Autrefois, 95, rue Saint-Honoré, la maison natale de Molière

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Ci-dessus : François André Vincent (1746–1816). Le Président Molé, saisi par les factieux, au temps des guerres de la Fronde. 1779.

En 2014, dans Tel était Molière ((Georges Poisson. Tel était Molière. Page 9 sqq. Actes Sud. Papiers. Paris. 2014.)), Georges Poisson, éminent dix-septièmiste, évoque la maison natale de Jean Baptiste Poquelin :

« Il existe dans Paris, dans le quartier des Halles, deux maisons natales de Molière. La plus spectaculaire se trouve 31, rue du Pont-Neuf, immédiatement au sud du nouveau jardin des Halles : là, un buste de l’écrivain trône en centre de façade, entouré de masques de théâtre et souligné d’une large inscription indiquant un faux lieu et une fausse date de naissance (1620).

Récemment, les moliéristes ont fait apposer sur l’autre emplacement, maintenant confirmé, une plaque donnant toutes références, prouvant que c’est au 95, rue Saint-Honoré, à l’angle de la rue des Vieilles-Étuves, aujourd’hui rue Sauval, que naquit en 1622 Jean-Baptiste Poquelin, fils d’un marchand maître tapissier, établi là depuis deux ans. »

Lesdits moliéristes fondent leur certitude actuelle, entre autres sur cette observation de Jules Antoine Taschereau, publiée en 1828 dans son Histoire de la Vie et des Ouvrages de Molière ((Jules Antoine Taschereau. Histoire de la Vie et des Ouvrages de Molière. Troisième édition. Page 206. Editions J. Hetzel. Paris. 1844.)) :

« Depuis la fin de 1825, […], M. Guerard, attaché à la Bibliothèque du Roi, section des manuscrits, qui a découvert différentes pièces relatives à Molière et à d’autres auteurs, et qui doit les publier dans quelques temps, a bien voulu en communiquer une à M. Beffara, extraite d’un manuscrit contenant les noms des propriétaires et principaux locataires de beaucoup de maisons de la rue Saint-Honoré, et portant ce qui suit :

Année 1637. Maison où pend pour enseigne le Pavillon des Cinges, appartenant à M. Moreay et occupée par le sieur Jean Pocquelin, maître tapissier, et un autre locataire, consistant en un corps d’hôtel, boutique et cour faisant le coin de la rue des Estuvées (Vieilles-Etûves), taxée à huit livres. »

« Située près des Halles de l’époque, dans un quartier commerçant, observe encore Georges Poisson, cette maison était dite « Pavillon des singes » parce que présentant à l’angle des deux rues un poteau cornier sculpté d’un oranger sur lequel grimpaient sept jeunes singes se passant des fruits. Ce poteau sculpté, Alexandre Lenoir en a publié une reproduction au tome III de son Musée des monuments français (Guilleminet, 1801). L’avait-il recueilli dans son musée, dont il aurait disparu par la suite, brûlé comme bois de chauffage par un employé inconscient ?

Ce nom de pavillon paraît un peu moderne pour le XVIIe siècle, là où l’on attendrait logis, mais il figure depuis 1529 dans les pièces d’archives. Celles-ci décrivent un corps d’hôtel à deux pignons comprenant un rez-de-chaussée, surmonté de trois étages, desservis par une vis, à chambres et garde-robes, comportant cheminées, et grenier au-dessus. »

Avide d’en savoir davantage, je me suis reportée au tome 3 du Musée des monumens français, ou Description historique et chronologique des statues en marbre et en bronze, bas-reliefs et tombeaux des hommes et des femmes célèbres, pour servir à l’histoire de France et à celle de l’art ; ornée de gravures et augmentée d’une dissertation sur les costumes de chaque siècle ((Alexandre Lenoir. Musée des monumens français, ou Description historique et chronologique des statues en marbre et en bronze, bas-reliefs et tombeaux des hommes et des femmes célèbres, pour servir à l’histoire de France et à celle de l’art ; ornée de gravures et augmentée d’une dissertation sur les costumes de chaque siècle. Tome 3, p. 27 sqq. Editions Guilleminet et Nepveu. Paris. 1801.)), ouvrage publié par Alexandre Lenoir en 1801 :

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« A Paris, rapporte Alexandre Lenoir, l’on vient de démolir, rue Saint-Honoré, au coin de celle des Vieilles Etuves, une maison bâtie en 1200 environ. Cette maison, qui appartenait à l’Hôtel-Dieu, était une des plus anciennes de Paris ; elle a servi plus d’une fois de modèle à nos peintres lorsqu’ils avaient des sujets de l’histoire de France à traiter. Le citoyen Vincent, peintre, membre de l’Institut national, l’a représentée dans son beau tableau du président Molé.

