A propos de Coussa. 5. Un certain Pierre de Coussa…

Dans les années 1030-1040, Roger I de Foix et Pierre de Carcassonne, son oncle, évêque de Gérone, signent une convenentia, acte de partage par lequel le ministerium de Bancel revient à la maison de Foix.

« Et ipso comitivo de ipso Bancel, qui es infre Lurag e Casal marcu tro ad Aregia, sia d’aquel qui tenrra Fox« . Et les dits droits comtaux dudit Bancel, qui est entre Lurag et Casal Marcu [d’une part], et l’Ariège [d’autre part], iront à qui tiendra Foix. ((Archives départementales de l’Ariège. E1 n°3.))

Cossanum, aujourd’hui Coussa, appartient à ministerium du Bancel, ou Banchels, « territoire qui s’étend au moins dans le triangle formé par Casal Marcu au nord (La Margue, commune de Verniolle), Lurag au sud (communes de Lieurac et de Carla-de-Roquefort) et l’Ariège à l’ouest. La position de La Margue en limite de la plaine de Boulbone, et celle de Lieurac en vallée du Douctouyre, donnent à penser que ces deux villages ne sont pas compris dans le périmètre considéré. Le Bancel a donc Coussa pour point extrême au nord, et la rive droite de l’Ariège à l’ouest (communes de Varilhes et Saint-Jean-de-Verges), mais le besoin de délimiter le périmètre, comme le confront avec l’Olmense (pays d’Olmes), suggèrent qu’il ne s’agit là que de la partie nord du Bancel, rajoutée au lot de Foix en complément de ce qui lui avait déjà été attribué. Alors, la partie manquante au sud ne peut être que la vallée de Lesponne (seigneuries de Roquefixade et de Celles), qui s’intercale entre le pays d’Olmes et l’Ariège » ((Denis Mirouse. Les circonscriptions intermédiaires du sud du pagus de Toulouse aux Xe et XIe siècles (ministerium, vicaria, suburbium…). Master II Etudes médiévales sous la direction d’Hélène Debax. Université Jean Jaurès. Toulouse. 2015.))

Situé à l’est de Fiches, le fragment de chaussée, identifié en 2007, qui sépare les communes de Coussa et de Verniole et qui limite au nord le ministerium de Bancel, date du XIe siècle. Il reprend probablement ici le tracé d’une ancienne voie romaine. ((Cf. Denis Mirouse. « Une Voie romaine en Couserans ? Monographie historique et géographique d’un axe transversal en piémont ariégeois ». In Revue de Comminges, n°123, fasc. 1 et 2, p. 7-40, 2007. A lire en ligne : Première partie ; Seconde partie.))

La première mention de Coussa que l’on connaisse, figure dans un hommage rendu en 1213 par Pierre de Saint-Sernin ((« Peut-être s’agit-il de Saint-Sernin du Vernet (Bordeneuve, Pamiers, au coeur de cet ensemble territorial ». Note de Denis Mirouse dans Les circonscriptions intermédiaires du sud du pagus de Toulouse aux Xe et XIe siècles, p. 113.)) à l’abbé de Frédelas (ancien site de Pamiers) pour le fief qu’il tient entre la rivière de l’Estrique et la place (place-forte ? garnison ?) de Coussa, jusqu’à la crête du Portel :

« Petrus de sancto Saturnino […] militem et hominem ecclesiae beati martiris Antonini propter castra et propter villas quas tenet de praedicta ecclesia a flumine de Estrita usque ad custodiam de Cossano et usque ad serram de las Ollas de Baulo. » ((Doat vol. 94, f° 73.))

Cet hommage montre que la suzeraineté de l’abbé de Frédelas s’étend alors jusqu’au Plantaurel, à l’intérieur d’un triangle dont les extrémités sont la rivière Estrita (l’Estrique), la serra de las Ollas de Baulo (crête du pas du Portel et de la rivière souterraine de Baulou, commune de Loubens), et la custodia de Cossano (commune de Coussa).

