Eglises romanes en pays d’Olmes

 

Sur la route de Lavelanet…
Au bout de la route, dans le sfumato d’un beau jour de septembre, le pog de Montségur et le Saint-Barthélémy.

Dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, le Pays d’Art et d’Histoire proposait dimanche dernier un Circuit d’églises romanes en Pays d’Olmes. Avec d’autres passionnés d’histoire locale, j’y suis allée. Catherine Robin, animatrice de l’architecture et du patrimoine du Pays des Pyrénées cathares, coordinatrice des initiatives du Pays d’Art et d’Histoire, nous a servi de guide.

11:00 AM. Nous avons rendez-vous avec Catherine Robin au pied de l’église Saint Jean d’Aigues-Vives. Situé en léger surplomb aux abords immédiats de la route de Bélesta, l’édifice est de dimensions modestes. Il a conservé le charme simple des églises de campagne.

Cet édifice date du XIe siècle, i. e. de la période où notre région, y compris en montagne, se couvre d’un « manteau d’églises ». Une telle multiplication des églises assure le maillage du territoire et elle contribue à fixer la population. L’édification de l’église Saint Jean d’Aigues-Vives suscite ainsi l’installation du village éponyme.

Catherine Robin évoque, de la basilique romaine aux premières églises chrétiennes, la problématique culturelle et architecturale qui est à l’origine du style roman. Contrairement à la religion antique, qui réserve le temple aux prêtres, la religion chrétienne conçoit l’église comme un lieu ouvert aux fidèles. A ce titre, elle a besoin d’édifices plus grands. Elle emprunte conséquemment aux Anciens le modèle de la basilique, i. e. celui du marché couvert, plus adapté aux rassemblements en nombre. Elle reprend de la basilique romaine la nef rectangulaire, qui offre un espace de déambulation plus conséquent que celui du temple de forme carrée ; elle y ajoute une tribune, et, le cas échéant, deux bas-côtés. Reste à résoudre le problème de la couverture, qui exerce sur les murs d’une nef ainsi dimensionnée une poussée forte. Avant d’atteindre au statut d’invariant stylistique, l’étroitesse de la fenêtre romane répond à une contrainte technique : elle réduit le risque de fragilisation des murs qui portent la voûte.

Compensée par de larges ébrasements qui concentrent la lumière vers l’intérieur de la nef, l’étroitesse de ce type de fenêtre se trouve ici magnifiée par de larges entours de couleur blanche, qui rythment sobrement la façade et la rendent visible de loin.

Les fenêtres de l’église Saint Jean d’Aigues-Vives ne sont pas toutes de même taille ni positionnées de façon alignée. L’une d’entre elles au moins a été agrandie au cours du temps, observe Catherine Robin. Le désalignement d’une fenêtre plus petite en revanche est d’origine. Moins sujet que les modernes à l’obsession de la symétrie, les architectes romans se souciaient plutôt de ménager des points de jour dans le vide du vaisseau, afin, dixit Viollet-Le-Duc, de favoriser le « pittoresque lumineux » ((Viollet-Le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, article « Fenêtre »)).

Evoquant les diverses modifications de l’église Saint Jean d’Aigues-Vives, dont la réfection de la porte au XVIe siècle, Catherine Robin nous invite à faire le tour de l’édifice afin d’observer comment l’appareil de pierre donne à lire les traces d’un passé complexe qui, faute d’archives, demeure à ce jour imparfaitement connu.

On voit sur ce mur que l’appareil de pierre est de qualité inégale. Les belles pierres taillées du bâti original voisinent un peu partout avec un vrac de pierres ordinaires. Le caractère composite de cet assemblage indique que le mur a été remanié après la fondation de l’église et qu’on a remployé les pierres d’origine en les associant à d’autres matériaux moins coûteux.

L’observation des murs extérieurs de l’église montre également des traces d’arrachements ou des vestiges d’autres murs, relatifs peut-être à d’autres bâtiments, qui auraient été jadis accolés à l’église. D’après Gérard Pradalié, de l’université de Toulouse-Le Mirail, ces vestiges de murs pourraient être ceux du château des seigneurs d’Aigues-Vives, qui ont été un temps les protecteurs de l’église et qui ont favorisé l’implantation d’un village autour de cette dernière.

Après la disparition des seigneurs d’Aygues-Vives, l’église perd de son lustre, puis de son attrait ; le village se redéploie peu à peu dans la direction de Lavelanet. L’église Saint Jean d’Aigues-Vives retourne alors au statut dormant de simple église de campagne.