L’encoignure de cette maison était formée par un grand poteau (dit cornier à cause de son usage) sculpté à la manière du temps, représentant, sous des détails allégoriques, un sujet moral, composé de la manière suivante, et dont on peut juger du dessin par la gravure qui suit.

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La masse de ce poteau ((Note d’Alexandre Lenoir : « Lorsque le citoyen Clavareau, architecte, a fait déplacer le poteau, on a trouvé, dessous la pierre qui le retenait, plusieurs pièces de cuivre jaune. On a cru d’abord que c’étaient des médailles qui avaient été placées dans cet endroit lors de la construction de cette maison ; mais, examen fait des pièces, nous avons reconnu, d’après leurs types, représentant un saint Éloy, un empereur romain, un Henri IV, Louis XIII, un prince d’Allemagne, et des pièces de la Chambre des Comptes du règne de Louis XIII, que c’étaient de simples jetons qui avaient été jetés dans cet endroit sans aucun motif, ou qui y étaient tombés par hasard. »)) représente un grand arbre duquel s’élèvent des branches garnies de fruits : ce sont des pommes, selon toute apparence.

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Ci-dessus : image publicitaire inspirée d’un dessin d’Alfred Robida (1848-1926) créé sur le thème du Vieux Paris pour l’Exposition universelle de 1900.

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Ci-dessus : représentation 3D de la maison natale de Molière ; source : Le Vieux Paris d’Albert Robida.

On voit des singes qui cherchent à l’envi à grimper autour pour atteindre le fruit, lorsqu’un vieux barbon de la bande, tapis au bas, présente d’une main une des pommes que les jeunes ont fait tomber par les secousses qu’ils donnent à l’arbre qu’ils assiègent pour en cueillir le fruit. L’observateur sait trouver de l’intérêt dans les choses qui en paraissent le moins susceptibles, et je ne suis pas éloigné de penser, en examinant ce morceau antique et curieux, qu’il n’ait été le motif d’une fable charmante sur le pouvoir électif dont Lamotte [Antoine Houdar (ou Houdart) de La Motte (1672-1731)] est auteur, et dont voici la fin :

« On dit que le vieux singe, affaibli par son âge,
Au pied de l’arbre se campa ;
Qu’il prévit en animal sage
Que le fruit ébranlé tomberait du branchage,
Et dans sa chute il l’attrapa.

Le peuple à son bon sens décerna la puissance.
L’on n’est roi que par la prudence. »

Il est probable aussi que le poteau lui-même a été sculpté d’après un sujet allégorique, pris dans un morceau de poésie plus ancien que son auteur. »

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Ci-dessus : emplacement de l’ancienne maison natale de Molière, aujourd’hui.

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Antoine Houdar de la Motte. Les Singes. ((In Fables choisies. Editions Masson et Yonet. Paris. 1828.))

Le peuple singe un jour voulait élire un roi.
Ils prétendoient donner la couronne au mérite ;
C’était bien fait. La dépendance irrite,
Quand on n’estime pas ceux qui donnent la loi.
La diete est dans la plaine ; on caracolle, on saute ;
Chacun sur la puissance essaye ainsi son droit ;
Car le sceptre devoit tomber au plus adroit.
Un fruit pendoit au bout d’une branche assez haute ;
Et l’agile sauteur qui saurait l’enlever,
était celui qu’au trône on voulait élever.
Signal donné, le plus hardi s’élance ;
Il ébranle le fruit; un autre en fait autant;
L’autre saute à côté, prend l’air pour toute chance,
Et retombe fort mécontent.
Après mainte et mainte secousse,
Prêt à choir où le vent le pousse
Le fruit menaçoit de quitter.
Deux prétendans ont encore à sauter.
Ils s’élancent tous deux ; l’un pesant, l’autre agile ;
Le fruit tombe et vient se planter
Dans la bouche du mal-habile ;
L’adroit n’eut que la queue, il eut beau s’en vanter.
Allons, cria le sénat imbecile ;
Celui qui tient le fruit doit seul nous regenter.
Un long vive le roi fend soudain les nuées ;
L’adresse malheureuse attira les huées.
Oh, oh ! Le plaisant jugement !
Dit un vieux singe ; imprudens que nous sommes,
C’est par trop imiter les hommes :
Nous jugeons par l’évenement.
L’histoire des singes varie ;
Sur cet évenement il est double leçon.
Pour l’un et l’autre cas la nation parie ;
Je doute aussi du vrai; mais l’un et l’autre est bon.
On dit que le vieux singe affoibli par son âge
Au pied de l’arbre se campa.
Il prévit en animal sage,
Que le fruit ébranlé tomberait du branchage,
Et dans sa chûte il l’attrapa.
Le peuple à son bon sens décerna la puissance ;
On n’est roi que par la prudence.