Une visite au château de Bélesta

 

Vent frais, ciel changeant. Nous arrivons à Bélesta, où nous venons visiter le château.

 

 

Ci-dessus : vue de l’entremis qui marque la jonction entre la tour, située à gauche sur la façade du château, et l’église attenante. L’une des chambres de la tour ouvrait jadis directement sur l’église. Au XVIIe siècle, Monseigneur de La Brouë, évêque de Mirepoix de 1679 à 1720, qui avait fait du château de Bélesta sa résidence estivale, pouvait ainsi suivre la messe depuis ses appartements ((Monseigneur de Lévis, évêque de Mirepoix de 1497 à 1537, disposait, lui, d’un escalier intérieur qui lui permettait de passer rapidement de son palais épiscopal à la cathédrale et d’y suivre le déroulement des cérémonies depuis le balcon de sa chapelle privée, située en terrasse au-dessus du portail principal de l’édifice. Cf. Choses vues au Palais épiscopal de Mirepoix ; Voir le labyrinthe…)). Il mourut en ce château de Bélesta le 20 septembre 1720.

D’origine très ancienne, antérieure en tout cas au XIIIe siècle, le château de Bélesta a connu heurs et malheurs au cours des âges. Initialement connu pour être la propriété de la maison Bellissen ((Cf. François-Alexandre Aubert de La Chesnaye des Bois, Dictionnaire de la noblesse, 1771, volume II, p. 299 : « Bellissen : Famille noble, originaire d’Allemagne, dont il y a plusieurs branches établies en Languedoc, & autres Provinces voisines. Les Seigneurs de Bellissen ont possédé la Baronnie de Malves, ainsi que les Châtellenies de Sallelles, Limousis & Trafanel, pendant plus de cinq cents ans, avec les Terres & Seigneuries de Saint-Gougat, Bourgeolles, Barberac, Hurban, Caillavel, Camps, Airoux, Milgrand, Milpetit, Rostiques, & autres Terres situées en Languedoc. Ils sont divisés en plusieurs branches, qui possèdent la plus grande partie de ces Terres, & plusieurs Seigneurs du nom de Bellissen subsistent encore en Allemagne.
I. Frédéric De Bellissen, qualifié de Chevalier, se croisa dans la guerre contre les Albigeois, fit sa résidence dans ses Terres, situées aux environs de Carcassonne, fut enterré dans l’Eglise Cathédrale de cette Ville, & fut père de,
II. Othon De Bellissen, Chevalier, duquel sont issus toutes les différentes branches de Bellissen, tant éteintes que subsistantes actuellement, soit en Languedoc, ou dans d’autres Provinces voisines… »)), il appartient au XIIIe siècle à la maison de Lévis Mirepoix, puis, puis à partir de 1320 à celle de Lévis Léran.

Chef du parti des Réformés, Jean Claude de Lévis Léran, dit « le sire d’Audou », convertit l’église attenante au château en temple protestant et réaménage le château dans le style de la Renaissance.

Au début du XVIIe siècle, le château devient la propriété de Gaspard de Cailhou. Au sortir des guerres de religion, l’église attenante a été rendue au culte catholique. Mais le château se trouve alors presque complètement ruiné.

A partir de la fin du XVIIe siècle, le château appartient à l’évêché de Mirepoix. Il fait l’objet d’une restauration dans le style classique. Ansi restauré, il sert alors de résidence d’été de Monseigneur de La Brouë.

Après la Révolution, le château se trouve racheté successivement par la maison de La Rochefoucauld, puis par celle de Rotschild, puis par la famille Delaballe. Celle-ci abandonne le château à la commune en 1924. Le château accueille successivement les réfugiés de la guerre d’Espagne, ceux de l’Occupation, puis les nécessiteux de la commune. Très dégradé, rempli d’immondices, il est alors revendu à divers propriétaires privés, dont finalement Jean-Charles Mignot et Patrick Haure dans le cadre de la SCI Le bonnet rouge – du nom que l’on prêtait jadis au baron d’Audou.

Sauvé de l’abandon par un couple de passionnés qui ont entrepris depuis 2007 une restauration titanesque, le château révèle peu à peu la complexité de ses visages successifs. Victime d’une histoire tourmentée, partiellement ruiné, encombré naguère encore de détritus et de gravats, il conserve néanmoins, sous ses airs de féodalité croulante, nombre de beautés, jusqu’ici oubliées, témoins de sa superbe ancienne : portes grandes et fortes ; plafonds à la française, dont la plupart dorment encore sous sous les lattis de la décadence ; sol de pierres énormes, polies par les ans ; fenêtres à meneaux de la Renaissance, croisées du XVIIe siècle ; etc. Le château réapparaît lentement, pièce par pièce : cuisine médiévale, chapelle, grand escalier, salons… La restauration est en cours. Elle est, comme on devine, l’oeuvre de passionnés d’architecture féodale, renaissante et classique, qui n’ont pas craint de jeter toutes leurs forces dans cette aventure solitaire.

