Ci-dessus : localisation d’Arvigna sur la carte de Cassini. Cliquez sur les images pour les agrandir.
J’ai entrepris d’explorer peu à peu les anciens livres terriers d’Arvigna, soit l’arpentement du XVIIe siècle, sans date expresse, et le compoix du XVIIIe siècle, daté de 1754. Arvigna est un village dispersé, constitué de 12 hameaux. Je me suis particulièrement attachée pour le moment au hameau des Bordes, puis, dans le cadre des Bordes, à l’identification des propriétaires des maisons sises dans la partie du hameau dite « la pointe » ou au bord du passage commun dit « le planol du puits ». Voici le résultat de mon enquête. A noter que dauta désigne l’est ; cers, l’ouest ; midy, le sud ; aquilon, le nord.
1. Vue générale de « la pointe » et du « planol du puits »
Ci-dessus : vue aérienne de « la pointe » et du « planol du puits » aux Bordes.
Ci-dessus : vue de « la pointe » depuis le chemin qui monte du hameau de Truffet vers le hameau des Bordes.
Ci-dessus : arrivée au hameau des Bordes par « la point ».
Ci-dessus : vue actuelle de l’ancien « planol du puits ».
Ci-dessus : à gauche sur l’image, vestige du puits.
Ci-dessus : depuis 2016, l’ancien « planol du puits » a pris le nom d’Impasse du puits.
2. Propriétaires des parcelles sises à « la pointe » ou au bord du « planol du puits » en 1754
Raymond Astre, curé d’Arvigna
Source : Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Compoix de 1754. Document 179EDT/CC1. Propriété de Raymond Astre, curé d’Arvigna. Vue 70.
« Maître Raymond Astre, curé du lieu d’Arvigna, tient en obit ((Obit : honoraire payé au prêtre pour la célébration des services funéraires.)) perpétuel les pièces qui suivent. Premièrement à la censive ((Cf. Wikipedia. Cens (droit seigneurial) : « La censive, ou terre censale, est un fonds qu’un seigneur de fief a concédé contre le paiement perpétuel d’un cens. Il en a vendu la propriété utile (dominium utile), propriété qui pourra passer aux héritiers qui, à leur tour, et solidairement, devront continuer à payer le cens. Le censitaire, celui qui tient le fonds à cens, est responsable de cette terre et propriétaire de sa production. Le seigneur censier, celui qui a droit de lever les cens, conserve la directicité, la propriété éminente (dominium directum). »)), un jardin au ruisseau d’Encagnié. Confronte d’auta et midi hers ((Hers désigne communément les héritiers dans les compoix.)) de Pierre Fourcade ; cers la rue ; aquilon ledit ruisseau d’Encagnié… »
Raymond Astre, curé d’Arvigna, qui loge à la maison presbytérale (cf. infra), tire des obits qu’il célèbre la propriété d’un jardin situé à proximité dudit presbytère. Il possède encore un ferrajat ((Ferrajat, occitan : champ de fourrage.)) à Rougé, autre quartier des Bordes, ainsi que trois champs et un herm ((Herm, occitan : lande, ou friche.)) dans divers écarts d’Arvigna. Il tire probablement de cette petite propriété l’essentiel de sa subsistance.
Baptiste Dejean
Ci-dessus : à noter, l’espace qui sépare la maison de Baptiste Dejean de la rue qui passe à droite de cette dernière, a été occupé par la maison presbytérale d’Arvigna jusque dans les années 1960.
Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Compoix de 1754. Document 179EDT/CC1. Propriété de Baptiste Dejean. Vue 70.
« Baptiste Dejean tient à la censive une maison en plancher ((Plancher : étage.)), grange, patu ((Patu, occitan : aire ou cour couverte.)), aire et jardin à Las Bordes. Confronte d’auta la rue et la maison presbytérale, un fossé entre deux pour recevoir les eaux ; midi autre rue et ladite maison presbytérale ; cers autre rue ; aquilon Guillaume Cabanié et Jacques Mirouse… »
Au XVIIe siècle, les Hers d’Arnaud Dejean jouxtaient déjà la maison presbytérale. Mais leur maison était alors en solier ((Solier : rez-de-chaussée sans étage.)) seulement. ((Archives départementales de l’Ariège. Arvigna. Document 46J197. Arpentement du XVIIe siècle. Vue 148.))
Maison presbytérale
Point de photo actuelle ici, car l’ancienne maison presbytérale, qui menaçait ruine, a été démolie dans les années 1960. J’ai connue dans mon enfance cette maison abandonnée toutes portes ouvertes, et dans laquelle subsistait, entre autres, un vieil harmonium. J’y allais parfois jouer quelques airs.
Archives départementales de l’Ariège. Arvigna. Document 46J197. Arpentement du XVIIe siècle. Vue 152.
« La maison presbytérale du lieu d’Arvigna consistant en un bâtiment en plancher assis au manage de Las Bordes. Confronte d’auta et midi les rues ; cers et aquilon Arnaud Dejean… »
Jean Ricalens et Hers de Vidal Rescanière
Ci-dessus : vue de l’ancienne maison de Jean Ricalens et des Hers de Vidal Rescanière du côté qui donne sur l’Impasse du puits (autrefois « planol du puits »).
Ci-dessus : vue de l’ancienne maison de Jean Ricalens et des Hers de Vidal Rescanière côté jardin.
Source : Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Compoix de 1754. Document 179EDT/CC1. Propriété de Jean Ricalens et des Hers de Vidal Rescanière, de Malléon. Vue 149.
