A propos de la coiffure à la Quesaco

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En 1770, après la mort de Joseph Paris Duverney, financier dont il était l’associé, Beaumarchais bénéficie, semble-t-il, des dispositions testamentaires formulées en sa faveur par ce dernier. Légataire universel du financier, le comte de la Blache porte l’affaire devant les tribunaux. Beaumarchais gagne le procès en première instance. Mais, en 1773, le célèbre criminaliste Louis Valentin Goëzman de Thurn relance l’affaire. Il bénéficie en la circonstance du concours de Louis Marin, avocat au Parlement de Paris, secrétaire général de la Librairie, censeur royal, et directeur de la Gazette de France depuis 1771, ennemi juré du trop libre Beaumarchais. Beaumarchais se déchaîne alors contre Goëzman et Marin dans quatre mémoires dont il donne lecture devant la Cour, en présence du Tout-Paris. Louis Marin essuie là plus spécialement l’objet de ses sarcasmes. Natif de La Ciotat, Louis Marin usait à tout propos de la formule languedocienne « Ques’aco ? ». Observant, lors de son procès, que le Tout-Paris se rit d’un tel « Ques’aco ? », Beaumarchais fait du tic de l’homme de La Ciotat, in cauda venenum, la pointe de son quatrième mémoire :

« Nous avons vu de nos jours le corsaire [Louis Marin] allant à Versailles, tiré à quatre chevaux sur la route, portant pour armoiries aux panneaux de son carrosse, dans un cartel en forme de buffet d’orgues, une Renommée en champ de gueule, les ailes coupées, la tête en bas, raclant de la trompette marine ; et pour support une figure dégoûtée, représentant l’Europe ; le tout embrassé d’une soutanelle doublée de gazettes, et surmontée d’un bonnet carré, avec cette légende à la houpe : Ques-à-co ? Marin. » 1Pierre Augustin Caron de Beaumarchais. Quatrième mémoire contre Goëzman.

Dans les années 1770, à la Cour comme à la ville, le « Ques’aco ? » de Louis Marin fait fureur. Les belles dames adoptent la coiffure à la Quesaco. Félix Sébastien Feuillet de Conches raconte, dans ses Causeries d’un curieux :

« Le cheveu avait repoussé. Il reprit bientôt sa tendance ascendante, laissant bien loin la coiffure arriérée à l’Enfant. On eut les bonnets à la Fiancée, les coiffures à la Neige, les accommodages à la Blaise et Babet, en souvenir de cette bluette charmante, qui rendait le coeur a qui n’en avait plus. On eut les Gertrude, les bonnets à la Clochette, à la Sultane, au Doux Sommeil, les Moissonneuses, les Glaneuses, les coiffures à la Candeur et à la Cléopâtre, les Toques lisses, les bonnets au Levant, les bonnets au Mystère, les bonnets à la Susanne, compliment à mademoiselle Contat, qui jouait à ravir le rôle de Susanne dans le Mariage de Figaro, représenté pour la première fois le 27 avril 1784. Les procès de Beaumarchais avaient amené les bonnets à la Quesaco ; son vilain opéra de Tarare mit en vogue les bonnets à la Tarare. On eut enfin les Baigneuses de nouveau goût, qui fâchèrent encore le poëte Desnos et l’on couronna la série par les coiffures à l’Espoir, sans Redoute, à la Nation, au Charme de la Liberté, les pouffs à la Prêtresse, les bonnets à la Pallas ou en Gueule de Loup, jusqu’au jour où la terreur abattit l’édifice des cheveux avec les têtes. C’est dans sa coiffure que l’infortunée princesse de Lamballe avait caché trois lettres de la reine, et qui, dans sa chute sous le fer des assassins, tombèrent dans le sang. » 2Causeries d’un curieux : variétés d’histoire et d’art tirées d’un cabinet d’autographes et de dessins. Tome 2 / par Félix Sébastien Feuillet de Conches (1798-1887). Éditeur : H. Plon. 1857-1864. Paris.

Les Mémoires secrets de Louis Petit de Bachaumont se souviennent, aux aussi, de la folie « quesaco » :

« Ce dicton provençal a plu si fort à Madame La dauphine, lorsqu’elle a lu ce mémoire [Mémoire contre Goëzman], qu’elle l’a adopté, le répète souvent, et qu’il est devenu un quolibet de cour. Une marchande de mode a imaginé de profiter de la circonstance ; elle a inventé une coiffure, qu’elle a appelée un « quesaco » : c’est un panache en plume que les jeunes femmes, les élégantes, portent sur le derrière de la tête, et qui ayant été goûté par les princesses et surtout par Madame La comtesse Du Barry, acquiert une faveur singulière, et perpétue l’opprobre de Marin, bafoué jusqu’aux toilettes. » 3Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours. Tome 7 / ; ou Journal d’un observateur… par Louis Petit de Bachaumont. A Londres, chez John Adamson. 1780-1789.

En 1789, rapporte encore Félix Sébastien Feuillet de Conches, non sans quelque malice, « dans l’espoir de siéger à l’assemblée des électeurs de Paris, réunis à l’hôtel de ville, Beaumarchais avait publié encore un mémoire où il se vantait d’avoir préparé et hâté la révolution par son opéra de Tarare, joué pour la première fois le 8 juin 1787. Malgré cette belle raison et la faveur des coiffeurs, il ne fut pas élu. » 4Félix Sébastien Feuillet de Conches. Causeries d’un curieux. Tome 2.

Louis Marin, « bafoué jusqu’aux toilettes », chansonné, dut se retirer à La Ciotat jusqu’aux années 1780.

Quant au « Ques’aco ? » qui lui avait valu sa disgrâce, même lorsqu’il revint à Paris, Louis Marin continua d’en user comme par le passé. On sait toutefois depuis la mésaventure de nostre Pierre Pol Riquet, – mal compris et mal reçu en 1662 chez Colbert pour ce qu’il parlait languedocien, avec l’accent biterrois de surcroît -, que le « patois » se porte mal chez les Peoples et autres Bobos francimans.

References

1 Pierre Augustin Caron de Beaumarchais. Quatrième mémoire contre Goëzman.
2 Causeries d’un curieux : variétés d’histoire et d’art tirées d’un cabinet d’autographes et de dessins. Tome 2 / par Félix Sébastien Feuillet de Conches (1798-1887). Éditeur : H. Plon. 1857-1864. Paris.
3 Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours. Tome 7 / ; ou Journal d’un observateur… par Louis Petit de Bachaumont. A Londres, chez John Adamson. 1780-1789.
4 Félix Sébastien Feuillet de Conches. Causeries d’un curieux. Tome 2.

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  • LaBaronne at 3 h 07 min

    super ! j’ai bien ri

  • Gironce at 9 h 57 min

    Quand est-ce que l’on cessera de parler de patois pour désigner la langue d’Oc ? C’est insultant. Le patois de Paris peut se targuer de prétendue supériorité, quand « es lo pairol que mascara la padena. »