La dormeuse blogue

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Lavelanet, Pamiers & Mirepoix au temps des Réformes – 12e journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix

Lavelanet, Pamiers & Mirepoix au temps des Réformes, c’était hier le thème de la 12e journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix, à la médiathèque de ladite Mirapiscis, comme disait Jean de Lévis Ier en 1303. A noter que l’association SLHLM (Salon du livre d’histoire locale de Mirepoix) nous offrait là une journée de luxe, digne des lumières parisiennes, puisque le thème de cette 12e journée s’inscrit dans le champ défini par le programme de l’agrégation d’histoire 2009 : "Histoire moderne : Les affrontements religieux en Europe du début du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle" 1. Au programme : Noble Dame Catherine de Caulet, baronne de Mirepoix, "seigneuresse" de Lavelanet, fondatrice des Mirepoises, ou oeuvre des Régentes, dédiée à l’éducation des filles, par Claude Prono, président d’honneur de la SLHLM ;  Splendeurs baroques du Carmel de Pamiers, par Michel Detraz 2. Le luxe intellectuel se doublait ici, comme chaque fois, de la chaleur de l’accueil, de la droite limpidité du propos, et du sentiment d’admiration que suscitent, par la noblesse d’âme et la beauté de l’oeuvre accomplie, les personnages invoqués.

Né à Lavelanet, Claude Prono travaille depuis de longues années sur l’histoire de son pays, dont il explore patiemment les archives. C’est ce goût et cette connaissance des archives qui donnent à son propos une saveur toute particulière. Claude Prono a évoqué hier de façon très riche la vie et l’oeuvre de Noble Dame Catherine de Caulet, dont Martine Rouche, vice-présidente de la SLHLM et organisatrice de la journée se plaît chaque fois à rappeler qu’elle fut une "femme forte", au sens où l’entend au XVIIe siècle le Père Le Moyne, et à ce titre l’une des grandes figures féminines de l’histoire moderne de notre région, avec Marie de Calages et Anne d’Escala.

Nous ne connaissons à ce jour aucun portrait de Catherine de Caulet, non plus que de Marie de Calages ni d’Anne d’Escala. Claude Prono, avec un petit sourire rentré, cite un document d’archive témoignant de ce que, aux yeux de ceux qui furent ses interlocuteurs en affaires, elle était jolie. Issue d’une famille dynamique, qui s’est élevée en quelques générations de la paysannerie, ou du choux (caulet, en occitan = "chou"),  au négoce, puis à la noblesse de robe, enfin à la seigneurie, Catherine de Caulet, sixième de 18 enfants,  fille de Jean Georges de Caulet, seigneur d’Auterive, juge mage au présidial de Toulouse, président trésorier général de France, conseiller au parlement, mandataire du roi, entre autres, dans la réfection des Livres terriers pour la région du grand Sud Ouest, a vécu son enfance dans un environnement savant et pieux. Dans les années 1630, Jean Georges de Caulet achète la seigneurie de Roquefixade, dont Jean de Lévis, baron de Mirepoix, fils d’Antoine Guillaume de Lévis, seigneur de Mirepoix, est capitaine-gouverneur.  En 1634, Catherine de Caulet épouse Jean de Lévis. Elle a 18 ans. En même temps que l’homme, elle épouse la querelle de succession qui oppose son mari à la famille de Lévis concernant la propriété de la seigneurie de Lavelanet et, outre celle de moulins et de métairies, celle des mines de jayet circumvoisines. Dotée d’une solide culture juridique et administrative, elle saura seconder, puis remplacer son mari lors des nombreux épisodes d’un conflit qui se poursuivra jusqu’au XVIIIe siècle.