 

 

 

 

Outre de beaux restes d’architecture intérieure, témoins du style de vie de la noblesse ancienne, le château abrite une importante collection des tableaux de Christian Constant, et constitue à ce titre un musée. Il accueille par ailleurs, chaque été, des expositions temporaires, dédiées à des artistes du Midi-Pyrénées, dont les oeuvres bénéficient là de la beauté d’un cadre exceptionnel.

 

Ci-dessus, parmi quatre-vingt autres, trois toiles de Christian Constant. Découvert par François Desnoyer, comme lui originaire de Montauban, Christian Constant commence à peindre en 1948. D’abord figuratif, il évolue ensuite vers l’abstraction.

 

Deux vues de l’ancienne chapelle du château.

 

Inspirée par la curiosité, et aussi par le beau rouge de cette porte close, j’ai voulu savoir ce qu’il y avait derrière. J’ai regardé par une fente, puis collé mon oeil à un trou du bois. J’ai entrevu une pièce vide, dans le naturel de son état de délabrement et dans l’obscure attente des travaux de restauration qui s’annoncent. J’aime ces vues dérobées aux coulisses du théâtre des visites. Le château ici est plein de vieilles tentures, qui dissimulent d’autres espaces à reconquérir, d’autres misères à effacer, d’autres vestiges des « années endormies » ((Théophile Gautier, in Le Capitaine Fracasse, I. Le château de la misère, p. 9.)) qui bercent sous l’étoffe leurs rêves sans mémoire.

 

Ci-dessus, reconnaissable à ses hautes croisées, l’un des salons du XVIIe siècle, modestement remeublé à l’étage.

Je n’ai pas montré ici la superbe cuisine médiévale. C’est à dessein que je n’en fournis pas de photo. Il faut aller la voir de ses propres yeux. Je ne rapporte pas non plus l’histoire du château comme la raconte Jean-Charles Mignot, notre guide. Il faut aller l’écouter.

J’ai beaucoup aimé cette visite. Ce qui fait à mon avis le charme singulier de cette dernière, c’est l’atmosphère de mélancolie crépusculaire qui baigne les profondeurs de la demeure survivante, et la grâce du décor reviviscent que la restauration donne à voir de place en place, comme touchée d’une aile de poésie, sans rien qui pèse ou qui pose.

Après la visite, nous nous sommes attardés autour d’un thé, sous les hauts murs, dans le jardin.

Pour visiter le château de Bélesta :
Tél : 05 61 64 17 06
Email : le-bonnet-rouge@orange.fr
Situé au centre de Bélesta, le château ouvre à 9h.

5 réponses sur “Une visite au château de Bélesta”

  1.  » Ce seigneur belliqueux [i.e. Jean Claude de Lévis, seigneur de Bélesta, Fougax et L’Aiguillon] est resté dans l’imagination du peuple comme le symbole de la cruauté. Etait-il vraiment, pendant son séjour à Bélesta, coiffé d’un bonnet rouge ? … Toujours est-il que, jusqu’à nos jours encore, il est de tradition, chez les enfants du village, de monter jusqu’à la muraille extérieure du château [d’Amount], de jeter timidement un regard furtif dans l’intérieur des ruines, et de s’enfuir ensuite à toute vitesse en criant :  » D’Audou, d’Audou, la bouneto roujo !  »
    Edmond Pelissier, archiviste de l’Ariège, in  » L’Ariège historique, pays de Foix, Couserans, Donnezan, Mirepoix  » , écrit en collaboration avec Philippe Morère, professeur au Lycée de Foix, Pamiers – Imprimerie L.Labrunie, 1914, page 120.

  2. Lettre de Mr. Sabathier, grand vicaire de Mgr l’évêque de Mirepoix [*], sur la dernière maladie de ce prélat, à Mgr l’évêque de Pamiers.

