A Mirepoix, sous la Révolution, une savonnerie
1. Pourquoi, sous la Révolution, une savonnerie à Mirepoix ?
Il y a eu à Mirepoix, sous la Révolution, une savonnerie. On n’y produisait sans doute pas du savon domestique, mais du savon industriel, qui sert au foulage de presque toutes les sortes de laine. Siège au XVIIIe siècle d’un marché aux bestiaux important, Mirepoix tirait de ce commerce ses deux industries, à savoir le tissage et le tannage. Si l’activité des tanneries a périclité dès le début de la Révolution, la production lainière, dans un contexte de pénurie généralisée et de circulation difficile, s’est poursuivie non sans mal. Renonçant à se fournir auprès des manufactures de Carcassonne, la ville a entrepris de produire sur place le savon nécessaire au foulage des laines.
Datées du 11 pluviôse an V (30 janvier 1797), les Annales de chimie, publiées entre autres par Louis Monge (1748-1827), Claude Louis Berthollet (1748-1822) et Jean Antoine Chaptal (1756-1832), nous renseignent sur la méthode de fabrication du savon :
« Toute l’opération se réduit à faire une lessive alkaline de cendre ou de potasse ; à la porter à l’ébullition, et à dissoudre de vieux morceaux de laine ou retailles de draps, jusqu’à saturation. Il en résulte un savon mou, très soluble dans l’eau, de couleur d’un vert grisâtre, bien lié, ayant une odeur animale que les draps perdent au lavage et à l’air. »
Les matières nécessaires pour composer le savon, se réduisent à deux ; substances alkalines, et laines.
Les substances alkalines doivent être prises dans les cendres des foyers ; la lessive doit en être faite par les procédés connus. On éteint la chaux avec un peu d’eau ; on mêle la pâte avec les cendres passées au crible dans la proportion d’environ un dixième de chaux vive sur le poids des cendres employées ; on porte le mêlange dans un petit cuvier de pierre (les cuviers de bois colorent la lessive et se détériorent trop aisément ) ; on y verse de l’eau jusqu’à ce qu’elle recouvre de quelques pouces ; on laisse séjourner pendant quelque temps, et on retire la lessive par une ouverture pratiquée à dessein au bas du cuvier. On ne doit extraire cette lessive qu’au moment de l’employer […].
On peut encore employer la potasse du commerce; on la traite comme les cendres, en mêlant la chaux dans la proportion d’un tiers.
Quant au choix des laines, tout le monde sait que dans les fabriques de draps, de couvertures, de kalmouchs 1Kalmouch : tissu velu en laine, dont la chaîne est en fils peignés et la trame en fils gras., et autres étoffes en laines, il s’exécute une suite d’opérations depuis le lavage des laines, jusqu’à la sortie de l’étoffe de la fabrique, qui entraîne la déperdition d’une portion plus ou moins considérable de cette matière première ; l’eau dans laquelle on foule la laine pour la laver, le sol sur lequel on l’étend, le magasin où on la dépose ; les opérations qui consistent à battre la laine, à la carder, à la filer, à la tisser ; celles qui ont pour but de tondre les draps, de les peigner, de les fouler. Dans toutes ces diverses manipulations, on voit partout un résidu de laine qu’on ramasse, à à la vérité, avec quelque soin ; mais plusieurs de ces opérations sont de telle nature, que les débris de laine qui en résultent sont sales et mêlés de matières étrangères dans quelques-unes, et que les fils en sont coupés et par conséquent trop courts dans quelques autres ; de manière que le fabricant jette ces résidus au fumier. La fabrication du savon lui fournit le moyen de les utiliser tous : il n’est question que de les réunir dans les paniers où se lavent les laines, et de les y fouler avec précaution, tant pour les laver que pour en séparer tout ce qui leur est mêlé de corps étrangers. On les conserve ensuite pour l’usage.
On peut encore se servir avec avantage des retailles de toutes les étoffes qu’on trouve chez les fabricants, les tailleurs, les marchands de draps. » 2Annales de chimie ou recueil de mémoires concernant la chimie par les Citoyens Guyton, Monge, Berthollet, Fourcroy, Adet, Séguin, Vauqelin, Pelletier, C. A. Prieur, Chaptal et Van Mons, volume 21, p. 29 sqq., 11 pluviôse an V, 30 janvier 1797..
2. Où la savonnerie de Mirepoix se situait-elle ?
Le 25 brumaire an VI (15 novembre 1797), par devant maître Combes, notaire public à Mirepoix, les citoyens Jean Lafont père, laboureur, et Jean Lafont fils, ci-devant marchand, demeurant tous deux dans la dite commune de Mirepoix, vendent, « au prix et somme de 4.300 francs en monnaie métallique », au citoyen Jean François Loup, « agriculteur propriétaire, demeurant dans la commune de Carcassonne », « une maison, savonnerie, avec tout ce qui la compose, et les outils et les matières qu’i s’y trouvent actuellement renfermées », et « partie d’un patu 3Patu, en occitan : cour, préau. Cf. également Robert Geuljans, Dictionnaire étymologique de la langue d’Oc, article « Patis, patus« . où il y a un puits ». A noter qu’après avoir acheté, le 28 frimaire an III, la métairie de la Redonde, ancienne propriété de l’hôpital de Mirepoix située près de Roumengoux, le citoyen Jean François Loup a acquis également la partie de l’ancienne maison seigneuriale des Lévis qui regarde au levant sur la promenade d’Amont (aujourd’hui cours Louis Pons-Tande).