En janvier 1636, Catherine de Caulet met au monde la petite Marguerite de Lévis. La guerre de 30 ans faisant rage en Europe, Jean de Lévis se tient prêt à remplir le rôle dévolu à la noblesse d’épée. Il s’y consacrera toute sa vie durant. D’abord maître de camp, il est chargé par le roi de lever et d’armer des troupes. En 1636, après la naissance de Marguerite, il part vers le Nord, laissant une procuration à son épouse Catherine, qui a 20 ans. Aidée d’un cabinet de deux femmes de confiance seulement, Catherine assure dès lors l’administration de la seigneurie. Jean de Lévis, sans doute après la bataille de Mirecourt, rentre pour mourir à Lavelanet en 1656. Sensible aux signes, Claude Prono note que cette mort intervient le jour anniversaire des fiançailles de Jean de Lévis avec Catherine de Caulet.

 

Pendant que Catherine gouverne la seigneurie de Lavelanet, François Etienne, l’un de ses frères, élevé au collège de La Flèche, précocément nanti du titre d’abbé de Foix, par la suite responsable du séminaire de Vaugirard et de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, tôt remarqué et soutenu par Saint Vincent de Paul, est nommé en 1644 évêque de Pamiers, ville déchirée depuis un siècle par les querelles inter-religieuses, jusqu’ici largement dominée par les protestants. A Pamiers, Monseigneur de Caulet entreprend de réformer les moeurs du clergé, de restaurer les églises ruinées par les guerres, de rassembler autour de lui la communauté défaite. Renonçant à tous honneurs et à tous fastes, il prêche d’exemple l’humilité et la pauvreté, et se rapproche en cela de l’obédience janséniste. Lorsque survient en 1673 l’affaire de la régale, affaire à la faveur de laquelle Louis XIV entend étendre au Midi de la France son droit de percevoir les revenus des évêchés vacants et de régir les nominations écclésiastiques, Monseigneur de Caulet s’oppose à l’application de la régale. Privé par le roi de tout revenu, privé même des légumes dans son jardin, il ne vit plus désormais que de l’aumône des siens et meurt en 1680 dans le plus grand dénuement. Toujours en signe d’humilité, il a voulu que sa pierre tombale, posée au seuil de la cathédrale de Pamiers, fût ainsi foulée par tous ceux qui passent.

Très influencée par son frère, Catherine de Caulet, elle aussi, renonce de bonne heure aux honneurs et aux fastes. Elle devient rapidement aux yeux de ses sujets un exemple de charité et de piété. Claude Prono cite, au chapitre de la charité, plusieurs interventions émouvantes, dont celle en faveur de "la boulangère", ou encore en faveur des locataires d’un immeuble incendié, que Catherine de Caulet recueille en son château. A l’incitation de Monseigneur de Caulet, qui se soucie de développer l’enseignement des filles et qui s’inquiète de voir un tel enseignement réservé chez les Ursulines de Pamiers aux seules filles de la noblesse, Dame Catherine entreprend d’organiser cet enseignement à destination des filles pauvres, d’abord en son château de Lavelanet, puis dans le cadre d’établissements créés à cette fin. En 1665, elle fonde les Mirepoises, oeuvre consacrée à l’éducation des filles, dans le cadre d’écoles charitables, tenues par des dames régentes. Sans prononcer de voeux, celles-ci vivent en communauté et se veulent fidèles à l’esprit de pauvreté et d’humilité. Le développement des Mirepoises s’étend alors jusqu’à Cahors.

En 1676, Dame Catherine accueille en sa maison Monseigneur de Caulet, son frère désormais démuni. Puis, dans les années 1680, elle recueille les trois filles d’un autre de ses frères, après le décès de ce dernier. Marie, l’une de ces jeunes filles, qui est tout le contraire de Dame Catherine, lui causera bien des soucis. A partir de 1695, encore pleine d’énergie, Dame Catherine entreprend la tâche immense que constitue la mise à jour des reconnaissances de fiefs. C’est à l’occasion de la cérémonie d’inauguration de cette entreprise que Catherine de Caulet rencontre Pierre Jean Labeur, époux de Marie de Calages, fille d’Henri de Calages et de Françoise de Plos.  