« De Cociano, Cosceano, Coceanis, Cossanis ; de Cossa, de Cossas en langue vulgaire. Ce nom vient de la localité actuelle de Coussa (Ariège, arr. de Pamiers, cant. de Varilles) ». En 1184, lorsque Raimond V fait remise à Pons, abbé de Saint-Semin, de toutes les revendications mises en avant par lui au sujet des redevances que ledit abbé avait acquises à Blagnac d’un certain nombre de seigneurs, « Bernardus Petrus de Cossano » ((Charles Molinier. « Pièces inédites du XIIe et du XIIIe siècle ayant figuré dans l’enquête exécutée en juillet 1247 par ordre d’Innocent IV au sujet de l’ensevelissement du comte de Toulouse Raymond VI en Terre Sainte », p. 80. In Revue des lettres françaises et étrangères. Université de Bordeaux. Faculté des lettres et sciences humaines. Féret. Bordeaux. 1885.)), dans une longue liste, fait partie de ces derniers. Le 26 septembre 1224, Pierre Nègre, cordonnier, donne au prieur Bertrand de Cobirac, prieur de l’hôpital Saint Jean de Jérusalem, six deniers toulousains d’oublies ((Cf. Encyclopédie. Oubliage : « redevance annuelle dûe en certains lieux au seigneur. »)) qu’il avait achetées au patricien Bernard Pierre de Coussa ; cette redevance portait sur une maison (domus) sise entre celle de Guillaume de Cunno Fannerio et celle de Pierre Capellarius, et qui se tient sur la rue qui mène à la Garonne.

Petrus Niger sutor, sua propria ac spontanea voluntate, dedit et donando solvit domino Deo omnipotenti et beate Marie et sancto Johanni et domino Bertrando de Cobiraco priori domus Hospitalis Jherusalem Tolose et omnibus fratribus ejusdem domus presentibus et futuris et eorum ordinio illos VI den. tol. obliarum et omnes donationes ibi pertinentes quos idem Petrus Niger emerat de Bernardo Petro de Cossano quos predictos VI den. obliarum et omnes donationes ibi pertinentes quondam faciebat dicto Bernardo Petro pro illa domo qui est inter domum Willelmi de Cunno Fannerio et domum Petri capellarii et tenet de carraria publica usque ad Garonnam. ((Archives dép. de la Haute-Garonne. H Malte. Toulouse, 1, 121. Cf. Deux inscriptions du cloître de l’ancienne maison de l’hôpital Saint Jean de Jérusalem à Toulouse. XIIIe siècle.))

Souvent mentionnée dans les cartulaires de Saint Sernin ((Cf. Célestin Douais. Cartulaire de l’abbaye de Saint-Sernin de Toulouse : 844-1200 passim. Rechercher « Cossiano ». A. Picard (Paris. E. Privat. Toulouse. 1887.)) et de Lézat ((Cf. Paul Ourliac et Anne-Marie Magnou. Cartulaire de l’abbaye de Lézat. Série 8. Tome 2. Volume 18 passim. Rechercher « Cossiano ». Comité des travaux historiques et scientifiques. Paris. 1984-1987.)) pour des achats ou ventes d’oublies, une famille de Coussa semble avoir été « une des plus considérables à Toulouse », dont Bernard Pierre de Coussa, capitoul dans les années 1180, 1181, 1183, 1184, 1189, 1190, 1192, 1194, 1199, 1202 et familier de Raymond VI (27 octobre 1156-2 août 1222), comte de Toulouse.

« Cette faveur persistante a peut-être pour cause la facilité avec laquelle Bernard Pierre de Coussa semble s’être accommodé des régimes politiques très divers dont le Languedoc vit de son temps la brusque succession. Favori des Raimond et de la population toulousaine, il n’en devient pas moins, quand la croisade a triomphé, un des juges établis par Simon de Montfort au Chàteau Narbonnais pour y rendre la justice en son nom. Quand la fortune des aventuriers pour lesquels il s’est compromis commence à s’éclipser, en 1220, il concourt à la confiscation et à la vente des biens de leurs partisans. Un de ses parents sans doute, son frère peut-être, Raimond Aimeric de Coussa, lui en a donné l’exemple, deux ans plus tôt, comme consul. Cette conduite habile aurait été en quelque sorte une politique de famille.

