9 août 1789 – Naissance de la Fédération pyrénéenne au Peyrat

 

J’aime la vue de cette fumée au tournant de la route. Légère, elle signe, sans rien qui pèse ou qui pose, la quiète humanité d’un jour d’automne, sa charge d’âme. Nous arrivons au Peyrat où Claudine Pailhès, directrice des Archives Départementales de l’Ariège donne une conférence sur la Fédération pyrénéenne, ou Confédération des Pyrénées. La Fédération pyrénéenne a été créée ici, au Peyrat, le 9 août 1789.

 

1. Le Peyrat avant la Révolution

Le Peyrat est, dans le cadre du Languedoc de 1789, une commune dotée d’un statut complexe. Initialement compris dans la Terre du Maréchal, rattaché à la seigneurie de Lévis Léran après la dislocation de la maison de Lévis, rendu finalement à la seigneurie de Lévis-Mirepoix après la fusion de la seigneurie de Léran avec celle de Mirepoix, le Peyrat de 1789 relève de trois juridictions différentes : celle du seigneur de Mirepoix (droits féodaux), celle du diocèse civil de Mirepoix (fiscalité royale) et celle de la sénéchaussée de Limoux (justice).

Le régime seigneurial initié au XIIIe siècle par la famille de Lévis est l’un des plus durs du Languedoc. A ce titre, il diffère nettement de celui qui s’applique dans le comté de Foix. Issus de la région parisienne, les seigneurs de Lévis imposent en Languedoc les droits de la France du Nord. Ce régime se caractérise par l’absence de délégation de justice, l’omniprésence des banalités, la négation des droits d’usage.

La reconnaissance de la communauté du Peyrat par le seigneur de Léran date de 1653. Tandis que le seigneur demeure le seul haut justicier, deux consuls, désignés par la communauté avec l’accord du seigneur, choisissent les conseillers, mességuiers ((Mességuier : garde chargé principalement de surveiller les récoltes)) et autres officiers.

Le seigneur jouit du revenu des censives ((Censive : terre concédée par le seigneur contre le paiement annuel d’un droit fixe.)), des agriers ((Agrier : part du fruit de la récolte)), du droit de fournage et de moulin, de la taxe (2 sous), des lods ((Lods : droits de mutation perçus par le seigneur lors de la vente ou de l’échange d’une censive.)), ou encore du droit de privation, dit aussi « de retrait seigneurial ». L’exercice de ce droit de privation permet au seigneur de retenir, à un prix inférieur d’un denier, un bien vendu à un tiers. Il favorise le remembrement du domaine seigneurial et constitue un moyen de lutte contre la fraude aux droits de mutation. Le seigneur bénéficie encore d’une poule par maison qui s’appuie sur les murailles du village, et de deux boisseaux de froment par personne de plus de 7 ans, ou d’un boisseau par enfant de moins de 7 ans.

Le Peyrat, La Bastide (sur l’Hers), Le Villaret, Mireval, aujourd’hui…

En 1747, Le Peyrat, indépendamment des communautés attenantes ou voisines, La Bastide, Le Villaret (aujourd’hui rattaché à Monbel) et Mireval, compte 268 habitants, soit 56 familles, avec une moyenne de 4,78 personnes par feu. En 1789, le Peyrat seul compte 70 feux, et Mireval 34 feux.

La communauté du Peyrat est de sensibilité protestante. Le village comptait en 1683, i. e. avant la révocation de l’édit de Nantes, 327 huguenots pour 36 catholiques. La plupart des notables, à la veille de la Révolution, demeurent issus du milieu protestant.

Le compoix de 1784 enregistre 103 déclarations de propriété, dont quelques-unes relatives à des groupes d’héritiers ou à des forains (propriétaires non-résidents). Parmi les 103 déclarataires recensés en 1784, on relève le marquis de Mirepoix pour un moulin à farine et deux moulins à jayet ; Durand Cailhau, qui fondera bientôt la Fédération pyrénéenne ; 3 orfèvres marchands ; 7 négociants ; 1 notaire ; 6 peigneurs en buis ; 1 peigneur en corne ; 1 ouvrier du jayet ; 1 ouvrier à peigne ; 1 maréchal à forge ; 1 tailleur ; 1 huissier ; 1 boulanger ; 10 laboureurs ; 2 ménagers ; 2 brassiers ; 1 curé ; 1 obituaire ((Obituaire : 1. Registre sur lequel se trouvent consignés les noms des défunts, la date anniversaire de leur sépulture, le calendrier des offices correspondants ; 2. Par extension, prêtre chargé des offices relatifs aux funérailles et aux anniversaires des dites funérailles.)). Ce bref relevé des métiers et fonctions mentionnés dans le compoix montre que Le Peyrat est, à la veille de la Révolution, un village tourné vers l’industrie et le commerce.