L’intérieur de l’église a été rénové dans les années 1990. Il ne reste rien ici de l’aspect roman. L’église abrite toutefois deux statues polychromes, une grande toile du XVIIe ou XVIIIe siècle, et une toile contemporaine, signée Mady de la Giraudière.

C’est dans cette nef bizarre que Catherine Robin nous propose soudain de revêtir des masques pour les yeux, d’écouter le texte qu’elle va nous lire, d’imaginer… Le texte parle des pierres ; du travail des moines bâtisseurs qui décident un jour de construire pierre à pierre une nouvelle abbaye ; du lien que l’âme des hommes entretient avec l’âme des pierres… Il s’agit du texte des Pierres sauvages, roman publié en 1964 par l’architecte Fernand Pouillon.

« Je suis la parcelle divine qui recrée la matière, transforme la nature, et pour toujours, sème l’émotion dans le coeur des pèlerins », dit le moine bâtisseur qui fut le maître d’oeuvre de l’abbaye du Thoronet.

Avant de repartir vers Dreuilhe, où Catherine Robin nous attend à 14 heures pour le deuxième rendez-vous de notre circuit, nous improvisons un pique-nique au pied de l’église. Le pique-nique sous les arbres fait partie, lui aussi, du charme de ces grandes journées de vadrouille en pays d’art et d’histoire !

14:00 PM. Nous voici à Dreuilhe, au pied de l’église Notre Dame de Pierre Pertuse, ou de la Pierre Trouée – du nom des Rochers de la Pierre Trouée, qui s’élèvent à proximité de Dreuilhe et qui abritent une grotte curieuse, sur le site dit de « l’Entonnadou ».

Dommage qu’aujourd’hui, les églises soient cernées de poubelles.

Instruits par l’exemple de l’église Saint Jean d’Aigues-Vives, nous considérons la très belle qualité des pierres qui appareillent la façade principale de l’église Notre Dame de la Pierre Pertuse, puis, indice d’un probable remaniement, la modification de l’appareillage sur l’un des murs latéraux.

Opérées au cours du temps, diverses modifications se lisent à même les murs de l’église. Sous la fenêtre romane, la petite porte qui donnait sur le cimetière a été comblée à l’aide de pierres de qualité inférieure. Ailleurs, une autre des fenêtres romanes a été obturée.

Catherine Robin nous invite à déchiffrer d’autres signes encore sur le grand livre des pierres. Puis nous entrons dans l’église. La porte fait un cadre au grand retable baroque.

La voûte appareillée et les chapiteaux sont ornés de symboles héraldiques ou d’animaux fantastiques.

Remanié au XVIIe siècle, l’intérieur de l’église fait montre de la théâtralité propre au goût baroque. L’éclairage moderne, qui accuse cette théâtralité, avive dans l’ombre le regard des petits anges polychromes.

Sur la grande arcade qui ménage la transition entre la nef et le choeur, une peinture attribuée à Jean Soun (ou Soum), artiste du XVIIe siècle, natif semble-t-il de Verdun-en-Foix, représente à nouveau deux anges, porteurs d’un cartel sur lequel figure le symbole marial A.M. Cette peinture, à fin de restauration, a été repeinte. Son aspect s’en trouve dénaturé.

Sous l’arcade, à l’aplomb des deux anges, repose sous une dalle, faite pour être foulée aux pieds par l’assemblée des fidèles, la dépouille de Catherine de Caulet (1617-1708), soeur de Monseigneur de Caulet, évêque de Pamiers ; épouse de Jean de Lévis Mirepoix, seigneur de Lavelanet ; seigneuresse elle-même après la mort de son époux ; fondatrice des Mirepoises, oeuvre charitable consacrée à l’éducation des filles pauvres ((Cf. La dormeuse blogue : Lavelanet, Pamiers & Mirepoix au temps des Réformes – 12e journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix)).

Ces peintures murales datent de la seconde moitié du XVIIe siècle. Leur auteur demeure inconnu. Elles comportent sur fond de rinceaux, d’un côté le symbole christique I.H.R., de l’autre, là encore, le symbole marial A.M., surmontés chacun par un vase. Ces peintures ont également été repeintes, consécutivement dénaturées ((Sylvie Decottignies, Ministère de la Culture, Base Palissy, Dreuilhe, Peinture monumentale du choeur)). La photo prise par Aimée Neury en 1964 permet de mesurer l’ampleur de la « restauration ».