    Monseigneur,
    La maladie de Monseigneur l’évêque de Mirepoix commença par une paralysie de son corps. J’en fus averti la nuit du 9 de ce mois [ = 9 septembre 1720].
    Je partis sur l’heure avec un médecin et un chirurgien de cette ville. Nous arrivâmes le 10 au point du jour à Bélestat [sic]. Nous trouvâmes le malade très libre. Il fut saigné sur le champ. Il passa la journée tranquillement, avec la même liberté que s’il n’avait eu aucun mal.
    Nous disposâmes tout pour le porter aux bains de Rennes mais dans la nuit il eut des convulsions qui nous firent perdre toute espérance. Il reçut l’extrême onction.
    Il demeura dans cet état de mort pendant quatre ou cinq heures. Il revint de cet état. Il reçut le Saint Viatique.
    […]
    Arrivé à la chambre du malade je voulus lui parler mais mon discours fut interrompu par mes larmes et par celles de tous les assistants.
    […]
    Il a toujours conservé la liberté de son esprit et lorsqu’il se sentit affaibli, il m’ordonna de ne le point quitter.
    Il faisait fréquemment des actes de contrition. Je lui fis les prières de la recommandation de l’âme et il expira comme je finissais, sans violence et sans aucun de ces mouvements d’agonie qu’on voit ordinairement aux mourants.
    Son visage changea en mieux. Tous les assistants le trouvèrent plus coloré qu’il ne l’avait été durant sa maladie.
    Voilà, Monseigneur, tout ce que je puis vous dire des circonstances de sa maladie et de sa mort, arrivée la nuit du 19 au 20 à deux heures après minuit.  »
    [*] Pierre de la Brouë (Ce patronyme se prononce  » Brohue  » )

  3. Registres B.M.S., AM Mirepoix

    Le vingtieme jour du mois de septembre mil sept cent vingt Messire Pierre de la Brouë évêque de Mirepoix conseiller du Roy en tous ses conseils agé de soixante dix sept ans décédé ce jourdhuy a deux heures après minuit dans le chateau du lieu de Belesta au présent diocèse après avoir receu les Sacrements deucharistie et d’extremonction, a esté conduit dans son elgise cathédrale par tous les corps du chapitre qui a esté le recevoir hors les portes de la ville, et apres avoir fait un service solennel et des obsèques accoutumées et avoir demeuré exposé dans le choeur deladite église pendant cinq heures il a esté conduit par Mrs Messires françois Abraham et françois sangely chanoines et les autres hebdomadiers et prébendiers a cé deputer dans la ville de Mazères au présent diocèse et enterré suivant sa volonté dans la chapelle du séminaire le vingt unième septembre la Messe ayant esté célébrée et l’enterrement fait par ledit Me françois abraham signer avec les autres députés
    Abraham Sangely Jourgeais
    Mounaire Buisson
    (Transcription conforme à l’orthographe du registre manuscrit)

  4. Lettre de Pierre de la Brouë, évêque de Mirepoix, au duc de Noailles

     » A Mazerettes, le 22 août 1685.
    Le zèle que je sais que vous avez pour la religion, Monsieur, me fait prendre la liberté de vous proposer un moyen de convertir M. le vicomte de Léran quiest, comme vous savez, de la maison de Mirepoix, et le seul seigneur huguenot de tous ces pays-ci. Je croy que si le roy luy faisoit l’honneur de luy escrire une lettre meslée d’honnestetés et de menaces et que M.l’intendant et moy nous ménageassions l’effet de cette lettre, car je n’ozerois pas vous supplier de vous en mesler, nous le pourrions convertir. Cependant ce seroit là un des plus grands coups que nous pourrions frapper, car il est certain que son nom seul retient, outre tous ses vassaux qui sont en assez grand nombre, la plupart des huguenots de mon diocèse et de tout le pays de Foix. M. le marquis de Toiras est de ses parents et de ses amis, ce que je prends la liberté de vous dire, Monsieur, parce qu’il ne seroit pas hors de propos qu’il luy escrivit de son costé pour augmenter sa peur, et surtout à l’égard de M. son fils aisné qui a servi auprès de M. le marquis de Toiras et dont ce père est idolastre. Je ne vous parle plus de la prière que je vous avois faite en faveur de mon frère, de peur de vous importuner, mais j’espère que vous aurez eu la bonté de vous en souvenir. Je me réjouis par avance de tout le bien que vous venez faire au milieu de nous et m’offre à vous pour un de vos missionnaires, quoyque je reconnoisse que ceux qui frappent fassent bien plus d’effet que ceux qui parlent. Je suis avec le respect que je dois, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.  »

    in Bulletin de la Société de l’histoire de France, Revue des Antiquités nationales, 1851.

  5. Merci de tant de poésie et ces photos sublimes qui m’ont transporté dans ce que je suis.
    Votre soutien m’a touché et votre blog m’a permis de m’enrichir sur notre beau pays.
    Amicalement, Jean-Charles Mignot et merci à madame Rouche de m’avoir éclairé sur l’évêque de la Brouë.

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