Bien que le pouvoir du seigneur de Léran, puis celui du seigneur de Mirepoix, s’exerce sur la communauté de façon lourde, la visibilité du seigneur fait défaut. Celui-ci réside la plupart du temps à Paris. Il délègue à ses agents le soin de veiller sur ses terres au règlement de ses droits. Les habitants du Peyrat, qui ont affaire seulement à de tels agents, ignorent tout du monde lointain dans lequel vit un seigneur qu’ils n’ont parfois même jamais vu.

 

2. La députation aux Etats généraux et les cahiers de doléances

En 1788, le roi convoque les Etats généraux, organisant à cette fin un premier recensement général du royaume. Ce recensement permet de fixer le nombre de délégués éligibles dans chaque communauté. Les délégués élus au Peyrat se rendent par la suite à Limoux afin d’y élire les députés qui les représenteront aux Etats généraux. Ce processus de délégation, toutefois, ne s’opère pas sans difficultés. Le diocèse de Mirepoix se juge mal représenté. Personne de ce diocèse ne se trouve finalement convoqué aux Etats.

Cette période préparatoire à la réunion des Etats généraux fournit en tout cas aux communautés d’habitants, et plus généralement aux représentants des trois ordres – clergé, noblesse, tiers-état – l’occasion de rédiger des cahiers de doléances. La première des doléances formulées par les habitants des communautés porte sur l’injustice du tiers auquel ils se trouvent réduits en terme de représentation, alors même qu’ils constituent dans leur état la catégorie de population la plus nombreuse du royaume. Ils réclament ici le vote per capita, la représentation proportionnelle, ou du moins le doublement du tiers. Ils réclament par ailleurs une constitution, la liberté individuelle, la liberté de la presse, la réforme fiscale, la réforme de la justice, le droit d’accès aux fonctions civiles, militaires ou religieuses jusqu’ici réservées aux nobles, la suppression des droits seigneuriaux, la suppression du tirage au sort dans la formation des milices, etc.

Ci-dessus : la halle au Peyrat.

Le Peyrat, La Bastide et le Villaret, qui font partie de la même paroisse, s’entendent ici pour rédiger à destination de l’assemblée de Limoux un cahier commun. Le Peyrat se plaint plus spécialement du régime seigneurial. Il réclame la suppression des droits de privation et d’agrier, et le partage du droit de chasse et de pêche, jusqu’alors réservé au seigneur.

Le cahier de Saint-Quintin, qui consigne des doléances identiques, est dans sa formulation, remarque au passage Claudine Pailhès, « le plus violent de toute l’Ariège ».

 

3. La « grande Peur » et la création de la Fédération pyrénéenne

La nouvelle de la prise de la Bastille parvient au Midi toulousain le 20 juillet 1789. Elle amorce le processus des « révolutions municipales » et fait lever dans le même temps la « grande Peur ».

Arrivée par le Couserans, la rumeur se répand comme une traînée de poudre : des gens pillent et brûlent ; ils sont aux portes… Le diocèse tremble. L’Aude aussi s’émeut, quoique moins durablement.

Dans les communautés, on décide alors d’armer le peuple et de former des gardes nationales. La réaction vient ici du monde paysan, avant d’être avalisée par l’assemblée nationale. Inspirant aux communautés l’idée d’unir leurs forces afin d’assurer elles-mêmes leur sécurité, elle précipite la naissance de la première fédération, le 9 août 1789, au Peyrat.