Derrière l’autel, un ensemble de tableaux et de statues forme retable dans le goût, ici discrètement rococo, du XVIIIe siècle. Ce goût-là n’eût pas été sans doute, de son vivant, celui de Dame Catherine de Caulet, dont on sait qu’elle se souciait de la charité bien plus que des ornements d’église. Mais le XVIIIe siècle a jugé nécessaire d’enrichir le décor de l’église dans laquelle cette noble dame repose désormais sous la lame…

La statue de gauche représente peut-être Saint Gauderic, un saint paysan, particulèrement vénéré dans la région. La statue de gauche figure un évêque, sans qu’on sache lequel. Traitées avec un certain réalisme, les deux statues ont, à la manière de la Sainte Thérèse du Bernin, quelque chose d’étonnamment vultueux (voluptueux ?) dans leur expressivité !

Je ne m’attarde pas ici sur les tableaux, que j’ai déjà eu l’occasion de décrire dans un article précédent. Cf. La dormeuse blogue : A Dreuilhe, une visite à l’église Notre Dame de Pierre Pertuse.

Lorsque, quittant les tableaux et les statues, j’ai soulevé la nappe qui recouvre l’autel, j’ai constaté avec surprise que celui-ci est fait d’un superbe faux-marbre marouflé sur carton. Il s’agit là d’un remarquable travail d’art, sans doute ancien. J’imagine que l’autel en faux-marbre vient remplacer ici, à l’identique comme semble l’indiquer la reprise du symbole A.M., quelque autel de marbre déplacé à la fin du XVIIIe siècle ou disparu pendant la Révolution.

A gauche de l’autel, un autre retable, probablement installé jadis sur l’autel de marbre aujourd’hui manquant, constitue dans son genre un chef d’oeuvre de l’art du XVIIe siècle. Entièrement doré à l’or fin, il déploie autour d’un petit tabernacle dédié au Christ en croix une suite de figures naïves qui appartiennent à l’histoire du Salut. Au-dessus du tabernacle, une statue de la Sainte Vierge à l’Enfant. De part et d’autre de la Vierge, deux médaillons représentant tour à tour l’Annonciation, puis la fuite en Egypte. La candeur de la vision, alliée ici à la perfection du travail, confère à cette oeuvre le pouvoir de toucher le coeur en même temps qu’elle suscite l’admiration.

La sacristie, elle aussi, se trouve placée sous la protection de la Vierge. La Vierge veille à la fenêtre. Elle figure aussi sur un meuble, dans une rare représentation en forme de reliquaire. L’impression de silence habité, dans l’espace exigu de la petite sacristie, est très forte.

De la rigueur formelle à la fantaisie baroque, de l’oeuvre anonyme à la signature, trois dernières images de l’église Notre Dame de la Pierre Pertuse à Dreuilhe…

16:00 PM. Au tournant de cette rue signalée par un mur de graphes, nous arrivons à l’église Saint Sernin de Bensa, troisième et dernière étape de notre circuit.

Toute petite, l’église est en vertu de la parfaite simplicité de ses lignes, caractéristique du plus pur style roman. Catherine Robin nous invite à entrer d’abord dans la nef afin d’observer au-dessus de l’abside semi-circulaire la très belle voûte en cul de four.

Le « pittoresque lumineux » dont parle Viollet-Le-Duc à propos des églises médiévales, révèle ici tout son sens.

Située dans un minuscule espace collatéral dont on a cru un temps qu’il augurait la construction ultérieure d’un clocher, laquelle finalement n’a jamais été entreprise, la sacristie présente, elle aussi, une superbe voûte en cul de four. L’intention qui a présidé un jour à l’adjonction de cet espace collatéral nous demeure inconnue.

Administrée au XIe siècle par un obscur seigneur de Bensa, ou Vensa, l’église se trouve rendue ensuite à la légitime gouvernance des chanoines de l’abbaye de Saint Sernin à Toulouse, laquelle a également autorité sur l’église de Dreuilhe. L’administration de l’église de Bensa revient plus tard au prieuré Saint Antoine de Lavelanet. Ces diverses péripéties s’accompagnent chaque fois de travaux d’aménagement ou de restauration. On ne sait pas, entre autres, à quelle date la fenêtre de l’abside a été à la fois modifiée et réduite. L’édification du petit bâtiment collatéral remonte peut-être au temps du seigneur de Bensa, qui aurait pu vouloir bénéficier d’un espace réservé à son usage propre et jouissant d’un accès direct à l’église. Catherine Robin rappelle à cette occasion les travaux de Gérard Pradalié, qui insiste sur l’intrication médiévale de l’architecture religieuse et de l’architecture civile.