Douée d’une longévité exceptionnelle, Dame Catherine de Caulet meurt en 1708, à l’âge de 91 ans. A l’exemple de son frère, elle a souhaité que sa pierre tombale fût posée dans la nef de la petite église de Dreuilhe afin d’y être foulée par ceux qui passent 3. Elle lègue par testament l’essentiel de ses biens mobiliers et immobiliers à l’oeuvre des Mirepoises. Sa fille Marguerite, dont le mariage avec le comte de Fumel avait été béni en 1653 par Monseigneur de Caulet, ne partageait probablement pas l’idéal de pauvreté de Dame Catherine, puisqu’elle contesta auprès des tribunaux la validité du testament maternel.

 

Mu toujours par un ardent souci de réforme catholique, Monseigneur de Caulet souhaitait l’installation de communautés religieuses à Pamiers. Il a donc favorisé en 1644 le projet de création du Carmel de Pamiers, tandis que sa famille contribuait par la suite au long et difficile financement de la construction de ce dernier. L’une des petites-filles de Catherine de Caulet fut elle-même prieure du Carmel de Pamiers.

 

Michel Detraz hier après-midi a évoqué l’histoire de ce Carmel jusqu’à sa fermeture en juin dernier et au départ de la petite communauté des cinq religieuses vers le Carmel de Luçon. Il s’est inquiété du sort ultérieurement réservé au Carmel de Pamiers, ensemble architectural magnifique, témoin de la grande architecture des XVIIe et XVIIIe siècles, qui abrite en outre les splendeurs baroques de la chapelle de la Transfiguration.

Michel Detraz a raconté comment l’édification du Carmel s’est poursuivie depuis 1648 jusqu’en 1752, date d’achèvement de la chapelle. L’opération nécessite tout au long du siècle le soutien de Monseigneur de Caulet, puis celle de son successeur, Monseigneur de Verthamon ; l’achat des multiples parcelles qui, une fois réunies, fourniront l’étendue de terrain souhaitée ; la collection des fonds nécessaires à l’édification de la première aile du couvent, puis à celle de la seconde aile, enfin à celle de la chapelle. La construction de la chapelle débute en 1708. En raison de la déclivité du terrain, les travaux d’édification de cette dernière se révèlent beaucoup plus difficiles que prévu. Le terrassement de la chapelle doit être surélevé de 7 mètres, comme l’atteste encore l’existence d’une salle souterraine voûtée. En 1710, les religieuses, faute de moyens, doivent procéder à une nouvelle levée de fonds.  Les travaux se trouvent en conséquence suspendus jusqu’en 1750. L’intervention de généreux donateurs, plus spécialement celle du marquis de Gudanes, dont la fille fut religieuse au Carmel de 1707 à 1784, permet finalement l’achèvement de la chapelle à la veille de la Révolution. Réduites à des conditions de vie très pauvres, les religieuses sont alors au nombre de 24.

En 1792, les religieuses sont expulsées du Carmel ; le bâtiment, vendu comme bien national. Après le rachat du bâtiment sous le Directoire, par la famille de l’une des religieuses, celles-ci reviennent peu à peu. A la fin du XIXe siècle, elles accueillent à la faveur d’un agrandissement le dortoir Saint Jean de la Croix. En 1901, elles doivent à nouveau quitter le Carmel et se réfugient en Espagne. Elles doivent encore par la suite racheter le bâtiment, occupé depuis 1918 par le petit séminaire, et elles ne peuvent réintégrer le bâtiment qu’en 1933. Elles ont à déplorer la perte de leurs archives, cachées en ce lieu depuis 1901, hélas totalement détruites par l’humidité. Les religieuses viennent de quitter le Carmel de Pamiers en 2008 pour la troisième et sans doute la dernière fois.

Pour compléter son intervention, Michel Detraz a projeté ensuite des vues de la chapelle de la Transfiguration ainsi que du retable que celle-ci abrite 4, et, document jusqu’ici jamais diffusé, des vues de l’intérieur des bâtiments conventuels.