« Jean Ricalens et Hers de Vidal Rescanière de Malléon tiennent à la censive une maison en plancher, patu et jardin au hameau de Las Bordes. Confronte d’auta Hers de Jean Bastié ; midi la pointe le Sieur Antoine Barrière et la rue ; cers la rue ; aquilon le passage ou planol du puits… »
Au XVIIe siècle, la maison appartenait déjà aux Hers de Vidal Rescanière ! C’est dire que sa construction initiale remonte au XVIe siècle peut-être. Mais la maison du XVIIe siècle était en solier seulement. Elle a gagné au XVIIIe siècle un étage.
Source : Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Document 46J197. Arpentement du XVIIe siècle. Vue 160.
« Héritiers de Vidal Rescanière tiennent maison en solier, patu et jardin, joignant au manage de Las Bordes. Confrontent d’auta Paul Lafargue Caxou ; cers la rue ; midi la rue aussi et Bernard Cabanié ; aquilon le passage commun… »
Hers de Jean Bastié
Le compoix de 1754 mentionne les Hers de Jean Bastié dans divers confronts, ce qui permet de localiser la maison de ces derniers. Mais les Hers de Jean Bastié ne figurent pas dans la table des matières de ce compoix. Le rédacteur dudit compoix a manifestement omis de créer l’item consacré à la description du lot concerné.
Hers de Paul Nicoulaut
Source : Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Compoix de 1754. Document 179EDT/CC1. Propriété des Hers de Paul Nicoulaut. Vue 68.
« Hers de Paul Nicoulaut tiennent une maison en plancher au hameau de Las Bordes. Confrontent d’auta un passage pour Trezet, et le dit Trezet pour entrée de patu derrière la présente maison ; midi ledit Trezet et par ledit patu, et Hers de Jean Bastié ; cers ledit Trezet pour une maison ; aquilon un passage où est le planol du puits de la communauté… »
Jacques Mirouse Trezet
Source : Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Compoix de 1754. Document 179EDT/CC1. Propriété de Jacques Mirouse, dit Trezet. Vue 104.
« Jacques Mirouse Trezet tient à la censive maison en plancher et patu au hameau de Las Bordes. Confronte d’auta Hers de Paul Nicoulaut ; midi Hers de Jean Bastié ; cers lesdits Hers de Jean Bastié ; aquilon le passage et communal du puits… »
Guillaume Brembat et Marion Lagrange
Source : Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Compoix de 1754. Document 179EDT/CC1. Propriété de Guillaume Brembat. Vue 66.
« Guillaume Brembat, dit le Sonart, et Marion Lagrange, mariés, tiennent une maison en solier et patu à la censive, au hameau de Las Bordes. Confrontent d’auta Hers de Paul Nicoulaud ; midy lesdits Hers Nicoulaut, le passage ; cers Jean Albigès ; et aquilon ledit Albigès et Rose Lagrange… »
Depuis 1754, comme on voit sur la vue actuelle, la maison a gagné un étage.
Jammes Mirouse Piquet
Source : Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Compoix de 1754. Document 179EDT/CC1. Propriété de Jammes ((Jammes : variante occitane de Jacques. Les surnoms, Trezet, Piquet, sont ici nécessaires pour distinguer l’un de l’autre les deux Jacques Mirouse.)) Mirouse, dit Piquet. Vue 58.
« Jammes Mirouse Piquet tient à la censive une maison en plancher avec patu audit lieu de Las Bordes. Confronte d’auta Guillaume Brembat ; midi passage ou planol du puits ; cers la rue ; aquilon autre passage… »
Source : Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Compoix de 1754. Document 179EDT/CC1. Propriété de Jammes Mirouse, dit Piquet. Vue 58.
« Jammes Mirouse Piquet et Anne Cabanié, sa femme, tiennent au hameau de Las Bordes, à la censive, une maison en plancher et patu avec masures. Confronte d’auta la rue ; midi Baptiste Dejean ; cers le tenancier ((Le tenancier est ici le même propriétaire. Il possède donc une parcelle adjacente à la parcelle ci-décrite.)) par un patu où il y a une muraille entre deux ; aquilon Guillaume Cabanié, baillif… »
Source : Archives dép. de l’Ariège. Arvigna. Compoix de 1754. Document 179EDT/CC1. Propriété de Jammes Mirouse, dit Piquet. Vue 58.
« Plus à la censive un patu joignant la maison dessus, audit lieu. Confronte d’auta le tenancier, une muraille entre deux ; midi la pointe Baptiste Dejean ; cers Jacques Prat ; aquilon Guillaume Cabanié… »
3. Conclusion provisoire
Depuis 1754, malgré les apparences, « la pointe » et « le planol du puits » au hameau des Bordes n’ont guère changé. Les maisons de 1754 subsistent presque toutes, même si leur bâti a pu être modifié. Cabanié, Mirouse…, les noms des baillifs du XVIIe et du XVIIIe se sont conservés. A la place du puits du planol de 1754, depuis le XXe siècle il y a aux Bordes l’eau courante. L’habitude des commodités contemporaines ne devait pas aller sans qu’on se souvienne parfois, comme ici, de l’eau rare qui fut celle d’un autre temps.
Je ma souviens qu’encore, dans les années soixante, on tirait l’eau du puits, à l’aide d’une pompe rhumatisante. Il fallait remplir l’abreuvoir des bœufs, à peine d’une longue torture.
L’ancien presbytère fut rasé, pour raison d’étroitesse du passage, où les charrettes de fourrage avaient grande difficulté à s’extirper. On a dit aux Bordes : « Aben demolit l’ostal lo mès solide de tot Arvigna ». Le curé dernier résident en fut l’abbé Richard, de haute notoriété.