Soucieux de défendre sa communauté contre « une invasion subite de brigands », Durand Cailhau, maire du Peyrat, propose au conseil municipal de former un pacte fédératif avec les communes voisines. L’un des 11 articles de ce pacte précise que la mise en oeuvre d’une telle fédération sera financée par une taxe sur les habitants. Le 11 août, la Fédération des Pyrénées comprend déjà, outre Le Peyrat, Léran, La Bastide, Rivel, Chalabre, Lavelanet, Bélesta, Sainte-Colombe, Foix. Le 14 août, Mazères, Mirepoix, Saint Quintin rejoignent la dite Fédération. Accusé par la rumeur de fourbir un arsenal dans son château de Lagarde, le marquis de Mirepoix doit au soutien de la récente Fédération un répit provisoire dans le climat de vindicte qui le poussera à quitter la France dès le mois d’octobre, laissant à son fils Charles Philibert Gaston le soin de régler les affaires de la seigneurie ((Cf. La dormeuse blogue : Louis François Marie Gaston de Lévis, marquis de Léran et de Mirepoix, ou la lettre de Rome)).

Le 8 septembre 1789, débordant le cadre du Peyrat, la Confédération des Pyrénées se réunit à Bélesta. Elle rassemble désormais 23 communes, i. e. environ 20 000 habitants, répartis sur 3 districts : Bélesta, Mirepoix, et le pays de Sault. Elle publie des ordonnances relatives au maintien de l’ordre, se dote d’un organisme de contrôle, et décide la création d’une milice dans chaque commune. Créée et mise en oeuvre en un mois seulement, observe Claudine Pailhès, elle « évite toutefois l’improvisation », de telle sorte qu’elle se révèlera viable et qu’elle portera ses fruits une année durant.

La Fédération pyrénéenne doit sans doute son succès initial à son origine spontanée. A noter qu’elle s’érige en instance de maintien de l’ordre au sein d’un territoire dénué de frontières bien définies, divisé en outre en plusieurs districts.

Le 8 septembre 1789 à Bélesta, la Fédération pyrénéenne se donne pour chef Joseph Belot de La Digne (1738-1807), natif de La Bastide, chevalier de Saint-Louis, lieutenant-colonel de dragons, plus tard administrateur du département à Bélesta. Fils de chirurgien, Joseph Belot, qui a été un excellent militaire, n’a connu d’abord, faute de noblesse, qu’une carrière obscure. Via un beau mariage, il accède toutefois à une véritable aisance. Il s’achète alors des lettres de noblesse et devient ainsi seigneur de La Digne. Mais la dite noblesse, certes petite et fraîchement acquise, ne fait pas de lui un égal des seigneurs de Lévis. La rancoeur sociale qui dès lors l’anime reflète ici celle de la petite noblesse locale toute entière.

Alors qu’ailleurs d’autres Fédérations sont et demeurent, jusque dans leur direction, des émanations du monde paysan, la Fédération pyrénéenne, elle, se dote d’un directoire de notables, au sein duquel, avec 7 négociants, la bourgeoisie marchande domine. Elle glisse ainsi du statut d’instance de maintien de l’ordre à celui d’association vouée à la défense d’intérêts communs.

 

4. L’action de la Fédération pyrénéenne

La réussite de la Fédération pyrénéenne, dans les premiers mois de son exercice, doit effectivement beaucoup à cette communauté d’intérêts. Concernant les problèmes de maintien de l’ordre, les cadres de la dite Fédération se montrent sur le terrain plus présents et plus motivés que ceux de l’administration. Le territoire assigné au contrôle de la Fédération a ici son avantage : il met toute intervention à une journée de cheval seulement.

Au-delà des districts de Bélesta, de Mirepoix, du pays de Sault, le comté de Foix, Pamiers, Limoux échappent au contrôle de la Fédération pyrénéenne. Doté d’autres structures sociales, Foix se trouve de toute façon trop éloigné de Bélesta. Les municipalités de Pamiers et de Limoux passent pour « tenantes de l’Ancien Régime ». Limoux demeure en outre le siège d’une sénéchaussée ((Sénéchaussée : au XVIIIe siècle, cour de justice.)).

Ci-dessus : Charles Thévenin (1764–1838), La Fête de la Fédération, 1790.

