A Lagarde, au pied des ruines

 

5 juin 2011, 11 heures du matin. Vues à contre-jour, les ruines du château de Lagarde, ancienne résidence des seigneurs de Lévis Mirepoix, revêtent, sur fond d’orage, l’apparence de modernes Erinyes, sombrement habitées par le souvenir d’un désastre. Elles font peser sur le village une sorte de commination pétrifiante. Saisissant raccourci de l’histoire locale, le paysage se donne à voir ici comme une figure de la Révolution accomplie, dans sa dimension spécifiquement vengeresse. La vengeance toutefois, ici comme ailleurs, échoue à faire du passé table rase. Le village demeure acculé aux ruines, par là sans cesse rappelé au souvenir d’un passé violent dont la seule image que l’on puisse désormais faire valoir est malheureusement celle des effets de la violence destructrice.

 

 

Je me trouvais encore sous l’emprise de cette vision du village acculé aux ruines, lorsque j’ai visité, non loin de la mairie, la petite église de la Nativité de la Sainte Vierge. J’y ai sans doute transporté mes impressions du dehors. J’ai revu là, sous le signe riant de la Vierge à l’Enfant et des anges, les effets de la destruction. Les sculptures du XIVe siècle installées au dessus et de part et d’autre du portail ont été rongées par le temps, puis martelées à fin d’oblitération, de la figure du Christ peut-être, des armes de la famille de Lévis sûrement.

 

 

 

J’ai vu en revanche à l’intérieur de l’église que l’esprit des châteaux a soufflé ici derechef au XIXe siècle. Une noblesse d’ascendance nouvelle a repris le flambeau du mécénat déployé naguère par la noblesse ancienne. L’histoire a son ironie, qui se confond avec celle du sort. Rescapé de la Révolution, un grand lustre du XVIIIe siècle voisine dans l’église avec le bel ensemble de vitraux du XIXe siècle, don d’Alcide Villary de Fajac, promoteur de la ligne de chemin de fer Pamiers-Bram/Lavelanet, moderne « seigneur » du château de Sibra, près de Lagarde.. Peprpétuant ainsi les habitudes de la noblesse d’antan, le nouveau châtelain et généreux donateur a voulu figurer en médaillon sur l’un des vitraux, commandés par ses soins à l’atelier toulousain du maître verrier Saint-Blancat. Chassé de Lagarde sous la Révolution, le style des châteaux revient à Lagarde sous la Troisième République, via le décor de la petite église de la Nativité de la Sainte Vierge. Ironie de l’histoire, ou du sort…

 

 

Avant de quitter l’église, je me suis laissé attirer par le jeu d’ombres projeté sur le faux marbre d’une niche formant chapelle à l’abri d’une superbe ferronnerie, dans un mur latéral. J’ai vu dans ce jeu d’ombres une figure de la native conjointure qu’entretiennent le présent et le passé, la vérité et l’illusion.

 

Dehors, comme muselée dans sa cage de protection, une Vierge ancienne considère d’un oeil peu amène le monde comme il va.

 

Insoucieuses du jeu des ombres contingentes, les ruines tutoient sous le ciel incertain les croix du cimetière.

 

Vues de plus loin, elles se fondent finalement dans la vaste rumination d’un paysage viride, habité, sous les nuages gonflés de vent, par la paix des vaches.

3 réponses sur “A Lagarde, au pied des ruines”

  1. AM Mirepoix, dossier N

    N° 204
    Vente de pierres
    et autres Effets du
    château dela
    Garde

    Mirepoix, le 15 ventose , an 6 de la République
    Française, une & indivisible

    LE COMMISSAIRE DU DIRECTOIRE – EXECUTIF près l’Admi-
    nistration Municipale du Canton de Mirepoix,

    A Norbert Baillé à Mirepoix

    Citoyen,

    Je vous addresse une expedition de L’arreté de L’administration centrale du 24 pluviose dernier qui vous charge de faire L’estimation et La vente des meubles et pierres de taille ayant appartenu à Levi emigré.

    Je vous invite de faire procéder a cette vente sans Le moindre délai pour mettre fin aux dilapidations qui se commetent tous Les jours sur Les effets dont sagit, En observant de Remplir toutes Les formalités qui vous sont prescrites par Ledit arreté

    assuré moi La recettion de La présente

    Salut et fraternité

    N Baillé
    (Transcription conforme à l’original)

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