Engageant à la suite de Catherine Robin un tour extérieur de l’église, nous avons tout loisir d’observer l’élégante simplicité des fenêtres, la puissante modification de la fenêtre de l’abside, et le caractère curieux des modillons, sculptés sur la corniche de l’abside. Bien que très érodés, certains d’entre eux présentent encore, de façon visible, des motifs végétaux et des animaux fantastiques, témoins de l’imaginaire tourmenté qui fut celui des hommes du Moyen Age – mais, quoique sous un visage différent, l’imaginaire tourmenté n’est-il pas aujourd’hui notre lot aussi ?

La journée s’est achevée avec le concert Veni Creator Spiritus, donné par le choeur grégorien Pierres vivantes en l’église de Bensa. A la direction, Philippe Lecoq ; à l’orgue, Saori Sato.

Le mot de « pierres vivantes » dit admirablement l’esprit de cette journée toute entière. En l’associant au mot de « pierres sauvages », Catherine Robin rend à l’aventure des bâtisseurs du Moyen Age roman son caractère d’aventure architecturale grande, forte, difficile, et sa portée historiale toujours vive, qui est celle d’une liberté à la fois résolue et passionnée.

A lire aussi :
La dormeuse blogue : A l’église de Bensa, le Rameau musical de Dun
La dormeuse blogue : A Dreuilhe, une visite à l’église Notre Dame de Pierre Pertuse

C’est un jardin extraordinaire ! – A Lieurac…

 

Samedi dernier, j’ai eu la chance d’être invitée à une visite surprise…

« J’avoue que ce samedi-là je suis entré par hasard…
Dans, dans, dans… » ((Charles Trenet, Le Jardin Extraordinaire, 1957))

J’ignorais tout de la destination. Je me suis retrouvée dans la campagne, aux abords de Lieurac.

Devant nous des champs, des collines, des bois, et, reconnaissable seulement à d’étranges formes de boyaux ondulants, un jardin. Nous sommes entrés dans l’un de ces boyaux.

Les boyaux dont je parlais tout à l’heure sont des tunnels de coloquintes ! Poussés sur des arceaux de bois léger, les feuillages forment une voûte sous laquelle des coloquintes de toutes formes et de toutes tailles forment des pendeloques, des girandoles, des lustres étranges, dans des chambres de clair-obscur, animées seulement par un flux changeant d’ombres ocellées.

Ailleurs les coloquintes forment des visages qui regardent !

J’ai la berlue ! Nous sommes entrés dans les pages d’une BD de mon enfance.

Nous sommes entrés, dirait-on, dans les pages d’un album de Spirou et Fantasio. ((Images extraites de Spirou et Fantasio – Le prisonnier du Bouddha, par Franquin, Jidéhem et Greg ; éd. Dupuis, 1960.))

De temps à autre, une trouée spatio-temporelle qui s’ouvre dans le treillis du tunnel, nous rappelle au souvenir de ce que nous cheminons dans la verte campagne de Lieurac.

Mais il pousse ici, à Lieurac, de grands haricots violets !

Et il y a, au sortir du tunnel de coloquintes, des choses dans l’herbe – ce miroir, cette Vénus d’annonce nouvelle – qui invitent à passer through the looking-glass

Nous longeons désormais un ruisseau, qui coule, invisible, derrière la ligne d’arbres. Les signes d’eau se multiplient dans le feuillage.

« Dans un coin de verdure, les petites grenouilles chantaient… » ((Charles Trenet, Le Jardin Extraordinaire.))

 

Les visages se multiplient aussi dans les branches ou au sol.

Une perspective soudain s’ouvre dans le bois : le ruisseau apparaît. Dans l’eau et sur ses rives, tout un peuple de pierres, surpris dans le naturel de sa vie silencieuse. L’idée me vient, baroque, renversée, d’une fête muette dans les jardins de Versailles, au bord du grand canal.

 

 

En marge du peuple des pierres, l’eau s’amuse d’un rien, manche de binette, petit moulin, morceau de bambou. La lumière s’en mêle. La fête est zen.

Puis les fleurs et les couleurs reviennent. L’image change dans le kaléidoscope. Nous nous dirigeons vers une nouvelle région du jardin.