A la génération suivante, Pierre de Coussa, probablement fils de l’un ou de l’autre des deux précédents, figure au nombre des otages de la paix de 1229. Ce n’est pas là seulement une preuve de sa haute situation. On peut y voir, il semble, jusqu’à un certain point une marque de dévouement aux princes restaurés depuis peu. Mais, dans le même temps, le personnage dont il s’agit paraît en bons termes avec une puissance nouvelle qu’il peut être utile de ménager comme les autres, la justice inquisitoriale. Entre tant de représentants de la noblesse municipale toulousaine qu’il traite si délibérément d’hérétiques, Guillem Polisson ((Frère Guillem Polisson, inquisiteur à Albi, chroniqueur des premiers travaux de l’Inquisition. Cf. passim Charles Molinier. L’inquisition dans le Midi de la France au XIIIe et au XIVe siècle. Editions Privat. Toulouse. 1880.)) lui accorde un certificat d’orthodoxie, et l’on sait s’il est prodigue d’un pareil témoignage. Plus tard encore, sous le gouvernement d’Alfonse de Poitiers, le même Pierre de Coussa semble assez agréable aux officiers de ce prince pour servir de témoin à leurs actes administratifs. » ((Ibidem, p. 80-81.))

A-t-il existé dans le même temps une sorte de castelan (capitaine), petit seigneur de la custodia de Coussa, qui eût fait montre de sympathies cathares ? Anne Brenon le suggère dans Le dernier des cathares, Pèire Autier. Elle se réfère pour cela au témoignage fourni au tribunal de l’Inquisition par Pèire de la Caune, gendre d’Arnaud de Miglos, seigneur de Vicdessos. Celui-ci mentionne, à propos des réunions qui se tenaient en 1232, à Ax, dans la maison de Pèire ((Pèire Autié, ancêtre du Pèire Autié, notaire d’Ax et familier de Roger Bernard de Foix, qui sera brûlé sur ordre de l’Inquisition le 10 avril 1310 à Toulouse.)) et Raymonde Autié au passage de quelque Bon Homme, la présence de leur fille Ayrmengarde Autié et de « son mari Coussa, — peut-être seigneur de Coussa » ((Anne Brenon. Le dernier des cathares, Pèire Autier. Collection Tempus. Perrin. 206.)) : — Item vidit apud Axs in domo Petri Auter Bertrandum Martini et Aymengardam Cossa filiam dicti P. Auter, et Cossa maritum dicte Aymengarde […]. Et vidit ibi cum dictis hereticis Cossa et Ermengardam uxorem dicti Cossa et dictum P. Auter…. Traduction : — Item j’ai vu à Ax dans la maison de Pierre Authier Bertrand Marty et Ermengarde Coussa, fille dudit P. Authié, Coussa mari de cette Ermengarde […]. Et j’ai vu une autre fois, avec ces hérétiques, Coussa, Ermengarde sa femme, ledit Pierre Authié… ((Témoignage de Pierre de la Caune restitué par Jean Duvernois. In « Le registre de Bernard de Caux, Pamiers, 1246-1247 ». Société ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts. Bulletin de l’année 1990, pp.60-61.))

On ne sait rien de plus sur la très ancienne famille de Coussa. Comme indiqué dans la suite d’articles précédemment consacrée ici au village de Coussa, ce village conserve une tour, des restes de murailles ; et le compoix de 1754 mentionne encore l’existence de fossés. Situé au bord de la voie qui faisait communiquer au Moyen Age, et même depuis les Romains sans doute, la plaine d’Ariège avec le Supernicum, ou Lordadense ((Cf. Denis Mirouse. Article cité : « L’axe de ce ministerium « suit exactement ce qu’on appelle aujourd’hui la « route des corniches », depuis les hauteurs de Mercus et de Saint-Paul-de-Jarrat (col de Rouy, 803 m). C’est une route d’altitude qui emprunte les versants ensoleillés, passe au plus près du château de Lordat et se maintient entre 700 m et 900 m jusqu’à Ax-les-Thermes. Elle dessert les cols de Marmare vers le Razès et de Puymorens vers la Cerdagne. »)), puis la Cerdagne, le village de Coussa a pu avoir au XIe siècle le statut de custodia, de garnison, de petite place-forte (on parlera plus tard de châtellenie), postée au bord d’une route qui a été fréquentée logtemps encore et qui l’est restée pour les transhumances, au moins jusqu’au début du XXe siècle.

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Il se peut qu’un membre de la famille de Coussa ait été castelan de cette custodia. Les ancêtres de Noble Manaud de Traversier auraient ensuite acquis la place, en l’occurrence le petit château. Faute d’informations supplémentaires, impossible d’en dire davantage.