Après avoir mis fin, durant l’été 1789, à la rumeur d’un dépôt d’armes au château de Lagarde, la Fédération continue d’assurer avec succès le maintien de l’ordre jusqu’à la fin de l’année 1789. A partir de janvier 1790, tandis que chaque commune organise les premières élections de la République, la Fédération entre progressivement en léthargie, même si sa fonction demeure publiquement reconnue. Suite à la réorganisation administrative qui entraîne la création des départements de l’Ariège et de l’Aude, i. e. le démembrement de la Terre de Mirepoix, d’où la déconstruction du territoire initialement soumis au contrôle de la Fédération pyrénéenne, Joseph Belot de La Digne est nommé administrateur du département de l’Aude. Le 14 juillet 1790, la Fédération pyrénéenne dépêche encore ses représentants à la fête de la Fédération. C’est ici la dernière manifestation à laquelle elle participe. Elle n’a toutefois jamais été dissoute, remarque Claudine Pailhès.

Ci-dessus : ruines du château de Lagarde.

Le déclin rapide de la Fédération pyrénéenne résulte probablement de l’antagonisme, initialement masqué, qui oppose paysans et notables. Les paysans veulent de la Fédération qu’elle mène la lutte anti-seigneuriale ; les notables, qu’elle défende leurs intérêts. On sait comment, après la fête de la Fédération, la Révolution a tourné.

La brève histoire de la Fédération pyrénéenne témoigne en tout cas de la maturité politique dont Le Peyrat d’abord, puis les districts de Bélesta, de Mirepoix, et du pays de Sault ont su faire preuve dans l’émotion des événements de 1789. « Il fallait donc qu’une telle maturité préexistât à de tels événements », dixit Claudine Pailhès, en matière de conclusion.

A lire aussi :
La dormeuse blogue : Louis François Marie Gaston de Lévis, marquis de Léran et de Mirepoix, ou la lettre de Rome
La dormeuse : Mirepoix an II

4 réponses sur “9 août 1789 – Naissance de la Fédération pyrénéenne au Peyrat”

  1. [Bonjour à tous,
    Je reproduis ici le petit mot que Max Brunet m’adresse ce matin] :
    « Chère amie,
    Je lis avec grand intérêt et souvent avec régal vos chroniques. Dans celle-ci vous mentionnez que le Peyrat était de sensibilité protestante ce qui va à l’encontre de ce que je croyais. En effet, il est couramment admis-à tort peut-être que Labastide était notoirement protestant (il y a un temple et un cimetière protestant) et que le Peyrat était catholique et que les deux se vouaient une haine farouche.
    Ma généalogie paternelle, protestante, est issue de Labastide depuis maintes générations. Les hommes étaient « peigniers » (travaillaient le peigne en corne). Les femmes étaient « jayeteuses » (travaillaient le jais).
    Je vais consulter ma documentation pour aller plus loin.
    Je vous souhaite une bonne journée.
    Amicalement
    max « 

    1. Cher Max,
      Merci de ce commentaire à la source.
      J’ai tenté ici de rendre compte de la très belle conférence de Claudine Pailhès. Claudine Pailhès insistait lors de cette conférence sur le rôle qu’a joué la culture protestante dans l’engagement des notables auprès de Durand Cailhau, et elle indique bien le chiffre de 327 huguenots pour 36 catholiques au Peyrat en 1683. Elle a mentionné également, sans s’y attarder, le conflit d’identité qui oppose Le Peyrat et La Bastide. Je ne suis pas à même d’en dire davantage.
      Merci également d’avoir rappelé les beaux mots de « peignier » et de « jayeteuse ».
      N’hésitez pas à communiquer d’autres infos émanant de votre documentation.
      Amitiés,
      Christine

  2. Le rapport entre Catholiques et Protestants évolue au demeurant de façon très curieuse dans le contexte de la Révolution en Ariège. On observe dans les archives que les tenants de l’Ancien Régime, ou après 1793, les anciens Girondins ou assimilés, traitent les Conventionnels, ou Néo-Conventionnels, de « huguenots » !
    De la métaphorisation…

  3. Merci, chère Dormeuse dont j’ai enfin fait connaissance, pour l’article que j’attendais avec impatience après cette belle conférence. Le temps me manque pour vérifier dans les archives, mais je suis d’accord avec Max Brunet sur la proportion de protestants et catholiques dans les deux villages. C’est plutôt de Labastide qu’il s’agit. Au Peyrat, il y avait plus de catholiques. Dès que possible, je m’y intéresse.

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