Au passage, nous croisons ce curieux couple de promeneurs du dimanche qui donne spectacle de ses menus plaisirs, les pieds dans l’eau.

Nous abordons maintenant, de l’autre côté de l’eau, puis de l’autre côté de la route, les pentes d’une colline boisée au pied de laquelle poussent des massifs de fleurs étranges qui habillent le paysage de couleurs saturées.

Allons, allons, soyons sérieux ! Je soupçonne une nouvelle expérience fantaisiste de monsieur de Champignac !

Un peu plus haut, une porte, soluble dans l’air, s’ouvre sous les arbres. Nous la franchissons, et, entrant dans le bois, nous commençons à gravir la pente de la colline, sous le regard d’un drôle de petit bossu, qui se souvient peut-être d’avoir été Philémon dans sa vie antérieure.

Quand Philémon est dans le bois, Baucis…

Mais qu’est-il arrivé à Baucis !

Plus inquiétants, des visages apparaissent dans les arbres. Vus de plus près, il s’agit de masques, moulés en creux.

Nous longeons maintenant le campement d’une moderne communauté d’hommes des bois.

 

Les tranquilles occupations de ces néo-bons sauvages montrent que le postulat de Rousseau vaut toujours :

Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant… ((Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755.))

 

Façon comics, une autre vision du naturel… Quid du naturel toutefois, malgré Rousseau ?

L’origine du monde…

 

Il a neigé en été ! Je reconnais ici la poétique des plumes issue de la rêverie de Claire Dournier ((Cf. La dormeuse blogue : Entre la parenthèse – Claire Dournier et Gertrudis Vercauteren exposent ; La dormeuse blogue 2 : Land Art – Claire Dournier et les arbres.)). Le chemin de plumes se perd, dirait-on, dans un taillis. Quelque part cependant, il y a un nid.

Nous montons toujours. Là encore soluble dans l’air, une seconde porte s’ouvre devant nous.

Passant cette porte, nous entrons dans le mystère léger d’un sous-bois peuplé de bizarres figures végétales, qui d’abord se distinguent à peine du fond sur lequel elles semblent poussées, et dont ensuite la truculence vous saute aux yeux, en vertu du genre de formes qu’on leur trouve et qu’on reconnaît sans bouder son plaisir. Le principe est archimboldesque. Il fait dans ce bois l’objet d’une variation… comment dire ? Plantureuse…

Nous approchons du sommet de la colline. Sur la crête, les visages d’on ne sait quels Grands Anciens font une sorte de mont Rushmore.

 

Sur le sentier qui redescend vers la vallée, nous croisons diverses figures des temps et des mondes qui ont péri ou qui reviennent pour demander justice.

 

Sur le sentier de l’homme blanc ou de la femme blanche, il y a tous les hommes et toutes les femmes, de tous les pays et de toutes les couleurs, qui nous attendent pour nous rappeler au souvenir de notre commune destination, humaine et terrestre.

A l’issue du sentier des peuples, deux personnages grommellent sous le couvert des arbres ; un autre nous interpelle depuis son tipi. Pourquoi sont-ils là ? Que nous veulent-ils ? Le Jardin Extraordinaire réserve ainsi partout d’autres secrets. Nous reviendrons… L’an prochain…

L’an prochain, oui ! car les portes du Jardin Extraordinaire ne s’entrouvrent que le premier week-end de septembre, une fois par an ! Rendez-vous l’année prochaine, à la même date !

Le Jardin Extraordinaire fêtait le week-end dernier ses dix ans d’existence. Organisé par l’association Artchoum, le parcours se déroule dans le cadre d’une propriété agricole dédiée à la culture des fleurs et à la production de graines. Les artistes qui contribuent à l’installation de ce parcours demeurent presque tous anonymes. Je suis loin d’avoir montré ici tout ce que j’ai vu. J’ai eu dans le Jardin Extraordinaire le sentiment de voyager, comme Alice, au Pays des merveilles. Mais je n’ai pas rêvé. Outre une palanquée de photos, j’ai rapporté un sachet de graines. Je tenterai l’aventure des coloquintes géantes dans mon petit jardin, au printemps prochain.

A voir aussi :
Ici et Maintenant : Le Jardin extraordinaire à Lieurac (09)
Panoramio/DBart : Untitled photo
Life in Laroque – Our day-to-day life in a small town in the Ariège, Southern France : For Two Days Only: Le Jardin Extraordinaire at Lieurac