 

Celles-ci montrent, dans le cadre d’une distribution de l’espace superbement classique, le cloître et les différentes ailes de l’ensemble, chacune pourvue de deux étages, avec au premier étage les cellules et au second étage les greniers. Au rez-de-chaussée s’ouvrent sous les arcades les salles communes. Les façades sont élégamment rythmées par des motifs de colonnes de style dorique, réalisées en briques. Jadis pavés, les couloirs de circulation sous les arcades accueillaient les pierres tombales des religieuses défuntes. Ils ont été cimentés à partir du moment où le Carmel a accueilli le petit séminaire. Enclose dans les bâtiments conventuels, visible de l’extérieur par-dessus les toits, la tour dite "de l’évêque" date de 1285. Donjon édifié par Roger Bernard III, comte de Foix, puis cédé à l’évêque de Pamiers, elle est intégrée au Carmel depuis le XVIIIe siècle.

Ci-dessus : vue de l’intérieur du Carmel
NB : la pixellisation n’est pas involontaire.

D’autres clichés montraient également quelques incontournables de la vie quotidienne du Carmel : importée de l’exil en Espagne, la grande crécelle de bois et de métal, qui hier encore servait de réveille-matin aux religieuses ; les socques de bois et de cuir, faites pour les travaux de jardin ; le lavoir, inchangé depuis le XVIIe siècle…

Michel Detraz a conclu son intervention par un appel à la mobilisation des Appaméens et des Ariégeois en faveur de la conservation de la totalité de l’ensemble patrimonial constitué par les bâtiments conventuels et la chapelle du Carmel. Il se montre toutefois pessimiste, en raison de la complexité administrative et juridique du dossier, en raison aussi du coût très important du projet. Monsieur le Préfet, qui était présent à cette conférence, est intervenu pour fournir quelques éclaircissement relatifs au dossier. Lui non plus ne s’est pas montré exagérément optimiste, et il  a conclu au caractère bienvenu de la mobilisation publique.

Riche, belle et fourmillante de traits d’humanité nobles et touchants, la journée s’est terminée plaisamment autour du bar de la mediathèque, à la faveur d’un apéritif offert par la municipalité de Mirepoix. Perspective cordiale dans la nuit de l’hiver : la prochaine journée d’histoire locale de Mirepoix aura lieu en avril. Patience…

Notes:

  1. Programme Agrégation d’Histoire 2009 ↩︎

  2. Cf. Michel Detraz, Bulletin de la Société Ariégeoise de Sciences, Lettres et Arts, 1991, p.p. 127-158 ↩︎

  3. Cf. La dormeuse blogue : A Dreuilhe, une visite à l’église Notre Dame de Pierre Pertuse ↩︎

  4. Cf. La dormeuse blogue : Visite à la chapelle du Carmel de Pamiers ↩︎

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1 commentaire au sujet de « Lavelanet, Pamiers & Mirepoix au temps des Réformes – 12e journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix »

  1. Martine Rouche

    Il y a presque un an, lors de la 11e journée d’hiver de l’histoire locale de Mirepoix, une rencontre qui devait s’avérer magique sur le plan humain et sur le plan intellectuel, avait lieu à Mirepoix. La dormeuse découvrait notre association, découvrait Marie de Calages, et accordait aussitôt une bienveillante attention et son amitié à l’ensemble et rédigeait un très bel article sur ce blog ! Depuis lors, nos recherches menées en commun, nos passions et nos enthousiasmes mêlés ont bénéficié de l’audience de ce blog et cette aventure n’est pas près de s’arrêter. Quel incroyable chemin parcouru, à la découverte de Mirepoix, de la famille Calages, du patrimoine local ! Que d’amis ont découvert tout cela par le truchement de la dormeuse ! Puissions-nous, les trois mirepoises, continuer ainsi longtemps à travailler ensemble! Puissent les visiteurs de ce blog continuer à aimer ce qu’ils lisent, et même à songer à laisser un comment …..

  2. Chédozeau

    J’ai le texte de l’oraison funèbre de Catherine de Caulet, dont j’ai préparé l’éventuelle publication avec une étude. Cela vous intéresse-t-il ?
    Avec mes salutations,
    B. Chédozeau

  3. La dormeuse

    Bien sûr !
    Merci de cette généreuse proposition.
    Cordialement,
    Christine Belcikowski