réquisitoires de Fouquier-Tinville : publiés d'après les originaux conservés aux Archives nationales et suivis des trois mémoires justificatifs de l'accusateur public / avec une introd., des notes et des commentaires, par Hector Fleischmann, Eugène Fasquelle, Éditeur, 1811, pp. 60. Nivôse an II : « Pierre Ulric Dubuisson, âgé de quarante-huit ans, né à Laval, département de la Mayenne, demeurant à Paris, rue Saint-Honoré, section de ia Montagne n° 1443, homme de lettres ». Acteur, auteur dramatique, directeur de théâtre, Pierre Ulric Dubuisson (1746-1794, guillotiné) prend part à la journée du 10 août 1792 [prise des Tuileries] et devient secrétaire du club des Jacobins. Vers la fin de l'année 1792, envoyé en mission en Belgique auprès du général Dumouriez, il y rencontre l’aventurier Pierre Jean Berthold de Proly. Il fait partie ensuite du Comité insurrectionnel secret qui tente dans la nuit du 6 mars 1793 de faire assassiner 22 députés girondins et dont le plan échoue. Quelques mois plus tard, il se rallie à Jacques René Hébert. Il est condamné à mort et guillotiné le 24 mars 1794 en même temps qu'Hébert.

25. Jacob Pereira in Réquisitoires de Fouquier-Tinville, p. 59. Nivôse an II : « Jacob Pérère, âgé de cinquante un ans, né à Bayonne, département des Basses-Pyrénées, manufacturier de tabac, demeurant a Paris, rue Saint-Denis, n° 55 ». Né à Bayonne, bijoutier, puis marchand de tabac et spéculateur, Jacob Pereira s'installe à Paris en juillet 1790. Fervent jacobin, il participe aux événements du 17 juillet 1791 (mouvement de la foule au Champ de Mars, suivi de fusillade par la garde nationale) et du 10 août 1792 (prise des Tuileries). Peu de temps après Pierre Ulric Dubuisson, il est envoyé à son tour en Belgique auprès du général Dumouriez. Proche des Enragés, il participe activement à l'insurrection des 8, 9 et 10 mars 1793. Il est guillotiné le 24 mars 1794 (4 germinal an II) en même temps qu'Hébert.

26. Cité par d'Albert Mathiez in « La Révolution et les étrangers. Le chevalier Pio », Annales révolutionnaires, t. 11, no 1, janvier-février, Armand Collin, 1919, pp. 94-104.

27. Rapport fait au nom de la commission chargée de l'examen des papiers trouvés chez Robespierre et ses complices, par E. B. Courtois, député du département de l'Aube, dans la séance du 16 nivôse an III, volume 8, Paris, Imprimerie nationale des Lois, nivôse an III, p. 75 sqq.

28. Réquisitoires de Fouquier-Tinville, pp. 64-65.

29. Cité par Christelle Augris dans Jean Théophile Victoire Leclerc. La vie d'un révolutionnaire Enragé, d'après C. Guillon in Deux enragés de la Révolution Leclerc de Lyon et Pauline Léon, La Digitale, 1993.

30. À propos de Jean Théophile Victor Leclerc, cf. Christelle Augris, Jean Théophile Victoire Leclerc. La vie d'un révolutionnaire Enragé ; Claude Guillon, L’ex-Enragé Leclerc, journaliste à La Nouvelle-Orléans ; Claude Guillon, 1792-1793, Les écrits des enragées, Paris, Imho, 2017 ; Partage noir. Leclerc, l'Ami du peuple ; Quel révolutionnaire français était Jean Leclerc éditeur du journal louisianais "L’Ami des Lois" ?

31. Cf. Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie de'Alsace. Levraut, famille d'imprimeurs...

32. C'est dans la maison de son ami Philippe Frédéric de Dietrich, alors maire de Strasbourg, que Claude Joseph Rouget de Lisle, en garnison dans cette ville, a composé dans la nuit du 24 au 25 avril 1792 le Chant de l'armée du Rhin, qui deviendra la Marseillaise.