Le 26 germinal an VI (15 avril 1798), comme indiqué par le Bulletin des lois, il obtiendra l’autorisation de créer une forge à fer sur la rivière de la Dure, à Saint-Denis, près de Montolieu, dans l’Aude 4Cf. Collection générale des lois et des actes du Corps Législatif, volume 11, p. 106..
L’acte de vente de la maison savonnerie de Mirepoix indique que Jean Lafont père a acheté cette maison à Guillaume Rougeat, bachelier, le 22 septembre 1791 et que Jean Lafont père et Jean Lafont fils, aujourd’hui 25 brumaire an VI (15 novembre 1797) vendeurs de la dite maison, délèguent à Jean François Loup, nouvel acquéreur, « le soin de payer à leur acquis et décharge à la citoyenne Paule Rougeat, épouse du citoyen Moreau, fille et héritière de feu Guillaume Rougeat, suivant son testament, la somme de 2.275 francs en numéraire métallique, pour pareille à celle due par ledit Lafont père suivant le verbal de conciliation dressé par le juge de paix de la commune de Mirepoix, le 15 nivôse dernier (4 janvier 1797).
La maison en question, telle que décrite dans l’acte de vente du 25 brumaire an VI (15 novembre 1797), se situe, à Mirepoix, « au local appelé la rue d’Aval ou d’Avail (aujourd’hui rue Monseigneur de Cambon), confrontant d’auta la citoyenne Bauzil Esparrou ; du midi les acquéreurs dudit Jean Lafont fils, vendeur pour autre maison et partie de patu donnant sur la rue des ci-devant Pénitents bleus (jadis rue Courlanel ou Cournanel ; aujourdhui rue Maréchal Clauzel), sachant qu’un « mur sera ouvellement construit par l’acquéreur à l’endroit fixé entre parties entre eux deux » ; de cers André Maudet ; et d’aquilon la rue d’Aval.
Ci-dessus : n°205 du plan 3 du compoix de 1766, volume 1, p. 140.
Le plan du moulon 3 du compoix de 1766 montre où se situe la maison achetée par Jean Lafont père à Guillaume Rougeat le 22 septembre 1791, puis revendue à Jean François Loup le 15 novembre 1797. L’ex-maison de Guillaume Rougeat porte sur ce plan le n°205. Jean Bauzil, bourgeois, tient alors d’auta (est) le n°204 ; Barthélémy Bernard de Saint Julien, seigneur de Pechdacou, de cers (ouest) le n°206 ; Louis Cairol, prêtre et hebdomadier du chapitre, de cers aussi le n°211. Cf. La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°185 à 212.
Ci-dessus : détail du plan 3 du compoix de 1766.
Le rôle des contributions de l’an VII montre que, dans le cadre du système de numérotation des adresses « nouveau style », qui fixe le n°1 de la section A « chez Etienne Monfaucon rue d’Aval », André Maudet aîné, négociant, tient sur le même côté de la rue d’Aval le n°5 de la section A, en lieu et place de Barthélémy Bernard de Saint Julien, seigneur de Pechdacou ; Jean François Loup, le n°6, en lieu et place de Guillaume Rougeat, bachelier, puis de Jean Lafont, laboureur ; la citoyenne Bauzil Esparrou, veuve de Jean Bauzil, bourgeois, le n°7 ; Cairol Caraman, cultivateur, le n°31 ; Jean Baptiste Arcizet cadet, cordonnier, le n°30.
Ci-dessus : reportés sur le plan 3 du compoix « ancien style », noms des propriétaires de l’an VI.
Voici le visage que présente aujourd’hui, rue Monseigneur de Cambon (anciennement rue d’Aval) la maison savonnerie des années révolutionnaires :
Ci-dessus, à droite sur l’image : emplacement de l’ancienne savonnerie de Mirepoix.
References
↑1 | Kalmouch : tissu velu en laine, dont la chaîne est en fils peignés et la trame en fils gras. |
↑2 | Annales de chimie ou recueil de mémoires concernant la chimie par les Citoyens Guyton, Monge, Berthollet, Fourcroy, Adet, Séguin, Vauqelin, Pelletier, C. A. Prieur, Chaptal et Van Mons, volume 21, p. 29 sqq., 11 pluviôse an V, 30 janvier 1797. |
↑3 | Patu, en occitan : cour, préau. Cf. également Robert Geuljans, Dictionnaire étymologique de la langue d’Oc, article « Patis, patus« . |
↑4 | Cf. Collection générale des lois et des actes du Corps Législatif, volume 11, p. 106. |