33. Encyclopédie des gens du monde : répertoire universel des Lettres, des Sciences et des Arts , volume 12, Paris, Librairie de Treuttel et Würtz, 1839, p. 162.

34. Témoignage cité par Georges Reynaud in « Du nouveau sur le conventionnel Pierre Marie Baille (1758-1793) », Annales historiques de la Révolution française, 362 | octobre-décembre 2010 : Varia.

35. Version intégrale du discours de Robespierre du 5 nivôse an II.

36. Lenotre (G.), « Leș pèlerinages de Paris révolutionnaire. Le jardin de Picpus. I. La prison du Luxembourg » in Revue des deux mondes, tome XLI, 1er octobre 1927.

37. À propos de Jean François Varlet, cf. Zacker (J.), « Jean Varlet pendant la réaction thermidorienne », in Annales historiques de la Révolution française, 33e Année, no. 163 (Janvier-Mars 1961), pp. 19-34. Cf. aussi Blavier (Y.), Jean-François Varlet et les enragés. Une autre Révolution française ?, Paris, L'Harmattan, 2017.

38. Hamel (E.) (1826-1898), Histoire de Robespierre : d'après des papiers de famille, les sources originales et des documents entièrement inédits. La Montagne, tome III, Paris, Chez l'Auteur, 1867, pp. 211-215.

39. Nodier (C.), « Robespierre l'aîné », in Souvenirs, épisodes et portraits pour servir à l'histoire de la Révolution et de l'Empire, tome 1, Paris, Alphonse Levavasseur, Éditeur, 1831, p. 163 sqq. Cf. aussi Belcikowski (C.), « Qui suis-je, moi que l'on accuse ? » Robespierre vu par Charles Nodier.

40. Version intégrale du rapport du 27 brumaire an II.

41. D'après une rumeur fomentée dans les milieux contre-révolutionnaires, Frederick Augustus, comte d'Ulster, duc d'York et d'Albany, fils cadet du roi d'Angleterre George III, aurait pu succéder à Louis XVI sur le trône de France et, épousant l'une des filles du duc d'Orléans, restaurer ainsi en quelque façon la continuité dynastique de la royauté française. Eugène Adélaïde Louise d’Orléans, dite Madame Adélaïde, fille légitime du duc d'Orléans et de Marie Adélaïde de Bourbon, eût pu prétendre à un tel mariage ; Pamela Brûlart de Sillery, fille illégitime du duc d'Orléans et de Madame de Genlis, elle aussi, pourquoi pas ? Mais le duc d'York épouse le 29 septembre 1791 la princesse Frédérique Charlotte de Prusse, fille du roi Frédéric Guillaume II ; Eugène Adélaïde Louise d’Orléans restera célibataire ; et Pamela Brûlart de Sillery épouse le 27 décembre 1792 Lord Edward FitzGerald, fils cadet du duc de Leinster.

42. Hugues (G.), « Gouverneur Morris ou les ambiguïtés de l’universalisme révolutionnaire », in Revue de la Société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, 69 | 2012, La France et les Français, pp. 51-66.

43. Lentz (T.), Les relations américano-françaises de la Révolution à la chute de l'Empire (1789-1815)

44. Sagnac (Ph.), Compte-rendu de The Life of Thomas Paine (1737-1809), ouvrage dédié par Moncure Daniel Conway en 1892 à « Thomas Paine et la Révolution dans les deux mondes », in Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, année 1900 2-4, pp. 429-436.

45. Caron (N.), « Thomas Paine et l’éloge des révolutions », in Transatlantica. Revue des études américaines, Autour de la Révolution américaine, 2 | 2006.

Écrire un commentaire

Quelle est le cinquième caractère du mot 13gt2e ?

Fil RSS des commentaires de cet article